Les réponses avant la condamnation par Rome

La lecture des textes qui entourent la condamnation de l’Action française par Rome est parfois pénible car il faut y supporter d’invraisemblables fioritures de langue de buis : ce ne sont que dévotions filiales hautement proclamées, cœurs immaculés et autres règnes imminents du Christ dont on voit mal ce qu’ils viennent faire dans un débat simple et somme toute très clair d’idées politiques, sinon pour enrober ou confire dans une religiosité un peu mièvre et toute de mots une certaine hypocrisie. Cette hypocrisie finit d’ailleurs par éclater tant dans les textes d’Andrieu que dans ceux de Pie XI quand on en vient au principal de ce qui est en cause : la personne même de Maurras, accusé d’être un danger pour la jeunesse. On devine presque le sourire las de l’helléniste qui se voyait ainsi appliquer la plus éculée des accusations, celle qui avait servi contre Socrate, et qui se la voyait appliquer avec pour prétextes des phrases fausses ou des citations éhontément tronquées, dont il était, au nom de l’obéissance invoquée et dévoyée, presque interdit de souligner le caractère malhonnête et malveillant, pourtant évident. Continuer la lecture de « Les réponses avant la condamnation par Rome »

Maurras et les quatre États confédérés

L’antisémitisme professé par Charles Maurras tout au long de sa vie est aujourd’hui le principal obstacle à sa réhabilitation. Nous le savons bien, et nous n’entendons pas occulter ce problème.

Il ne s’agit pas seulement de la révision de la parodie de procès qui condamna Maurras en 1945, mais de sa réhabilitation pleine et entière en tant que référence et objet de connaissance, qu’on le considère comme penseur et maître à penser, comme homme de lettres, comme polémiste ou plus simplement comme figure majeure du patrimoine intellectuel national — et international. Continuer la lecture de « Maurras et les quatre États confédérés »

L’Action française contre Marianne

Avant d’être de nos jours le nom d’un hebdomadaire populiste de gauche fondé pour faire pièce à son symétrique de droite, Marianne fut un journal fondé par Gallimard en 1932 et que dirigea jusqu’en 1937 Emmanuel Berl, qui ne rédigeait pas encore les discours du maréchal Pétain… tout cela, comme on pense, est bien oublié.

Marianne était un journal de gauche un brin sentencieux et donneur de leçons comme on savait les faire du temps où le socialisme n’avait pas encore failli aux yeux de tous : ferme soutien du Front populaire, il est encore en 1937 un journal intellectuel qui se veut à la fois révolutionnaire et de fort bonne tenue. On serait tenté d’évoquer les gants couleur beurre frais de Léon Blum si l’encre d’imprimerie ne tachait pas tant. Évoquer la gauche-caviar des intellectuels bien-pensants est un anachronisme, mais parlera sans doute plus aux jeunes générations.

Dans ce journal, alors que Maurras se trouve en prison à la Santé, justement pour s’en être pris vertement à Léon Blum, paraît en 1937 un article de Jules Romains. En temps normal, Maurras l’aurait sans doute relevé en quelques lignes dans sa revue de presse. Mais il est toujours dangereux de jeter les graphomanes en prison : elle peut les vexer sans doute, limiter leurs mouvements c’est certain, mais ils y trouvent tout le loisir de se livrer encore plus qu’à l’ordinaire à leur manie d’écrire. Et Maurras emprisonné arrive à faire passer à L’Action française ses articles, qui sont alors publiés signés d’un pseudonyme : « Pellisson », allusion à un auteur du grand Siècle qui connut lui aussi la prison.

Ainsi l’article de Jules Romains est longuement analysé, avec un mélange d’ironie fine et de comique un peu plus appuyé que ne le pratique Maurras de manière habituelle et sous son nom ; c’est surtout le prétexte à une réflexion sur divers aspects de l’usage de la vérité en matière de journalisme politique, évoquant les cas de Briand, de Berthellot et – encore – de Léon Blum.

Précisons que Jules Romains qui écrivait dans Marianne en 1937 est resté parallèlement membre du comité France-Allemagne jusqu’en 1939, ce qui lui a permis d’être reçu avec les honneurs par le régime nazi. Il restera prudemment sur le continent américain pendant la guerre, puis évoluera vers des positions progressivement de plus en plus conservatrices jusqu’à sa mort en 1971, devenant en particulier l’un des soutiens littéraires de l’Algérie française contre le général De Gaulle.

La raison qui sépara Tite de Bérénice…

Faut-il reproduire les textes antisémites de Maurras ? Par quelque bout qu’on prenne cette question, la réponse est incontestablement oui : un pan entier de son œuvre ne peut être simplement négligé ou passé sous silence.

Nous ne nous faisons cependant pas d’illusions et il arrivera qu’on nous le reprochera.

Du point de vue des maurrassiens, certains trouveront sans doute que ces textes auraient mieux fait de rester sous le boisseau, comme quelque honteuse lèpre entourée, quand on doit l’évoquer, de précautions oratoires, de circonlocutions visant à la minimiser, bardée en prudence supplémentaire de citations contraires tant il est vrai qu’en sélectionnant bien on peut tout faire dire à un auteur. Il convient d’abord de remarquer que ce profil quelque peu bas, à l’évidence fait pour minorer l’accusation d’antisémitisme et ses effets disqualifiants dans le débat intellectuel et politique, a des succès assez mitigés. On ne sache pas que Maurras en passe pour plus fréquentable dans le public ou chez ceux qui forment l’opinion.

De plus, ne pas reproduire ces textes, ce serait laisser quelques maniaques de l’anti-maurrassisme en tirer telle ou telle citation d’apparence furieusement antisémite pour décrire Maurras comme un raciste fou ou comme un précurseur du nazisme.

Il ne s’agit donc pour nous ni de minimiser l’antisémitisme maurrassien, ni de souscrire à sa perpétuelle mise en exergue brouillonne par des idéologues intéressés : fidèles à notre démarche, c’est le retour aux textes mêmes qui nous intéresse, dans leur intégralité et leur précision ; oui Maurras fut antisémite ; non cet antisémitisme n’était pas un racisme au sens génétique que ce mot a pris avec la Seconde Guerre mondiale ; l’antisémitisme de Maurras répond à des conceptions précises, délimitées, politiques d’abord, qui ont à voir avec la manière dont il perçoit les juifs comme un corps étranger dans un État dont il a, à son tour, une conception originale et précise. C’est cela qu’il s’agit de comprendre. Ce recours à la raison, à l’analyse des arguments dans leur contexte, c’est en outre la seule présentation de ces textes qui ne trahisse pas Maurras.

Notre préoccupation est donc celle que mentionne Maurras lui-même quand il invoque dans le texte que nous vous proposons aujourd’hui la raison qui sépare Tite de Bérénice. Car jusque dans l’antisémitisme, Maurras est un impénitent classique : rien ne peut lui être plus étranger que l’utilisation politique de l’accusation d’antisémitisme quand elle agite des émotions, des peurs ou qu’elle vise à mouvoir l’opinion publique en utilisant le pathétique des situations particulières. C’était déjà un enjeu important autour de l’affaire Dreyfus et c’est ce Maurras-là qu’il nous faut comprendre parce qu’historiquement Maurras fut étranger, non à la Seconde Guerre mondiale, mais à la construction a posteriori du discours émotif sur elle. Il est banal de remarquer qu’immédiatement après guerre, même si le drame des déportations et des camps était connu, l’émotion qu’il suscitait n’était pas aussi débordante, omniprésente et partagée qu’elle pourra l’être plus tard dans le vingtième siècle.

Cela vaut a fortiori pour notre texte qui date de 1911, bien avant que l’antisémitisme n’évoque Auschwitz ou Treblinka de manière quasi automatique pour des générations entières.

Si le lecteur veut bien nous accorder tout cela, on ne peut cependant faire comme si « l’Holocauste » n’avait pas eu lieu, n’avait pas été ressenti, et en renvoyer l’émotif ou le pathétique comme oiseux. Qu’on le ressente plus ou moins pour soi, ce pathétique a eu une épaisseur et un poids historiques qui rendent précisément le discours en raison de Maurras difficile à recevoir, et même odieux à certains. Il faut donc poser une autre question, même si elle demeure à bien des égards illégitime : la faillite de la raison occidentale, qu’on a tant cru déceler a posteriori dans l’expérience des camps, aurait-elle atteint Maurras au point qu’il aurait pu renoncer à ce primat de la claire raison qui traverse toute son œuvre ? Chacun répondra. Si notre fréquentation assidue de l’œuvre de Maurras peut avoir ici quelque utilité et au risque de verser un peu dans la fiction maurrassienne, nous nous bornerons à deux remarques, en rappelant que les horreurs de Verdun n’avaient pas eu cet effet d’abandon de la raison sur notre auteur :

  • Insister sur la raison ne signifie pas que les émotions soient du tout méprisables ou que la souffrance qu’a pu produire l’antisémitisme doive être négligée. Chaque chose, aurait sans doute dit Maurras, a sa place assignée, sa légitimité propre et circonscrite. Même dans l’immédiate après-guerre, alors que l’on en était pas encore à pointer l’impossibilité de penser ou d’écrire de la poésie après la « Shoa », il aurait certainement fait porter sa réflexion sur cette nécessaire mise en ordre si le déroulement de la guerre et l’épuration ne lui avaient personnellement assigné une place autre et des préoccupations différentes entre 1944 et sa mort en 1952.
  • Si l’émotion que peut légitimement susciter l’antisémitisme après la Seconde Guerre mondiale aurait sans doute été écartée par Maurras dans sa réflexion, dans la continuation de sa pensée politique — et plusieurs formules dans notre texte prouvent que cette émotion lui était perceptible dès les débats antisémites pourtant bien moins tragiques en 1911 qu’après guerre — il va de soi que sa prise en compte comme un phénomène politique réel, positif, une force avec laquelle compter, aurait retenu toute son attention.

Le duel Maurras-Cassagnac en 1912

Qu’on s’en réjouisse par humanitairerie ou qu’on le regrette en raison des services qu’il pouvait rendre pour contribuer au renouvellement des élites, le duel politique n’est plus dans nos habitudes.

Pourtant le dernier duel politique notable n’est pas si lointain qu’on croit puisqu’il opposa en 1957 Gaston Deferre – alors secrétaire d’État, maire de Marseille et président du groupe socialiste – à René Ribière, député du Val-d’Oise et ancien préfet. Gaston Deferre, qui avait quelque expérience de l’exercice, blessa deux fois son adversaire. Un an plus tard, un duel qui fut le dernier à vraiment faire sensation opposa le marquis de Cuevas à Serge Lifard ; le marquis avait pour l’un de ses deux témoins un personnage qui joue encore un rôle politique important aujourd’hui : Jean-Marie Le Pen.

Pour exotique qu’il nous paraisse, le duel n’est donc pas si loin de nous. Et la vie politique sous la troisième République est remplie de duels : ils n’étaient plus mortels que par accident au début du vingtième siècle – on s’arrêtait au premier sang – et ils n’étaient réprimés que pour la forme et après coup par une légère amende.

Parmi les duellistes forcenés de l’époque, une dynastie à la fois gersoise et bonapartiste se distingue : celle des Granier de Cassagnac. Le grand-père, Bernard Adolphe Granier de Cassagnac, est une personnalité importante du bonapartisme au dix-neuvième siècle et un conseiller influent de Napoléon III. Dès son exil à Bruxelles après Sedan il fonde un premier journal bonapartiste et il redevient rapidement élu républicain du Gers tant il est aimé de ses concitoyens. Il s’était illustré par un duel de jeunesse devenu célèbre : ayant épousé une guadeloupéenne, un journaliste local avait fait un article déplaisant sur son mariage. Cassagnac refit le voyage et tua le journaliste lors d’un duel au pistolet.

Bernard Adolphe meurt en 1880 et laisse quatre fils, dont le plus en vue est Paul Granier de Cassagnac. Journaliste, bonapartiste, il se bat contre tout ce que la profession compte de duellistes, et même un peu au delà. Il est député du Gers comme son père.

Lorsqu’il meurt en 1904, il laisse à ses fils Paul et Guy Granier de Cassagnac une position en vue dans la presse puisqu’ils co-dirigent le journal bonapartiste L’Autorité. Il leur lègue en outre le goût du duel. Paul en particulier, s’il n’égalera pas les records de son père, n’hésitera jamais à se battre.

Or une obscure polémique s’intaure en 1912 entre les frères bonapartistes dans L’Autorité et Maurras dans L’Action française. Cette polémique aboutit à un duel entre Charles Maurras et Paul Granier de Cassagnac fils. L’objet de la discorde ? Maurras et l’A. F. accusaient les Cassagnac de ne poser en anti-républicains que pour mieux accuser l’Action française de nourrir une certaine anarchie, et d’être commandités dans cette action par Arthur Meyer, du Gaulois, qui aurait agi là comme un agent d’Aristide Briand.

La polémique nous paraît aujourd’hui bien banale. Pourtant à la lecture de l’article de Maurras que nous vous proposons aujourd’hui, les deux Cassagnac estimèrent devoir se battre, et le dernier paragraphe du texte de Maurras semble indiquer que lui-même s’attendait à la demande de réparation. Le duel entre Maurras et Paul de Cassagnac eut lieu le 26 février 1912 à Neuilly.

Ajoutons à cette vidéo quelques photos issus du site de la Bibliothèque nationale :

L’Action française du 27 février rend compte du duel de la manière suivante :

Se jugeant offensé par un article de M. Charles Maurras, paru dans L’Action française du 23 février, M. Paul de Cassagnac a prié deux de ses amis, le comte Gilbert de Voisins et le baron de Heeckeren d’Anthès de demander à M. Maurras une réparation par les armes.

M. Charles Maurras a chargé M. Léon de Montesquiou et M. Lucien Moreau de le représenter.

Les quatre témoins se sont réunis aujourd’hui 24 février, et ont jugé la rencontre inévitable. Elle aura lieu après-demain, lundi, 26, dans la matinée.

Les conditions seront les suivantes : Épée réglementaire de combat. Chacun ses armes.
Chemise molle, gants de ville, chaussures à volonté. Reprises de deux minutes. Repos égaux. Quinze mètres derrière chaque combattant. Le terrain gagné restera acquis. Les corps-à-corps sont interdits.

Le combat sera alternativement dirigé par M. de Blest-Gana et par M. Léon de Montesquiou.

Le combat cessera quand l’un des deux candidats sera déclaré, par ses témoins, en état d’infériorité manifeste.

Fait en double, à Paris, le 24 février 1912.

Pour M. Paul de Cassagnac : A. Gilbert de Voisins, Baron De Heeckeren d’Anthès.

Pour M. Charles Maurras : Léon de Montesquiou, Lucien Moreau.

Conformément au procès-verbal ci-dessus, la rencontre a eu lieu, ce matin, aux environs de Paris. À la fin de la première reprise, M. Charles Maurras a été atteint à l’avant-bras d’une plaie pénétrante que ses témoins ont déclaré le mettre dans l’impossibilité de continuer le combat. Les combattants étaient assistés par les docteurs Graziani et Pouliot.

Pour M. Paul de Cassagnac : A. Gilbert de Voisins, Baron De Heeckeren d’Anthès.

Pour M. Charles Maurras : Léon de Montesquiou, Lucien Moreau.

Fait en double, à Paris, le 26 février 1912.

Le combat eut même droit à un court article outre-Atlantique dans le New-York Times (pdf).

Signalons enfin qu’il ne faut pas confondre cette affaire Cassagnac avec une autre, bien plus grave dans les accusations portées, qui opposera L’Action française à Paul de Cassagnac en 1921. Mais la guerre sera passée sur les mœurs journalistiques et à la demande de réparation de Cassagnac, Léon Daudet pourra opposer sans déshonneur un refus poli.