De sel et d’eau

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Sans doute ce texte assez court sur Joseph d’Arbaud, poète de Camargue n’a pas d’importance particulièrement marquée. Il a néanmoins sa place dans Poésie et Vérité : ce qui y est en cause, c’est bien, encore et toujours, ce qui constitue la poésie et le classicisme pour Maurras : une certaine adéquation de ce qui est dit et de ce qui est, ou de ce qui est senti avec la manière dont l’émotion est rendue par les vers ou les mots.

Si Joseph d’Arbaud, dont il faut bien dire qu’il n’est plus guère lu, est si grand poète aux yeux de Maurras, c’est parce qu’il réalise la synthèse d’une terre, d’un peuple et de son expression, ensemble rendu dans la formule empruntée à Mistral : la poésie est ici coumparitudo des hommes qui s’expriment dans une langue et du sol qui les a vus naître.

Et s’il fallait un charme supplémentaire à ce petit texte, l’historiette liminaire du bœuf qui traverse l’étang de Berre pour venir découvrir les reliques de Notre-Dame de Caderot suffirait, rapportée par un Maurras qui y rajoute quelque ironie attendrie pour les rives qui lui sont chères.

Eine höhere Warheit

Ce texte introductif à Poésie et Vérité est-il un simple avant-propos ? sans doute. À un recueil tardif qui plus est : on pourrait n’y voir qu’un texte de pure circonstance, y relever quelques formules heureuses d’un Maurras qui, en 1943, maîtrise parfaitement son art.

Mais il y a plus. On évoque fréquemment la germanophobie de Charles Maurras. Sans doute, au sens où un nationaliste dont la jeunesse a été hantée par les suites de la guerre de 1870, qui connut la première guerre mondiale et qui en 1943 vivait dans une France occupée — même s’il soutenait par ailleurs certains aspects de la Révolution nationale — pouvait difficilement être autre chose que germanophobe.

La claire figure de Goethe a cependant toujours échappé à cette « germanophobie ». Maurras le cite à de multiples reprises, comme il cite Chénier, Racine ou Dante. Goethe est pour lui une figure familière, une référence naturelle sous sa plume. À titre indicatif, on peut remarquer que dans les soixante-cinq textes publiés par nos soins avant celui dont nous parlons ici, Goethe est cité dans presque vingt d’entre eux, souvent en rapport avec des réflexions sur le romantisme et le classicisme, comme dans Entre Bainville et Baudelaire, texte qui fait précisément partie de Poésie et Vérité.

Or ce titre même, Poésie et Vérité, vient de Goethe. Ou plus exactement, dit curieusement Maurras, de ses premiers traducteurs en français. Le titre allemand des Mémoires de Goethe est Dichtung und Wahrheit. Si traduire Wahrheit par vérité ne pose pas de problème particulièrement épineux, traduire Dichtung par poésie est effectivement plus aventureux. Certes le mot désigne avant tout en allemand moderne un poème. On parle au pluriel des Dichtungen de Hölderlin, par exemple, pour désigner un recueil de ses poèmes.

Mais le mot Dichtung, par une étymologie très présente, par l’histoire complexe de son usage en rapport avec la manière dont l’Allemagne se comprend elle-même comme originale, par sa polysémie, emporte bien autre chose que notre simple poésie. Sans doute même n’a-t-il pas d’équivalent précis dans d’autres langues que l’allemand.

Citons la germaniste Élisabeth Décultot :

Dichtung est dérivé du verbe dichten qui, présent dès le stade du vieux-haut-allemand, possède deux acceptions principales. Au sens large, tout d’abord, dichten signifie inventer, imaginer, créer — une signification qui peut aussi se charger de connotations négatives. Dichten, proche en cela de erdichten, signifie alors inventer pour leurrer, imaginer pour tromper. Au sens étroit, ensuite, le mot désigne l’action de concevoir un poème ou plus généralement un texte afin qu’il soit rédigé et lu. Dans cette acception, le mot s’applique avec une prédilection particulière au domaine de la création poétique et signifie alors faire des vers, composer un poème (même si l’application à la prose n’est pas exclue).

Dichtung a hérité de dichten sa substance sémantique en même temps que ses difficultés. Comme le verbe, le substantif place en son centre le rapport complexe de la fiction et de la réalité. Dans un sens péjoratif, Dichtung renvoie à l’idée d’invention fallacieuse, d’affabulation, de mensonge. Dans un sens positif, cependant, le terme désigne la création d’un monde fictif, investi d’une vérité singulière. Dichtung évoque la fabrication d’un univers imaginaire, clos sur lui-même, issu de la seule puissance d’invention d’un individu, l’élaboration d’un espace irréel, en somme, et pourtant aussi véridique que la réalité palpable. Dichtung, en ce sens, participe intimement de la consécration romantique de l’œuvre d’art. À cette signification, qui oscille entre les virtualités négatives et positives de Fiktion, s’ajoute une acception plus étroite. Dichtung désigne la création littéraire au sens précis du terme, et singulièrement la création poétique — jouxtant par là les termes Literatur et Poesie.

Si le mot Dichtung participe donc de ces trois acceptions — Fiktion, Literatur et Poesie —, il n’a cependant cessé au cours de son histoire de chercher à s’en distinguer en s’adjoignant des connotations singulières, nées des circonstances historiques et philosophiques qui l’ont porté au jour. Le terme est une création récente. Il est certes attesté dès 1561, mais ce n’est que dans les années 1770 qu’il fait son entrée réelle et massive dans la langue allemande, alors même que sa matrice verbale, dichten, existe depuis des siècles (Grimm, vol. 2, 1860, art. “ dichten ” et “ Dichtung ”). Sulzer ignore encore totalement ce substantif dans l’Allgemeine Theorie der schönen Künste [Théorie générale des beaux-arts ] (2 vol., Leipzig, Weidemanns Erben und Reich, 1771-1774) et Adelung le cite au titre de « terme nouveau » dans la première édition de son dictionnaire (vol. 1, 1774, art. “ Dichtung ” ). C’est à Herder que l’on doit pour l’essentiel l’introduction de Dichtung dans la langue allemande — une paternité qui explique aussi l’aura singulière qui l’entoure. Dans son essai de 1770 sur l’origine du langage, Herder recourt à ce mot jusqu’alors inusité pour désigner la faculté d’invention poétique qui présida à la première langue de l’humanité, cette langue originelle et naturelle qui précéda la prose. Dichtung est « la langue naturelle de toutes les créatures [Natursprache aller Geschöpfe] » transposée en images ou, pour citer une variation ultérieure sur ce thème, elle prend sa source dans la nature (Über den Ursprung der Sprache, 1770, vol. 5, p. 56; Über Bild, Dichtung und Sprache, 1787, vol. 15, p. 535 sq.). Dès sa naissance, donc, la notion de Dichtung se trouve investie d’une triple connotation. Elle est poétique, originelle et naturelle, qualités auxquelles s’ajoute un ultime attribut : elle est authentique. Une idée, en effet, sous-tend constamment l’usage herdérien du terme : l’univers fictif auquel renvoie Dichtung n’est pas moins vrai que la réalité elle-même. Il n’est pas l’opposé du monde sensible, mais bien plutôt son « condensé » — un principe souterrainement étayé par la proximité homophonique fortuite de ce terme avec les mots Dichte et dicht (densité, dense). L’idée sera développée sur un mode philosophique quelque temps plus tard par Kant (Kritik der Urteilskraft, 1790, § 53), puis par Schlegel.

Au cours du XIXe siècle, cependant, Dichtung ne tarda pas à se charger de lourds sous-entendus nationaux. Dans une Allemagne en quête d’identité nationale, on eut en effet tôt fait de mesurer tout le parti que l’on pouvait tirer de ce substantif spécifiquement germanique, riche de multiples connotations sémantiques ou homophoniques et, pour toutes ces raisons, difficilement traduisible dans une quelconque autre langue. Dichtung permettait à la langue allemande de désigner un mode spécifique d’invention intellectuelle, dont le produit — littérature, langue, poésie — se trouvait chargé de qualités singulières : rapport immédiat à la nature, naïveté originelle, souffle poétique, génialité, etc. La distinction herdérienne entre Naturpoesie et Kunstpoesie, en partie dirigée contre le classicisme français, fut réinterprétée par la postérité dans le sens d’une opposition entre une deutsche Dichtung et une französische Literatur, le mot germanique Dichtung désignant une production littéraire dotée d’originalité et d’authenticité, le dérivé latin Literatur renvoyant au contraire à l’artifice et à la complexité.

Ce sont ces connotations diffuses, souterrainement présentes dans l’usage et rarement indiquées dans les dictionnaires, qui expliquent l’ascension remarquable du terme dans le lexique allemand entre 1770 et 1850. Encore largement dominé, à la fin du XVIIIe siècle, par ses rivaux Poesie et Literatur, Dichtung semble les avoir totalement supplantés au milieu du XIXe siècle. L’implantation a d’abord été tâtonnante. Ainsi, ce n’est que dans la seconde édition de l’essai Über naive und sentimentalische Dichtung en 1800 que Friedrich von Schiller décide d’introduire le mot Dichtung dans le titre — un terme qui, au demeurant, est remarquablement peu employé dans l’ouvrage lui-même. La parution, à partir de 1811, de l’autobiographie de Goethe, Dichtung und Wahrheit (habituellement traduit par Poésie et Vérité) marque dans cette ascension une étape importante — le mot Dichtung étant compris, selon les déclarations répétées de l’auteur, dans un rapport non d’opposition, mais de complémentarité avec le mot Wahrheit. « C’est là tout ce qui résulte de ma vie et chacun des faits ici narrés ne sert qu’à appuyer une observation générale, une vérité plus haute [eine höhere Wahrheit] » (Johann Peter Eckermann, Gespräche mit Goethe, 30 mars 1831). En 1787 déjà, dans le poème Zueignung, Goethe s’était décrit comme recueillant « le voile de la poésie de la main de la vérité [der Dichtung Schleier aus der Hand der Wahrheit empfangen] » (v. 96). Le succès grandissant du terme est confirmé par Hegel qui, dans ses Leçons sur l’esthétique dispensées entre 1818 et 1829, baptise Dichtung le troisième art « romantique » (les deux autres étant la musique et la peinture). En 1853, G.G. Gervinus réédite sous le titre de Geschichte der deutschen Dichtung une histoire de la littérature allemande qu’il avait publiée une première fois sous celui de Geschichte der poetischen Nationalliteratur der Deutschen en 1835-1842. C’est donc sous le nom de Dichtung et non sous celui de Literatur ou de Poesie que la production littéraire allemande accède à une véritable consécration historique au XIXe siècle.

À la lecture de ces remarques érudites, on comprend mieux ce que signifie le titre utilisé par Maurras : choisir la traduction en Poésie tout en se rattachant directement à Goethe par l’empoi du même titre que lui, sans s’arrêter à l’utilisation faite de Dichtung par le romantisme allemand, dont on sait les liens avec le nationalisme allemand et que Maurras a tant combattu, cela a un sens. C’est se rattacher par delà le romantisme national allemand du dix-neuvième siècle à ce que Goethe a pu avoir de classique, et que Maurras évoque à maintes reprises dans d’autres textes ; c’est choisir contre une Allemagne qui se voue à elle-même et à ses démons originaux une Allemagne qui aspire au monde latin, classique, au sud méditerranéen, celle du « pays où fleurissent les citronniers » comme l’écrit précisément Goethe dans son Mignons Lied souvent cité par Maurras.

Au total, c’est affirmer la possibilité d’une rédemption pour l’Allemagne telle que la voit le « germanophobe » Maurras, rédemption qui passe précisément par le rapport qu’entretiennent dans le classicisme la création et la vérité : rapport régulateur, apaisant, mesure et nombre, accord avec les vérités les plus claires et dénombrables. La création classique c’est bien l’expression d’une vérité plus haute, pas la création romantique qui s’affranchit graduellement de toutes les mesures de la vérité. Et cette vérité, nous dit Maurras peut être allemande, contre les démons de l’Allemagne : Goethe en témoigne. Il en témoigne si hautement que Maurras lui emprunte le titre et comme l’étendard de ce recueil important, mais dans sa traduction française et avec le parti-pris qu’elle indique : Dichtung y est poésie, pas la création romantique typiquement allemande affranchie du rapport essentiel à la vérité, création romantique qui avait nourri le nationalisme des Allemagnes au long du siècle précédent.

Ce rapport central entre création et vérité dans le classicisme de Maurras, rapport qui est constitutif de ce classicisme même bien plus que n’importe quelle forme fixée, il est pour Maurras à la fois proprement méditerranéen et universel. Cette position n’est d’ailleurs pas nouvelle pour nos lecteurs, plusieurs textes l’ont déjà évoquée, et Maurras y citait parfois déjà Goethe : le Raoul Ponchon le dit différemment, mais dit-il autre chose ?

Resterait à avoir si Maurras a simplement retiré ces subtilités de philologie allemande de son propre fonds, les devinant ou les tirant des nécessités de la réflexion, ou bien s’il les a précisément sues. Et dans ce cas de quelle source ? Il est bien sûr tentant d’évoquer ici le germaniste qu’était Jacques Bainville, qui aurait pu avant de disparaître éclairer Maurras dans un autre dialogue de Pierre et de Paul. Aucune preuve ne le permet.

La première préface politique de Charles Maurras

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Elle date de 1903, et ouvre une brochure de propagande publiée par La Gazette de France :

À cette date, l’Enquête sur la Monarchie est en cours de parution, et le premier ouvrage mentionné dans la liste des publications de propagande de La Gazette de Fance est un recueil des discours du duc d’Orléans :

C’est d’ailleurs au duc d’Orléans qu’est consacré l’essentiel de cette Préface. Nous avons déjà publié deux textes plus tardifs de Charles Maurras, La Barque et le Drapeau qui décrit le prétendant en 1911, et Le Tombeau du Prince, recueil d’articles publiés en 1927 après sa mort. Cette fois, le portrait est celui d’un prétendant jeune, certes déjà marqué par l’épreuve de l’exil, mais qui est entré il y a peu dans l’arène politique, qui n’a encore essuyé aucun échec notoire et dont l’image n’est pas associée à une attente qui se prolonge ou à des espoirs sans cesse reportés.

C’est le Prince du coup de force possible, du coup de force rapidement possible. Il est donc logique que Maurras en parle longuement, plus longuement en tous cas que du rédacteur de la brochure qui reçoit quelques compliments polis.

On ne sait pas grand’chose en fait de cet auteur, malgré sa grande longévité ultérieure. Disciple de Bonald et de La Tour du Pin avant de rejoindre l’Action française, Firmin Bacconnier ne joua en effet jamais de rôle majeur dans le combat royaliste auquel il aura apporté, plusieurs décennies durant, de nombreuses contributions notamment sur la question sociale. Son Manuel date de 1903, et soixante ans plus tard on trouvait encore sa signature sous diverses chroniques où il déplorait l’exode rural et la fonte de la population paysanne.

Il est surtout connu pour être l’auteur de deux formules heureuses dont le succès l’aura largement dépassé, d’une part l’image du « renard libre dans le poulailler libre » à propos du libéralisme économique, et d’autre part celle de la « monarchie populaire » qui reçut diverses déclinaisons dans l’histoire militante du royalisme :

— La Monarchie sera populaire ou elle ne sera pas !

Minerve, déesse tutélaire

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Le premier numéro de la revue Minerva, daté du 1er mars 1902, contient une sorte de manifeste, dépourvu de signature : l’Invocation à Minerve.

Reconnu plus tard par Charles Maurras, ce texte servira de conclusion aux éditions successives de L’Avenir de l’intelligence, à partir de 1905.

En 1902, Maurras a 34 ans. Il veut prendre le nouveau siècle à bras le corps, en faire le temps de la renaissance de l’intelligence et de la puissance françaises, et demande à Minerve de l’inspirer et de le conduire.

Au soir de sa vie, Maurras en fera le fil directeur de sa pensée. Cinquante ans après sa première parution, l’Invocation à Minerve est reprise en ouverture des Œuvres capitales, dont le premier tome prend le titre Sous le signe de Minerve.

Contre l’ablation de l’essentiel

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Qu’est-ce qui peut bien pousser Maurras à reprendre la plume en 1938 au sujet de Sand et Musset, pourquoi revenir à ces vieux Amants de Venise qui datent de 1902 quant à la publication et même de 1896 quant à la première rédaction ?

Bien sûr il y a la volonté de défendre l’un des ses ouvrages sinon contre l’oubli du moins contre la poussière : Antoine Adam s’attelle au sujet, égratigne les Amants au passage, il est dès lors compréhensible que Maurras défende son enfant, ne serait-ce que contre le risque de le voir injustement relégué par le dernier venu ; il écrit cette Bénédiction de Musset.

Mais à bien y regarder, l’entreprise d’Antoine Adam est plus complexe et plus tortueuse qu’il y paraît. Elle consiste à feindre de ne s’intéresser qu’aux documents, aux textes. Mais à la seule Correspondance de Sand et Musset. Ce qui lui permet de gommer subrepticement à peu près tout ce que l’aventure vénitienne a d’irréductiblement romantique, et qu’attestent tant d’autres documents si habilement exploités par Maurras dès 1896. Sand, Musset et Pagello deviennent sous la plume d’Antoine Adam des types d’une humanité moyenne, dont on pourrait démêler les finesses en usant d’une psychologie médiocre et toute convenue. Disons-la bourgeoise.

Si bien que voilà Maurras dans le rôle presque incongru de défendre la vie romantique : non, Alfred de Musset et George Sand ne correspondent pas à ce type médiocre et moyen qu’Antoine Adam voit en eux. En faire cela, on le comprend, c’est désarmorcer la critique du romantisme. Car si l’on écarte ou minimise ce qu’a d’authentiquement romantique l’histoire des Amants, on ne comprend plus les dérèglements dont elle est exemplaire. Ce serait rendre incompréhensibles les implications historiques et politiques que la réflexion maurrassienne a tirées de La Confession d’un enfant du siècle, dont on peut reciter ici la dernière phrase :

Tout ce qui était n’est plus. Tout ce qui sera n’est pas encore. Ne cherchez pas ailleurs le secret de nos maux.

Le discours de réception à l’Académie

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L’Académie française est le seul honneur public qu’ait jamais sollicité Charles Maurras. Il est vrai qu’il n’y a guère d’autre solution que de le solliciter pour l’espérer.

Après un premier échec contre Jonnart en 1924, Maurras avait été élu à l’Académie française le 9 juin 1938 au fauteuil 16, par 20 voix contre 12 à Fernand Gregh ; il fut reçu le 8 juin de l’année suivante par Henry Bordeaux, et prononça le traditionnel discours de réception.

Le texte comporte comme c’est l’usage l’éloge du prédécesseur de Maurras à ce fauteuil 16, Henri-Robert, avocat réputé et historien, qui avait lui même été élu en 1923 contre Maurice Paléologue, lequel ne fut élu qu’en 1928.

Sans doute faut-il remarquer dans ce jeu compliqué que Paléologue, avec qui Maurras entretenait une inimitié réciproque très âpre depuis l’affaire Dreyfus, occupera finalement, lui, le fauteuil 19. Or l’éloge d’Henri-Robert déborde sur celui d’un autre grand avocat et académicien, Olivier Patru… lointain occupant de ce même fauteuil 19. L’exercice n’est donc pas seulement de discours et de courtoisie : faire du lointain Olivier Patru le grand homme du fauteuil 19 quand on s’appelle Maurras, n’est-ce pas aussi dire que Maurice Paléologue est bien négligeable ?

L’impression est encore aggravée par l’évocation du procès de Calas auquel Henri-Robert avait consacré un volume très critique pour la réhabilitation voltairienne. Un procès, une réhabilitation que l’on conteste, dont on dit qu’elle fut obtenue par des artifices et des mensonges : parle-t-on bien de Calas ? l’ombre de Dreyfus, là encore, n’est elle pas embusquée ?

Si l’on y ajoute les multiples allusions à l’Action française, au patriotisme et à la monarchie, ce discours de réception qui se referme sur une citation en langue d’oc paraît au total bien politique tout en gardant la surface polie qui convient à un nouvel académicien.

Rappelons que nous avions déjà eu l’occasion d’évoquer l’épée d’académicien de Charles Maurras et le discours de son successeur, le duc de Lévis-Mirepoix.