De l’Ordre injuste et du devoir de rébellion

Maurras, chantre et théoricien de l’Ordre, s’efforça toute sa vie d’expliquer la différence entre l’Ordre bienfaisant exercé par un souverain légitime et sa caricature, le césarisme. Contre une tyrannie qui bafouerait les principes supérieurs, « inécrits », de la civilisation, c’est la rébellion qui devient légitime. La figure emblématique d’Antigone a souvent été mise en avant pour nous donner un Maurras faisant de l’Ordre un moyen plus qu’une fin, et justifiant l’insurrection dès lors qu’elle a pour but de rétablir l’Ordre véritable ; ce fut le discours de Pierre Boutang, repris par plusieurs de ses continuateurs.

Cependant Maurras nous a laissé très peu de textes sur Antigone. Rien de comparable avec Jeanne d’Arc ! Nous en connaissons trois : d’abord des extraits d’une lettre à Maurice Barrès, datée de décembre 1905 ; puis un article de 1944 faisant suite à la première représentation de la pièce éponyme de Jean Anouilh ; enfin deux poèmes composés à Riom en 1946.

Ces deux derniers textes ont été réunis dans une plaquette tirée à 320 exemplaires chez un imprimeur de Genève, le jour même du 80e anniversaire de Maurras, le 20 avril 1948. À cette date, Maurras a quitté Riom pour Clairvaux depuis un peu plus d’un an. Contrairement à d’autres publications de ces premières années d’emprisonnement, Antigone Vierge-Mère de l’Ordre est une édition de luxe, soignée et sans coquilles. Continuer la lecture de « De l’Ordre injuste et du devoir de rébellion »

Dissiper les nuées

Même abreuvés d’informations incessantes comme nous le sommes, on imagine mal ce qu’à pu être l’accélération des événements durant l’été 14 : le 18 juin, l’archiduc d’Autriche est assassiné, et pendant plusieurs semaines ce seront accusations, négociations avortées, tensions austro-serbes rapportées au jour le jour par tous les journaux ; le 15 juillet le parlement vote l’impôt sur le revenu, serpent de mer qui a animé la Troisième République pendant des décennies en produisant d’homériques batailles et de sourdes luttes d’influence entre socialistes et radicaux ; le 23 juillet l’Autriche-Hongrie lance son ultimatum à Belgrade ; le 27 juillet voit de considérables manifestations syndicales contre la guerre possible ; le 28 l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie et Henriette Caillaux est acquittée ; les 29 et 30 l’allié russe mobilise ; le 31 l’Allemagne lance un ultimatum à la France ; le 31 toujours Jaurès est assassiné. Le 1er août l’Allemagne déclare la guerre à la Russie ; le 3 l’Allemagne déclare la guerre à la France et elle envahit la Belgique le même jour ; l’Angleterre entre en guerre le 4 août.

On hésite à qualifier le 2 août de journée d’accalmie relative : l’Allemagne n’y déclare la guerre qu’à la Belgique, si l’on peut dire, et la France mobilise mais la nouvelle était connue dès la veille. Ce même jour, dans le tourbillon incessant des nouvelles catastrophiques, alors que la guerre semble inévitable, Maurras choisit pour son article quotidien de revenir sur la mort de Jaurès : on y trouve évidemment de concis propos de circonstance ou des précisions rapides sur l’innocence de l’Action française — le bruit avait courru que Raoul Villain, l’assassin de Jaurés, en était membre, c’était en réalité un ancien membre du Sillon de Marc Sangnier !

Mais pourquoi revenir sur Jaurès ? Continuer la lecture de « Dissiper les nuées »