L’événement qui fut le détonateur de la guerre de 1914, l’assassinat de l’archiduc d’Autriche à Sarajevo, a parfois masqué les causes profondes de la guerre. Souvent, il a aussi fait oublier la chronologie précise des événements qui du 28 juin au 3 août conduiront à la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France.
Durant tout ce long mois de juillet 1914 revenaient en mémoire les événements précédents qui avaient seulement menacé la paix, comme l’affaire Schnaebelé ou l’épisode de la canonnière Panther. L’incertitude domina longtemps et encore le premier août, date de l’article intitulé « Le Moral » que nous vous proposons aujourd’hui, Maurras prend quelques précautions de journaliste qui cherche à se garantir contre le retournement possible des événements.
La mort tragique de Jaurès semblera un coup de théâtre fait pour démentir les derniers espoirs, même si l’on peut douter que sa survie aurait changé grand chose à l’implacable marche des alliances. Cette mort sur laquelle nous reviendrons à l’occasion d’autres articles est connue dans la soirée du 31, alors sans doute que l’article de Maurras est déjà écrit et composé pour le lendemain. C’est du moins ce que semble indiquer le texte qui relate les circonstances de la mort de Jaurès sur la même page que notre article et nie que l’assassin Raoul Villain soit un membre de l’Action française, comme la rumeur en courait à tort — il avait en revanche été militant du Sillon de Marc Sangnier.
À quoi pense donc Maurras dans cet entre-deux où tout a déjà été dit de la guerre presque certaine, mais où l’on veut encore se raccrocher aux derniers espoirs ténus de paix ou espérer un sursis qui permettrait une meilleure préparation ?
Il songe, dans un article où certains accents sont presque intimistes, à son propre sort et au handicap qui lui interdit de mettre ses actes en conformité avec ses déclarations en prenant sa part sinon aux combats, du moins à l’effort militaire de l’arrière où il aurait dû, selon son âge, être mobilisé. Il songe aussi aux membres de l’Action française qui partiront, veut voir en eux les mieux armés moralement des patriotes, et il se souvient sans doute, sans les rappeler explicitement, de ses propres prévisions funestes de l’été 1913 sur les « cinq cent mille jeunes Français couchés froids et sanglants sur leur terre mal défendue ». On sait que le nombre des victimes dépassera de manière inimaginable pour l’époque ce chiffre de cinq cent mille, et que parmi eux l’Action française versera un tribut de sang dont elle ne se remettra jamais tout à fait.