Du vivant de Charles Maurras, la langue française n’était pas attaquée comme elle peut l’être de nos jours par l’hégémonie anglo-américaine. Il n’y avait donc pas là de danger immédiat, et Maurras n’en parlait guère, encore que nous ayons lu, dans un texte publié dans Candide en 1941, une vive attaque contre les anglicismes du langage courant.
« Mais supposons que les lendemains de la victoire soient exploités par une diplomatie intelligente, énergique, bien française, donc pas républicaine… »
Les menaces, c’est naturellement du côté allemand que Maurras et ses amis les voient venir, depuis les toutes premières années du XXe siècle. Le danger ne porte tant sur la langue elle-même, mais sur la philosophie et l’état d’esprit qu’elle véhicule. Nous devons apprendre et enseigner l’allemand, dit en quelque sorte Maurras dans une lettre de novembre 1914, car il nous faut connaître et surveiller notre ennemi, mais nous devons nous garder comme de la peste d’importer, avec sa langue, sa pensée nébuleuse et délétère.
Cependant Maurras va plus loin, et il esquisse une politique de long terme visant à conquérir ou à reconquérir une place centrale pour la langue française dans le vocabulaire technique et les échanges scientifiques internationaux. Tout en rappelant que cela n’est possible que pour un État capable d’inscrire son action dans la durée…
Voilà qui peut paraître chimérique, tant l’emprise universelle de la langue anglaise peut sembler aujourd’hui irréversible. On a du mal à imaginer qu’en 1914, la science européenne était fragmentée en autant d’écoles qu’il y avait de grands pays ou d’Empires ; dans de nombreux domaines, les paradigmes étaient fort différents selon qu’on enseignait à Paris, à Berlin, à Vienne, à Moscou, et même à Constantinople. La Grande Guerre a fait tomber la plupart de ces particularismes ; il a fallu la seconde pour faire tomber à son tour la science française dans le moule international. Mais rien ne permet d’affirmer que l’unité mondiale d’école, de langue et de critères d’évaluation perdurera à jamais. Et si le scénario esquissé par Maurras avait valeur prémonitoire ?