Curieux article que ce « Jeunes et Vieux » de l’automne 1942. Pour quelle raison Maurras éprouve-t-il, en pleine guerre, le besoin de redire que le fil des générations ne saurait être coupé, qu’il ne faut pas dresser les unes contre les autres les générations qui font les forces vives du pays ?
Nous sommes alors à l’extrême avancée des troupes allemandes au sud du front russe : elles ont atteint la mer Noire, se rapprochent de Grozny, le Don est passé, Rostov prise depuis l’été 1942. Elles viennent de capturer la majeure partie de Stalingrad, les soviétiques attendent leurs renforts et ne tiennent plus que dans un réduit, résistance presque sans espoir aux yeux de l’Europe et de la France occupée. La contre-attaque russe sera lancée le 19 novembre, notre article est paru dans le Candide daté du 18 novembre et était sans doute écrit depuis quelques jours au moins. Mais ce contexte historique une fois tracé, on peut interpréter ce Jeunes et Vieux de plusieurs manières.
Écartons les plus malveillants qui auraient tôt fait de dresser le portrait — faux — d’un Maurras presque nazi : comment celui que les occupants eux-mêmes décrivent comme l’un des principaux résistants à leur propagande pro-allemande saluerait-il d’enthousiasme les succès allemands en célébrant un nouvel ordre européen sous les espèces de générations françaises réconciliées ?
On peut cependant imaginer sans invraisemblance un Maurras qui prendrait acte des succès allemands et qui aurait le souci que la France s’insère au mieux dans le nouvel ordre européen dominé par l’Allemagne, ordre nouveau que chacun croit alors voir se dessiner sous ses yeux. Il s’agirait donc d’un discours somme toute convenu, compassé diront certains, sur les nécessités de l’union nationale dans les périls, et ce discours prendrait ici la forme particulière du refus d’un conflit des générations. Un tel réalisme politique serait d’ailleurs dans la tradition de l’Action française, on ne compte plus les textes où Maurras a célébré ce pragmatisme inspiré des capétiens.
S’en tenir là, ce serait oublier que ce pragmatisme et ce réalisme politique n’ont jamais été célébrés pour eux mêmes, dans les nuées pour prendre un terme maurassien. Si les capétiens furent réalistes et pragmatiques, c’était en vue d’un but obstinément continué, immuable dans les détours mêmes qu’il empruntait : la constitution d’un état national, sa durée et son relèvement quand il paraissait vaincu.
Le but de Maurras quand il écrit cet article s’éclaire alors : il s’agit de retrouver dans le contexte de 1942 les conditions d’une France forte et assurée de son avenir autant qu’il est possible dans ces temps troublés, et parmi ces conditions il y a effectivement la solidité des liens entre les générations plutôt que leur vain combat. C’est dans cette mesure là que Maurras a pu soutenir, jusque dans la presse dite collaborationniste, certains aspects de la politique de la Révolution nationale : non par maréchalisme fanatique, encore moins par passion pour la collaboration avec l’occupant.
Ce sera encore, de manière plus sombre car les circonstances auront changé, le propos de La Figue-Palme en 1943, parue elle aussi dans Candide et reprise elle aussi après-guerre dans Inscriptions sur nos ruines.