La grande Mosquée de Paris et autres

D’autres que nous ont présenté et fait circuler le texte de Maurras qui, dans L’Action française du 13 juillet 1926, s’inquiète de la construction de la Mosquée de Paris, y voyant quant à l’influence de l’Islam en France un signe funeste pour l’avenir. Il n’est pas besoin de souligner à quel point cet article paraît aujourd’hui prophétique, alors que des mosquées s’édifient un peu partout en France, leurs coupoles et leurs minarets récemment décrits par le premier ministre turc comme « nos casques et nos baïonnettes ». Confronté à l’actualité, le texte parle de lui-même.

Ce texte sur la mosquée n’est pourtant que le deuxième point de l’article quotidien de Maurras, « La Politique » de ce 13 juillet.

S’il en est sans doute le point le plus intéressant, le reste du texte mérite aussi l’attention. D’abord par les méthodes de presse évoquées par Maurras : la puissance de l’agence Havas, l’ignorance volontairement entretenue par les journaux de Paris de ce qui se passe en province, ou encore la nécessité pour L’Action française de rendre compte de la visite en France de Primo de Rivera, dont on devine à demi-mots qu’elle fut présentée par les journaux gouvernementaux de manière tendancieuse. Face à tout cela, L’Action française est pensée par ceux qui la font comme un instrument de combat, de redressement : d’où les multiples intérêts de Maurras, qui se trouve contraint de brasser divers sujets d’actualité dans son article quotidien, véritable éditorial, sans pour autant négliger des réflexions plus vastes et la nécessaire galvanisation des troupes, parfois un peu excessive : la réunion de Nîmes n’eut pas l’incalculable portée qui lui était ici prophétisée. Et le tout sans négliger les appels aux dons : L’Action française, malgré ses tirages importants, manqua la plupart du temps d’argent. En considérant tant de matières, d’informations, de préoccupations, on comprend mieux l’article rituellement remis en retard, et aussi le caractère si prenant de sa tâche journalière, que Maurras évoquait par exemple dans sa préface à La Musique intérieure, en 1925.

Un autre point est d’autant plus intéressant qu’il permet de revenir sans l’avoir cherché sur notre article « Maurras privatiserait-il la Poste ? », article qui avait surpris certains lecteurs. Eh bien pour les sceptiques et les défenseurs acharnés du « service public » tel qu’on l’entend invoquer de nos jours, Maurras réaffirme ici en 1926 comme dans l’Almanach de 1922 la nécessité de démanteler les monopoles d’État, de les affermer, appelant même à une grande campagne d’affichage pour promouvoir ces mesures. Bien plus il écrit :

Car aucun des journaux soutenus par la haute industrie et le haut commerce ne fait de propagande à cet affermage des monopoles qui, seul, sauverait les classes moyennes, qui, seul, sauverait la France et le Franc… Ce silence est bien remarquable. Il montre quels intérêts particuliers sont défendus sous le vocable de l’intérêt général. Nous sommes seuls avec La Croix pour agir en ce sens.

Or une citation de La Croix est effectivement reprise bien en évidence en haut à droite de ce même numéro de L’Action française, citation sans ambiguité :

NI EMPRUNTS ! NI IMPÔTS : LES MONOPOLES !

« Il ne faut demander les ressources dont l’État a besoin immédiatement, ni à l’inflation, ni à l’emprunt, ni même à l’impôt qui nous paralyse déjà, mais à la liquidation de tous les bien d’État qui ne sont pas indispensables à son fonctionnement, mainmorte de l’État, monopoles d’État. »

Jean Guiraud, dans La Croix.

Il nous faudrait décidément un travail universitaire documenté sur les conceptions économiques de Maurras et de l’Action française, travail qui ne se limiterait pas à la vulgate mais recenserait les positions et les propositions, évaluerait leur fréquence en les catégorisant et en les datant, permettant ainsi d’y voir plus clair. En effet les citations paraissent abondantes qui ont manifestement été écartées des habituels résumés de la pensée du « Maître » pour dessiner une idée économique presque exclusivement étatiste et corporatiste, ou du moins fortement teintée d’un interventionnisme qui, lorsqu’il est seul invoqué et seul retenu, paraît bien difficile à concilier avec certains textes. Or, c’est tout le sens de notre démarche, les textes de Maurras doivent l’emporter sur les résumés et les sélections, les résumés seraient-ils écrits par les gardiens du temple les mieux autorisés et les sélections animées des plus pieuses intentions !

Sur un mystérieux fragment de vers

Voilà plus d’un an, nous publiions la lettre-préface donnée par Charles Maurras à Marcel Coulon pour son Raoul Ponchon, préface reprise ensuite dans le recueil Poésie et Vérité.

Un fragment de vers cité par Maurras nous laissait dubitatifs, car nous n’en avions pas retrouvé l’origine malgré des recherches attentives :

Ainsi le Centaure et sa race inutile étaient-ils priés de reprendre la route du désert avant d’avoir causé de vergogne ou d’offense à l’enfant merveilleuse qui reflorissait devant nous.

Aussi avions-nous formulé ainsi une note, ne pouvant faire mieux que livrer au lecteur nos conjectures imparfaites :

Le texte porte bien ici race inutile. La seule référence possible semble pourtant être à Mazeppa de Hugo :

Quand il s’est dans ses nœuds roulé comme un reptile,
Qu’il a bien réjoui de sa rage inutile
Ses bourreaux tout joyeux,
Et qu’il retombe enfin sur la croupe farouche (…)

Cependant Hugo ne décrit pas Mazeppa comme un centaure, même si le terme a été utilisé à son propos par de nombreux autres auteurs depuis le Mazeppa de Byron en 1819. Peut-être le souvenir imprécis de Maurras mêle-t-il deux références. Le mot race revient à plusieurs reprises dans le Khiron de Leconte de Lisle, qui serait ici plus vraisemblablement visé par Maurras comme symbolo-parnassien que Hugo, mais sans que l’on puisse expliquer plus précisément par Khiron la référence maurrassienne.

Ce petit mystère irritant est éclairci grâce aux recherches faites pour un autre texte que nous publierons bientôt. C’est du côté des amitiés poétiques du jeune Maurras qu’il fallait chercher la référence.

Le vers est de Raymond de la Tailhède et date de 1892, dans une ode à un autre poète, Maurice du Plessys.

Cette ode a été publiée dans le Premier Livre pastoral, de Maurice du Plessys, mais qui comporte à son début deux poèmes de Moréas et cette ode de La Tailhède (p.15).

Nous corrigeons donc notre note.

Et nous pouvons soupçonner d’autant mieux qui est le Centaure et sa race inutile, personnification fournie par La Tailhède à Maurras qui décrie les couplets symbolo-parnassiens : il s’agit de Leconte de Lisle, l’auteur alors fort prisé de Khiron.

Maurras privatiserait-il la Poste ?

Sans vouloir décrier les recettes de Pampille, il faut reconnaître que les Almanachs d’Action française sont remplis de textes inégaux. Si Léon Daudet arrivait à puiser dans son inépuisable fonds en donnant le plus souvent des textes de qualité et originaux, Maurras, accaparé par ses multiples activités, n’arrivait pas toujours à rendre sa copie à temps pour l’imprimeur. De là ces années où l’on ne trouve signés de lui dans l’Almanach que quelques poèmes même pas de circonstance. En revanche, quand il a pu donner un texte original qui se penche sur la politique de l’année à venir en s’appuyant sur les années passées, ses textes sont souvent d’une grande qualité et injustement ignorés. S’ils ne font pas partie des plus grands pans de l’œuvre, ils demeurent d’un intérêt certain.

C’est le cas en 1922, où Maurras signe un article sur « La Politique générale », après lequel ses collaborateurs donneront une suite d’articles sur les différents domaines politiques, des finances à la religion en passant par la politique étrangère. Traçant le vaste tableau politique d’une année où commence vraiment à se dessiner l’entre-deux-guerres avec ses ambiguïtés et ses renoncements, il a le mérite de battre en brèche quelques idées reçues.

D’abord, il n’est pas vrai que Maurras se soit désintéressé de l’économie comme on le répète parfois. Mais il avait des amis bien mieux armés que lui pour aborder ce sujet, qu’il leur abandonnait volontiers quant au détail. Reste qu’il livrait à l’occasion quelques grandes lignes fermes et claires. C’est le cas ici.

Répondons d’emblée à la question qui fait notre titre : oui, d’après Maurras qui l’écrit en toutes lettres, il faut privatiser la Poste. Et les allumettes – lesquelles l’ont d’ailleurs été sans trop d’inconvénients pour l’allumage des feux et des pipes. C’est que l’État royal a des sujets, il n’a que faire d’administrer la Poste pour démontrer son pouvoir en pesant sur des assujettis. Aussi le roi rendrait-il de grand cœur le portage des lettres à « l’initiative privée » et au « légitime profit » :

Il faut rendre à l’initiative privée, aux personnes, associations, compagnies, toutes les fonctions qui dans l’État, accomplies par l’État, font effet de parasites stérilisants : stimulées et régénérées par l’idée légitime du légitime profit, elles feront de la richesse au lieu d’en dévorer ! (…) Les politiciens crient. Ils crieraient moins s’il s’agissait de vendre Tahiti aux États-Unis d’Amérique : céder les allumettes ou les P. T. T. à une entreprise française, c’est l’abomination de la désolation. Esprit de l’étatisme qu’engendre l’élection vénale ! L’État monarchique en est libre. Il ira droit devant lui, pour éliminer les tissus adipeux qui l’engorgent et recouvrer la saine liberté des muscles et des nerfs.

Dit en termes plus familiers : en 1922 déjà, il se révélait urgent de dégraisser le mammouth.

Premier axe donc : moins d’impôts, moins de « services publics » dirions-nous, et un État recentré sur ses missions régaliennes. C’est bien du libéralisme, même si le mot fera peur à quelques gardiens du temple, même si Maurras ne l’aurait pas prononcé favorablement parce qu’il était un homme du dix-neuvième siècle et que libéralismes politique et économique avaient trop partie liée dans les années de formation du Maître.

Quelles missions régaliennes ? la défense d’abord. Vieille obsession dira-t-on, et sans surprise cette fois. Voire. On nous a si souvent décrit un Maurras qui aurait été affligé d’une anglophobie d’amiral… D’autant que la guerre suivante et l’usage immodéré fait du triste épisode de Mers-el-Kébir par la propagande maréchaliste imposeront durablement cette idée.

Nous ne le [mettre en œuvre nos moyens extérieurs] pourrons pas, non plus, tant que notre politique restera subordonnée, je ne dis pas à l’alliance anglaise, qui a ses grands avantages, mais à une alliance quelconque. Nous pouvons tout avec les autres. Sous les autres nous ne pouvons rien.

La suite du texte évoque assez bien une politique, d’ailleurs traditionnelle aux rois de France, où l’intérêt national commande, sans avoir de préférences ni de répugnances éternelles et irraisonnées. Au risque de faire froncer le sourcil aux prophètes d’une France dont la grandeur tiendrait à son engluement dans quelques dogmes diplomatiques intangibles, on parlera presque d’unilatéralisme et d’opportunisme :

une nation qui ne perd pas de temps en pourparlers avec l’ennemi et qui ne demande pas de permissions inutiles à ses alliés, une nation qui occupe la Ruhr quand il le faut, qui négocie, quand il le faut, par-dessus la tête du Reich avec les collectivités économiques, géographiques, politiques, dont se compose l’Allemagne vraie, une nation qui sait prendre de l’argent où il y en a, le faire revenir où il faut, qui applique ce qu’elle a de force à créer des forces nouvelles, cette nation se refait de l’autorité morale, de l’influence économique, des avantages financiers.

Oserai-je dire que cela rappelle peut-être plus la politique américaine que l’on a pu reprocher à M. Bush que la politique « française » toute en grands principes déclaratifs et effets de manche onusiens autant qu’humanistes de messieurs Chirac et Villepin ? Si l’on voulait bien me passer l’anachronisme, je dirais même que Maurras nous désigne ici la France rendue au roi comme le pays d’un peuple sûr de lui-même et dominateur…

Troisième grand axe après l’économie et la guerre : la justice. Le roi de France est avant tout justicier. La justice qui organise, qui est par excellence le chemin vers le bien-vivre hérité de l’antiquité, vraie fin dans l’ordre politique. Là dira-t-on, on retrouve le Maurras qui nous est si familier : harmonie sociale, sauvegarde de « la race » – comme on disait naïvement à l’époque – et préservation des équilibres sociaux contre les forces de décomposition.

Oui. Pourtant, même l’antisémitisme de Maurras trouve dans ce texte quelques nuances. Certes cet antisémitisme n’est pas niable, on a tout écrit à son propos, et il ne faut pas oublier de rappeler ce qu’il doit à son temps, où la gauche était elle aussi antisémite plus souvent qu’on ne le dit. Pourtant, quand Maurras évoque les suites de la guerre, l’Union sacrée qu’il faudrait prolonger, que dit-il ?

La Monarchie, qui a l’expérience des siècles, est au surplus trop sage pour confier l’avenir de la race à de simples réglementations d’intérêt matériel. Elles sont indispensables. Mais il faut les compléter par une politique morale et religieuse. Là où la République dit : Séparation, la Monarchie dit : Liaison. Liaison avec le pouvoir spirituel, entente et accord avec lui. Il existe un ordre moral où tous les pouvoirs, spirituels, curés, pasteurs, rabbins, s’accordent à peu près. Je dis : à peu près. Eh bien ! là, au lieu de les exiler et de les exclure sous prétexte de neutralité, on les appellera, comme pendant la guerre pour le maintien de l’union sacrée

Des rabbins cités en bonne part par Maurras, qui leur voit un rôle utile dans le processus qu’il met au fondement même de la société ? On ne sait pas trop si ce sont les antisémites qui s’autorisent de Maurras ou les pourfendeurs professionnels du Maurras antisémite qui vont s’en étrangler le plus bruyamment…

Bien plus : évoquant plus bas les mesures qu’il faudrait prendre contre des juifs qui auraient une influence délétère sur le corps social, on trouve Maurras d’une certaine bénignité.

Il faut surtout compter sur l’esprit corporatif et l’esprit local pour créer la défense, imposer aux nouveaux venus une vigoureuse discipline indigène, exclure et retrancher de nos compagnies honorées les éléments les moins désirables. Cette défense à deux ou trois degrés vaudrait peut-être mieux que l’expulsion, peu réalisable, ou qu’un système de prohibition pure et simple qu’il serait difficile de maintenir et qui laisserait à l’intérieur du pays, hors des frontières morales de l’État, une population hostile comme celle dont la Russie tsariste a subi le poison. La décentralisation et l’organisation professionnelle sont des éléments de prophylaxie anti-juive ; une bonne échelle de pénalités spéciales contre les Métèques et les Juifs en serait une autre. Si enfin le rigoureux retrait de la nationalité française aux Juifs devenait, malgré tout, indispensable, des distinctions devront être faites en faveur des familles ayant rendu des services au pays.

Bien sûr tout cela est devenu inaudible depuis la Seconde Guerre mondiale, et, écrit aujourd’hui, tomberait sans doute sous le coup de la loi. Reste qu’on trouverait, à droite comme à gauche, bien des textes d’époque infiniment moins mesurés, simples appels au meurtre ou au pogrome. Maurras antisémite ? sans doute, le nier serait puéril. Maurras le pire des antisémites, l’exemplum à jamais indépassable de ce qui va mener à l’Holocauste ? c’est beaucoup moins sûr quand on regarde les textes comme celui-ci au lieu de se contenter d’une vulgate maurrassienne pas toujours compilée par des commentateurs bien intentionnés pour la vérité.

Une préface à Platon

Sans être familier pour le grand public, le nom de Léon Robin (1866–1947) reste connu des philosophes et des hellénistes : outre un Platon qui est une bonne introduction, il a signé, parmi quantité d’autres livres et articles, un ouvrage resté classique sur La Pensée grecque et les origines de l’esprit scientifique. Il fut également l’un des traducteurs importants de Platon en français.

L’Amitié de Platon fut précisément écrite par Maurras pour préfacer un volume de ces traductions de Platon : celle du Banquet suivi du Phédon, en 1933.

Cette Amitié a en outre paru à part dans la Revue universelle des 1er et 15 février 1933, puis sous forme de plaquette, puis comme livre d’art en 1936, enfin dans le recueil Les Vergers sur la mer en 1937.

Après guerre, le nom de Maurras deviendra encombrant pour les éditeurs, et l’on ne verra plus ce texte servir de préface aux traductions de Léon Robin, qui seront elles rééditées à de très nombreuses reprises ; les œuvres complètes de Platon dans la collection de la Pléiade sont encore aujourd’hui « traduites, présentées et annotées par Léon Robin ».

Le texte est révélateur de ce que Maurras, que l’on pourrait sans doute tirer sans trop de scrupules du côté de la philosophie politique ou morale, n’est cependant pas un philosophe : sa lecture de Platon reste celle d’un humaniste — certes distingué, les citations multipliées le prouveraient s’il en était besoin — ou d’un honnête homme excellemment formé dans la seconde moitié du XIXe siècle. C’est que son attention n’est pas attirée par les articulations fines des concepts platoniciens : Maurras procède par les articulations larges et parfois lâches du texte, plus proche en cela de Victor Cousin ou de Sainte-Beuve que de Léon Robin qu’il préface. Encore faut-il préciser qu’il n’était sans doute pas lui-même mécontent de ce qu’en procédant ainsi plus par les conclusions platoniciennes que par l’étude de l’élaboration proprement philosophique d’une pensée, il ne se livrait pas à une démarche philosophique : Maurras n’a jamais prétendu être métaphysicien, et il est sans doute révélateur qu’il ait préfacé le Phédon et le Banquet, non le Parménide ou le Philèbe.

Aussi on n’en sera pas étonné : c’est essentiellement à l’influence platonicienne, à sa réception et à ce qu’elle produisit dans l’histoire intellectuelle de la France que Maurras est sensible ; le tableau historique qui remplit les premières parties du texte le montre clairement, la suite le dit d’une autre manière, qui parle à grands traits, à propos du Banquet, des conceptions platoniciennes de l’amour : n’y voit-on pas Auguste Comte et Clotilde de Vaulx convoqués au détour d’un paragraphe ?

Enfin il faut remarquer à l’occasion de ce texte l’approche de l’homosexualité par Maurras : sans doute il la condamne et la voit comme une tare, fidèle en cela aux enseignements sexuels hygiénistes du dix-neuvième siècle et du premier vingtième siècle. Cependant, il faut souligner que contrairement à certains hellénistes ou érudits du moment, il ne la dissimule pas, et ne se dissimule pas la difficulté qu’elle représente dans sa vision de Platon. Si la solution trouvée par Maurras, qui revient à voir dans Platon et sa réflexion sur l’amour une préfiguration du catholicisme marial via les grandes figures féminines de la littérature occidentale, nous paraît aujourd’hui un peu naïve dans sa position toute a posteriori et son manque de problématisation, l’effort fait pour passer de la difficulté que lui pose l’homosexualité dans sa lecture des textes à une solution qui ne revient pas à balayer le problème sous le tapis est porteuse d’une certaine modernité, même si cette modernité n’est en partie plus la nôtre. Elle est en tous cas éloignée du discours académique qui était alors courant, embarrassé et puritain, voire simplement négateur de l’homosexualité antique.

Bonald, Maistre et Maurras

Le 22 septembre dernier, Tony Kunter était invité aux « Mardis de la Mémoire » de Dominique Paoli et Anne Collin sur Radio courtoisie, afin d’y parler de son récent ouvrage et plus généralement des rapports entre Maistre, Bonald et Maurras. L’autre invité de l’émission était Michel Fromentoux, rédacteur en chef de l’A. F. 2000.

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Signalons pour être complets que Tony Kunter rapporte sur son site un article sévère d’Alain Sanders dans Présent. Notre rôle n’est bien entendu pas de prendre parti, mais une polémique est, elle, toujours bonne à prendre : c’est d’autant plus que l’on parle de Maurras !

L’Homme et non l’homme selon Rousseau

Quoi qu’on en ait dit, Maurras ne se complut jamais à jouer au sociologue, ni au philo­sophe, ni à l’anthropo­logue. Son œuvre est celle d’un journaliste ; c’est la mise bout à bout de milliers et de milliers d’articles écrits tout au long de sa vie, de 1886 à 1952. Il y eut certes des exceptions : sa poésie bien sûr, quelques contes, des préfaces, une abon­dante corres­pondance, et Le Mont de Saturne qui a la forme d’un roman. Mais jamais il ne put, ou ne voulut, réunir et structurer ses idées, qu’elles soient politiques, sociales, litté­raires ou esthétiques, dans un Essai, voire dans une Somme qui aurait pris valeur de référence. Tous ses ouvrages, même les plus homogènes, même les moins contingents, sont des collections d’articles, parfois retouchés, mais qui conservent leur marque d’origine et leurs singularités.

Maurras manifesta cependant plusieurs fois l’intention d’aller au delà, et en fit même l’annonce. Mais au bout du compte, il laissa ce soin à d’autres. Il avait développé et souvent plusieurs fois repris, dans des centaines d’articles, tous les éléments nécessaires à ce qui pourrait constituer une volumineuse « Synthèse politique » personnelle, sur le modèle de ce que fit Auguste Comte, ou de ce que faisait son contemporain Henri Bergson. Il sentait certainement que la réalisation d’une telle Synthèse était aussi nécessaire qu’elle était réclamée par ses amis, et il se résolut, après avoir passé la soixantaine, à en confier la réalisation à l’une de ses collaboratrices : madame Jules Stefani, née Rachel Legras, alias Pierre Chardon.

Mme Stéfani se mit à l’ouvrage, rassemblant et classant tout ce que Maurras avait composé jusqu’en 1930. Cela donna naissance, d’abord aux vingt volumes du Dictionnaire politique et critique, puis, en 1937, à Mes idées politiques. Si le monumental Dictionnaire est organisé selon l’ordre alphabétique, Mes idées politiques se veut une construction logique, partant de fondements anthropologiques et sociologiques pour aboutir, par degrés successifs, à la démonstration de la supériorité du régime monarchique. Amitié, Ordre et Beauté y deviennent des notions intermédiaires, quintessence des aspirations de l’Homme à être pleinement soi-même, puis rendant nécessaires à leur tour une organisation politique qui les favorise et les pérennise.

Maurras dut être satisfait de cette architecture ; non seulement il signa et revendiqua Mes idées politiques, mais seul son nom y apparaît. Et ce fut un grand succès de librairie. Ce qui est moins connu, c’est que les droits d’auteur étaient intégralement versés à Rachel Stefani – et qu’il en resta ainsi après leur brouille survenue en 1938.

Quelques années plus tard, Melle Jacqueline Gibert obtiendra des résultats beaucoup moins probants avec Sans la muraille des cyprès, dont le cahier des charges était d’actualiser Mes idées politiques après la défaite de 1940 et de les résumer en format poche. Maurras désavoua l’ouvrage et il n’y eut plus d’autre tentative.

Mais revenons à l’anthropologie. Le célèbre texte maurrassien posant les principes de la vie de l’homme en société, où il est question de Hobbes (l’homme est un loup pour l’homme) puis de Robinson rencontrant Vendredi (l’homme devient un Dieu pour l’homme), enfin du dépassement de cet antagonisme, a toutes les allures d’un premier étage des fondations de la synthèse politique qui va suivre dans Mes idées politiques. Tout laisse penser qu’il a été écrit à cet effet, en 1937, d’autant que rien ne vient démentir cette impression. Son auteur semble revenir sur de longues recherches qu’il résume brillamment.

En fait, ce texte avait été publié sous le titre « Amis ou Ennemis », dans la Gazette de France, le 23 septembre 1901, et n’a subi aucune retouche depuis. Il n’avait aucunement été conçu pour introduire une Somme complète de réflexions politiques allant de la base au sommet. Pierre Chardon l’a trouvé et lui a donné ce statut, trente ans après sa première publication. Et depuis, il se porte fort bien dans son nouveau rôle.

Il prend son nouveau titre L’Homme dans un petit livre d’art, Principes, qui paraît en 1931.

Principes est en quelque sorte un précurseur de Mes idées politiques. Il contient quatre textes, non référencés, sans préface ni explications. Les deux premiers deviendront les piliers de Mes idées politiques, puis du tome II des Œuvres capitales. Et tout cela grâce à Rachel Stefani…

Libre à qui veut, aujourd’hui, d’affirmer que la pensée politique de Charles Maurras repose sur une réflexion anthropologique fondamentale qui lui sert de soubassement. Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas tout à fait vrai non plus.

Il reste que Amis ou ennemis, devenu ensuite L’Homme, est une magistrale réfutation, en quelques pages, de toute la construction fantasmatique de Rousseau. Et ne serait-ce que pour cela, ce texte vaut d’être porté à la connaissance du monde entier !