Le texte des Amants de Venise a d’abord été publié par la revue bimensuelle Minerva, dans les quatre numéros de juillet-août 1902. L’ensemble a ensuite été réuni dans un ouvrage de 274 pages, publié la même année aux éditions Albert Fontemoing, dans une collection reprenant le nom de Minerva. Nous n’en savons pas davantage sur cette première livraison ; la Biblio-Iconographie de Roger Joseph indique qu’il y a eu sept éditions successives, nous vous présentons la huitième :
L’ouvrage s’ouvre sur les épigraphes de Jean-Jacques Rousseau et d’Auguste Comte, suivies d’une dédicace à madame Paul Souday, puis sur une introduction de quatre pages dont le texte ne sera pas modifié par la suite, et se termine par un appendice « La tasse de thé du Docteur Cabanès ». Au tout début, avant la page de garde, on trouve les deux portraits de David d’Angers annoncés sur la couverture :
Cette toute première version du livre, vite épuisée, a été imprimée à Paris, 19 rue des Saints Pères, par l’entreprise Philippe Renouard. L’édition suivante, datée de 1916, sera imprimée à Tours ; entre temps, la librairie Fontemoing est devenue De Boccard, et Maurras s’est brouillé avec Paul Souday. La dédicace a donc disparu, et il n’y a plus d’illustrations ; le texte a été revu et remanié, il s’y ajoute une Préface de 50 pages, numérotée en chiffres romains, datée « 4 novembre 1913 – 14 septembre 1916 » et placée avant l’introduction, ainsi que deux nouveaux appendices, « Le premier incident » et « Le drame lyrique ». Ces trois textes éclairent tout le contexte dans lequel Maurras a conçu son ouvrage, dont les prémisses avaient été publiées dès le 31 octobre 1896 dans le journal Le Soleil, au milieu d’une floraison d’autres productions littéraires sur le même thème. La découverte des archives de Pagello avait en effet fait naître nombre de vocations concurrentes…
On remarquera, dans la Conclusion (« L’Amour romantique »), à la fin du paragraphe « L’amour n’est pas un dieu… » la note suivante : Un moraliste catholique venu du proudhonisme et du syndicalisme, M. Georges Valois, qui ne s’est certainement pas inspiré des méthodes de ce petit livre, a écrit cependant dans son traité du Père une page sur « la misère de l’amour » qui confirme notre point de vue, « l’amour conçu comme seul objet de la vie… il appelle la haine, il appelle la mort… » Mais il faut lire cette remarquable méditation.
L’appendice sur la tasse de thé apparaît désormais en troisième position. D’après Roger Joseph, 18 éditions successives se seraient échelonnées jusqu’à la fin de la guerre.
En 1919 paraît une troisième version du livre, toujours éditée chez De Boccard, et imprimée cette fois à Châtillon-sur-Seine. Elle comporte deux éléments nouveaux, une « note de 1919 » placée entre la Préface de 1916 et l’introduction, et un quatrième appendice, « Le témoignage de Buloz ». Dans le second appendice, les deux auteurs du « drame lyrique » dont les noms étaient réduits à leurs initiales dans la version de 1916 apparaissent désormais en toutes lettres, Jules Bois et Camille Erlanger. Le reste est inchangé ; d’ailleurs les numéros des éditions prennent la suite de la série précédente, de 19 à 28 selon Roger Joseph.
L’année 1924 (en fait le 30 décembre) voit sortir une quatrième version du livre, cette fois dans une présentation plus luxueuse, ornée de nombreux bandeaux et culs de lampe, et tirée à moins de 2000 exemplaires. Édité par la maison parisienne Georges Crès, l’ouvrage a été imprimé à Évreux. La page de garde attribue les bois gravés à Constant Le Breton, mais la justification du tirage fait mention de quatre autres graveurs et dessinateurs ; effectivement, le style des illustrations montre une certaine variété d’inspiration.
Le livre s’ouvre sur une note des éditeurs : « La présente réimpression, établie d’après le texte de l’édition E. de Boccard, a été revue et corrigée par l’auteur ». Ainsi, dans la référence de l’épigraphe d’Auguste Comte, 90e devient XCe… C’est surtout l’ordre de présentation qui est modifié : on retrouve comme en 1902 la seule introduction en tête, la Préface de 1916 et la note de 1919 étant désormais placées en appendices, dans une première série, les quatre appendices précédents en constituant une seconde, le « drame lyrique » prenant le nouveau titre « Autre incident ».
Enfin vient l’édition de 1926 que l’on peut considérer comme définitive. C’est en tous cas celle que nous publions, et c’est donc la cinquième version, qui paraît trente ans après le premier article du Soleil. L’éditeur est Flammarion, l’imprimeur de Lagny. Il y aura de très nombreux tirages qui vont s’échelonner, semble-t-il jusqu’en 1937. Le texte des tous premiers semble identique à celui de l’édition Crès, mais la présentation grand public, sur papier ordinaire et sans illustrations, le rend beaucoup moins agréable à lire. Au bout de quelques éditions, mais nous ne savons pas au juste quand, la note qui fait l’éloge de Georges Valois disparaît ; entre temps, les deux amis se sont violemment disputés…
En 1931, le même Flammarion publie le même texte dans une édition plus luxueuse, imprimée à Saint-Dizier et tirée à 2200 exemplaires. La présentation est due à Renefer ; elle se réduit à fait à un dessin de couverture et à quelques lettrines. L’épigraphe d’Auguste Comte est encore retouchée ; le mois Aristote du calendrier positiviste prend cette fois une majuscule.
Enfin, Flammarion reprendra la version de 1926, sans modification aucune, dans deux nouvelles éditions en 1942 et en 1978.
Nous ne parlerons pas ici de l’édition pour bibliophiles réalisée en 1952 par Camille-Paul Josso, dans laquelle le texte s’efface devant l’iconographie et qui est devenue un rarissime objet de collection. En revanche, il convient de signaler que le texte des Amants de Venise repris dans le tome 3 des Œuvres capitales ne contient aucun des appendices, ni la Préface de 1916, mais que Maurras y a inséré de nouvelles notes, en partie pour pallier à ces suppressions.
– À l’avant-dernier paragraphe de l’introduction, après « en apparence fort contraires » : Si mon livre se réfère à ces auteurs, à leurs travaux et à leur témoignage, c’est que les Amants de Venise sont un récit critique dont la vérité est établie au fur et à mesure de sa progression. En ôter la partie discursive affaiblirait le reste et le ferait ressembler à un tissu d’inventions gratuites, à un roman !
– Après « pareils à ce pauvre Planche » : Gustave Planche (1808-1857), critique littéraire à la Revue des deux mondes. Et peu après pour Buloz : Le directeur de la Revue des deux Mondes.
– Dans la Conclusion, la note qui fait référence à la Préface de 1916 disparaît. Par ailleurs « Madame de Vaux » y devient « Clotilde de Vaux ».
Terminons notre propos par une incidente qui est un hommage à la perspicacité de Maurras. Au chapitre « Témoignages », dans la quatrième partie, il rectifie les termes de la lettre du docteur Fontana en remarquant « car je ne sais si l’on avait facilement des enveloppes en 1834 ». En effet, l’enveloppe manufacturée, qu’on pouvait acheter chez un papetier, ne fit son apparition qu’au début des années 1840 en Angleterre, et l’usage s’en répandit en France vers 1850. Venise ne devait pas être, sur ce point, très différente de Paris. Mais le pli, que l’on devait fermer avec un cachet de cire pour l’envoyer, resta la norme usuelle jusqu’à l’apparition des enveloppes encollées, à la fin des années 1860. Il ne disparut totalement qu’après 1880, si bien qu’en 1896 le mot « enveloppe » était devenu synonyme de « lettre », par opposition à la carte postale. L’erreur de Fontana était tout à fait pardonnable, mais Maurras eut l’intuition d’y déceler l’anachronisme qui s’y cachait.