Le Livre d’Or du Jubilé littéraire de Charles Maurras est paru en juillet 1937. C’est un ouvrage de luxe tiré à 341 exemplaires, dont 200 réservés aux souscripteurs qui se sont inscrits pendant l’année 1936 sur une liste de « bienfaiteurs de l’Action française ». Les dates ont une certaine importance, car à quel millésime, 1886 ou 1887, faut-il faire remonter les débuts littéraires de Charles Maurras ?
L’ouvrage s’achève sur la publication des « deux premiers articles de Charles Maurras » et ceux-ci datent de début 1886. Si l’on admet que ce sont les débuts « littéraires » de Charles Maurras, qui allait sur ses 18 ans, alors l’année du jubilé est 1936.
En fait, ces écrits de jeunesse sont deux notes bibliographiques sur des ouvrages de philosophie, l’un de l’abbé B… et l’autre d’Élie Rabier. Leur style, encore très marqué par un mode d’expression scolaire, laisse déjà entrevoir la forte personnalité de leur auteur. Quoi qu’il en soit, ces deux notes ayant été publiées dans une revue, en l’occurrence les Annales de philosophie chrétienne, faisons-en le point de départ puisqu’il en faut un, non seulement du Maurras journaliste, mais aussi du Maurras littérateur.
Voici comment le Livre d’Or présente ces deux textes :
Bachelier de novembre 1885, Charles Maurras était parti pour Paris le premier décembre. Il avait déjà écrit son premier article, et l’avait adressé de Provence aux Annales de philosophie chrétienne, rue Mayet, à Paris, qui firent savoir aussitôt que le manuscrit était retenu. Cette composition scolaire, insérée au numéro de février suivant, n’a que l’intérêt de sa date.
Il en est un peu autrement de l’article paru deux mois plus tard, en avril 1886, qui portait sur un ouvrage de valeur et qui exprimait une réflexion personnelle.
L’auteur des Leçons de philosophie, M. Élie Rabier, alors professeur à Charlemagne, futur inspecteur général, répondit au jeune critique par des explications qui tiennent huit pages. Il eut l’occasion de dire, peu après, qu’on n’avait rien écrit de meilleur sur ses Leçons ; ce Maurras, pensait-il, était quelque vieux thomiste. Quand, l’année suivante, le critique et l’auteur se rencontrèrent, celui-ci, effaré, recula :
— Je ne vous croyais pas si jeune !
Ce début avait été, d’autre part, l’origine d’une démarche flatteuse de Mgr d’Hulst, qui fit convier Charles Maurras aux séances de l’Institut de Saint-Thomas-d’Aquin. Le jeune philosophe s’excusa, jugeant que sa surdité ne lui permettait pas de déférer à cet honneur, auquel il avait été très sensible et qui lui fut un précieux encouragement.
Ce sont ces deux articles que ce livre du Jubilé reproduit.
Mais pour respecter un désir exprimé par l’auteur, l’ordre chronologique en a été interverti et les présentations typographiques exécutées de façons différentes.
Nous avons quant à nous conservé nos conventions typographiques, qui s’appliquent à tous les textes de notre site, et remplacé dans le premier article le nom de l’auteur, M. B…, par son nom complet qui est Bouat ; ce Bouat étant en fait un prêtre, l’abbé Pierre Bouat, sur lequel nous n’avons guère trouvé de renseignements supplémentaires, sinon que son livre décortiqué par le tout jeune Maurras faisait plus de 900 pages.
Quant à M. Élie Rabier (1846–1932), nous savons qu’il était protestant, et qu’entre 1894 et 1902 il fut directeur de l’enseignement secondaire, auprès de Ferdinand Buisson, autre protestant et cible régulière de nombreuses et virulentes attaques de Charles Maurras. Le souvenir de 1886 a sans doute conduit Maurras à davantage de mansuétude vis-à-vis de Rabier, qu’il ne désigne guère quand il s’en prend à l’école de la République. Nous avons cependant repéré une fois son nom, dans la liste des amis du dangereux Buisson, au détour d’un article de L’Almanachde l’Action française de 1928.
Les noms de Bouat de de Rabier reviennent à diverses reprises dans la correspondance de l’époque entre Charles Maurras et l’abbé Penon. Diverses phrases nous font prendre la mesure de l’immense travail de primo-érudition auquel avait du se livrer le tout jeune Maurras pour parfaire sa rédaction. Il sera encore question de Rabier dans leur correspondance de novembre 1926 ; au moment où la condamnation papale menace, Mgr Penon voit dans le texte sur Rabier et dans la réponse de celui-ci un argument de poids pour prouver auprès de ses relations romaines que la philosophie de Maurras, depuis son plus jeune âge, n’a rien d’anti-chrétien et se pose en rempart face aux déviations modernistes.