Le 5 août 1914 dans cet article intitulé « Rage de Cyclope », la propagande sévissait.
D’abord celle de l’armée : Maurras — comme ses collègues des grands journaux parisien — nous annonce dans son article trois nouvelles propres à galvaniser l’opinion contre les Allemands ; la première est simplement fausse : Alexis Samain n’est pas mort, il figurera même en bonne place sur les photos de la libération de Metz en 1918. La deuxième est à demi fausse : un ecclésiastique a bien été fusillé par les Allemands, mais ce n’est pas le bon curé dont la presse parle. La troisième est vraie : des Alsaciens voulant rejoindre l’armée française ont été fusillés par les Allemands. De pareils bobards ou demi-bobards, forgés ou opportunément répercutés par le ministère de la guerre, rappellent le plus célèbre d’entre eux : les mains coupés des petits belges par les méchants soldats allemands. Comment la presse put-elle candidement rapporter ces mensonges ? et le faire un grand nombre de fois, en donnant à chaque fois des démentis ? On devrait plutôt poser la question inverse : prise entre l’opinion exaltée par le moment, la rapidité des développements et les exigences des pouvoirs publics, comment aurait-elle pu ne pas le faire ? Avant de juger sévèrement les journaux de l’été 1914, il faut nous souvenir de Timisoara, des couveuses koweitiennes et des « armes des destruction massive » irakiennes…
La deuxième propagande est celle de l’AF : Maurras nous raconte de son point de vue l’incident qu’il vécut après le convoi funèbre de Jaurès. Sans doute il aurait pu passer sous silence un épisode sans grande importance dont L’Humanité ne parle pas, ni le jour même ni le lendemain. Pourquoi le faire ? sans doute pas pour se donner le beau rôle : à supposer que cela ait traversé l’esprit de Maurras, l’incident, on l’a dit, était bien mince. Il s’agit plutôt d’illustrer la politique d’union sacrée qui commence à se mettre en place. Quel plus bel exemple pour les Camelots qui serait un peu excités que celui d’un de leurs chefs faisant montre d’une telle maîtrise de soi mêlée de magnanimité patriotique ? Cela était d’autant plus important qu’on ne savait encore comment allait réagir devant une guerre la République fondée lors du précédent conflit : il fallait être prudent et démontrer son esprit national pour ne pas risquer l’interdiction de l’AF ou la saisie du journal.
Faut-il enfin classer dans la propagande le ton général sur lequel Maurras parle de l’Allemagne ? On a tout dit du Maurras germanophobe, et parfois on a trop dit. Il n’en est pas moins vrai qu’il se livre à un exercice qui parait d’assez grande mauvaise foi, même après avoir fait la part de l’excitation générale du moment — Le Temps ou L’Humanité eux mêmes n’étaient pas en reste d’anecdotes propres à rendre l’Allemand odieux dans ces jours d’août 1914. Le ton particulier de Maurras, sa manière excessive de renvoyer l’Allemagne dans une sorte de demi-barbarie, ton dont il ne se départira plus guère après 1918, cela vient sans doute en partie de la guerre précédente : le petit Marras avait grandi dans les années qui suivaient la guerre de 1870, il a plusieurs fois évoqué son horreur d’enfant, la réelle souffrance qu’avait représenté cette guerre pour sa génération, guerre à laquelle on rapportait tous les maux, à commencer par le mal du régime né de la défaite. Le Cyclope, référence elle-même grecque, résume assez bien cette Allemagne romantique contre-classique, pour dire qu’y séviront jusqu’à la perte rage et démesure.
Une formule a résumé toutes ces propagandes, de la grossière mauvaise nouvelle au réflexe culturel le mieux présenté dans ses références : c’était « la guerre du droit ». On considérait d’ailleurs être dans son bon droit des deux côtés du Rhin…