L’Embusqué : nous n’avons guère de moyen pour savoir si le titre de cet article dans L’Action française du 27 août 1914, titre que Maurras attribue dans une note des Conditions de la Victoire à Maurice Pujo, a inspiré moins d’un an plus tard Clemenceau pour sa célèbre et redoutée rubrique du « Carnet des embusqués » dans son propre journal.
Pourquoi embusqué ? Parce que c’est ainsi que Maurras voit la position de Georges Clemenceau à l’époque : sans faire partie du gouvernement d’Union sacrée il le soutient en tant qu’homme politique de poids, mais ne se prive pas, à l’abri de son journal, de le critiquer.
Sans doute la position de Clemenceau est un peu équivoque, et il en joue. Mais Maurras lui-même ne se prive pas de critiquer le gouvernement ou de lui donner des avis : le rappel des mésaventures des régiments provençaux calomniés quelques jours plus tôt par le sénateur Gervais et mal défendus par le gouvernement en atteste dans cet article même.
Alors que reproche Maurras à Clemenceau ? Sans doute un peu d’être Clemenceau :
Si je publiais les mêmes renseignements, si j’émettais les mêmes affirmations, si je me permettais, chétif, de critiquer bureaux, ministres, président, d’abord on ne laisserait pas passer cette prose et l’on aurait raison.
Mais il semble que Maurras reproche surtout à Clemenceau le « désordre » qu’il introduit ainsi. Là où Maurras voit dans la guerre un moment restaurateur de l’ordre sous le poids des événements et des périls, une sorte de suspension de la démocratie et de ses nuées dans un moment décisif de réalisme, même si elle reste formellement en place, Clemenceau pense tout autrement et n’entend suspendre des pratiques politiques qui forment son quotidien de parlementaire, de ministrable et de journaliste influent que ce qu’il juge strictement nécessaire à la défense.
On sait que le Tigre changera un peu d’avis plus tard, quand il occupera lui-même le pouvoir, jusqu’à paraître autoritaire à beaucoup…