Contre Andrieu, l’ironie respectueuse

Monseigneur Andrieu, le cardinal archevêque de Bordeaux, n’a pas le beau rôle dans ces deux articles de janvier 1927 que nous vous proposons. Mais ce rôle il l’avait choisi lui-même : le partisan sinon enthousiaste du moins chaleureux de l’Action française qu’il était quelques années auparavant était devenu l’exécuteur des basses œuvres de Pie XI, pape colérique qui se doublait d’un politique brouillon. Il fallait au pape un cardinal capable de remettre l’Église de France, plus tentée par l’Action française que par le fade Parti démocrate populaire, au pas de sa politique romaine, laquelle s’arrangeait de mieux en mieux de la république anticléricale et de Briand ? Et en faisant alliance avec les débris du Sillon condamnés par Pie X quelques années plus tôt ? ce serait le cardinal Andrieu ! Il ouvrit les hostilités publiques avec une lettre parue dans L’Aquitaine le 25 août 1926.

Que contenait cette lettre à laquelle Maurras va plusieurs fois faire allusion ? un salmigondis de reproches, de vieilles rancunes datant des années de la polémique contre Sangnier et de ses suites, tissu d’accusations falsifiées qui sont dignes de celles que Maurras avait déjà eu peine à reprendre dans L’Action française et la Religion catholique tant elles étaient absurdes ou le produit de textes tronqués avec malveillance, le même genre d’accusations qu’avaient déjà servies ad nauseam dans leur innombrables brochures et articles les Laberthonnière, les Lugan et les Jules Pierre, calotins médiocres pour certains et à l’honnêteté intellectuelle douteuse pour les autres.

Le vrai scandale de Maurras est sans doute là : qu’un prélat qui lui avait prodigué des encouragements se trouve contraint à changer ses vues politiques sur les instances romaines, il aurait sans doute pu le comprendre et remonter de la conséquence bordelaise à la cause vaticane sans en vouloir autrement au cardinal Andrieu. Mais que ce prélat qu’il sait intelligent et fin accrédite en les reproduisant servilement les calomnies les plus basses et les plus éculées, déjà réfutées cent fois ?

Aussi quand la condamnation tombe officiellement le 29 décembre 1926, Maurras ne réagit qu’un peu à retardement et ses deux premiers articles des 5 et 7 janvier suivants sont pour le cardinal Andrieu.

Le premier est impeccable. Empli jusqu’à la gueule des majuscules innombrables qui désignent le prélat en parlant de Lui et de Sa bonté ou de Sa bienveillance, se bornant volontairement à donner les éléments qui motivèrent quelques mois plus tôt l’incompréhension de Maurras devant la charge initiale du cardinal, il l’en exécute d’autant mieux qu’il Lui prodigue les marques d’un respect qui tourne par son redoublement même à l’ironie féroce, ironie soulignée par le lapidaire des dernières lignes. Ce que peint Maurras ce n’est plus un pasteur, mais un Prince de l’Église muré dans sa grandeur de convention, maçonné dans un hiératisme tel que ses mots en deviennent incompréhensibles et lointains. Peut-être le cardinal Andrieu était-il en privé un homme volubile et sympathique ; la flèche pourtant atteint son but : cette statue énigmatique d’où toute sincérité vitale semble enfuie traduit bien la rigidité nouvelle d’un Andrieu qui ne répond plus à ses sentiments propres, mais aux mobiles d’une Église d’appareil qui dans son alliance avec l’abhorré Briand n’a plus que les apparences et les extérieurs de « l’Église de l’ordre ». Lui doit-on alors plus que les apparences les plus extérieures du respect, en soulignant leur vacuité par leur accumulation même ?

Le deuxième article est à la fois plus clair et plus cruel : il dévoile que le texte signé par le cardinal a une source, source belge, source absurde aussi piètre que les vieux libelles anti-maurrassiens de l’abbé Pierre. L’explication une fois trouvée textes à l’appui — elle l’était depuis plusieurs mois, et les deux articles de Maurras sont là pour marquer après coup cette gradation — il ne reste même plus l’illusion ironique du prélat hiératique dont les augustes lèvres laissent tomber une sentence devenue incompréhensible : pour reproduire de si pauvres arguments, simplement faux dans leur plus grande partie et truqués pour le reste, le cardinal Andrieu est ou de mauvaise foi ou stupide. Certes Maurras qui doit ménager dans la forme ses lecteurs catholiques ne le formule pas aussi abruptement, mais c’est bien le sens de ce cardinal dont « la religion » a été « surprise » par le pauvre texte de l’avocat bruxellois Passelecq.

Les deux articles seront reproduits en 1927 dans L’Action française et le Vatican, au premier chapitre : sans une atténuation.

Ce qui résulte de la nature des choses

Qu’y a-t-il au principe des concep­tions politiques de Maurras ?

Certains répondront que c’est l’autorité, d’autres que c’est la royauté, d’autres que c’est l’empirisme organisateur…

Aucune de ces réponses n’est fausse. Mais aucune n’est complète ni vraiment satisfaisante.

On sait que Maurras n’a jamais rédigé la grande synthèse embrassant toute sa théorie politique dont rêvaient pourtant certains de ses amis. Sans doute l’activité quotidienne, l’article journalier et les vicissitudes du combat l’en ont-ils pour une grande part détourné. Pourtant, on ne peut s’empêcher de croire que si la tâche avait vraiment semblée urgente et essentielle à Maurras, il s’y serait attelé. N’a-t-il pas, au milieu des combats quotidiens, réalisé de vastes synthèses sur des sujets déjà abordés, comme La Politique Religieuse ou la politique étrangère de la République avec la dernière révision, monumentale, de Kiel et Tanger ?

C’est ainsi : Maurras n’a pas cru bon de rédiger une telle somme de philosophie politique. C’est peut-être que dans l’ordre des principes les plus profonds de ses conceptions politiques, il n’aurait paradoxalement pas eu grand chose à dire. Quels sont-ils ces principes les plus enfouis ? que trouve-t-on quand on fait une généalogie des concepts politiques maurrassiens ? Beaucoup et peu à la fois : beaucoup de choses, mais peu de concepts, d’idées abstraites capables de fournir un sous-bassement proprement philosophique, au sens de ce qui expliciterait les premiers fondements et les plus généraux d’un système politique.

Ce n’est pas autre chose que nous dit Maurras quand il expose, en 1910 dans la Revue hebdomadaire « Les Idées royalistes ».

C’est que nullement fondées sur des utopies, ces idées royalistes sont celles du bon sens, celles aussi qui sont nées des réalités du pays : de sa géographie, de sa population, des accidents qui ponctuent la volonté de le faire naître et durer. Et Maurras d’évoquer d’abord les 500 000 kilomètres carrés d’un territoire divers et diversement peuplé ; ce n’est pas d’un autre terreau qu’il tire ses principes les plus hauts. Le moyen de faire une grande synthèse conceptuelle des Bretons, des Limousins, des Provençaux et des Parisiens ? des falaises et des fleuves ? des forêts et des prés ?

Mais cela ne signifie pas pour autant que ces sous-bassements bien réels de la pensée politique n’aient pas, dans leur présence même, dans leur caractère empirique et matériel — caractère qui les garantit d’ailleurs d’un romantisme brouillon où d’autres ont pu s’égarer — une signification intellectuelle.

Cette signification Maurras nous la donne avant même de nous exposer ces réalités et d’en tirer les idées royalistes qu’il expose : la multiplicité des partis qui fonde des exigences particulières d’unité, d’autorité, de décentralisation comme d’attention à une certaine forme d’unité respectueuse des particularismes, cette multiplicité ne sort pas d’autre chose que des réalités que nous avons dites. Dès lors, ce qui fonde la pertinence, et on peut dire la légitimité des idées royalistes, ce n’est pas un autre concept que « la nature des choses » évoquée par Maurras dès ses premières lignes.

Et à ceux qui protesteraient naïvement que la nature des choses n’est pas un concept, qu’elle ne peut donc fonder en raison une politique, on rappellera que l’un des auteurs les plus souvent cités par Maurras est bien philosophe, et pas mineur : c’est Lucrèce dont Maurras cite très souvent l’ouvrage qui nous est parvenu, intitulé précisément : De la nature des choses.

Sur la « profanation » rouennaise

D’après plusieurs sources concordantes (1, 2, 3, 4 AFP via Orange), il avait été annoncé que le monument commémorant la victoire de la Grande Guerre à Rouen avait été endommagé par malveillance.

Ce monument est l’œuvre de Maxime Real del Sarte qui avait donné les traits de Charles Maurras à l’un des deux soldats représentés ; c’est cette statue qui a été gravement endommagée.

Monument à la Victoire de Rouen
Monument à la Victoire de Rouen.

Il semble que la ville de Rouen ait éclairci les choses, et un reportage de France 3 Normandie corrige les premières informations : c’est le gel qui aurait endommagé le monument.

La ville n’a cependant pas – encore – répondu à nos demandes d’information.

Aimez-vous les anchois ?

Maurras parle parfois des anchois – par exemple dans les Quatre Nuits de Provence –, et tout porte à croire que c’est un mets qu’il appréciait particulièrement, sans doute lié à des souvenirs d’enfance méditerranéenne.

Un petit texte tout anecdotique tiré de l’Almanach de l’A.F. pour l’année 1925 nous le confirme : alors qu’il s’agit de parler des pâtisseries et alors que la plupart des régions qui vont suivre présentent des pâtisseries sucrées, Maurras prend la peine de signer la recette provençale : c’est une pâte à pain abondamment additionnée d’huile d’olive et où l’on glisse des anchois. Plutôt deux douzaine, précise-t-il.

Le nom de cette recette ? La Pompe à l’huile, dont il existe une version sucrée (et sans anchois !) appelée fougasse d’Arles, qui semble être la recette la plus communément citée de nos jours.

1910 : Alençon, les inondés et des armes presque parlantes

Les almanachs sont souvent l’occasion de faire le bilan de l’année écoulée : celui de 1911 ne déroge pas à la règle. Parmi les événements marquants de 1910, Maurras choisit de consacrer un article rapide, mais qui est un souvenir personnel, à la mort en juin 1910 du duc d’Alençon, oncle de Philippe d’Orléans. Cet événement est l’occasion d’un petit tableau qui donne une idée vivante de ce que pouvait être une réception sur la Maroussia, le yacht du duc d’Orléans alors sous le coup de la loi d’exil.

L’autre événement marquant de 1910 pour l’Action française aura été l’aide apportée aux sinistrés des grandes inondations du début de l’année : secours sur le moment, embuscades tendues par des républicains vindicatifs, reconstruction des maisons sur le site symbolique de Vigneux où Clemenceau avait envoyé la troupe mater les ouvriers deux ans auparavant. L’ensemble est ici raconté par Maurice Pujo.

Enfin le concours de l’année : il s’agit de deviner à qui appartiennent les armes figurant en page 2 :

Au poisson au naturel pêché sur champ de Saint-Nazaire, barré d’hermine, et au chef de sale gueule portant au point un voyeur ; — surmonté d’un cimier à trois-ponts, avec devise ; — supporté en pointe par des attributs de F.: M.:, en dextre et senestre par deux Q. M. arrondissementiers grimpants, lampassés de gueules , portant la livrée des Seigneurs d’Israël…

Nous ne pouvons hélas pas promettre fermement « un siège de procureur et les palmes à qui ne devinera pas le nom du propriétaire ».

Concours AF 1911 : les armes de Briand
Concours AF 1911 : les armes de Briand

Avec nos bons vœux contre la tristesse

Le premier janvier 1910, il y a exactement un siècle, Maurras délaisse son habituel article-éditorial dans L’Action française, article qu’il laisse ce jour-là à M. P., sans doute Marius Plateau.

Il écrit à la place un texte intitulé « Les Gens tristes », évoquant ce premier janvier d’une année 1910 qui sera une année électorale, nouvelle leçon d’un Maurras qui voit jusque dans le découragement de certains de ses amis un signe de vie, d’espoir, et une nouvelle illustration de la formule devenue célèbre qu’en politique « le désespoir est une sottise absolue ».

Nous vous présentons à tous, avec ce texte de circonstance, tous nos bon vœux pour l’année 2010 !