Dans ce triptyque assemblé a posteriori, Maurras expose les principes dont doit, selon lui, s’inspirer la critique littéraire pour être à la fois pertinente et utile, tant aux auteurs qu’aux lecteurs et à la société toute entière.
Critique et Action introduit le recueil d’articles Barbarie et Poésie, qui paraît en 1925, alors que Maurras a délaissé son activité de critique depuis une vingtaine d’années. C’est donc d’abord un regard rétrospectif, une mise en perspective et un reclassement d’articles de jeunesse les plus divers, où l’on retrouve le dialogue avec Jacques Bainville Ironie et Poésie.
C’est aussi pour Maurras le lieu de justifier l’arrêt, déjà ancien, de sa production critique : en se consacrant exclusivement à l’action politique, il ne rompt pas avec son combat passé, dit-il, mais le prolonge et lui donne une autre dimension. On sera convaincu par ces arguments, ou pas ; on sait que de nombreux commentateurs ont, à l’époque, vivement regretté que Maurras ait ainsi quitté ses premières amours.
Mais Critique et Action est aussi un rappel et une remise à niveau des thèmes du Prologue, le recul du temps donnant à la condamnation du romantisme et de ses différents avatars un sens à la fois plus global et plus politique. Entre autres, Maurras récuse l’argument générationnel selon lequel on est romantique quand on est jeune et impétueux, puis l’on devient classique à mesure que l’on s’assagit avec l’âge ; non, explique-t-il, on peut être classique avec la fougue de la jeunesse et romantique avec le conformisme de la sénilité !
Sous une forme expurgée, Critique et Action reparaîtra au tome III des Œuvres capitales, en introduction du chapitre Bons et mauvais maîtres.
Le premier janvier 1910, il y a exactement un siècle, Maurras délaisse son habituel article-éditorial dans L’Action française, article qu’il laisse ce jour-là à M. P., sans doute Marius Plateau.
Il écrit à la place un texte intitulé « Les Gens tristes », évoquant ce premier janvier d’une année 1910 qui sera une année électorale, nouvelle leçon d’un Maurras qui voit jusque dans le découragement de certains de ses amis un signe de vie, d’espoir, et une nouvelle illustration de la formule devenue célèbre qu’en politique « le désespoir est une sottise absolue ».
Nous vous présentons à tous, avec ce texte de circonstance, tous nos bon vœux pour l’année 2010 !
Cette étude, Maurras et le Félibrige, de Victor Nguyen, dont une première version avait été présentée sous forme de communication orale le 9 juin 1977 lors d’une rencontre organisée au château de Barroux sur le thème « Félibrige et Régionalisme », a été publiée en trois parties, au cours des années 1979 et 1980, dans la revue La France latine. Nous en reprenons ici le texte seul, dépouillé de ses 143 notes dont le volume cumulé représente environ trois fois ce texte lui-même.
Partant de l’évocation du Félibrige proprement dit et de la jeunesse de Maurras, marquée par ses premières rencontres avec Mistral et par la fameuse Déclaration des jeunes Félibres fédéralistes de 1892, Victor Nguyen remet dans sa perspective historique l’incessant combat que dut livrer l’auteur de L’Idée de la décentralisation, contre lui-même, ses proches et les événements, pour expliquer et incarner sa synthèse entre nationalisme et régionalisme, autorité en haut, libertés en bas ; de là, notre auteur passe vite à l’analyse des origines et de la dynamique du mouvement occitaniste tout entier, depuis ses rapports avec l’Action française jusqu’aux convulsions existentielles qui le secouent au moment de la rédaction de l’étude.
D’autres que nous ont présenté et fait circuler le texte de Maurras qui, dans L’Action française du 13 juillet 1926, s’inquiète de la construction de la Mosquée de Paris, y voyant quant à l’influence de l’Islam en France un signe funeste pour l’avenir. Il n’est pas besoin de souligner à quel point cet article paraît aujourd’hui prophétique, alors que des mosquées s’édifient un peu partout en France, leurs coupoles et leurs minarets récemment décrits par le premier ministre turc comme « nos casques et nos baïonnettes ». Confronté à l’actualité, le texte parle de lui-même.
Ce texte sur la mosquée n’est pourtant que le deuxième point de l’article quotidien de Maurras, « La Politique » de ce 13 juillet.
S’il en est sans doute le point le plus intéressant, le reste du texte mérite aussi l’attention. D’abord par les méthodes de presse évoquées par Maurras : la puissance de l’agence Havas, l’ignorance volontairement entretenue par les journaux de Paris de ce qui se passe en province, ou encore la nécessité pour L’Action française de rendre compte de la visite en France de Primo de Rivera, dont on devine à demi-mots qu’elle fut présentée par les journaux gouvernementaux de manière tendancieuse. Face à tout cela, L’Action française est pensée par ceux qui la font comme un instrument de combat, de redressement : d’où les multiples intérêts de Maurras, qui se trouve contraint de brasser divers sujets d’actualité dans son article quotidien, véritable éditorial, sans pour autant négliger des réflexions plus vastes et la nécessaire galvanisation des troupes, parfois un peu excessive : la réunion de Nîmes n’eut pas l’incalculable portée qui lui était ici prophétisée. Et le tout sans négliger les appels aux dons : L’Action française, malgré ses tirages importants, manqua la plupart du temps d’argent. En considérant tant de matières, d’informations, de préoccupations, on comprend mieux l’article rituellement remis en retard, et aussi le caractère si prenant de sa tâche journalière, que Maurras évoquait par exemple dans sa préface à La Musique intérieure, en 1925.
Un autre point est d’autant plus intéressant qu’il permet de revenir sans l’avoir cherché sur notre article « Maurras privatiserait-il la Poste ? », article qui avait surpris certains lecteurs. Eh bien pour les sceptiques et les défenseurs acharnés du « service public » tel qu’on l’entend invoquer de nos jours, Maurras réaffirme ici en 1926 comme dans l’Almanach de 1922 la nécessité de démanteler les monopoles d’État, de les affermer, appelant même à une grande campagne d’affichage pour promouvoir ces mesures. Bien plus il écrit :
Car aucun des journaux soutenus par la haute industrie et le haut commerce ne fait de propagande à cet affermage des monopoles qui, seul, sauverait les classes moyennes, qui, seul, sauverait la France et le Franc… Ce silence est bien remarquable. Il montre quels intérêts particuliers sont défendus sous le vocable de l’intérêt général. Nous sommes seuls avec La Croix pour agir en ce sens.
Or une citation de La Croix est effectivement reprise bien en évidence en haut à droite de ce même numéro de L’Action française, citation sans ambiguité :
NI EMPRUNTS ! NI IMPÔTS : LES MONOPOLES !
« Il ne faut demander les ressources dont l’État a besoin immédiatement, ni à l’inflation, ni à l’emprunt, ni même à l’impôt qui nous paralyse déjà, mais à la liquidation de tous les bien d’État qui ne sont pas indispensables à son fonctionnement, mainmorte de l’État, monopoles d’État. »
Jean Guiraud, dans La Croix.
Il nous faudrait décidément un travail universitaire documenté sur les conceptions économiques de Maurras et de l’Action française, travail qui ne se limiterait pas à la vulgate mais recenserait les positions et les propositions, évaluerait leur fréquence en les catégorisant et en les datant, permettant ainsi d’y voir plus clair. En effet les citations paraissent abondantes qui ont manifestement été écartées des habituels résumés de la pensée du « Maître » pour dessiner une idée économique presque exclusivement étatiste et corporatiste, ou du moins fortement teintée d’un interventionnisme qui, lorsqu’il est seul invoqué et seul retenu, paraît bien difficile à concilier avec certains textes. Or, c’est tout le sens de notre démarche, les textes de Maurras doivent l’emporter sur les résumés et les sélections, les résumés seraient-ils écrits par les gardiens du temple les mieux autorisés et les sélections animées des plus pieuses intentions !
Voilà plus d’un an, nous publiions la lettre-préface donnée par Charles Maurras à Marcel Coulon pour son Raoul Ponchon, préface reprise ensuite dans le recueil Poésie et Vérité.
Ainsi le Centaure et sa race inutile étaient-ils priés de reprendre la route du désert avant d’avoir causé de vergogne ou d’offense à l’enfant merveilleuse qui reflorissait devant nous.
Aussi avions-nous formulé ainsi une note, ne pouvant faire mieux que livrer au lecteur nos conjectures imparfaites :
Le texte porte bien ici race inutile. La seule référence possible semble pourtant être à Mazeppa de Hugo :
Quand il s’est dans ses nœuds roulé comme un reptile,
Qu’il a bien réjoui de sa rage inutile
Ses bourreaux tout joyeux,
Et qu’il retombe enfin sur la croupe farouche (…)
Cependant Hugo ne décrit pas Mazeppa comme un centaure, même si le terme a été utilisé à son propos par de nombreux autres auteurs depuis le Mazeppa de Byron en 1819. Peut-être le souvenir imprécis de Maurras mêle-t-il deux références. Le mot race revient à plusieurs reprises dans le Khiron de Leconte de Lisle, qui serait ici plus vraisemblablement visé par Maurras comme symbolo-parnassien que Hugo, mais sans que l’on puisse expliquer plus précisément par Khiron la référence maurrassienne.
Ce petit mystère irritant est éclairci grâce aux recherches faites pour un autre texte que nous publierons bientôt. C’est du côté des amitiés poétiques du jeune Maurras qu’il fallait chercher la référence.
Le vers est de Raymond de la Tailhède et date de 1892, dans une ode à un autre poète, Maurice du Plessys.
Cette ode a été publiée dans le Premier Livre pastoral, de Maurice du Plessys, mais qui comporte à son début deux poèmes de Moréas et cette ode de La Tailhède (p.15).
Et nous pouvons soupçonner d’autant mieux qui est le Centaure et sa race inutile, personnification fournie par La Tailhède à Maurras qui décrie les couplets symbolo-parnassiens : il s’agit de Leconte de Lisle, l’auteur alors fort prisé de Khiron.
Maurras en termine avec son œuvre de critique lorsque la revue Minerva cesse de paraître, en 1903. Cependant il y reviendra de temps à autre, au gré des sollicitations qui ne manquèrent pas d’être nombreuses ; ainsi ses recueils tardifs, pour l’essentiel constitués d’articles publiés au temps de ses jeunes années, sont-ils parsemés de productions de l’âge mûr : ses textes sur Dante, Stendhal, ou Platon, en sont les exemples les plus représentatifs.
Les grands auteurs de la première moitié du vingtième siècle n’auront donc guère été commentés par Maurras. Paul Valéry, prosateur prolixe mais dont la production poétique, pourtant d’une grande concision, fait le phare incontesté de cette période, n’échappe pas à la règle. Le Dictionnaire politique et critique ne contient aucun article à son nom. Il semble bien que le seul texte que Maurras lui ait consacré soit une brève note parue dans L’Action française du 28 mai 1922, reprise un an plus tard dans le recueil Poètes édité par la revue Le Divan.
Ce texte a une histoire. Le Divan paraissait deux fois par mois. Le numéro 78, de début mai 1922, se terminait par cette annonce :
Le prochain numéro du Divan (15 mai) sera consacré au poète le plus original et le plus représentatif de notre époque : M. Paul Valéry.
Autour du nom de l’auteur de La Jeune Parque et de l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, nous pensons réunir dans notre sommaire les noms de la comtesse de Noailles, Louis Artus, Jacques-Émile Blanche, Charles du Bos, Marcel Boulenger, Lucien Dubech, Lucien Fabre, Léon-Paul Fargue, André Fontainas, André Gide, Edmond Jaloux, André Le Bey, François Le Grix, Camille Mauclair, François Mauriac, Charles Maurras, Francis de Miomandre, Albert Mockel, Henri de Régnier, Jacques Rivière, Jean-Louis Vaudoyer, Francis Viélé-Griffin.
Maurras était donc annoncé, et qui plus est Le Divan était une revue amie. Cependant, alors que tous les autres auteurs pressentis et quelques nouveaux remirent leur copie à l’heure, Maurras n’en eut pas le temps, et fit paraître son texte une semaine plus tard dans L’Action française. Était-ce là un signe de désintérêt ? Il ne le semble pas, car son article est extrêmement élogieux pour Paul Valéry, très sincèrement élogieux ; ce ne sont pas des compliments de circonstance. Mais manifestement Maurras n’en avait pas fait une priorité.
Les deux hommes n’ont sans doute eu que des relations rares et assez distantes. On connaît la célèbre dédicace que Valéry fit à Maurras : « Les mêmes déesses nous sont chères », mais il s’agit là de politesses que peuvent se faire deux vieux séducteurs qui se croisent, sur leur septentaine, dans les couloirs de l’Académie française. Il faudrait analyser par le menu les abondants recueils de réflexions morales ou philosophiques de Valéry pour voir s’il s’y trouve des allusions, même indirectes, au corpus maurrassien. Rien de tel en tous cas n’y apparaît de prime abord.
Revenons à l’article de 1922, qui paraît peu après la publication des Charmes.
Maurras centre son analyse sur la rupture qu’opère le Valéry mature par rapport à ses poèmes de jeunesse, tout empreints d’influence mallarméenne : il y a, écrit-il, deux Paul Valéry, celui d’avant et celui d’après. Ce faisant, il marque sans l’exprimer un parallèle avec sa propre évolution, où il est vrai c’est plus Baudelaire que Mallarmé qui joue le rôle de premier modèle dont on finit par s’émanciper.
Des parallèles, tout spéculatifs qu’ils soient, pourraient d’ailleurs être tentés entre Maurras poète et Valéry poète ; entre le Cimetière marin et le Mystère d’Ulysse, il y aurait plus d’une ressemblance à mettre en lumière.
Mais le débat ouvert par Maurras concerne la filiation Mallarmé-Valéry, de nos jours présentée comme un fait d’évidence. Est-ce si clair ? N’y a-t-il pas là plutôt une sorte de faux-fuyant, de classification simpliste permettant d’affirmer ensuite que, par la grâce du surréalisme, il y eu une authentique poésie après Valéry, une autre école qui valait bien la sienne ?
Ceux qui, au contraire, inclinent à penser que Valéry est le dernier monstre sacré de la poésie française, aussi indépassable que le fut Céline, tous deux clôturant le grand livre de la littérature entendue comme art unique qui laisse après lui place au cinéma et à d’autres formes d’expression, ne vont pas contester à Paul Valéry le droit d’être lui-même, d’être à lui-même sa propre école.
Et si des analogies académiques peuvent être trouvées entre L’Après-Midi d’un faune et La Jeune Parque, rien de tel ne subsiste quand on regarde les poèmes courts et, s’agissant de Mallarmé, les plus tardifs ; ceux qu’on embrasse d’un seul coup d’œil, seuls sur leur page, ceux qu’on s’essaye à retenir et à faire chanter dans sa mémoire.
Quoi de commun entre l’euphonie heurtante et syncopée du Billet à Whistler et l’harmonie suave et enchanteresse qui se dégage de la Dormeuse, du Vin perdu ou du Rameur ? Même si chaque lecture ouvre à leurs sens cachés comme un nouveau tiroir, la première nous y donne déjà un message clair et explicite que la mélodie des mots accompagne et enchante au lieu de l’obscurcir. Cela, Maurras l’avait bien noté, dès 1922.