La tentation de l’Orient

Charles Maurras, dont le frère cadet fut médecin militaire en Indochine et mourut à Saïgon, n’a jamais lui-même visité l’Orient, qu’il soit proche, moyen ou extrême. Tout ce qu’il en a vu se limite à la contemplation, depuis le sommet du mont Hymette, des îles de la mer Égée. Et ceci se passa une seule fois, en 1896. Au sens propre, c’est un Orient bien limité, bien occidental, même si la ligne d’horizon lui évoque, par delà les Cyclades, la côte de l’Asie Mineure et, encore au-delà, toute la litanie des peuples et des empires de l’Est du monde méditerranéen.

Cependant cet Orient, tout virtuel qu’il soit, prend alors une place précise dans l’esprit de Maurras. Ce qu’il voit d’un côté, au nord-ouest, c’est l’Attique, qu’il vient de visiter, et c’est la civilisation : l’ordre, la régularité, la mesure et la beauté. Et voici que de l’autre côté, au sud-est, lui apparaît un monde on ne peut plus différent ; l’Orient immense, fascinant mais flou, nimbé de mystère, barbare, inorganisé. Le dangereux Orient qui, tel Baudelaire, sera toujours pour Maurras une tentation, qu’il rejettera avec toutes les forces de la raison sans jamais pouvoir l’éradiquer tout à fait.

Le récit de l’ascension du mont Hymette ne figure pas dans Anthinéa ; il paraît cinq ans après le voyage de Maurras à Athènes, dans la Gazette de France du 14 novembre 1901, sous le titre L’Orient. Maurras qui a passé la trentaine atteint la plénitude de son art littéraire et, s’il est déjà fortement engagé en politique, il n’y consacre pas encore tout son temps ; la critique et la littérature restent son activité première.

Anthinéa connaîtra de nombreuses éditions, mais L’Orient n’y sera jamais intégré, sinon en 1918 sous le titre L’Hymette, dans Athènes antique, un ouvrage illustré de grand luxe qui reprend quelques passages d’Anthinéa. Entre temps, il aura été publié en 1916 dans Quand les Français ne s’aimaient pas, sous le titre Le Mystère d’Orient ; puis repris en 1937 dans Les Vergers sur la mer, cette fois appelé L’Orient du Mont Hymette, enfin au tome I des Œuvres capitales.

Baudelaire en Martigues

Le 15 septembre 1895, Charles Maurras qui est Parisien depuis dix ans évoque, dans la chronique littéraire de la Revue encyclo­pédique Larousse, les rémi­nis­cences baudelairiennes qui renaissent en lui lors de ses retours au pays natal :

Là, tout n’est qu’ordre et beauté
Luxe, calme et volupté.

Ainsi scande L’Invitation au voyage. Et cependant, Maurras fait ce qu’il peut pour chasser de lui-même ce « mauvais enchan­teur » de Baudelaire… Mais rien n’y fait. Ces vers, « autrefois aimés », qu’on veut morts « de vieillesse et d’ennui », reviennent et s’imposent, comme exhalés par le vent marin, les bosquets d’oliviers et les flottilles de pêcheurs. Maurras aura beau s’en défendre, plaider et argumenter, Baudelaire restera le plus fort. Mais tout jardin littéraire qui se respecte ne doit-il pas être parsemé d’îlots de plantes vénéneuses au charme fascinant ?

Ce très beau texte de 1895 sera connu du public vingt ans plus tard, lorsqu’il deviendra l’avant-propos de L’Étang de Berre. Il n’y porte pas de titre, et commence par des points de suspension. Nous lui avons donné un nom : Au flanc d’une colline.

Au flanc d’une colline est le premier des textes choisis en 1989 par le docteur Robert Fouque pour illustrer l’ouvrage On n’échappe pas à sa Terre qu’il donne à l’Association des Amis de la Maison du Chemin de Paradis. Nous vous en offrons quelques extraits, avec l’illustration d’Albert André pour L’Étang de Berre en 1927 :

À propos de L’Avenir de l’Intelligence

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Dans ses numéros du premier et du 15 février 1903, la revue Minerva publie en deux épisodes une étude de Charles Maurras qui deviendra par la suite l’un de ses textes parmi les plus célèbres et les plus souvent réédités, celui en tous cas qu’il est de bon ton de présenter comme le plus « actuel », le plus « visionnaire » de son œuvre : L’Avenir de l’Intelligence.

Nous laissons aux lecteurs le soin d’en juger. Et pour qu’ils puissent le faire dans les meilleures conditions, nous nous sommes efforcés de mettre en ligne une édition révisée et actualisée, la plus complète possible ; elle comporte l’ensemble des préfaces et avertissements qui se sont succédés au fil des ans, et, comme nous le faisons pour chaque grand texte de Maurras, les annotations documentaires qui nous ont semblé nécessaires à une bonne compréhension par nos contemporains.

Il nous faut d’abord apporter quelques précisions utiles. Pendant sa très courte existence, la revue Minerva aura publié plusieurs œuvres majeures de Maurras. Il y eut les Deux témoins de la France, où nous faisons connaissance avec un Anglais du nom de Courtenay Bodley qui réapparaîtra plusieurs fois dans de nombreuses publications ; il y eut Les Amants de Venise ; enfin il y eut, en sus de L’Avenir de l’Intelligence : Auguste Comte, Mademoiselle Monk, le Romantisme féminin et l’Invocation à Minerve.

L’éditeur Albert Fontemoing publia d’une part Les Amants de Venise, puis, en 1905, près de deux ans après la disparition de Minerva, les cinq études citées ensuite, dans un volume lui-même titré L’Avenir de l’Intelligence. Celui-ci sera réédité en 1909 par les Nouvelles Éditions latines, plusieurs fois réimprimé, puis en 1927 par Flammarion. Entre temps, augmenté des Trois idées politiques (Chateaubriand, Michelet, Sainte Beuve) il a été édité avec une préface spécifique sous le nom de Romantisme et Révolution. Enfin, il sera repris, mais avec diverses suppressions, dans les Œuvres capitales, publiées peu après la mort de Maurras.

L’Avenir de l’Intelligence désigne donc aussi bien un livre, très largement diffusé si l’on fait le compte de tous ses différents tirages, que la principale des études qu’il contient. C’est dans cette dernière acception que nous en parlons ici.

L’Intelligence dont traite Maurras, c’est, « comme à Saint Péterbourg », la profession des gens de lettres, écrivains, journalistes, critiques, poètes et dramaturges ; c’est aussi, un peu, l’intelligentsia, cette nébuleuse d’esprits cultivés qui se reconnaissent en un « nous », un destin commun, une classe sociale autonome ; c’est aussi, par allusions, le « parti des intellectuels » dont l’Affaire Dreyfus a parachevé la constitution et ratifié les codes de fonctionnement. Maurras ouvre une porte sur l’extension de cette Intelligence aux hommes de sciences, aux professions de la recherche ; mais, bien que le texte de 1903 ne fasse pas allusion, et pour cause, aux métiers du cinéma et de la télévision, c’est à eux et à eux d’abord qu’il fait irrésistiblement penser. C’est vers eux que s’ouvre sa vision prospective, à mesure que, tout au long du vingtième siècle, l’écrit fait place à l’image.

On eût aimé qu’au début de ces évolutions qui relèvent autant de la technique que de la civilisation, entre 1905 et 1952, Maurras ait amendé, adapté, actualisé son texte. Vœu posthume et uchronique, bien vain ; ce ne fut pas le cas. Comme la quasi-totalité des livres de Maurras, L’Avenir de l’Intelligence reste un recueil d’articles. Parfois remaniés à la marge, parfois nouvellement préfacés, ces ouvrages restent porteurs de la date de leur première parution ; c’est au lecteur, c’est aux écrivains des générations suivantes qu’il revient de poursuivre et de faire vivre la réflexion du journaliste Maurras.

Car cette analyse de trois siècles de la vie de l’Intelligence, interrompue en 1903, est brossée en 27 brefs tableaux dont aucun ne prétend au rang d’étude historique. Ils sont certes argumentés et documentés, néanmoins chacun d’eux peut donner matière à de volumineuses controverses.

Quant au fil directeur qui s’en dégage, à savoir que l’Intelligence, après avoir perdu sa relation au pouvoir spirituel, voit progressivement ses relations au public et au pouvoir temporel occultées par son asservissement à l’Or, et que pour reconquérir sa dignité, son indépendance et sa grandeur, elle doit se replacer au service du Sang, il est clair que ces différentes allégories peuvent être aujourd’hui très diversement interprétées, très diversement assumées ou rejetées.

Louis XVIII
1814 : le Pouvoir cherche-t-il à s’attacher l’Intelligence ?

Mitterrand
1981 : l’Intelligence veille-t-elle toujours sur le Pouvoir ?

D’ailleurs, Maurras ne semblait guère envisager que son Avenir de l’intelligence puisse devenir un document de référence, le présentant comme un « petit livre qui me vaudra la calomnie des pires et l’inattention des meilleurs, qui ne sera pas lu par les intéressés, ou qui sera moqué par ceux qu’il voudrait avertir… », ce qui peut être, a posteriori, taxé de fausse modestie.

L’ambiguïté persistera ; l’abondance des rééditions montre bien que Maurras attache une grande importance à son « petit livre ». Néanmoins il ne le met pas à jour, et continue à le qualifier ainsi, dans sa préface de 1927 :

Le règne de l’or, maître du fer, devenu l’arbitre de toute pensée séculière, se prolongera donc si l’on n’essaye pas une voie nouvelle qui permette de lui échapper. Quelle voie ? C’est ce que peut toujours montrer un petit livre né en 1905.

Deux remarques doivent être faites à ce stade de notre réflexion.

La première est que Maurras a bénéficié, en 1903, d’un documentaliste hors pair en la personne d’Anatole France, et pour la période antérieure, de Sainte-Beuve. Il ne retrouvera plus cette conjonction favorable ; et aujourd’hui, nous serions bien en peine d’en trouver l’équivalent.

La seconde est que la publication, en 1943, d’un article intitulé L’Avenir de l’Intelligence française n’est aucunement en contradiction avec ce qui précède. Malgré son titre, ce document n’est pas une suite, ni une réplique, de son aîné de quarante ans. Maurras y défend sa thèse de la « ligne de crête » : pensons à la seule France, ne suivons ni les Anglais ni les Allemands. Aujourd’hui inaudible, cette ligne politique des années d’occupation n’a rien en commun avec l’impression de permanence, de prémonition, voire de prophétisme qui se dégage de L’Avenir de l’Intelligence, et de la fameuse chute de sa préface de 1904 :

— Tout désespoir en politique est une sottise absolue.

Mais n’en faisons pas toutefois un viatique universel de compréhension du monde. L’Avenir avait certes beaucoup d’avance sur son temps, mais il ne serait pas raisonnable de faire comme s’il l’avait toute conservée après plus d’un siècle. Le regard sur les faits déterminants, sur les enjeux, sur les équilibres a changé plusieurs fois depuis Minerva. Prenons donc d’abord le plaisir d’une lecture naïve. Il sera temps, ensuite, d’imaginer la suite du déroulement des tableaux tout au cours du long vingtième siècle, puis la conclusion à leur associer aujourd’hui.

Qu’est devenu le duc de Brécé ? Où sont les autres protagonistes, où sont le Sang, l’Or, le Pouvoir ? Y a-t-il encore une place possible pour l’Intelligence après la grande lessive des cerveaux que mène avec entrain l’actuel et totalitaire pouvoir médiatique ?

Oui, il est temps de prendre la plume, de la faire prendre aux intellectuels qui voudront bien relever le défi, et développer les tableaux qui nous feront parcourir le cheminement de l’Intelligence entre 1903 et nos jours.

Quelques années après la mort de Maurras, Gaston Berger jetait les fondements de la prospective et en formulait l’enjeu dans une maxime largement incomprise : « Regarder l’avenir le bouleverse. » On peut dès lors se demander dans quelle mesure Maurras a « bouleversé » le destin de l’intelligence, et si celle-ci en porte encore la marque. Voilà une autre question qui méritera d’être posée à maint intellectuel contemporain.

Le Rimbaud d’avant la Rimbaldomania

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L’œuvre critique du jeune Charles Maurras est particulièrement riche et diverse. Il est peu d’auteurs, surtout contemporains (c’est à dire du dix-neuvième finissant) qu’il n’ait étudiés, commentés, puis classés dans ses catégories personnelles du goût et du plaisir ; il n’est guère d’école, de courant ou de mouvement, littéraire, poétique ou esthétique sur lesquels il n’ait porté un jugement argumenté, accordant au besoin à tel ou tel de ses zélateurs, ici indulgence, là circonstances aggravantes.

Peu à peu, à mesure que Maurras se consacre à la politique, sa production critique se ralentit. Il est faux de dire qu’elle se tarit complètement ; plusieurs études continueront à paraître tout au long de sa vie. Mais il s’agit rarement de sujets nouveaux ; en général, Maurras revient sur des thèmes qu’il a abordés dans sa jeunesse, pour leur donner le coup de pinceau de l’âge mur. Il exhume nombre de ses anciens articles, dont il fait faire des tirages d’art, ou qu’il réunit dans des volumes de morceaux choisis, comme Barbarie et Poésie ou L’Allée des philosophes, plus tard Poésie et Vérité. On peut se risquer à situer la charnière de cette évolution en 1913, avec la rédaction de ce qui deviendra Le Conseil de Dante ; à cette date, le périmètre de l’œuvre critique de Charles Maurras est quasiment figé.

Les auteurs qui connaîtront la célébrité par la suite n’y entreront pas, et ceux sur lesquels le regard de la société aura changé y garderont leur image de 1890 ou de 1900. Il faut en prendre son parti, quitte à en éprouver quelque frustration.

Et s’il est un auteur pour lequel la frustration aurait lieu d’être vive, c’est bien Arthur Rimbaud. Le texte le plus abouti que Maurras lui ait consacré paraît dans La Gazette de France du 21 juillet 1901, à l’occasion de l’inauguration d’une statue de Rimbaud à Charleville, dix ans après sa mort, mais un bon quart de siècle après sa précoce « mort littéraire ». La lecture de l’article que Maurras consacre à cet événement montre à l’évidence qu’en 1901, Rimbaud n’était encore connu que d’un petit cercle d’initiés. Il ne deviendra icône que beaucoup plus tard, quand les surréalistes en feront leur précurseur, leur inspirateur le plus direct, puis quand les gros bataillons de l’éducation nationale le présenteront en modèle indépassable de liberté bridée et brisée par les convenances bourgeoises.

Il eût certes été intéressant de lire Maurras revenir, trente ou quarante ans après, sinon sur Rimbaud, du moins sur son influence, sur la frénésie rimbaldienne… mais nous devrons nous en passer.

Arthur Rimbaud est sans doute la plus belle illustration des méfaits de l’excès du « saintebeuvisme » tel que le dénonçait Marcel Proust ! Rarement vie aussi mystérieuse n’aura été autant étudiée, chaque moindre maigre détail recueilli faisant l’objet de gloses aussi savantes qu’abondantes. Ainsi la découverte d’une dent de dinosaure inconnu conduit-elle à décrire tout un paysage du Crétacé, ainsi celle d’un récépissé de livraison griffonné par Rimbaud en Abyssinie suffit-elle à meubler un colloque, à mobiliser chercheurs et muséographes, à assurer des années de publications.

Des générations d’enseignants ont formaté leurs élèves à l’éloge du poète maudit, souvent plus du maudit que du poète ; et des générations de marginaux à la dérive se sont persuadés qu’il leur suffirait de s’abandonner à la défonce et à l’homosexualité pour égaler la grâce sublime de l’enfant perdu de Charleville. Un Léon Bloy en eût fait ses choux gras ; Maurras ne s’en soucia point.

Mais en 1901, c’est l’inverse ; la famille, les proches, les admirateurs du poète veulent le disculper de ses errances et en faire un personnage respectable, ayant juste été un peu turbulent au cours de brèves foucades de jeunesse. Maurras moque cette pruderie mal venue ; mieux, on sent chez lui une certaine tendance à l’empathie.

Tenter un parallèle entre Rimbaud et Maurras n’irait pas bien loin. Cependant, on notera qu’ils furent tous deux des forts en thèmes, des surdoués de la prosodie latine, avant de connaître une grave crise intérieure au début de leur adolescence ; Rimbaud l’assumera et y sombrera, Maurras la surmontera. Et ce même Maurras gardera toujours au fond de lui la blessure de sa vocation de marin au long cours, brisée net par l’apparition de sa surdité. Les bourlingues qu’il ne fit point, les aurait-il, quelque peu, entrevues et réidentifiées dans les peu glorieuses équipées rimbaldiennes ?

C’est en tous cas aux poèmes, et à eux seuls, qu’il entend donner la première place dans son propos. Et là dessus, il est clair ; Rimbaud n’a pas cessé d’écrire, puisque la plume de Verlaine l’a fait pour lui, dans une continuité parfaite.

Sur un calembour mistralien

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Maurras cite à plusieurs reprises dans son œuvre une dédicace que lui fit Mistral :

Te mau-ras manjo e beù !

dans laquelle son patronyme, transcrit en provençal, prend le sens de mal rassasié, la phrase complète se lisant : « Tiens, mal rassasié, mange et bois ! »

Dans un court appendice de La Balance intérieure, c’est à dire dans les tout derniers temps de sa vie, Maurras nous éclaire sur l’histoire de cette petite phrase :

Il faut bien dire à quel propos Mistral fit à mon nom l’honneur de ce calembour.

Cela remonte à 1889. Il venait de publier la seconde édition, étendue et complétée, des Îles d’or. J’y avais naturellement répondu par un article d’enthousiasme heureux. Il m’en remercia. Mais La Reine Jeanne paraissait. Je ne recevais pas La Reine Jeanne ! Je réclamai ! Le poète me l’adressa tout de suite après avoir inscrit au premier feuillet une pointe pour le critique insatiable qui avait toujours faim et soif de ses vers.

J’eus le tort d’essayer de lui répondre dans un petit poème provençal bien mauvais.

Quarante ans plus tard, en recueillant mon œuvrette en langue d’oc, Mar e lono, je m’escrimai à refaire cette pauvre réponse qui n’en valut pas mieux. L’étincelante flèche d’or du Maillanais n’en vibre pas moins, dans toute sa gloire, au fond de ma pensée comme à quelques surfaces de ma vie et de mon action.

Mar e lono veut dire « Mer et lagune ». Quant au mal rassasié, si effectivement Maurras eut toute sa vie faim et soif des vers de Mistral, de Dante ou de bien d’autres, ces mots ont peut-être eu pour lui une autre signification, plus ambiguë. Ils nous renvoient en effet au menaçant « Vous n’en avez jamais assez ! » proféré par la Menoune du Mont de Saturne.

À force d’en vouloir toujours plus en politique, Maurras ne s’est-il pas, par lassitude, après des décennies de combats et d’épreuves, quelque peu rassasié de sa situation ? Certes, il n’y eut jamais de rupture franche, un Maurras conservateur et désabusé prenant la place d’un Maurras révolutionnaire et insatiable. Mais il y eut coexistence des deux ; une petite place restait toujours ouverte à une expression dissidente, autocritique, souvent cryptée…

Éloge de Lamartine

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Pourfendeur du romantisme comme des romantiques, Maurras n’en éprou­vait pas moins pour certains d’entre eux une grande admiration. Parmi ceux qui ont précédé Baudelaire, c’est incontestablement Musset qui tient la palme ; mais Lamartine n’arrive pas loin après lui.

L’objection : — Et Lamartine ? se trouve déjà sous la plume de Maurras en 1902 lorsqu’il traite du centenaire de Hugo. Elle revient dans un article publié par L’Action française le 23 avril 1912 ; cette fois, c’est Jules Lemaître et sa somme critique Les Contemporains qui en fournissent le prétexte, à propos de Chateaubriand.

Mais l’auteur des Mémoires d’outre-tombe n’est qu’un pâle alibi, et si l’article s’intitule, comme à la plutarquienne, Lamartine et Chateaubriand, Maurras n’y évoque que Lamartine, en termes plus qu’élogieux. Il en vient même à lui pardonner La Marseillaise de la Paix, que nous avions évoquée ici dans la présentation du Parapluie de Marianne, au motif qu’il s’en dégage un tel rythme que ses paroles dissolvantes ne seront guère entendues !

Ce bref article, formaté pour être publié dans un quotidien, a été jugé vingt ans plus tard digne de figurer in extenso dans le Dictionnaire politique et critique, à la rubrique « Lamartine ». Et Maurras l’a de nouveau exhumé de ses archives, au soir de sa vie, pour l’insérer dans le recueil Bons et mauvais maîtres et dans ses Œuvres capitales, preuve s’il en est qu’il n’avait jamais changé d’avis sur la grandeur de l’auteur du Lac.