Le dimanche 11 mai 1924, la Chambre Bleu horizon issue de la guerre fut renversée par une coalition des gauches.
Pie XI dit alors au cardinal Billot :
« Vos Français ont bien mal voté !
— Très Saint Père, c’est la faute de votre nonce.
— Mon nonce, s’écria le Pape en frappant la table du poing, le nonce fait ma politique ! Ma politique ! »
Le nonce, effectivement, ne faisait qu’appliquer les instructions romaines, morigénant les évêques et leur enjoignant de ne plus soutenir exclusivement les candidats hostiles aux lois laïques et aux persécutions qui les avaient accompagnées avant-guerre.
Cette politique c’était la politique d’entente avec Briand, et cette colère de Pie XI, pape désastreux à bien des égards, était le premier acte d’un processus qui, rompant avec la politique de son prédecesseur saint Pie X, allait mener à la condamnation de l’Action française par Rome en 1926-27.
Quelles forces politiques relevaient donc la tête pour servir cette politique que l’on a pu taxer de « second ralliement » ?
Celles-là mêmes combattues par Maurras dès avant la guerre au cours de sa longue polémique avec Marc Sangnier : la démocratie-chrétienne naissante, dans sa variante qu’était le Sillon, que l’on décrirait aujourd’hui comme un mouvement de « chrétiens de gauche ».
La polémique avait été résumée par Maurras dès 1906 dans Le Dilemme de Marc Sangnier, qui forme la première partie de La Démocratie religieuse en 1921. Polémique longue, faite de lettres croisées, textes échangés dans divers journaux et se répondant parfois à des mois d’écart : on comprend que Maurras soit revenu dessus pour en faire un volume accessible. Le ton est au début fort courtois, il se dégrade sur la fin : laissons le lecteur juge des mérites de l’un et l’autre disputeurs.
Cette polémique revêt une importance particulière : c’est elle qui fixe et permet d’approfondir les positions religieuses de l’Action française et de Maurras à une époque où les passions religieuses et anticléricales sont l’un des thèmes majeurs de la vie politique. Elle aboutit à ce qui paraît une victoire des thèses de l’Action française sinon de ses membres quand le Sillon est condamné par Pie X en 1910. Maurras ne s’y trompe pas, qui annexe la condamnation citée in extenso à son Dilemme de Marc Sangnier tel que revu en 1921.
La démocratie-chrétienne naissante ne désarmera pas facilement, même le Sillon une fois condamné : elle conserve des partisans presque mystiques, des publicistes, des parlementaires, des prêtres et des évêques. Et la contre-attaque se fera en grande partie contre l’Action française sous la forme de polémiques incessamment entretenues.
Les unes sont sérieuses, elles touchent la pensée proprement politique du mouvement et de Charles Maurras sur les points où elle rencontre la religion : on peut dire, à grands traits, que c’est à ces objections, polémiques et exigences de précision que répond la volumineuse Politique religieuse de 1912, qui est reprise pour former la deuxième partie de La Démocratie religieuse. Là encore il s’agit d’un volume largement fait d’articles signés par Maurras dans plusieurs journaux ou revues et repris pour être refondus en un volume cohérent. On peut dire qu’avec les deux premières parties de cette Démocratie religieuse, dès avant guerre, l’essentiel des positions de l’Action française regardant la religion sont fixées, et avec elles les grandes lignes qui fourniront les motifs — du moins les motifs avouables — à la condamnation de l’Action française par Rome en 1926-1927. Levée en 1939, elle s’articulait précisément autour des rapports entre politique et religion.
Les autres critiques sont presque grotesques. C’est la figure irritante de l’abbé Jules Pierre, maigre polémiste brouillon et d’assez mauvaise foi, qui les domine comme exemplaire. Il faut aussi citer les noms de Lugan et Laberthonnière. Trop longtemps sans doute, Maurras a négligé de répondre à ces libelles injurieux, à ces accusations sans fondement soutenues par des textes tronqués quand ils ne sont pas falsifiés. Accusations de nietzschéisme, de néo-paganisme, d’appartenance à ce qu’on n’appelait pas encore la « culture de mort », ou simple dénégation de tout droit pour Maurras à parler de la religion catholique ou de l’Église puisqu’il dit encore à l’époque ne pas y appartenir et se décrit ou se laisse décrire comme agnostique. Répondre à ces polémiques qui n’auraient besoin que d’un peu de bon sens et d’honnêteté pour être dissipées a finalement été indispensable devant leur multiplication et leur reprise. Pour l’essentiel ce sont ces réponses que reprend à son tour L’Action française et la Religion catholique, ouvrage de 1914 qui forme la troisième partie de notre Démocratie religieuse de 1921. Maurras a-t-il mesuré dès avant-guerre le poids que pourraient prendre ces calomnies sans cesse réitérées malgré leur absurdité et leur manque de simple vérité factuelle ? Ou n’a-t-il fini par répondre et ramasser l’essentiel de ces réponses en un seul livre que sur les instances de ses amis scandalisés par les accusations de quelques libellistes qui s’appliquaient à s’entre-hystériser sur le nom de Maurras ? Cela nous vaut en tout cas une galerie de procédés peu reluisants et, ce qui est sans doute plus important, quelques confidences personnelles de Maurras sur son parcours intellectuel et religieux.