Vestiges et instruments de nos passions déréglées

Florence, Museo anthropologico

La découverte des ruines de Troie, les progrès de l’ethnologie et de la psychologie, les travaux de Pasteur, les observations de Darwin et bien d’autres nouveautés ont profondément marqué la vie intellectuelle de la fin du dix-neuvième siècle, cette période est celle où le jeune Maurras curieux de tout lit, étudie, on pourrait dire dévore tout ce qui se publie, s’imprègne de tout ce qui se pense et se compose peu à peu sa propre synthèse, tant politique et anthropologique que spirituelle.

Ce sont des années où les courants de pensée naissent, s’hybrident, s’entrechoquent dans une sorte de tintamarre bien éloigné de notre actuel et morne consensus. La place de l’homme dans le monde, dans l’Histoire, dans la société ou devant Dieu est alors au centre de toutes les spéculations. L’eugénisme et le racialisme se déploient avec une bonne conscience qui figerait d’horreur nos modernes Pharisiens, d’autant que ces sentiments ne s’opposent pas forcément au socialisme ou du moins au progressisme social, de même que scientisme et occultisme savent aussi à l’occasion faire un étrange bon ménage.

En février 1897, lors de son voyage à Florence, Maurras rencontre l’une des figures marquantes de cette effervescence : le docteur Paolo Mantegazza, esprit universel, à la fois homme de lettres et savant versé dans quantité de sciences, correspondant régulier de Darwin, de surcroît homme politique et fondateur d’un musée qu’il fait visiter à son jeune hôte.

Maurras appellera ce musée celui « des passions humaines » car on y découvre tout un bric-à-brac d’objets témoins et instruments de ce que les sociétés humaines ont pu montrer de fureur, d’emportement, de vices et de cruauté. Une sorte de musée des « arts et traditions populaires » tourné vers le tragique dont Mantegazza semble attendre qu’en sortent, d’elles-mêmes, les clefs de la compréhension de la nature humaine.

De quoi, de qui se sont-ils entretenus ? Nous ne pouvons que l’imaginer, car le récit qu’en tire Maurras est très court, bien qu’il soit devenu ensuite, à lui tout seul, le livre IV d’Anthinéa. Malthus y est cité, Dante aussi, bien sûr ; il serait étonnant qu’Auguste Comte ou Spencer n’aient pas également été de la partie.

Nous ne savons pas si Maurras a reparlé de Mantegazza dans des articles ultérieurs. Mais on peut tenir pour certain que cet entretien l’aura marqué. Par delà la cordialité et l’érudition du vieil Italien, ce sont ses attributs de sagesse et de détachement que Maurras retient avant tout.

La glorieuse Florence, jadis cité des passions les plus déréglées, tout à la fois Moloch et Athanor, apparaît en réduction dans les heurts et les errements intellectuels du temps où Maurras écrit. Pour les nations comme pour les idées, il pressent que doit venir le temps de l’Ordre, seul garant d’une véritable civilisation, et que c’est à cela qu’il doit consacrer sa vie.