La France se confond avec la civilisation et ne saurait souffrir la moindre comparaison tant elle se place naturellement au-dessus et en avant des autres nations. Voilà la thèse de cet article paru en 1903 dans La Gazette de France.
On évoquera donc l’un de ces textes de Maurras devenus illisibles et presque ridicules à force d’outrance chauvine et d’étroitesse nationaliste. Les plus charitables feront valoir que ces thèses étaient à la mode à la Belle-Époque et que peu de journaux d’Europe ou des deux Amériques n’en étaient pas abondamment remplis, chacun défendant la prééminence de sa propre culture patriotiquement confondue avec toute l’intelligence du monde.
La réalité est un peu plus complexe. En 1903, ces positions sont très partagées : il s’agit pour Maurras de ne pas laisser la palme du patriotisme sourcilleux, alors moins décriée qu’aujourd’hui et possédant encore une grande vertu politique, à des forces de gauche ou à des modérés. Tout cela est compréhensible et politiquement opportun dans le contexte, déjà, de la montée des tensions qui aboutira à la guerre.
Mais pourquoi reprend-il donc ce texte dans l’Almanach d’A.F. en 1923 ? Si l’on en croit la petite introduction dans l’Almanach, il s’agirait de prouver la fidélité aux principes mis en avant en 1903, qui énonçaient « les principales directions dans lesquelles l’esprit national devait se substituer à l’esprit révolutionnaire ». C’est qu’en 1922, deux événements politiques d’importance ont eu lieu : d’une part la victoire du fascisme italien qui apparaît alors comme un socialisme révolutionnaire préoccupant, d’autre part, en France, l’espoir modéré que suscite la chute de Briand et l’avènement de Poincaré, éternelle incarnation d’une république raisonnable, apaisée et qui s’éloignerait peu à peu des excès révolutionnaires. Léon Daudet avait d’ailleurs puissamment contribué à la chute du gouvernement Briand.
Kiel et Tanger réédité et complété en 1921 avait souligné que la première expérience Poincaré, commencée durant la guerre, avait échoué. Maurras ne sait pas alors que la troisième expérience Poincaré, en 1926, sera interrompue par la maladie malgré la réussite du « Franc Poincaré » qui restera longtemps dans les mémoires populaires. Aussi, il peut espérer dans la deuxième, et croire à l’importance de rappeler ses principes dans l’Almanach qui fait le bilan de 1922 et prépare 1923 : d’abord pour conserver ses troupes qui seraient tentées par un rapprochement excessif avec le régime rendu plus national par la personnalité même de l’homme de l’Union sacrée. Ensuite pour espérer influencer la politique républicaine : on sait que la gauche verra bien les dangers d’une politique nationale menée par Poincaré et que c’est finalement sur le Cartel, qu’il a en partie contribué à susciter, contre lui, que Poincaré échouera en 1924, sa politique de sagesse budgétaire l’ayant rendu impopulaire.