Maurras pourfendeur de la vénalité du régime républicain ? c’est une sorte d’évidence. Mais on oublie souvent, à la faveur de morceaux choisis qui ne font la part qu’aux textes les plus théoriques, que ces critiques sans cesse renouvelées ne sont pas le produit direct des réflexions sur lesquelles elles s’appuient une fois mises en forme. C’est tout au contraire à partir de l’actualité de son temps que Maurras a pu d’abord constater le caractère ploutocratique de la troisième République, aux scandales financiers sans cesse renaissants et retentissants.
Dans son article quotidien du 27 décembre 1930, que nous vous proposons aujourd’hui, il saisit l’actualité pour remonter jusqu’aux premiers scandales : le Panama et l’affaire des décorations. Les décorations, où pour résumer à gros traits le gendre du président Jules Grévy vendait des Légions d’honneur, est le scandale originel : Grévy fut le premier président réellement républicain de cette République qui avait si longtemps hésité à même dire son nom. Le Panama a lui aussi une dimension fondatrice : c’est en exploitant à fond la cause dreyfusienne sous couvert d’appels à la justice que bien des hommes politiques classés parmi les « chéquards » se sont refait une virginité politique, à commencer par Clemenceau.
Fin 1930 c’est l’affaire Oustric qui occupe les esprits depuis la faillite retentissante de la banque Oustric un an plus tôt : quantité de parlementaires et de fonctionnaires du régime sont une fois de plus mis en cause dans ce scandale dont on dira à l’époque qu’il « ne surprend même plus ». Dès 1929 c’est le garde des Sceaux qui tombait et était emprisonné ; en 1930 le scandale commence à se rapprocher d’Aristide Briand avec la mise en cause de son âme damnée, Gilbert-Antoine Peycelon.
On sait les griefs de l’A. F. contre Briand, à la fois l’homme d’un anti-cléricalisme toujours réaffirmé et celui d’un rapprochement paradoxal avec Pie XI au moment de la condamnation, mais surtout l’artisan des rapprochements européens visant avec une fausse naïveté à mettre « la guerre hors-la-loi » et promouvant un désarmement qui assure certes la popularité du « briandisme », mais qui se révélera si lourd de conséquences lointaines à travers le Front populaire que le briandisme préfigure au moins dans leur impuissance commune à envisager la guerre et le réarmement face à l’Allemagne.
L’occasion était donc trop belle, et la charge, menée par L’Action française et le Canard enchaîné, aboutit à mettre en cause la manière étrange dont, contre l’avis des services de l’État, les Affaires étrangères, chasse gardée de Briand, firent tout leur possible pour faire coter en bourse à Paris la société italienne lancée sur le marché financier par la banque Oustric, la S. N. I. A. Viscosa.
Mais Maurras n’en reste pas à l’anecdote d’un énième scandale de cette troisième République : cherchant les causes, il affirme que la démocratie et la ploutocratie sont inséparables, que l’Or fait toujours l’élection puisqu’il fait l’opinion. Cela nous vaut un grand texte politique sur ce thème, texte souvent cité par la suite.
Les scandales de la troisième République qui se survivra encore dix ans d’Oustric en Stavisky font un écho bien affaibli par l’oubli à d’autres scandales financiers, des piastres aux affaires de corruption quasi-institutionnelles des années 1990 dans la Mitterrandie moribonde et la Chiraquie commençante : ainsi Maurras a-t-il été trop optimiste en tenant pour compris « qu’il n’y aura qu’un moyen d’échapper au joug de l’or-métal ou de l’or-papier, maître, maître absolu des démocraties : ce sera le retour au gouvernement dont le suprême titulaire sera désigné par le Sang ».