Maurras n’écrira pas d’article particulier lors de la levée de la condamnation romaine par Pie XII en juillet 1939, consacrant son énergie à d’autres tâches, emporté par la marche fatale des événements. En revanche, il est intéressant de retrouver, au point où nous en sommes de L’Action française et le Vatican, un autre texte de 1939 : la réaction de Maurras à la mort de Pie XI, le 11 février 1939.
L’article est complexe, comme l’on s’en doute. Il évoque à la fois Pie IX, Pie X et Pie XI pour illustrer le retournement du règne. Ce retournement n’a pas été complet avec l’Action française, puisqu’on sait que c’est le successeur de Pie XI qui l’accomplira. En revanche, dans la politique espagnole du pape, par exemple, il fut spectaculaire au point de rendre presque contradictoires les intentions de Pie XI qui vient de mourir.
Sans doute Maurras a beau jeu de souligner que le retournement avait été prévu par l’A.F., même si c’est pour dire que l’histoire n’a rien à faire de pareilles prévisions. Au total le portrait du pape paraît un peu outré dans le sens du bien et du bon ; même concernant l’Espagne, et peut-être surtout là, on ne peut s’empêcher de se dire que bien des erreurs auraient pu être évitées avec un peu moins de naïveté pontificale.
Peut-être faut-il imaginer que Maurras lui-même aura senti ce que son portrait avait, nécessairement, devant la mort du Pape, de trop suspect dans l’équilibre. Aussi il précise à destination de ses amis :
Les choses secondaires s’évanouissent devant les plus grandes et, quelques amertumes qu’aient pu concevoir un grand nombre de nos amis les plus chers, nous sommes bien certains que l’intérêt, l’attention, la direction naturelle de leur pensée ont aussi couru à cet essentiel : le généreux effort déployé par ce maître du monde moral, pour ne servir que le juste, pour ne concevoir que le vrai. La vérité des circonstances change : il a fait varier la vérité de l’action.
La mesure gardée permet de se disculper des suspicions d’une révérence trop automatique comme des défiances trop prévisibles issues du passé, pour vraiment toucher au but.
Le mouvement est comparable lorsque Maurras évoque le « large ciel où scintille, entre l’écharpe azurée de Notre-Dame de Lourdes et les roses que fait pleuvoir sainte Thérèse de Lisieux, devant la bannière de Jeanne d’Arc, la flamme merveilleuse du beau glaive de saint Michel » : sans doute son évocation est sincère. Mais il est aussi trop fin pour ne pas voir combien ses difficultés passées avec le catholicisme, et combien sa conversion finale déjà amorcée par les rapports avec le carmel de Lisieux, lui interdisent de trop se laisser aller à de tels tableaux de piété naïve, sous peine de la faire paraître trop convenue. Ils pourraient en outre donner quelques armes faciles à ses ennemis. Aussi il utilise l’écharpe, les roses, la bannière et l’épée pour en attribuer malicieusement leur part aux hiérarques républicains et officiellement anticléricaux ou agnostiques qui viennent de déverser sur Pie XI les hommages de circonstance, il redouble même le léger sarcasme en citant le Nunc dimittis.
Au total, l’article donne une des clefs les plus constantes de l’auteur : la volonté de rester dans une certaine mesure pour être capable de juger les choses et les êtres, de leur assigner leur place en raison. Pie XI n’est ni l’adversaire un temps acharné qui a condamné l’Action française, ni le défenseur de la chrétienté devant les totalitarismes une fois revenu de ses errances politiques : la vérité du pape mort est dans la compréhension des mécanismes qui l’ont amené à ces changements. Il y a des causes, il y a des effets, de là on peut tirer des lois. Peut-être le Maurras d’après la guerre aura-t-il lui aussi changé, devenant à son tour justiciable d’une compréhension plus haute, mais en ce point extrême qu’est l’année 1939, après laquelle tout basculera, la leçon est celle de la mesure appliquée à juger les événements ; ce qui l’emporte alors, comme le prouve le dernier passage de l’article, et malgré les compliments au pape défunt, c’est bien le « politique d’abord » qu’avait si mal compris Rome en condamnant la formule treize ans auparavant.