Denys Talon, un Maurras sans politique

En 1950 paraît aux éditions des Quatre Jeudis un livre atypique de Maurras, Le Mont de Saturne, sous titré Conte magique, moral et policier. Magique, il l’est certainement, par la place majeure qui y est faite à l’occultisme, plus précisément à la chiromancie. Moral, il l’est peut-être, si toutefois l’on entend ce mot au sens de roman de mœurs ; car, au sens usuel, Le Mont de Saturne n’est en rien moral, même si son contraire, l’amoralité, s’y trouve mise en échec. Enfin, il n’est policier que dans son prologue et son épilogue, que nous ne publions pas aujourd’hui.

Il nous reste donc un conte magique. C’est en fait une autobiographie, rédigée d’une seule traite en guise de testament, par un écrivain nommé Denys Talon qui se suicidera après en avoir tracé les derniers mots. Et ce Denys Talon ressemble comme un frère jumeau à Charles Maurras ; mais un Maurras qui n’aurait jamais touché à la politique.

Il est donc tentant d’en inférer que c’est la politique qui a permis à Maurras d’échapper au nihilisme, à la passion des sciences occultes, à une vie de débauche, et finalement au suicide. Contrairement à Alfred de Musset, par exemple, il aura trouvé l’équilibre, il aura réussi à contrôler l’embrasement de son génie littéraire et de ses passions terrestres, grâce à son engagement politique provençal et royaliste. Denys Talon met fin à ses jours à quarante ans ; or c’est justement l’âge où Maurras décide « de rentrer en politique comme on entre en religion », en cette année 1908 où la revue d’Action française se transforme en quotidien.

Mais cette interprétation en appelle mécaniquement d’autres, complémentaires d’abord, puis vite contradictoires. Le texte fourmille d’éléments permettant d’enrichir le scénario. Maurras met en scène des personnages qui ont existé, dont lui-même d’ailleurs, par un curieux dédoublement ; il restitue des faits réels, à peine romancés, si bien qu’on se persuade vite que tous les personnages cités, que tous les faits relatés, ont participé effectivement à la vie, privée, sentimentale, intérieure, de Charles Maurras. Denys Talon arbore, revendique tant de traits caractéristiques de Maurras que l’on se convainc vite que Maurras a souffert de tous les dérèglements de Denys Talon. D’ailleurs, s’il n’en donne pas de preuves, il fait plus que les suggérer.

Or Denys Talon connaît une première « mort », lorsqu’il prend conscience de la malédiction qui pèse sur lui : sur sa main, le mont de Saturne lui signifie sa condamnation à l’échec, à l’échec inéluctable. À force de trop vouloir, de tout vouloir, de ne pas se satisfaire de ses succès qui font l’admiration et l’envie de tous, il n’aura rien. Et effectivement, il en voudra trop. Il exigera que Marie-Thérèse s’abandonne entièrement à lui, alors qu’il sait que c’est impossible. Cela durera dix ans, dix ans de marche inexorable vers le désastre annoncé, dont il ne se sauve que par un suicide en forme de bravade. Et là, le parallèle avec Maurras prend une toute autre signification.

L’entrée de Maurras en politique, n’est-ce pas l’entrée de Denys Talon en chiromancie ? Le combat politique absolu de Maurras, n’est-ce pas la passion absolue de Denys Talon pour Marie-Thérèse, allégorie à travers laquelle Maurras entend représenter, peut-être la France, peut-être la Monarchie, peut-être l’Église catholique, pourquoi pas les trois à la fois, dans leur fusion tant désirée ? Quant à Messimine, le mari indigne que Marie-Thérèse ne peut quitter, n’est-ce pas l’adversaire de toujours, le pacifiste, le républicain, le démocrate-chrétien ? Surtout le démocrate-chrétien !

Il est particulièrement éclairant de lire comment Denys Talon définit sa pratique de la chiromancie ; on croirait lire Maurras exposer ses principes de science politique…

Mais les efforts de Denys Talon seront vains : Marie-Thérèse partira. Ceux de Maurras le seront aussi : après quarante ans de lutte, non seulement la France est toujours en République, mais il est, lui, condamné et emprisonné.

Alors, que faut-il en conclure, Maurras sauvé par la politique, ou Maurras tué par la politique ? L’une comme l’autre des deux thèses peut trouver, dans le récit « magique » de la vie de Denys Talon, toutes les justifications que l’on voudra. À condition de ne pas voir celles de la thèse inverse ! Ni toutes les fantaisies, les anachronismes, les inversions de traits de caractère dont Maurras truffe son texte à plaisir, comme pour égarer son lecteur.

Ainsi, en dix ans, les deux garçons de Marie-Thérèse n’ont pas changé d’âge. Le naufrage du Saint-Philibert, qui a lieu en 1931 et dans lequel Maurras voit une prémonition du désastre de 1940, est évoqué par Denys Talon dans une scène qui doit se passer vers 1900…

Maurras aurait-il cherché à tromper Sainte-Beuve en personne qu’il ne s’y serait pas pris autrement !

Il vaut donc mieux, sans doute, se laisser bercer par les aléas du récit, et prendre les personnages et les séquences tels qu’on les lit. Si Denys Talon prend beaucoup à Maurras, un peu à Musset, il n’y a dans sa vie ni Affaire Dreyfus, ni George Sand à Venise. Il est, aussi, Denys Talon et rien d’autre.

Il vaut mieux, également, ne pas chercher en tout nom, en toute phrase, en toute scène, un sens caché, quelque fil conducteur d’une histoire initiatique cachée derrière l’histoire banale. Il n’y a aucune gnose dans Le Mont de Saturne. Il semble que Maurras ait eu l’idée d’écrire ce conte dès le tournant du siècle ; à l’époque, les sciences occultes étaient très à la mode, elles faisaient partie du débat intellectuel, de la vie littéraire.

Il suffit de rappeler le rôle central que joua la graphologie naissante dans l’Affaire Dreyfus, fait d’évidence que les historiens postérieurs ont cru bon de passer par profits et pertes. Millénaristes, kabbalistes et illuminés de toutes sortes tenaient alors le haut du pavé. Maurras lui-même, évoquant en 1902 le centenaire de Victor Hugo, ne peut éviter, même s’il convient ne guère y croire, un long développement sur la forme du crâne de l’auteur des Misérables ; la rivalité sociale entre dolichos et brachys prenait alors chez certains autant d’importance que la lutte des classes pour d’autres.

Il n’y a donc rien d’étonnant que Maurras ait eu l’idée de composer un conte sur la chiromancie, et que ce projet, qu’il n’eut jamais le temps de réaliser, se soit enrichi dans son esprit, au fil des ans, d’idées complémentaires venant en complexifier la trame et faire naître de nouveaux retours, de nouvelles coïncidences, de nouvelles clefs d’interprétation. En 1911, un certain Georges Meunier publie chez Albin-Michel un livre-enquête Ce qu’ils pensent du merveilleux, dans lequel les auteurs de l’époque livrent leur sentiment sur l’occultisme. Maurras y cite explicitement son projet de conte, avec son titre, Le Mont de Saturne. Mais il lui faudra attendre septembre 1944 et son incarcération provisoire à la prison Saint-Paul-Saint-Joseph de Lyon pour passer à l’écriture. Isolé, attendant qu’on lui signifie un chef d’inculpation, anxieux des nouvelles de la libération du territoire, il juge alors que la meilleure manière de tuer le temps et l’angoisse est de rédiger enfin ce conte qu’il mûrit dans sa tête depuis quarante ans. Il en fait passer les feuillets à l’extérieur, des amis le dactylographient ; l’aura-t-il ensuite relu, retouché ? cela n’est pas clair. La publication ne se fait qu’en 1950, et vu le nombre de coquilles qu’on y trouve, on est au moins certain que Maurras n’a pas revu les dernières épreuves. Le texte s’orne d’un appendice en forme de conversation-justification dans lequel Maurras répond aux questions d’un certain Amicus qui lui reproche de faire paraître un livre scandaleux qui ne pourra que nuire à son image ; d’après Roger Joseph, cet Amicus n’est autre que le très catholique Xavier Vallat. Les vives polémiques ayant entouré ce personnage ne doivent pas interférer sur notre jugement ; Maurras refuse toute censure comme toute auto-censure, mais doit passer par des explications alambiquées qui ne sont pas sans rappeler la dernière préface du Chemin de Paradis.

Car Le Mont de Saturne est aussi, pour un Maurras proche de sa fin, l’occasion de réaffirmer son droit à l’écriture libertine. Denys Talon y fait en effet clairement référence au conte de La Bonne Mort, publié dans Le Chemin de Paradis de 1895 et retiré des éditions ultérieures. Ce n’est pas un tirage d’art, confidentiel, de 1927 qui lui aura assuré une large diffusion ; peu de lecteurs du Mont de Saturne en 1950 connaissent La Bonne Mort autrement que par les violentes accusations de scandale et de blasphème que ce conte de jeunesse aura values à son auteur.

L’uchronie de la survie de Chénier

Il aura fallu attendre jusqu’à maintenant pour lire sous la plume de Maurras, dans les textes que nous vous présentons, le mot « merde ».

Encore est-ce sous la forme euphémistique d’un inodore « m*** » : il y a des convenances avec lesquelles un académicien ne pouvait rompre avant-guerre.

Et à propos de quoi ce mot étonnant sous la plume de Maurras ? à propos d’André Chénier.

— Quoi ! dira-t-on, Chénier ? Celui de La Jeune Tarentine, celui de la pâle Néère qui expire en enjoignant à la nature de redire à Clinias son amour, celui que l’on voit peuplé de cupidons antiques bandant leur arc avec l’application d’un charme qui tient tout dans l’extrême moment de l’ancien régime ? Doux alcyons, oiseaux chers à Thétis ?
— Mais oui, celui-là même.

Mais aussi celui des iambes écrit à la prison de Saint-Lazare et des textes où cette merde clapote et fermente dans la bouche de divers révolutionnaires auxquels s’en prend Chénier.

Et les deux sont indissociables : c’est tout le sens de ce que nous dit Maurras, qui imagine comment le dix-neuvième siècle littéraire et ses idées roman­tiques auraient peut-être trouvé un contre-poids dans Chénier. Il s’en est fallu de quarante-huit heures, du sept au Neuf thermidor, que nous soyons sauvés du romantisme, que deux calamités aussi abominables que Madame de Staël et Hugo nous soient peut-être épargnées par Chénier réchappé de la guillotine. Comme le siècle alors aurait pu être différent !

Sans doute l’uchronie littéraire a ses charmes pour sauver l’intérêt du lecteur d’aujourd’hui, qui bâille un peu aux vers dont on sent chez Maurras le plaisir évident avec lequel il les cite et les accumule – sans avoir complètement disparu, ce plaisir-là semble atteindre à la satiété du lecteur moyen plus vite qu’il y a soixante-dix ans, puisque ce texte est de mars 1939.

Nous terminons avec cet André Chénier la numérisation de Poésie et Vérité. Un détail doit retenir l’attention, qui sauverait ce texte somme toute un peu scolaire, si même l’uchronie en était absente : ce qu’il dit de la position de Chénier, justement quand il prononce ce mot m*** :

Il faut bien voir que le poète y veut utiliser pour l’iambe (…) le même marbre immaculé qui convient à la statue humaine et divine : une incomparable matière ne déroge en rien, elle ne contracte aucune mésalliance quand elle sert à flétrir ce qui déshonore l’humanité. Le service rendu à la juste satire vaut tous les autres ministères que Paros aura pu prêter à la religion et à la patrie.

Autrement dit, comme le remarque un universitaire américain qui a travaillé sur Chénier et qui cite rapidement Maurras, nous sommes bien ici sur la ligne de partage entre l’ambition d’un classicisme vrai, renouvelé, puissant et un néo-classicisme décevant, affadi, qui évoquerait plus la pâte d’amandes que le marbre de Paros, patrie d’Archiloque.

Maurras semble entre les deux avoir pris son parti : celui de Chénier qui voit bouillir le fétide mélange dans la poitrine de Collot d’Herbois, évidemment.

21 janvier

Comment commémorer un 21 janvier sans faire ce que font si bien les autres depuis si longtemps ?

L’Almanach de l’Action française pour l’année 1921 – nous continuons d’explorer les numéros numérisés que nous avons en réserve – nous permet de le faire en chanson. La musique est aisément reconnaissable, et la mention de Philippe Huit pourra être remplacée selon les préférences de chacun :

CHANSON POUR BOIRE AU ROI
Poésie de Fagus.
Musique adaptée par René de Buxeuil.

Buvons un coup, buvons-en deux
À la santé des amoureux,
à la santé du roi de France !
Et m… pour le Roi d’Angleterre
Qui veut nous déclarer la guerre.
(Chanson des marins de Dieppe sous Louis XVI.)

I

Buvons deux coups, buvons-en trois,
À la santé de tous nos rois :
Louis Quatorze, Louis Quinze et Louis Seize
Et avec eux tous ceux d’avant
C’étaient des brav’s et des vaillants
Qu’ont fait la Nation française.
II

Buvons trois coups, buvons-en quatr’
À la santé de Henri Quatr’
Celui qui était aimé des belles !
On l’appelait le Vert-Galant.
Tous les Français sont ses enfants,
Car il n’eut jamais de cruelles !
III

Buvons cinq coups, buvons-en six,
Pour Catherin’ de Médicis,
Qui mit à bas les faux apôtres,
Henri Deux, qui fut son mari
Et Charles Neuf, son fils aussi,
Et Henri Trois et tous les autres.
IV

Buvons sept coups, buvons-en huit (Ici on se lève)
À la santé de Philippe Huit
Qu’est là pour renflouer la barque !
Faut qu’il revienne et au plus tôt,
Ou bien la France elle est dans l’eau,
Et ça f’rait trop d’peine à Jeanne d’Ar-que
V

Et maintenant faut s’arrêter.
Ça f’rait du mal à notr’ santé,
Le dernier coup viendra-z-ensuite,
Quand nous aurons fichu dehors
Tous ça qui nous court sur le corps,
Et tout d’abord la République.

Cet Almanach ne contient de Maurras que quelques vers : nous les réservons pour les reproduire dans un ensemble plus large. Mais il contient douze travaux d’Hercule qui méritent d’apparaître ici :

René de Marans

René de Marans est relativement oublié aujourd’hui, bien qu’il ait été une des plumes de L’Action française. Ce n’est donc que justice de ressortir de l’Almanach de l’A. F. pour l’année 1925 ce bref hommage à son compagnon qu’y signe Charles Maurras.

Ce nous est l’occasion également d’indiquer seulement un thème auquel plusieurs textes à venir nous ramèneront :

(…) je relisais, écrit Maurras, il y a peu son rapport sur un concours d’histoire où sa plume marquait avec tant de justice et de force la tare commune de nos historiens ! Ils ont adoré, loué, salué, tous les « schismes » français, mais tous ont été insensibles et comme indifférents à la réussite de l’effort national : Gaulois au temps de César, Algibeois au XIIe siècle, Anglais au XIVe, protestants au XVIe, frondeurs et camisards au XVIIe.

Alors que la définition même de ce qu’est le pays légal a dérivé plus loin encore de ce que pouvait déplorer Maurras, et que dans le même temps ce qu’il pouvait encore appeler le pays réel a moins de substance, qui ne voit que l’on pourrait peut-être dans la France d’aujourd’hui rajouter à cette liste de schismes les royalistes ou les nationalistes eux-mêmes, dans un paradoxe qui ne serait qu’apparemment scandaleux ? Lorsque « le parti de la nation, de l’unité, du roi », ne peut plus être décrit, au moins dans les faits sinon dans le droit, que comme un schisme au sein d’un pays dont la continuation est toute nominale et où la révolution s’est institutionnalisée, où même change ce fond de la population française dont la permanence est si souvent prise par Maurras comme préalable à ses démonstrations politiques ? Envisager simplement cette question, imaginer que quelques linéaments de réponse soient présents chez Maurras, cela paraît aussi sacrilège à certains tenants d’une orthodoxie maurrassienne étroite qu’aux sectateurs d’une République qui voue Maurras aux gémonies. La simple indication d’une histoire de France du point de vue de la nation qu’aurait envisagée René de Marans, précisément distinguée par Maurras d’une histoire de France du point de vue de l’État, semble pourtant bien ouvrir à ces considérations une voie étroite mais réelle. Nous y reviendrons.

C’est aussi l’occasion de reprendre quelques dessins de l’Almanach de 1925, où l’on revenait sur les jeux olympiques de 1924.

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Et aux tristes sires scandalisés par l’évocation de ce qu’on n’appelait pas encore avec componction des jeux « paralympiques », comme à ceux qui ne supporteraient pas que les oies tricotent hors des manuels de grec ancien, on ne conseillera qu’un remède, sorti lui aussi du même almanach :
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Nos meilleurs vœux pour 2009

es administrateurs du site Maurras.net et l’Association des Amis de la Maison du Chemin de Paradis vous présentent leurs meilleurs vœux de joie, de santé, de réussite et d’espérance pour l’année 2009

Souhaitons également que l’année qui s’ouvre voie enfin l’achèvement des travaux de la Maison de Charles Maurras à Martigues, la réhabilitation du jardin et leur réouverture au public, ainsi que celle de la bibliothèque dont les ouvrages, mis à l’abri des termites, attendent depuis des années au fond de dizaines de caisses le jour où un lecteur viendra enfin leur rendre hommage, dans une Bastide refaite à neuf !

Nous savons que la Mairie de Martigues, qui a dû entreprendre de lourds travaux, non seulement pour préserver la Maison des termites, mais pour stabiliser les murs porteurs qui commençaient de se désolidariser suite à un affaissement du terrain, attend aussi ce moment avec impatience. Il en est de même des services municipaux de la Culture, de Madame la conservatrice du Musée Ziem et de toute son équipe ; que tous sachent que nos vœux les accompagnent.

Car il est grand temps, en effet, de réaliser les volontés testamentaires de Charles Maurras ! Celles-ci ont été consignées à Troyes le 22 février 1952, puis discutées et adoptées, le 13 mars suivant, par la Municipalité de Martigues (par 11 voix contre 9…) Elles prévoyaient notamment la création au Chemin de Paradis d’une « Bibliothèque populaire » et d’un « Jardin d’enfants », gérés par un comité de neuf membres présidé par le Maire, et comprenant trois autres élus de la ville, dont Maurras précise la composition : un communiste, un socialiste, un RPF !

Si le jardin d’enfants ne peut plus être imaginé qu’en rêve, le terrain qui lui était destiné ayant été loti et construit depuis longtemps, la bibliothèque populaire se pose en destination toute naturelle de la Maison une fois celle-ci pleinement restaurée. Maurras évaluait dans son testament à « au moins 12 000 » le nombre de livres que le Comité aurait en sa possession :

Ce sont des œuvres de grande culture, dictionnaires, collections complètes de grands écrivains classiques ou autres, livres contemporains, un certain nombre de romans modernes. Si mon chiffre paraît manquer de précision, c’est que les Boches ont pillé deux fois ma bibliothèque : la première, au siège de mon journal, 1 rue de Boccador, où ils ont tout pris, la seconde fois, à mon domicile personnel, 30 rue de Bourgogne ; tout au moins, rue de Bourgogne, ils ont été loin de tout emporter, je le sais de source sûre.

La bibliothèque populaire ainsi créée ne prête pas de volume. On vient y lire à demeure ; mes salles du rez-de chaussée, ouvertes aux lecteurs, pourront recevoir des rayons…

Quant à nous, nous poursuivrons sans faiblir en 2009 le développement du site Maurras, votre site, afin qu’il soit toujours plus complet et plus attractif. Trente mois après sa création, nous restons sur la même ligne, celle d’une qualité sans faille et d’une documentation aussi complète que possible des textes que nous mettons en ligne. C’est un travail de longue haleine, parfois fastidieux, mais qui ne doit laisser aucune place aux erreurs, aux imprécisions ou aux omissions.

L’édifice se construit donc lentement, mais de façon cumulative ; contrairement au livre, l’édition électronique n’est jamais épuisée, jamais introuvable ; elle reste disponible, en permanence, sur les cinq continents, gratuitement et immédiatement. Avec le temps, la richesse et la diversité de votre site préféré deviennent appréciables ; rien que pour la bibliothèque des œuvres maurrassiennes, nous comptons en ce début 2009 pas moins de 76 entrées.

La fréquentation progresse en rapport ; nous avons régulièrement plus de 200 visiteurs uniques par jour, presque 3000 par mois ; le nombre de téléchargements est en constante augmentation. Jamais sans doute le rayonnement de l’œuvre maurrassienne n’aura connu en si peu de temps un telle accélération.

Il y a deux ans, on trouvait en ligne divers textes de Maurras, numérisés à la va-vite par des bonnes volontés mais souvent emplis de coquilles, peu ou pas du tout documentés, et souvent aussi placés en mauvaise compagnie sur des sites amateurs. Ils existent toujours, mais on ne les voit plus ; désormais, ce sont vers nos versions, fiables et annotées, que les moteurs de recherche orientent les internautes. Et la rançon de notre succès, c’est que nous sommes maintenant pillés sans vergogne… mais c’est la loi du genre, l’hommage du vice à la vertu. Nous ne nous en plaignons pas trop.

Pour en revenir aux vœux, nous vous présentons ci-dessous quelques compositions martégales, thèmes de cartes de vœux éditées naguère par l’AAMCP, avant la cession de la Maison du Chemin de Paradis à la ville de Martigues :

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J’écris au flanc d’une colline couronnée d’un moulin qui a cessé de moudre et qu’on prendrait de loin pour un vieux château ruiné, comme on en voit le long du Rhône. Cinq ou six pins retiennent le sol friable de cette terre inconstante, et l’on y trouve aussi quelques oliviers lumineux… (Charles Maurras, début d’un texte de 1895, repris plus tard en exergue de L’Étang de Berre.)

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Martigues ! Quelques disques de terre entourés par la mer. La plus vieille partie de ma petite ville élève des îlots à la vénitienne. Il y en avait cinq vers 1840 dont j’entends encore vanter le pittoresque, la bonhomie et la rumeur…

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Qui abordera ici pour la première fois découvrira les délices de l’incomparable reflet nuancé et moiré de nos toits et de nos églises au liquide miroir qui tremble toujours…

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Dans le creux est la ville, ses canaux et ses étangs couverts de barques noires, ses ports mélancoliques où les tartanes attendent pour se réveiller et partir…

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Une rue du vieux Martigues – peinture d’Antoine Ponchin (1872–1934).

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Environs de Martigues – gouache du XVIIIe siècle

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« Mistraliser le monde »

Nous poursuivons la numérisation de Poésie et Vérité avec Dante et Mistral. Encore un texte sur Mistral ? Ou, si l’on préfère, encore un texte sur Dante !

C’est qu’on « n’épuise jamais le plaisir de réciter son poète » comme le remarque malicieusement un Maurras qui a sans doute conscience d’entasser les citations de Dante et de Mistral un peu au-delà de la patience du lecteur de bonne volonté.

Alors pourquoi ce texte ? et que fait-il au juste dans Poésie et Vérité ? car il a été repris par Maurras pour y être inséré alors qu’il ne s’agit somme toute que d’un texte de circonstance, paru dans la Nouvelle Revue universelle en 1941 pour parler de deux ouvrages : l’un composé des souvenirs de Marie Gasquet, où la part belle est faite à Frédéric Mistral et au Félibrige ; l’autre de Louis Gillet, sur Dante.

D’abord on retrouve dans ces considérations bien des thèmes abordés par les autres textes de Poésie et Vérité, et dont nos lecteurs ont maintenant une idée assez précise, puisqu’il ne manque plus que le texte sur André Chénier pour compléter le recueil : contentons-nous d’évoquer l’étroite association — bien figurée ici par la figure de Charles Rieu — entre une terre, un peuple et sa sensiblité, qu’elle soit intellectuelle, politique ou religieuse. Du côté de Dante, une fois de plus Maurras en affirme l’unité, la cohérence où les multiples influences chrétiennes et antiques récapitulées dans la Florence de son siècle ne nuisent en rien à la solidité et à la beauté de ce bloc qui semble avoir tout uniment « la douce couleur de saphir ».

Mais il y a sans doute un peu plus. Le texte est de 1941, alors que le maréchal Pétain jouit encore de cette forte popularité qui a pu faire parler de quarante millions de pétainistes. Or, presque à la jonction des deux critiques d’ouvrage qui forment ce texte, Maurras fait part d’une anedote curieuse, où l’on voit celui qui n’était encore que le capitaine Pétain — et qui était alors plutôt classé au centre gauche — emmener en voiture, par hasard, un Frédéric Mistral impatienté d’un contretemps.

(…) Mistral avait été mis en retard par la faute d’un véhicule qui n’arrivait point et, qu’il attendait au seuil de sa maison. Et voilà qu’un jeune officier de l’armée active, passant en voiture devant sa porte, proposa au maître de le conduire aux Baux où il allait lui-même. Mistral accepta. En chemin, il demanda qui donc lui rendait ce service. Le capitaine se nomma : Pétain…

Le futur Maréchal de France fit son premier acte de rénovateur des provinces aux Baux, ce jour-là ! Le monde est bien petit. Ce qu’il contient de présages, de préfigurations, d’intersignes sera-t-il jamais recensé ?

C’est que dans la vision classique défendue par Poésie et Vérité, tout se tient. Non qu’il faille réciter on ne sait quelle faible et vague considération de système sur les correspondances du beau, du bien et du vrai, dont Maurras était trop fin pour ne pas voir ce qu’elles avaient — déjà — de vieillerie poussiéreuse et d’impuissance au regard des temps et des événements. C’est simplement redire que la politique ne va pas seule, pas plus que la poésie, comme le rappelle Maurras en nuançant sur ce point les appréciations louangeuses qu’il vient de porter sur l’ouvrage de Louis Gillet. Poésie et Vérité, c’est aussi Politique et Poésie, comme Politique et Vérité.

Et c’est bien le programme lapidaire que trace déjà le jeune Frédéric Amouretti quand il déclare bravement au père de Marie Gasquet vouloir « mistraliser le monde ».