Chaque ville, comme chaque province, chaque terre dont on se reconnaît être et appartenir, suscite chez ses anciens habitants la nostalgie de ce qu’elle fut au temps de leur enfance, quelle qu’ait été la nature réelle, bénéfique ou malvenue, des transformations opérées dans l’intervalle. Il ne s’agit pas là d’un jugement, même subjectif, mais d’une réalité relevant de la biologie et de la démographie, qu’il faut bien se garder d’interpréter autrement.
Chacune de nos générations aime à dire que Martigues n’est plus Martigues, pour l’avoir oui dire à ses anciens qui l’ont toujours dit, et leurs pères, et les pères de leurs pères, dans tous les siècles. La cité provençale (…) n’aura bientôt plus que deux îlots et trois ponts. J’ai connu trois îlots, quatre ponts. Ceux qui m’ont précédé parlaient de quatre ou cinq îlots et de je ne sais plus combien de ponts fixes et de ponts-levis…
écrit Charles Maurras en 1926 dans un petit article touristico-sociologique intitulé À Martigues et publié par le magazine L’Illustration (numéro 4361 daté du 12 octobre), article qui allait trois ans plus tard servir de trame à un essai plus charpenté, Les Secrets du Soleil, que nous avons naguère publié et commenté. Dans cette première version agrémentée de six aquarelles de l’artiste avignonnais Louis Montagné, celui qu’on peut sans risque désigner comme le plus célèbre et le plus enthousiaste ambassadeur de la ville de Martigues s’adresse à un large public, sans pour autant renoncer à emmener ses lecteurs sur les chemins de l’Histoire et la philosophie. Et, s’il refuse le pessimisme automatique des anciens, il ne peut cacher une certaine inquiétude : l’âme de Martigues est liée depuis des siècles à l’activité des pêcheries, et, si celles-ci en viennent à péricliter, que restera-t-il de cette âme ?
Amis lecteurs, imprimez-donc ce texte et prenez-le avec vous pour aller visiter Martigues ! Vos avis seront sans doute divers, mais vous ne pourrez contester que les vues dépeintes par les six aquarelles se retrouvent peu ou prou dans la réalité d’aujourd’hui, et sans doute penserez-vous comme nous que, moyennant l’achèvement de la restauration de la maison du Chemin de Paradis qui fut la propriété de Charles Maurras, et l’éradication de quelques horreurs datant des décennies de l’après-guerre, la « Venise provençale » possède tous les atouts pour charmer le visiteur et poursuivre sa longue histoire, quel que soit le nombre de ses pêcheurs, de grand comme de petit Art.