À partir du 2 août 1914, des Parisiens ont saccagé les boutiques allemandes et autrichiennes de Paris, en particulier les magasins Maggi. Maurras, dans son article du 3 intitulé « Devant l’ennemi », s’empresse de démentir toute implication de l’A. F. dans ces saccages. S’il n’y a pas de raison de douter de ses dénégations et de celles de Pujo, et s’il n’y avait sans doute pas de camelots en tant que tels parmi les émeutiers, l’A. F. est-elle bien innocente ?
C’est que Daudet, dès janvier 1913, avait lancé une vaste campagne de dénonciation de la société allemande Maggi-Kub. Il l’accusait d’être un nid d’espions et de bénéficier de complicités jusque dans la Sûreté française — on sait que le contentieux entre Daudet et la Sûreté sera durable, et jouera un rôle déterminant après guerre dans l’affaire Philippe Daudet. Le 7 janvier 1913 L’Action française porte en titre « La police parisienne subventionnée par l’espionnage allemand » et met en cause un commissaire de police.
Maggi porte plainte et l’affaire doit être jugée en juillet 1913, cependant le procès traîne en longueur et la guerre éclate un an plus tard sans qu’aucun jugement ait été rendu. Tout au plus les débats montrent-ils que les implantations de Maggi semblent se faire au voisinage des installations militaires. Mais c’est aussi le voisinage des centres urbains et des clients…
Il faudra attendre 1920 pour que Daudet soit condamné pour diffamation ; le jugement reconnaîtra cependant que Maggi a fait preuve d’imprudence « en se donnant les apparences d’une organisation qui devait nécessairement porter ombrage au sentiment français ».
Dès le déclenchement des hostilités, on accuse aussi plus curieusement Maggi et Kub d’utiliser leurs affiches et plaques émaillées publicitaires pour baliser le parcours des troupes allemandes, ou pour indiquer des objectifs importants comme des ponts, au point que le gouvernement ordonne leur destruction par télégramme le 4 août : « Extrême urgence. Intérieur Sûreté à Préfets. Prière faire détruire complètement affiches du Bouillon Kub placées le long des voies ferrées et particulièrement aux abords des ouvrages d’art importants, viaducs, bifurcations, etc. ». La même accusation contre les sociétés allemandes ressurgira en 1940.
Le bouillon Kub fut bien entendu accusé d’être empoisonné et, Maggi détenant des laiteries, beaucoup s’inquiétèrent aussi d’un possible empoisonnement du lait visant d’abord les enfants. Dès le 17 août les premières condamnations des conseils de guerre seront contre des émeutiers qui avaient profité de ces rumeurs pour piller laiteries, magasins et entrepôts alimentaires allemands, ceux de Maggi et Kub en particulier.
On comprend donc que Maurras comme Pujo veuillent, sans désavouer Daudet sur le fond, écarter l’A. F. de cette affaire qui de tout évidence tourne à l’espionnite hystérique quand ce n’est pas au pillage pur et simple. Pas de ça « devant l’ennemi » !