Servitudes et grandeurs de la critique

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Pendant ses premières années d’écriture, les articles que le jeune Charles Maurras publiait dans diverses revues avaient pour première fonction de lui assurer ses fins de mois. Les sujets en étaient variés, mais l’actualité littéraire y tenait naturellement la première place, car telle était la demande des lecteurs et des abonnés.

La fin du dix-neuvième siècle marqua en effet l’apogée fugace de l’écrit, du livre et du journal, du théâtre et à la poésie. L’espace aujourd’hui occupé par le cinéma et la télévision, l’image et l’écran, l’enregis­trement et la communi­cation, demeurait alors propriété sans partage de la littérature. La critique avait de ce fait une position centrale, majeure, et Maurras y acquit rapidement ses galons.

Si bien qu’en 1896, à l’âge de 28 ans, il a assez d’expérience pour rédiger une théorie de la critique. Ce sera fait en une nuit, comme il le racontera beaucoup plus tard. Il lui donne un tour modeste, l’intitulant Prologue d’un essai sur la critique, laissant entendre qu’il ne s’agit que d’un prélude à de plus longs développements, à une Somme qu’on imagine monumentale.

Mais cette Somme, cet Essai ne viendra jamais. Maurras avait fait le tour de la question, et il ne jugea pas nécessaire d’aller au delà de ce Prologue, dont le texte se suffit à lui-même et n’appelle pas de longs développements qui en émousseraient le tranchant. Il a cependant des allures d’inachevé, le huitième et dernier chapitre consacré aux Destinations de la critique se contentant de quelques « fragments », qu’on imagine griffonés au petit matin avant l’heure limite de remise du manuscrit.

Publié dans la Revue encyclopédique Larousse, le Prologue ne reparaîtra que 31 ans plus tard, dans la Revue universelle de Jacques Bainville, puis, comme de nombreux articles de jeunesse de Maurras, sous forme d’édition au tirage limité. Ce sera en 1932, avec une couverture ornée d’un curieux dessin géométrique. Promu alors au rang de texte maurrassien majeur, il sera repris dans les Œuvres capitales puis, à titre posthume, en tête de Critique et Poésie.

La présentation analytique du Prologue annonce quelque peu L’Avenir de l’intelligence, qui suivra six ans plus tard, mais on en retiendra surtout la théorie que Maurras fait du goût, puis du style, pour lequel il se place en continuateur du discours prononcé 143 ans plus tôt par Buffon devant l’Académie française.

Signalons aussi l’article « Maurras critique » d’Antoine Compagnon.