Peu après les émeutes qui ont marqué la lutte de l’Action française contre « le juif déserteur » Henry Bernstein, fin février et début mars 1911, Maurras revient sur l’événement. Ou plutôt il cherche à en tirer la leçon la plus générale : c’est le sens de cet article du 9 mars 1911 intitulé « Ploutocratie et liberté ». Continuer la lecture de « Art + liberté = ploutocratie ? »
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L’enseignement du latin
Le 3 novembre 1943, la zone Sud est occupée depuis bientôt un an. L’actualité n’est pas rose et la censure ne laisse rien passer. Maurras choisit, pour sa chronique dans Candide, d’offrir au public conservateur de ce journal un sujet qui ne fâchera personne : la défense de l’enseignement des humanités classiques, et de la langue latine en particulier.
Ce thème qui peut paraître aujourd’hui aussi décalé que la vénerie ou l’héraldique mérite d’être plus précisément resitué dans son contexte. On pourra alors remplacer « latin » par « histoire », ou par « culture générale », pour donner à ce badinage d’érudit une signification actuelle. Continuer la lecture de « L’enseignement du latin »
La raison qui sépara Tite de Bérénice…
Faut-il reproduire les textes antisémites de Maurras ? Par quelque bout qu’on prenne cette question, la réponse est incontestablement oui : un pan entier de son œuvre ne peut être simplement négligé ou passé sous silence.
Nous ne nous faisons cependant pas d’illusions et il arrivera qu’on nous le reprochera.
Du point de vue des maurrassiens, certains trouveront sans doute que ces textes auraient mieux fait de rester sous le boisseau, comme quelque honteuse lèpre entourée, quand on doit l’évoquer, de précautions oratoires, de circonlocutions visant à la minimiser, bardée en prudence supplémentaire de citations contraires tant il est vrai qu’en sélectionnant bien on peut tout faire dire à un auteur. Il convient d’abord de remarquer que ce profil quelque peu bas, à l’évidence fait pour minorer l’accusation d’antisémitisme et ses effets disqualifiants dans le débat intellectuel et politique, a des succès assez mitigés. On ne sache pas que Maurras en passe pour plus fréquentable dans le public ou chez ceux qui forment l’opinion.
De plus, ne pas reproduire ces textes, ce serait laisser quelques maniaques de l’anti-maurrassisme en tirer telle ou telle citation d’apparence furieusement antisémite pour décrire Maurras comme un raciste fou ou comme un précurseur du nazisme.
Il ne s’agit donc pour nous ni de minimiser l’antisémitisme maurrassien, ni de souscrire à sa perpétuelle mise en exergue brouillonne par des idéologues intéressés : fidèles à notre démarche, c’est le retour aux textes mêmes qui nous intéresse, dans leur intégralité et leur précision ; oui Maurras fut antisémite ; non cet antisémitisme n’était pas un racisme au sens génétique que ce mot a pris avec la Seconde Guerre mondiale ; l’antisémitisme de Maurras répond à des conceptions précises, délimitées, politiques d’abord, qui ont à voir avec la manière dont il perçoit les juifs comme un corps étranger dans un État dont il a, à son tour, une conception originale et précise. C’est cela qu’il s’agit de comprendre. Ce recours à la raison, à l’analyse des arguments dans leur contexte, c’est en outre la seule présentation de ces textes qui ne trahisse pas Maurras.
Notre préoccupation est donc celle que mentionne Maurras lui-même quand il invoque dans le texte que nous vous proposons aujourd’hui la raison qui sépare Tite de Bérénice. Car jusque dans l’antisémitisme, Maurras est un impénitent classique : rien ne peut lui être plus étranger que l’utilisation politique de l’accusation d’antisémitisme quand elle agite des émotions, des peurs ou qu’elle vise à mouvoir l’opinion publique en utilisant le pathétique des situations particulières. C’était déjà un enjeu important autour de l’affaire Dreyfus et c’est ce Maurras-là qu’il nous faut comprendre parce qu’historiquement Maurras fut étranger, non à la Seconde Guerre mondiale, mais à la construction a posteriori du discours émotif sur elle. Il est banal de remarquer qu’immédiatement après guerre, même si le drame des déportations et des camps était connu, l’émotion qu’il suscitait n’était pas aussi débordante, omniprésente et partagée qu’elle pourra l’être plus tard dans le vingtième siècle.
Cela vaut a fortiori pour notre texte qui date de 1911, bien avant que l’antisémitisme n’évoque Auschwitz ou Treblinka de manière quasi automatique pour des générations entières.
Si le lecteur veut bien nous accorder tout cela, on ne peut cependant faire comme si « l’Holocauste » n’avait pas eu lieu, n’avait pas été ressenti, et en renvoyer l’émotif ou le pathétique comme oiseux. Qu’on le ressente plus ou moins pour soi, ce pathétique a eu une épaisseur et un poids historiques qui rendent précisément le discours en raison de Maurras difficile à recevoir, et même odieux à certains. Il faut donc poser une autre question, même si elle demeure à bien des égards illégitime : la faillite de la raison occidentale, qu’on a tant cru déceler a posteriori dans l’expérience des camps, aurait-elle atteint Maurras au point qu’il aurait pu renoncer à ce primat de la claire raison qui traverse toute son œuvre ? Chacun répondra. Si notre fréquentation assidue de l’œuvre de Maurras peut avoir ici quelque utilité et au risque de verser un peu dans la fiction maurrassienne, nous nous bornerons à deux remarques, en rappelant que les horreurs de Verdun n’avaient pas eu cet effet d’abandon de la raison sur notre auteur :
- Insister sur la raison ne signifie pas que les émotions soient du tout méprisables ou que la souffrance qu’a pu produire l’antisémitisme doive être négligée. Chaque chose, aurait sans doute dit Maurras, a sa place assignée, sa légitimité propre et circonscrite. Même dans l’immédiate après-guerre, alors que l’on en était pas encore à pointer l’impossibilité de penser ou d’écrire de la poésie après la « Shoa », il aurait certainement fait porter sa réflexion sur cette nécessaire mise en ordre si le déroulement de la guerre et l’épuration ne lui avaient personnellement assigné une place autre et des préoccupations différentes entre 1944 et sa mort en 1952.
- Si l’émotion que peut légitimement susciter l’antisémitisme après la Seconde Guerre mondiale aurait sans doute été écartée par Maurras dans sa réflexion, dans la continuation de sa pensée politique — et plusieurs formules dans notre texte prouvent que cette émotion lui était perceptible dès les débats antisémites pourtant bien moins tragiques en 1911 qu’après guerre — il va de soi que sa prise en compte comme un phénomène politique réel, positif, une force avec laquelle compter, aurait retenu toute son attention.
1910 : Alençon, les inondés et des armes presque parlantes
Les almanachs sont souvent l’occasion de faire le bilan de l’année écoulée : celui de 1911 ne déroge pas à la règle. Parmi les événements marquants de 1910, Maurras choisit de consacrer un article rapide, mais qui est un souvenir personnel, à la mort en juin 1910 du duc d’Alençon, oncle de Philippe d’Orléans. Cet événement est l’occasion d’un petit tableau qui donne une idée vivante de ce que pouvait être une réception sur la Maroussia, le yacht du duc d’Orléans alors sous le coup de la loi d’exil.
L’autre événement marquant de 1910 pour l’Action française aura été l’aide apportée aux sinistrés des grandes inondations du début de l’année : secours sur le moment, embuscades tendues par des républicains vindicatifs, reconstruction des maisons sur le site symbolique de Vigneux où Clemenceau avait envoyé la troupe mater les ouvriers deux ans auparavant. L’ensemble est ici raconté par Maurice Pujo.
Enfin le concours de l’année : il s’agit de deviner à qui appartiennent les armes figurant en page 2 :
Au poisson au naturel pêché sur champ de Saint-Nazaire, barré d’hermine, et au chef de sale gueule portant au point un voyeur ; — surmonté d’un cimier à trois-ponts, avec devise ; — supporté en pointe par des attributs de F.: M.:, en dextre et senestre par deux Q. M. arrondissementiers grimpants, lampassés de gueules , portant la livrée des Seigneurs d’Israël…
Nous ne pouvons hélas pas promettre fermement « un siège de procureur et les palmes à qui ne devinera pas le nom du propriétaire ».
Aux origines du long déclin des humanités classiques
Charles Maurras a beaucoup écrit sur l’enseignement, mais cela est peu connu, car ses articles sur ce sujet n’ont jamais été collationnés et aucun de ses ouvrages ne porte un titre qui y fasse penser.
En 1902, une réforme des programmes du secondaire, comme il y en a tant eu depuis, s’opère au détriment des humanités classiques et plus particulièrement du latin.
Quelques années plus tard, l’animateur de la revue Les Marges lance un cri d’alarme : quand on s’attaque au latin, c’est le français lui-même qui souffre. Et en 1910 il crée une Ligue des amis du latin et lance une campagne de pétitions. Son public est fait de conservateurs, de l’espèce des conservateurs bien sages, ceux qui acceptent de signer pour défendre la culture et le patrimoine, ou plutôt leur idée de la culture et du patrimoine, mais qui ne veulent à aucun prix s’engager plus loin, ni surtout, horreur suprême, donner un tour politique à leur action.
Situation récurrente, qui ressemble tant à ce que nous pouvons observer aujourd’hui !
Dans un article de L’Action française du 11 mai 1911, Maurras répond à Eugène Montfort, le fondateur des Marges qui fut aussi celui de la NRF, avant de s’en faire promptement éjecter par André Gide : non, lui explique-t-il en substance, l’abaissement du latin et des humanités classiques n’est pas une bévue d’un pouvoir plein de bonne volonté auquel il suffirait d’ouvrir les yeux pour lui faire comprendre combien le savoir encyclopédique est utile à la société. C’est au contraire une politique cohérente, voulue et déterminée par les principes mêmes du parti républicain. Et Maurras décrit par le menu ce que sera, quarante ans plus tard, le plan Langevin-Wallon et le collège unique.
De vives réactions de conservateurs surpris par cette attaque parviennent alors au journal. Eugène Monfort avait-il pensé que L’Action française allait soutenir son initiative ? Il persiste et signe : oui, nous sommes profondément démocrates ! Et partisans du latin en même temps. Nous n’y voyons aucune contradiction.
Du latin pour le peuple, en quelque sorte ? Maurras alors enfonce le clou, et dans un second article paru le surlendemain 13 mai 1911, il s’attache à montrer à ces « démocrates latinistes » leur triste rôle d’idiots utiles, fossoyeurs malgré eux de ce qu’ils pensent défendre, attachés qu’ils sont à stigmatiser les effets tout en nourrissant les causes.
Les deux articles, réunis en un seul, ont été repris en 1931 dans le petit livre d’art Principes, puis dans le Dictionnaire politique et critique de Pierre Chardon (à l’article « Humanités »).