La Chair, le Scapulaire et le Suicide

La Bonne Mort est l’un des plus anciens, et en tous cas le plus mystérieux, des neuf contes du Chemin de Paradis. Il a failli donner son nom, ou presque, au recueil lui-même, qui devait à l’origine s’appeler La Douce Mort. Charles Maurras, dans un extrait de lettre cité par Roger Joseph et Jean Forges, donnait des détails sur son projet de publication.

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Comment Maurras dénonçait Hitler en 1937

La jeunesse socialiste en 1937.
La jeunesse socialiste en 1937.
Maurras passe les premiers mois de l’année 1937 à la prison de la Santé. Dans sa cellule, il travaille d’arrache-pied. En février, il fait publier Devant l’Allemagne éternelle, anthologie de ses chroniques les plus antiboches des quarante années précédentes, ouvrage qui sera interdit par la censure allemande en 1942.

Pendant ce temps, Hitler accumule les succès et devient de plus en plus menaçant. Maurras lit la presse, mais peut-être ne se rend-il pas compte à quelle vitesse change le climat dans lequel sont baignés les militants de son Action française. Ceux-ci, certes, restent fermement royalistes et anti-allemands, et ce n’est pas la poignée d’entre eux, aussitôt exclus, qui se sont avoués séduits par la propagande hitlérienne qui y auront rien changé de significatif.

C’est du côté des partisans du Front Populaire et de leur expression politique que les choses se sont radicalisées d’une manière dangereuse, insupportable pour l’Action française. En effet, les groupes et ex-ligues ayant participé au mouvement du 6 février 1934 sont de plus en plus et indistinctement désignés sous les termes de fascistes ou d’hitlériens, ce dont certains vont s’accommoder, mais certainement pas les maurrassiens.

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Favoriser les entreprises de l’ennemi !

Maurras lors de son procès à Lyon en janvier 1945
Maurras lors de son procès à Lyon en janvier 1945.
Avoir favorisé les entreprises de l’ennemi, telle est l’absurde accusation à laquelle Maurras doit faire face devant la Cour de justice de Lyon, du 24 au 27 janvier 1945.

Une seule phrase, dans sa longue défense, suffit à clore la question :

Pas une personne au courant des Lettres contemporaines ne me contredira si j’affirme qu’il n’existe pas un écrivain français qui ait manifesté par toute sa carrière, au même degré que votre serviteur, une semblable horreur de l’esprit allemand et de la domination allemande. Le fait matériel n’est pas contesté jusqu’au mois de juin 1940 ; et l’accusation veut qu’alors, à soixante-douze ans, j’aie changé de pensée, d’esprit et de langage ! Il faudrait qu’elle nous expliquât ce revirement.

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La raison qui sépara Tite de Bérénice…

Faut-il reproduire les textes antisémites de Maurras ? Par quelque bout qu’on prenne cette question, la réponse est incontestablement oui : un pan entier de son œuvre ne peut être simplement négligé ou passé sous silence.

Nous ne nous faisons cependant pas d’illusions et il arrivera qu’on nous le reprochera.

Du point de vue des maurrassiens, certains trouveront sans doute que ces textes auraient mieux fait de rester sous le boisseau, comme quelque honteuse lèpre entourée, quand on doit l’évoquer, de précautions oratoires, de circonlocutions visant à la minimiser, bardée en prudence supplémentaire de citations contraires tant il est vrai qu’en sélectionnant bien on peut tout faire dire à un auteur. Il convient d’abord de remarquer que ce profil quelque peu bas, à l’évidence fait pour minorer l’accusation d’antisémitisme et ses effets disqualifiants dans le débat intellectuel et politique, a des succès assez mitigés. On ne sache pas que Maurras en passe pour plus fréquentable dans le public ou chez ceux qui forment l’opinion.

De plus, ne pas reproduire ces textes, ce serait laisser quelques maniaques de l’anti-maurrassisme en tirer telle ou telle citation d’apparence furieusement antisémite pour décrire Maurras comme un raciste fou ou comme un précurseur du nazisme.

Il ne s’agit donc pour nous ni de minimiser l’antisémitisme maurrassien, ni de souscrire à sa perpétuelle mise en exergue brouillonne par des idéologues intéressés : fidèles à notre démarche, c’est le retour aux textes mêmes qui nous intéresse, dans leur intégralité et leur précision ; oui Maurras fut antisémite ; non cet antisémitisme n’était pas un racisme au sens génétique que ce mot a pris avec la Seconde Guerre mondiale ; l’antisémitisme de Maurras répond à des conceptions précises, délimitées, politiques d’abord, qui ont à voir avec la manière dont il perçoit les juifs comme un corps étranger dans un État dont il a, à son tour, une conception originale et précise. C’est cela qu’il s’agit de comprendre. Ce recours à la raison, à l’analyse des arguments dans leur contexte, c’est en outre la seule présentation de ces textes qui ne trahisse pas Maurras.

Notre préoccupation est donc celle que mentionne Maurras lui-même quand il invoque dans le texte que nous vous proposons aujourd’hui la raison qui sépare Tite de Bérénice. Car jusque dans l’antisémitisme, Maurras est un impénitent classique : rien ne peut lui être plus étranger que l’utilisation politique de l’accusation d’antisémitisme quand elle agite des émotions, des peurs ou qu’elle vise à mouvoir l’opinion publique en utilisant le pathétique des situations particulières. C’était déjà un enjeu important autour de l’affaire Dreyfus et c’est ce Maurras-là qu’il nous faut comprendre parce qu’historiquement Maurras fut étranger, non à la Seconde Guerre mondiale, mais à la construction a posteriori du discours émotif sur elle. Il est banal de remarquer qu’immédiatement après guerre, même si le drame des déportations et des camps était connu, l’émotion qu’il suscitait n’était pas aussi débordante, omniprésente et partagée qu’elle pourra l’être plus tard dans le vingtième siècle.

Cela vaut a fortiori pour notre texte qui date de 1911, bien avant que l’antisémitisme n’évoque Auschwitz ou Treblinka de manière quasi automatique pour des générations entières.

Si le lecteur veut bien nous accorder tout cela, on ne peut cependant faire comme si « l’Holocauste » n’avait pas eu lieu, n’avait pas été ressenti, et en renvoyer l’émotif ou le pathétique comme oiseux. Qu’on le ressente plus ou moins pour soi, ce pathétique a eu une épaisseur et un poids historiques qui rendent précisément le discours en raison de Maurras difficile à recevoir, et même odieux à certains. Il faut donc poser une autre question, même si elle demeure à bien des égards illégitime : la faillite de la raison occidentale, qu’on a tant cru déceler a posteriori dans l’expérience des camps, aurait-elle atteint Maurras au point qu’il aurait pu renoncer à ce primat de la claire raison qui traverse toute son œuvre ? Chacun répondra. Si notre fréquentation assidue de l’œuvre de Maurras peut avoir ici quelque utilité et au risque de verser un peu dans la fiction maurrassienne, nous nous bornerons à deux remarques, en rappelant que les horreurs de Verdun n’avaient pas eu cet effet d’abandon de la raison sur notre auteur :

  • Insister sur la raison ne signifie pas que les émotions soient du tout méprisables ou que la souffrance qu’a pu produire l’antisémitisme doive être négligée. Chaque chose, aurait sans doute dit Maurras, a sa place assignée, sa légitimité propre et circonscrite. Même dans l’immédiate après-guerre, alors que l’on en était pas encore à pointer l’impossibilité de penser ou d’écrire de la poésie après la « Shoa », il aurait certainement fait porter sa réflexion sur cette nécessaire mise en ordre si le déroulement de la guerre et l’épuration ne lui avaient personnellement assigné une place autre et des préoccupations différentes entre 1944 et sa mort en 1952.
  • Si l’émotion que peut légitimement susciter l’antisémitisme après la Seconde Guerre mondiale aurait sans doute été écartée par Maurras dans sa réflexion, dans la continuation de sa pensée politique — et plusieurs formules dans notre texte prouvent que cette émotion lui était perceptible dès les débats antisémites pourtant bien moins tragiques en 1911 qu’après guerre — il va de soi que sa prise en compte comme un phénomène politique réel, positif, une force avec laquelle compter, aurait retenu toute son attention.

Deux portraits gravés

Deux petites gravures d’Albert Decaris s’ajoutent à notre galerie de portraits.

1945 - Portrait par Decaris.
1945 – Portrait par Decaris, ex-libris de Robert Delidon.

Cet ex-libris de M. Robert Delidon, dont la gravure mesure 60×85 mm, a été tiré en 1945 par le Caveau Saint Roch, à Nancy.


1945 - Portait par Albert Decaris
1945 – Portait par Albert Decaris : Charles Maurras porte le droguet des condamnés à perpétuité.

L’épigraphe vient du 10e vers du chant II de l’Enfer de Dante.

Taille : 90×130 mm.

Toujours réalisé en 1945 par le Caveau Saint Roch, à Nancy, c’est le second tirage, destiné aux graveurs de Ravenne, ville où repose l’Alighieri.

La légende est tirée du XXIIe chant du Purgatoire :

Tu as fait comme ceux qui par derrière portent
Une torche la nuit, — elle ne leur sert pas,
Mais elle éclaire ceux qui viennent à leur suite —, (…)

Maurras est représenté sanglé dans le « droguet » alors réservé par l’administration pénitentiaire aux reclus à perpétuité.