Ce qui est blanc est blanc. Ce qui est noir est noir.
L’obéissance peut-elle, pour un catholique, aller jusqu’à confesser que ce qui est blanc est noir ?
Telle est la question que pose la condamnation de l’Action française par Rome en 1926, résumée en une formule inspirée de notre texte de cette semaine : la préface à L’Action française et le Vatican signée conjointement par Daudet et Maurras en 1927. Peut-être Maurras a-t-il eu, en trouvant la formule, une pensée pour son cher Dante et pour ces guelfes blancs et noirs dont il connaissait bien l’histoire et les démêlées compliquées avec la papauté.
Autrement dit : une condamnation prononcée par Rome sur des bases faussées, manifestement, parfois même sur des textes faux, comme la baroque accusation de vouloir « rétablir l’esclavage » dont le cardinal Andrieu fait grief à l’Action française, une telle condamnation peut-elle obliger en conscience un catholique ?
Un peu moins d’un siècle après, cette question peut sembler étrange à nos contemporains. C’est que les temps ont changé et que personne, sauf peut-être quelques fanatiques, ne ferait plus de difficultés pour dire que le Pape se trompe purement et simplement quand il condamne en invoquant des éléments factuellement et textuellement faux, dont n’importe quel observateur de bonne foi peut constater la fausseté, intentionnelle ou non. On ne peut pas plus aller contre le sens obvie des mots et la matérialité des textes qu’on ne peut aller contre l’évidence des sens qui voit ou du noir ou du blanc : voilà au fond ce que dit cette préface.
Sans doute sur tel ou tel point le débat est-il plus sujet à interprétation et la condamnation de Pie XI ne doit-elle pas toujours être réduite à la caricature qu’en présentent ses plus maladroits propagandistes dans le clergé français d’alors et que réfute l’Action française. Mais il n’en reste pas moins que dans la polémique, Rome et ses porte-paroles au sein de l’épiscopat français utilisent des arguments qui datent parfois des libelles du temps du Sillon et dont ils ne peuvent ignorer qu’ils sont des inventions pures et simples, faites de phrases honteusement sorties de leur contexte, de paragraphes compris hors de tout effort d’interprétation ou de textes inventés par les ennemis de l’Action française et attribués à elle toute honte bue. Si bien que la condamnation entière prend – et garde depuis 1926 – le désagréable aspect d’un bricolage ignominieux fait à seule fin d’appuyer la volonté politique de Pie XI de reprendre en main la politique catholique en France et de normaliser ses rapports avec la République pour se la conciler sur la scène diplomatique. La naïveté maladroite de ces intentions internationales assombrira d’ailleurs notablement la suite du pontificat et l’on sait que Pie XI fera entamer les discussions pour rapprocher l’Église de l’Action française tandis que son successeur Pie XII lèvera la condamnation quand la montée des périls aura définitivement balayé ces… « nuées ».
Nos contemporains comprennent d’autant moins la violence de ce vieux débat qu’ils n’ont souvent plus la notion de ce qu’a représenté la condamnation de l’A.F. : on refusa par exemple des enterrements religieux au simple prétexte un peu grotesque au regard d’une foi sincère que le défunt avait continué à lire un journal plutôt qu’un autre. Il fallait alors avoir recours à des prêtres qui prenaient le risque de désobéir pour organiser quand même une cérémonie semi-clandestine. Tout cela nous paraît aujourd’hui bien excessif mais des familles et des consciences furent déchirées par cette querelle. Au point que certains n’osaient plus lire le journal, même pour s’informer sur la condamnation qui leur interdisait de le lire ! d’où, explique Maurras, ce volume de L’Action française et le Vatican qui veut apaiser les consciences d’une manière un peu casuiste : lire le journal est interdit aux catholiques ? on mettra donc à la disposition des plus scrupuleux un volume qui reprend les principaux textes de la querelle… dont les articles du journal.
Nous vous présenterons dans les semaines qui viennent les textes de Maurras qui appartiennent à ce recueil dont nous avions déjà numérisé la plus grande partie du premier chapitre sous le titre « Charles Maurras et le cardinal Andrieu » ; quant aux documents, lettres ou déclarations d’autres acteurs de la condamnation, nous les numériserons sous la forme habituelle pour les textes qui ne sont pas signés de Maurras mais qui présentent néanmoins un intérêt pour comprendre son œuvre.