Notre ami Tony Kunter nous livre une nouvelle étude dans laquelle, après avoir dressé un impressionnant panorama des travaux universitaires et des ouvrages consacrés depuis l’origine à Charles Maurras, il tente de dégager les motivations et les déterminants de ces analyses et de leurs auteurs. On se souvient de sa brillante critique des thèses développées par Ernst Nolte ; on retiendra surtout de son texte d’aujourd’hui une interprétation séduisante des points de vue usuellement soutenus aux États-Unis.
Ceux-ci, qui nous semblent bien simplistes, reviennent à faire de Maurras, par son nationalisme, le précurseur et l’inspirateur des autres nationalismes européens du vingtième siècle. Tony Kunter y voit une manifestation d’une défiance générale envers « l’ancien Monde », considéré comme un bloc et porteur des archaïsmes dont le « Nouveau Monde » s’est libéré.
Mais tout comme la tentative de déculpabilisation de l’Allemagne menée par Nolte, la dénonciation américaine d’un nationalisme européen tribal et partagé aura trouvé en France même un écho des plus favorables. Les communistes avaient à faire oublier certain pacte germano-soviétique, et les socialistes à se faire pardonner d’avoir fourni les gros bataillons des intellectuels collaborationnistes. Régentant ensemble l’Université, l’édition et la culture, il leur fallait un bouc émissaire sur qui rejeter toutes leurs turpitudes. Comme les démocrates chrétiens, qui vouaient à Maurras une haine tenace comme seuls les calotins peuvent en concevoir, ne demandaient pas mieux que de les soutenir sur ce point, la cause fut vite entendue, et les travaux étrangers dénonçant Maurras furent reçus comme vérité révelée.
Cependant, peut-on suivre Tony Kunter quand il tente de faire du concept de contre-révolution le point de départ d’une re-découverte de la complexité de Maurras ? Cela mérite discussion. D’une part, s’il est indiscutable que Joseph de Maistre et Louis de Bonald ont compté dans la formation des idées politiques de Maurras, on ne peut en faire des inspirateurs directs et majeurs. Car Maurras ne se réfère guère à leurs continuateurs directs, les légitimistes et les ultramontains du milieu et de la seconde moitié du dix-neuvième siècle ; les « Maîtres » qu’il place au-dessus de tous, ce sont les Auguste Comte, Renan, Sainte-Beuve ou Taine, tous des « modernes ». Et que dire d’Anatole France, de Mistral, voire de Barrès ?
Un autre nom revient souvent dans les travaux des uns et des autres, celui de Georges Sorel. Que celui-ci ait joué un grand rôle, c’est certain. Mais il inspira aussi bien Lénine que Mussolini, et n’eut en tous cas jamais le moindre rapport, la moindre complicité d’esprit ou d’action avec Maurras. De telles associations, placées sous le signe de la contre-révolution ou du pré-fascisme, sont de pures absurdités.
De plus, le mot de contre-révolution a l’inconvénient d’être négatif, de ne se définir que par opposition. Or Maurras n’est jamais meilleur que quand il est positif, quand il crée, synthétise, construit. Des quatre attributs de la Monarchie maurrassienne, le plus faible n’est-il pas l’antiparlementaire ?
Chacun se fera son opinion. Souhaitons en tous cas que Tony Kunter poursuive ses travaux et nous donne encore de nombreuses et fécondes pistes de réflexion !