Durant toute la fin de l’année 1926 et le début de l’année 1927, l’A.F. ne se départira pas d’une idée centrale : c’est une cabale qui, bien menée, à obtenu de Pie XI ce qu’elle n’avait pu obtenir de Pie X avant guerre : la condamnation de l’Action française et de Maurras.
Quelle cabale et dans quel but ? Une cabale pacifiste, répond l’Action française, dont le but ouvert est de désarmer la France et de permettre simultanément à l’Allemagne de réarmer, cabale menée par Briand en France et dont les accords de Locarno d’octobre 1925 étaient le symbole, poursuivis par ceux, informels, de Thoiry en septembre 1926.
Certes, ainsi présentée, la thèse ne tient guère : elle est volontairement simplifiée pour les besoins de la cause afin de frapper les esprits et de faire endosser à Briand, depuis longtemps ennemi de l’A.F., le mauvais rôle d’un génie anti-national.
Mais il faut faire la part du climat de l’époque : l’attitude de Pie XI revient bien, quand on l’analyse, à une alliance avec les briandistes dans le but de ne pas paraître démériter aux côtés du pacifiste professionnel, qui d’ailleurs jouait lui aussi de la simplification outrancière en accusant quiconque le contestait de vouloir la guerre. Le slogan « Poincaré-la-guerre » fut bien inventé en 1914, mais les briandistes ne se privèrent pas de le reprendre et de l’étendre à quiconque semblait seulement penser à écarter Briand de son ministère.
De plus, pour l’A.F. et son passé compliqué avec le Vatican, la tentation du parallèle entre l’avant-guerre et ce qu’ils voyaient se dérouler sous leurs yeux était grande : Pie X avait su résister, Pie XI, exposé aux mêmes demandes, donnait selon les royalistes un coup à la fois rude et incompréhensible à la France, peut-être engagée dans une nouvelle avant-guerre.
Sans doute la cabale a existé. Elle fut d’abord ecclésiastique et catholique, formée des débris du Sillon et des promoteurs de la démocratie-chrétienne souhaitée par Pie XI. Briand et des politiciens anti-cléricaux y ont-ils mis la main ? sans doute aussi : l’A.F. rencontrait en 1925-1926 des succès importants avec les fêtes de Jeanne d’Arc où défilèrent environ trois cent mille sympathisants malgré l’interdiction officielle, une réunion nombreuse autant que symbolique au Mont des Alouettes, diverses manifestations provinciales, l’agitation autour de multiples affaires. C’étaient autant de motifs de préoccupation pour le pouvoir républicain qui ne pouvait que favoriser un coup porté à l’Action française et venu — providentiellement — de Rome.
Qui fut sincère ? qui fut dupe ? Incontestablement Briand est alors au faîte de sa popularité et tire des bénéfices considérables de sa position de ministre de la Paix, ses vastes plans aboutiront en 1928-1929 au « pacte Briand-Kellog » qui aura pour ambition de mettre « la guerre hors-la-loi ». Nous savons, nous, à quoi aboutira cette touchante ambition de paix dans la décennie 1929-1939, comme nous savons que c’est le mécanisme des accords de Locarno qui fournira le déclencheur formel à la guerre, les armées allemandes envahissant la Pologne à laquelle la France est liée par traité… mais à l’époque le prestige de Briand est immense et il en mourra encore tout auréolé en 1932.
Le Vatican tirera-t-il des bénéfices semblables de son alliance contre-nature avec les anti-cléricaux français et républicains ? On ne le voit pas. Dupes donc. Et sincères ? Le numéro de L’Action française dont nous tirons notre texte d’aujourd’hui, réponse de Maurras au discours du nonce qui présentait ses bons vœux à Gaston Doumergue, comporte en bas de la première page une image amusante. Le Sillon, l’Action populaire, les divers secticules démocrates-chrétiens et quelques archevêques demi-habiles avaient repris en chœur une accusation d’immoralité contre l’Action française et son journal : on lui reprochait de passer des annonces de spectacles et littéraires. Peut importait que tous les journaux, y compris ceux proches des accusateurs, en fissent autant ; aussi invraisemblable que fût le reproche, il avait été répercuté par le pape lui-même et était l’un des motifs qui avaient conduit à la condamnation alors prononcée mais dont les documents officiels n’étaient pas encore publiés. Or L’Osservatore Romano avait publié, le 24 décembre 1926 la publicité suivante, que l’A.F. eut la malice de reproduire et de commenter brièvement dans son numéro du 3 janvier :
La « moralité » de L’Osservatore Romano
On se rappelle les prescriptions sévères promulguées par le Saint-Siège et auxquelles tout le clergé, évêques et curés, dans toute l’Europe a fait écho, contre l’immodestie des modes féminines actuelles : jupes courtes (même des fillettes), nudité des bras et de la gorge, etc. L’année du Jubilé, à l’entrée de chacune des grandes basiliques romaines, si nous avons bonne mémoire, un religieux était chargé d’interdire l’accès de l’église aux pèlerines trop peu vêtues et de les semoncer.
Mais ce qui est interdit par le Pape a cependant accès, en image, dans L’Osservatore Romano. On s’étonnera de trouver dans le journal qui a incriminé les innocentes annonces de L’Action française qui, elle, n’est pas un journal religieux, ces jeunes personnes légèrement vêtues et cette autre qui se fait si tendre pour obtenir un parfum qui, dit l’annonce, « est tout poésie et désir ».
Ces vignettes de publicité ont paru dans le numéro du 24 décembre, vigile de Noël.