Une nouvelle copie du jeune Maurras

André Chénier a toujours tenu une place importante dans la hiérarchie des « maîtres de la vie d’esprit » de Charles Maurras, qui lui a consacré de nombreuses études.

Le « cahier d’honneur » du collège d’Aix nous révèle que, dès sa quinzième année, le jeune Maurras portait à Chénier un attachement plus que purement scolaire.

La dissertation qu’il a composée sur le thème de La Jeune Captive est datée, d’après la transcription du chanoine Côté, de janvier 1883. Le vieil homme, à qui l’abbé Penon transmit à l’approche de la mort ce précieux document, en a publié le texte quarante ans plus tard dans les Cahiers Charles Maurras ; mais contrairement à la dissertation sur Tacite, nous n’avons pas vu l’original, si tant est qu’il ait été conservé, hypothèse au demeurant fort improbable. Il est donc possible que le texte que nous reproduisons contienne des erreurs de lecture ou de retranscription.

Maurras et la mort du duc d’Orléans

Maurras publie en 1927 un recueil de ses articles sur la mort l’année précédente de Philippe d’Orléans.

L’année 1926 aura été pour Charles Maurras « annus horribilis » : sur un fond d’attaques incessantes du dissident Georges Valois et de sanglants affrontements de rue consécutifs à l’affaire Schrameck, elle commence par la mort du duc d’Orléans pour s’achever par la condamnation vaticane. Le lion Maurras, qui a 58 ans, combat sur tous les fronts, mais il semble désormais acculé à la défensive. Plus agressif que jamais dans ses éditoriaux contre le régime, tentant tant bien que mal de conserver vis à vis de l’Église un ton de déférence contenue, il ne peut se retenir, au sujet de la mort de Philippe VIII, d’exhaler un sentiment aigu de tristesse et d’accablement.

Les deux hommes avaient quasiment le même âge. Quand Maurras se pose en théoricien du royalisme, le Duc d’Orléans est actif depuis quelques années déjà. Ses deux collaborateurs André Buffet et le comte de Lur-Saluces seront les premiers et les principaux contributeurs à l’Enquête sur la Monarchie, dont la parution commence en 1900 dans la Gazette de France. Le 18 août de la même année, le Duc d’Orléans envoie de Marienbad une lettre de soutien au jeune polémiste :

Mon cher Maurras,

C’est avec le plus grand intérêt que j’ai suivi votre enquête sur la Monarchie et lu les déclarations que vous ont faites Buffet et Lur-Saluces.

Tous mes amis peuvent différer sur des nuances d’opinion ou des prévisions de réformes ; c’est leur droit, mais ce qui ressortira désormais, c’est l’unité profonde de la conception royaliste. Elle est réformatrice. Réformer pour conserver, c’est tout mon programme.

Je ne me prononcerai pas sur le détail. Un prince qui aurait la prétention de le régler d’avance serait peu de chose. Un prince qui ne se déclarerait pas sur les principes ne serait rien.

Je me suis déjà expliqué sur quelques questions essentielles à la vitalité du pays. J’ai défendu l’Armée, honneur et sauvegarde de la France. J’ai dénoncé le cosmopolitisme juif et franc-maçon, perte et déshonneur du Pays.

Il en est d’autres sur lesquelles les Français ont le droit de me demander une détermination nette et catégorique.

De ce nombre est celle qui vous tient le plus au cœur : la décentralisation.

La décentralisation ? C’est l’économie, c’est la liberté. C’est le meilleur contrepoids comme la plus solide défense de l’autorité. C’est donc d’elle que dépend l’avenir, le salut de la France.

Aucun pouvoir faible ne saurait décentraliser. Appuyé sur l’Armée nationale, constituant moi-même un pouvoir central énergique et fort, parce que traditionnel, je suis seul en mesure de ramener la vie spontanée dans les villes et les campagnes et d’arracher la France à la compression administrative qui l’étouffe.

La décentralisation dépend en partie du pouvoir royal et du sentiment qui l’anime, comme de la direction que le Roi peut imprimer de lui-même ; mais c’est aussi un problème d’organisation politique et géographique.

J’y donnerai ma première pensée. La question sera mise sur le champ à l’étude, avec la ferme volonté, non pas seulement d’aboutir, mais d’aboutir rapidement. Je tiens à ce qu’on le sache.

Croyez-moi, mon cher Maurras,
Votre affectionné
PHILIPPE

Maurras restera très attaché au duc d’Orléans, lui témoignant une admiration voisine de la piété. Nous en avons donné un aperçu en publiant La Barque et le Drapeau, brochure de 1911. En 1927, Maurras publie Le Tombeau du Prince, recueil d’une quinzaine d’articles parus dans l’Action française au cours des semaines suivant la mort du prétendant, le 28 mars 1926. L’ouvrage est conclu par une synthèse de la vie du prince en exil, sans doute rédigée pour la circonstance, et un récit des cérémonies ayant marqué le premier anniversaire de sa disparition. Il s’en dégage un ton de longue complainte sur les occasions perdues : il eût fait, Maurras ne cesse de le répéter, un si grand roi, et donné un si grand bonheur à la France…

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Le Tombeau du Prince fut publié deux fois : d’une part comme première partie du tome 1 de La Politique de Charles Maurras, recueil d’articles publiés en 1926 et 1927 (il n’y aura jamais de tome 2) ; d’autre part sous forme d’un livre d’art publié chez Jean Variot, bibliophile à Versailles, dont une partie du tirage a été distribuée aux premiers souscripteurs du tome 1 précédemment cité. On y trouve un portrait du prince et un projet de monument funéraire, lithographiés par Pelou-Courbet sur des maquettes de Maxime Real del Sarte.

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Le texte contient de nombreux récits de rencontres avec le duc d’Orléans, qui sont autant de témoignages de la fascination que celui-ci pouvait exercer sur ses visiteurs. Maurras aurait pu y ajouter celui-ci, venant d’un homme méfiant au départ (l’extrait de texte que nous reprenons commence par un évocation de Louis XVI) :

(…) Et c’est le Roi, saint monarque, mais homme faible, qui a laissé tomber sa couronne, et qui nous a livrés à l’émeute, à la terreur, à la tyrannie, à la guerre, et enfin au gouvernement des banquiers, par un acte d’impardonnable bonté. Pourquoi nous a-t-il abandonnés aux Tuileries, nous, le vrai peuple de France ? Il ne voulait pas que le sang coulât pour lui ? Il avait donc oublié que son sang était protection du nôtre ? Je veux bien que nous ayons des torts ; mais nos princes ont les leurs. Je décide donc que, lorsque je serai devant celui qui est aujourd’hui le chef de la maison, il n’y aura dans mon regard aucun regret. Il est notre père ; je ne veux pas être un enfant repentant.

Il ne resta rien de ces pensées lorsque je fus devant le prince. Il entrait chez lui plein de cette majesté simple, alerte, qui est celle que le peuple français aime à trouver chez ses rois ; son visage, encadré d’or roux, était illuminé par un regard jaillissant du bleu limpide de ses yeux. Il serait au milieu d’une foule, vêtu de bure, que l’on irait droit à lui, disant : voici le Roi !

Il avait la main tendue, m’attira à lui, m’embrassa, selon sa coutume. Il m’interrogea sur la France, sur cette partie de France que je connaissais particulièrement. Toutes les questions que je posais la veille étaient résolues, un simple geste de Mgr le duc d’Orléans les avaient tranchées. J’avais adhéré à la monarchie, mais j’étais aujourd’hui conquis par la personne du prince.

Me voici donc prêt pour l’action. Il y a un chef : c’est le chef même de la maison de France. Il est en exil ; mais sur la terre où il doit régner, il y a un chef qui veille à l’action quotidienne, c’est Charles Maurras ; auprès de lui, des hommes ardents, énergiques, chefs eux aussi d’une troupe encore peu nombreuse, mais qui croît déjà rapidement. Objectif : le renversement de la république, et la restauration, nous dirions presque, tant la monarchie nous paraît rajeunie et même jeune, l’instauration de la monarchie. Moyens d’action : refaire un esprit public, d’abord ; ensuite, tous les moyens même légaux. Chefs et troupe : les Français de toute condition ; dès 1906, en effet, l’Action française réunissait des hommes venus de toutes les maisons de France, et tous, qu’ils vinssent de la Sorbonne ou de la rue Grange-aux-Belles, de l’atelier, de la ferme ou du château, avaient répondu à un appel de l’intelligence. (…)

Ce texte publié en 1921 et relatant des faits remontant à 1906 est de Georges Valois, dans son recueil de souvenirs politiques D’un siècle à l’autre. En 1921, Valois dirige la rubrique économique et sociale de l’Action française. Plus tard, séduit par le régime mussolinien, il fait dissidence et, brûlant ce qu’il a adoré, il réserve à l’A.F. les pires de ses invectives. Maurras le lui rend bien : « Gressent-Valois » est le traître, l’homme à abattre, et les noms d’oiseaux qui s’échangent préfigurent les grandes dissidences des années 30. Mais ceci n’enlève rien à son témoignage sur le charme magnétique du duc d’Orléans.

Une rapide analyse lexicale vient illustrer ce qu’une première lecture du Tombeau du Prince laisse percevoir : la primauté du sentiment, de l’attachement charnel à la France et à la personne du prétendant ; le coeur bien avant la raison. Les termes usuels de l’exposé politique maurrassien arrivent, en nombre d’occurrences élémentaires dans le texte, loin derrière :

101
France
94
français, française
82
nation, national, nationalisme, nationaliste

88
Prince
76
Orléans
24
Philippe

37
monarchie, monarchiste, monarchisme
22
royalisme, royaliste
20
royal
11
royauté

39
République, républicain
35
politique
8
démocratie, démocrate

54
cœur
17
raison
6
sang

Peut-on néanmoins en inférer que, pendant plus d’un quart de siècle, les relations entre Maurras et le duc d’Orléans n’ont jamais été empreintes de nuages ? C’est peu vraisemblable, mais Maurras est là-dessus d’une totale discrétion.

xx legend : Portrait du duc d’Orléans, publié en frontispice de l’ouvrage du Docteur Récamier L’âme de l’exilé paru en 1927. Dans cet épais volume de souvenirs, le confident le plus fidèle du duc d’Orléans relate les différentes expéditions du Prince, ses exploits de chasseur, son œuvre d’explorateur et de naturaliste, mais ne dit mot de la politique française.

On sait que dans l’entourage immédiat du Prince, comme dans les milieux où il cherchait à organiser des réseaux de sympathisants, de nombreuses voix regrettaient ou cherchaient à combattre l’influence de Maurras et de ses idées. Lorsqu’elles émanaient de détenteurs de grandes fortunes, leur poids n’était pas négligeable et sur ce point-là, Maurras n’avait pas de quoi rivaliser. Il semble en particulier que l’aventure des Cercles Proudhon ait fortement indisposé certains soutiens conservateurs du duc d’Orléans et que ceci ait conduit Maurras à la plus grande prudence du côté de l’ouverture vers les anarcho-syndicalistes.

Quoi qu’il en soit, et bien qu’étant très lié avec certains cadres d’Action française, comme Maxime Real del Sarte, Philippe VIII n’a jamais choisi ses plus proches conseillers parmi eux. À plusieurs reprises dans ses articles, Maurras évoque des cabales, des calomnies, des attaques, pour les regretter amèrement, mais il n’en dévoile jamais rien.

xx

De même il ne dit rien du mariage du duc d’Orléans. Celui-ci, resté sans descendance, aura mené les vingt dernières années de sa vie d’explorateur au long cours en célibataire, alors que son épouse lui aura survécu de six ans. L’échec de son mariage aura certainement pesé très lourd sur son état d’esprit et ses convictions religieuses, et par ailleurs alimenté bien des ragots et des médisances ; Maurras n’en souffle mot.

C’est en 1896, deux ans après la mort de son père le comte de Paris, que le duc d’Orléans épouse l’archiduchesse Marie-Dorothée de Habsbourg. Ce qui aurait pu être une union conquérante se transforme vite en fiasco. Comme cela a été le cas pour Henri V, l’épouse du prétendant se révèle être stérile ; pire, elle refuse de suivre son époux dans ses voyages et leur séparation devient effective en 1906. Suprême affront, lors de la déclaration de guerre en 1914, elle décide de rester en sa demeure princière de Hongrie, et celui qui reste toujours son mari ne le lui pardonnera pas. De toutes ces épreuves, rien ne transparaît ni dans La Barque et le Drapeau, ni dans le Tombeau du Prince.

Maurras, le fascisme et le nazisme

Merci à notre ami Tony Kunter pour sa critique détaillée de l’article précurseur d’Ernst Nolte sur l’Action française. Nous la reprenons sur notre site avec plaisir.

Cet article, publié en 1961, fut certes vivement contesté dès sa parution, tant pour des raisons d’ordre scientifique que pour ses graves lacunes documentaires ; cependant la thèse qu’il présente est généralement admise depuis, sans discussion, surtout par les historiens et commentateurs qui ne connaissent pas Maurras – c’est à dire, hélas, la majorité d’entre eux.

Pour faire court, d’après Nolte, le fascisme est né en France sous la forme de l’Action française. Et c’est celle-ci qui a inspiré, après la fin de la Grande Guerre, c’est à dire une vingtaine d’années après sa propre apparition, ses avatars italien et allemand. Elle en porte tous les excès et en préfigure toutes les déviances.

Comment une telle absurdité a-t-elle pu survivre, se répandre, prospérer, devenir une norme d’usage ? En premier lieu, bien sur, on voit tout l’avantage qu’un Allemand pouvait y trouver, pour tenter de disculper son camp, ne serait-ce qu’un peu. Mais un tel alibi n’aurait jamais pu porter bien loin s’il n’avait trouvé, en France même, un écho puissant et approbateur.

Le débat mérite certes d’être poussé bien au-delà des calculs de ces « maîtres penseurs » soucieux de n’écrire que « l’Histoire qui sert la bonne cause », c’est-à-dire leur cause à eux. Bien que souvent faiblarde, bien qu’énoncée en un temps où l’historiographie maurrassienne était encore balbutiante, l’argumentation de Nolte vaut d’être analysée et discutée au fond. Mais dans l’ordre du succès des idées, ce n’est pas le fond qui aura été déterminant ; c’est l’aubaine que représentait, pour les partis de la gauche française, la possibilité de se décharger sur un ennemi à terre, incapable de se défendre, du poids de leurs propres turpitudes.

Les communistes avaient à faire oublier un certain Pacte du 23 août 1939 et leur entrée tardive dans la résistance. Les socialistes avaient également beaucoup de choses à se faire pardonner ; la plupart des collaborationnistes n’étaient-ils pas sortis de leurs rangs ? Nolte leur apportait la clef de leurs problèmes, et en plus, c’était une parole d’Allemand ! Les vrais collabos, les seuls à stigmatiser, ce n’était pas eux, c’était l’AF ! Sur les quelques exemples qu’on pouvait trouver, il suffisait de sauter par dessus les années de Cagoule pour les faire passer directement de l’AF au fascisme. Ce qui n’était pas trop difficile à faire, pour des staliniens rompus à l’art délicat de la contrefaçon historique.

Le continuum AF-Vichy-collaboration n’était donc peuplé que de maurrassiens, alors que tous les hommes de gauche étaient dans le bon camp, mieux : ils étaient le bon camp. Ramener l’Affaire Dreyfus à une simple affaire de persécution antisémite allait de soi ; et, de vulgarisation en vulgarité, la thèse de Nolte aboutit en 1981 à celle de BHL, L’Idéologie française, par laquelle Maurras conçut Auschwitz dès avant 1900. Quand on met le doigt dans l’anachronisme, celui-ci ne connaît plus de limites.

Tout ce qui est excessif est-il nécessairement insignifiant ? Ce n’est pas certain, car l’oubli, l’inculture, l’absence de curiosité vis-à-vis des sources, le goût de la facilité et du manichéisme empêchent de voir ce qui est excessif et lui confèrent, à défaut de signifiant, du sens commun.

Aucun sujet n’est tabou, pas plus l’antisémitisme de Maurras, qu’il continua de professer bien après que Bernanos ait déclaré (en 1938) que c’était désormais « une cause qu’Hitler avait déshonorée », que le soutien qu’il apporta au Maréchal. Nous avons pris le parti, sur notre site, de publier les textes en intégralité, dans un esprit scientifique, sans les censurer ni les justifier. Mais qu’il nous soit permis d’affirmer que, par rapport au cœur de l’œuvre maurrassienne, il s’agit de sujets bien mineurs.

Nul certes ne va aujourd’hui camper sur la thèse du « bon antisémitisme », qui serait d’État, opposé au « mauvais antisémitisme », qui serait de peau. Mais qu’au moins l’on ne tombe pas dans le plus naïf des anachronismes. Au moment où Maurras s’ouvre à la vie politique, l’antisémitisme est un sentiment largement partagé, présent dans tous les partis et notamment à gauche ; et si tous les gens célèbres de gauche qui étaient antisémites en 1894 devaient être jetés aux poubelles de l’Histoire bien pensante, beaucoup de boulevards et de larges avenues de nos villes devraient être rebaptisés d’urgence. A contrario, qui pourrait contester que la France ne serait pas couverte de rues Maurras si par malheur celui-ci avait disparu en mai 1940 ?

En contribuant à diffuser l’œuvre de Maurras, nous mettons à disposition de chacun l’un des trésors de la langue et de la littérature françaises ; pourquoi nous priver de ces pages magnifiques, de cette pensée fulgurante, d’une inspiration qui a si profondément marqué son époque ? Oui, pourquoi ?

Mais il y a bien au-delà. Nolte écrivait au temps de la guerre froide. Aujourd’hui, le marxisme est mort, mais le totalitarisme demeure. Il se pare des vertus de la démocratie et de la liberté, envahit et uniformise le monde, nos existences et nos cultures. Les systèmes de pensée qui ne sont pas issus du même tronc, qui ne lui soient pas consanguins, qui peuvent lui être opposés sans vaciller ne sont pas légion. La synthèse maurrassienne, avec les excès qui lui sont consubstantiels, n’est ni holiste, ni individualiste ; c’est un hymne à l’Ordre et à la Beauté, non à l’homme ; à la civilisation, non à la masse ou au marché. Alors, oui, qu’elles sont mesquines, les réserves inspirées, sciemment ou non, par les écrits de Nolte et de ses semblables !

Pour un réveil français

Curieux texte que Pour un réveil français. C’est un livre d’art, sous emboîtage, dont le tirage confidentiel semble avoir été réalisé dans des conditions quasiment clandestines.

D’emblée, la première page de garde nous avertit :

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Le texte lui-même est tant bourré de fautes qu’un errata sur quatre pages y est annexé, et l’errata lui-même fera ultérieurement l’objet d’un rectificatif. Il n’y a pas que des fautes ; il y a des bizarreries qui font penser que le texte a été composé à la main, caractère par caractère, et que le typographe a cherché à économiser ceux-ci en prenant quelque liberté avec les usages. C’est ainsi que « chute » devient partout « chûte », que « cela » devient partout « celà » et que la plupart des « et » sont remplacés par des esperluètes.

L’achevé d’imprimer vient confirmer notre hypothèse, mais ajoute par ailleurs au mystère :

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Or le texte ne peut avoir été imprimé le 25 juin 1943, puisqu’il fait notamment allusion aux débuts de la quatrième république. Plus précisément, Maurras y parle du Comte de Paris en précisant qu’il a quarante ans et onze enfants. Or le Comte de Paris est né en 1908 et son onzième et dernier enfant, le prince Thibaut, est né le 20 septembre 1948. Le tirage n’a donc pu qu’être postérieur.

Pourquoi, à cette date, avoir procédé dans des conditions aussi précaires et avoir cherché à brouiller les pistes ?

Maurras aurait effectivement prononcé en 1943 une conférence sous le titre « Pour un réveil français », qu’il aurait reprise ensuite plusieurs fois. Certains passages du texte pourraient donc bien avoir été rédigés en 1943, conservés puis repris tels quels quelques années plus tard. Quant au numéro « R. 2048 », ce n’est en rien une autorisation d’imprimer, mais le numéro d’écrou de Charles Maurras à la prison de Riom. Le livre contient également une photo, non datée, qui représente Maurras certes âgé, mais en costume de ville, donc peut-être en 1943 :

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Le texte est divisé en cinq parties : seules les seconde, troisième et quatrième sont, dans l’original, numérotées II, III et IV. Elles ne sont pas sous-titrées ; on pourrait les décrire ainsi dans un rapide sommaire :

I — Les origines gauloises et gallo-romaines de la France
II — La formation du génie français et ses spécificités
III — L’œuvre capétienne
IV — Le combat de l’Action française
V — Pourquoi la restauration monarchique est nécessaire.

En tout état de cause, qu’il ait été rédigé en 1943 et retouché en 1948, ou composé en 1948 sur la base de notes prises en 1943, le texte ne manque pas d’unité. Prenant la mesure du désastre de 1940, Maurras se demande comment la France peut renaître, « se réveiller » ; ce qui l’amène à explorer son histoire, ses chutes et ses réveils précédents, en analyser les raisons. En passant, c’est toute sa propre histoire politique et ses engagements qu’il déroule, pour conclure que le retour de la Monarchie traditionnelle reste la meilleure et la seule voie de salut.

Maurras justifie et exalte tous ses combats passés ; il ne regrette rien, ne revient sur rien, reste comme arc-bouté sur les positions qu’il a défendues au long de sa vie. Certains rares passages seraient aujourd’hui censurés ; dans d’autres, Maurras affiche sereinement, du fond de sa prison, la permanence de ses sentiments anti-allemands et va jusqu’à affirmer que la France finira un jour par annexer toute la rive gauche du Rhin. Peut-être autant qu’une réflexion intrinsèquement politique sur les longs cycles historiques, c’est la psychologie d’un Maurras atteignant ses quatre-vingt ans que ce texte illustre ; le souvenir de l’appui apporté au général Mangin et au mouvement séparatiste rhénan du Docteur Dorten, puis le combat pour le maintien de la présence française en Sarre viennent dans son esprit se surimprimer sur la situation de l’Allemagne occupée par les puissances alliées après 1945.

Au cours de ce qui apparaît aussi comme un catéchisme royaliste revisité et écrit dans une langue superbe, Maurras évoque de façon inattendue le rôle central de l’élément féminin dans le génie français, révélant par cet éloge vibrant de la féminité à quel point la troisième république, qu’il a combattue toute sa vie avec toute son énergie, a bien été le régime le plus misogyne que la France ait jamais connu.

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Journées du patrimoine 2007 à Martigues

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Les 15 et 16 septembre 2007, la Mairie de Martigues a ouvert au public l’accès au jardin de la Maison du Chemin de Paradis, à l’occasion des Journées nationales du patrimoine. C’est la première fois que cela se produit depuis que la Maison est devenue propriété communale.

Le succès a été au rendez-vous puisque plus de 200 visiteurs se sont présentés. Même si rien, à l’extérieur, ne signale que la Bastide et son jardin étaient la résidence de Charles Maurras, il n’est plus possible de l’ignorer après un premier aperçu du jardin ; les inscriptions sur le mur des Fastes et sur les stèles aux alentours, les sculptures, le carditaphe, tout indique la farouche volonté de l’ancien propriétaire des lieux à façonner ceux-ci pour qu’ils lui survivent et perpétuent son souvenir.

Maurras écrivait à ce sujet dans une lettre du 20 janvier 1945 :

Je précise encore une fois ma volonté : qu’elle soit sacrée, comme d’un mort. Si je désire l’achèvement de cet ensemble, ce n’est pas pour le voir, ni pour en jouir, mais pour qu’il SOIT, pour qu’il EXISTE, et reste le monument de mon patriotisme municipal.

Certes, les visiteurs n’ont pu pénétrer dans la maison elle-même. Celle-ci n’est actuellement visitable que sur rendez-vous, le mardi uniquement, et pour de très petits groupes qui doivent s’adresser pour ce faire au Musée Ziem de Martigues. Beaucoup l’ont regretté, et nous les comprenons volontiers ! Mais il faut encore attendre pour que la Maison puisse à nouveau accueillir des visiteurs dans de bonnes conditions.

Il est bon d’apporter ici quelques précisions. La Maison du Chemin de Paradis a été victime de deux graves sinistres : d’une part un affaissement de terrain, provoquant des fissures dans les murs porteurs ; d’autre part une invasion de termites qui se sont attaqués à la bibliothèque. Et il faut hélas beaucoup de temps pour diagnostiquer, traiter, réparer, remettre en état, surtout lorsqu’il s’agit d’un bâtiment historique, qui plus est propriété publique.

Il a fallu d’abord comprendre l’origine des fissures. Des carottages ont permis de montrer que la Bastide n’a pas de fondations ; elle a été édifiée sur un affleurement de grès et n’a connu aucun problème de stabilité pendant plus de trois siècles. Mais tout l’écosystème environnant à été bouleversé ces trente dernières années ; l’assèchement des marais salants, l’édification du stade, la construction de pavillons et de leurs voies d’accès tout autour, tout cela a profondément modifié l’écoulement des eaux, et la canicule de 2003 aurait eu à cet égard des conséquences inattendues. Des témoins ont été placés sur chaque fissure pour mesurer et contrôler, quasiment au micron près, leur évolution ; quant au temps nécessaire pour que les architectes des différents services se mettent d’accord, que les budgets soient votés, que les marchés soient passés, on ne le mesure pas à l’aune de l’infiniment petit, mais à celle de l’infiniment grand !

Une centaine de livres environ ont été détruits par les termites avant qu’on ne vide les rayonnages. Heureusement, il ne s’agissait pas de livres précieux ou importants. Les autres ont été stockés dans des cartons, eux-mêmes placés en hauteur sur des tables pour être inaccessibles aux prédateurs. Il faut trois ans de délai pour être certain que le traitement anti-termite est terminé ; nous arrivons prochainement au terme de cette « quarantaine ». Il faudra ensuite refaire à neuf les peintures et les menuiseries, si bien qu’au jour de la réouverture, tout sera plus beau que cela n’a jamais été.

Selon la volonté de Charles Maurras, la bibliothèque sera accessible aux chercheurs. L’inventaire des livres, réalisé au début des années 1990 sur un des tous premiers logiciels de base de données, était donné pour perdu car il était impossible de faire redémarrer l’antique ordinateur et de lire la seule disquette contenant le trésor. Mais après maintes tentatives, le prodige se réalisa, et des magiciens informatiques parvinrent à récupérer les données longtemps endormies. Voilà qui est de bon présage pour la Maison toute entière !

Qu’il soit également précisé ici, avec fermeté, que la coloration politique de la Municipalité de Martigues n’est pour rien dans ces vicissitudes. Au contraire, tout nous laisse penser que nous aurions eu des difficultés sans doute plus sérieuses avec d’autres interlocuteurs. Nous aurons l’occasion de revenir sur la chronologie des événements qui ont amené la cession de la Maison à la Ville de Martigues, lorsque nous évoquerons plus en détail la mémoire du regretté Jacques Maurras, neveu et fils adoptif de Charles Maurras, sans lequel rien n’aurait pu être réalisé.

La nouvelle conservatrice du Musée Ziem, qui sera responsable de la gestion de la Bastide une fois restaurée, du Musée Maurras et de la Bibliothèque Maurras qu’elle abritera, pourra compter sur notre concours et notre dévouement. Quand aura lieu cette réouverture ? Nous ne pouvons encore le préciser exactement, mais nous pouvons d’ores et déjà annoncer que nous préparons un livre qui retracera l’histoire de la Bastide du Chemin de Paradis, depuis sa construction vers 1650 jusqu’à nos jours. Et si la Maison est ouverte avant la parution du livre, nous ne nous en plaindrons pas, nous ferons deux fêtes au lieu d’une !

L’Action française : culture, politique, société

Notre ami Tony Kunter, doctorant à l’université de Toulouse II – Le Mirail, a bien voulu nous transmettre les notes qu’il a prises les 21, 22 et 23 mars 2007 lors du colloque sur « L’Action française : culture, politique, société » organisé à Paris, dans le cadre du Centre d’histoire de l’Institut d’Études Politiques, avec le concours de l’Institut de Recherches Historiques du Septentrion (IRHIS) et du Comité d’Histoire Parlementaire et Politique (CHPP). Nous l’en remercions vivement.

Nous donnons ci-après l’introduction à ces notes. Le document entier peut-être téléchargé sous forme d’un fichier doc ou d’un fichier pdf.

Cette rencontre a pour origine une initiative de Jacques Prévotat (né en 1939 ; professeur d’histoire contemporaine, Lille III) et de Michel Leymarie (né en 1951 ; maître de conférences en histoire contemporaine, Lille III et IEP de Paris). René Rémond (1918-2007) a également largement participé à sa préparation.

Le colloque était annoncé comme le premier d’une série d’au moins trois rencontres. La seconde, prévue à l’horizon du printemps 2008, organisée par Olivier Dard à Metz, se concentrerait sur « l’Action Française et l’étranger », faisant écho à un ouvrage récent. Le troisième colloque (2009) s’attacherait à scruter l’influence du mouvement maurrassien dans le monde des lettres, en référence aux thèses de Pierre-Jean Deschodt et de Stéphane Giocanti.

Deux ans ont été nécessaires à la réalisation de ce colloque. Il faut dire que l’année 2005 avait un sens particulier pour les organisateurs : dix ans après la fin de la thèse de J. Prévotat (Les catholiques et l’Action française, histoire d’une condamnation) ; un an après la publication de son « Que sais-je ? » sur le mouvement d’Action française ; deux décennies après la disparition de Victor Nguyen. Dans le même temps, M. Leymarie terminait les relectures de son Albert Thibaudet, l’outsider du dedans (publié en 2006), qui lui avait donné l’occasion de redécouvrir l’une des rares références substantielles existante sur les idées de Charles Maurras. Enfin, René Rémond, un demi-siècle après la première mouture de sa célèbre étude sur La Droite en France (1954), achevait de se rallier à cette vision multidimensionnelle de l’analyse historique du politique. Toutes les conditions étaient donc réunies pour qu’ait lieu une révision de l’histoire de l’Action française, centrée sur le concept de médiation (héritage, diffusion, réception), approche de pointe en histoire des idées politiques, comme a pu le souligner M. Winock. (…)