Au soir de sa vie, Charles Maurras entreprend de mettre de l’ordre dans son œuvre poétique, qui s’est significativement agrandie depuis la parution de La Musique intérieure en 1925.
De là naît son pendant, La Balance Intérieure, qui s’ouvre sur une introduction datée de mars 1944 mais qui ne sera achevée qu’en avril 1952. Certes, la détention de Maurras suffirait à justifier la longueur de cette période de maturation ; mais ce n’est pas dans cette direction qu’il faut chercher. Le Mont de Saturne n’a-t-il pas été écrit lui aussi en détention, mais d’un seul trait, en un temps très court ? C’est dans son for intérieur que Maurras rencontre des difficultés à conclure. Il l’écrit lui-même :
Conçu dans l’onde de ma joie,
Mais du feu de ma peine à grand mal enfanté,
Va, petit livre où te renvoie
L’arcane du destin longuement disputé.
On ne saurait être plus clair : la composition de son ultime Somme Poétique fut pour Maurras une longue et complexe épreuve.
La Musique et la Balance sont deux volumes de taille et de structure comparable : une Préface qui est bien plus que cela, dans laquelle le poète s’étend sur sa conception de son art, sur ses modèles et ses anti-modèles, et une série de poèmes regroupés par époque et par grands thèmes.
La Balance reprend, avec des évolutions, certains morceaux de la Musique ; surtout, elle couvre l’ensemble de la vie poétique de Maurras – plus de soixante ans ! Elle ne se limite donc pas à la période d’après 1925, et on ne peut dès lors la considérer comme une simple suite de la Musique, ni d’ailleurs comme sa refonte. Les deux recueils, expurgés de leurs redondances, seront repris dans les Œuvres capitales, mais sans les préfaces.
La préface de la Balance s’ouvre par de longues considérations sur la Mort et se termine par une sorte de testament de Maurras sur l’Art poétique. C’est à peine si l’auteur mentionne en passant que sa Politique et sa poésie ne sont pas du même ordre et n’obéissent pas aux mêmes exigences ; on est néanmoins frappé par l’hommage sans réserves qu’il rend à la liberté de création du poète, répondant ainsi implicitement aux éloges que lui adressait, juste avant sa propre mort, Guillaume Apollinaire.
Mais si Maurras se montre œcuménique vis-à-vis des poètes, réitérant son admiration pour Verlaine, allant jusqu’à pardonner ses errances à Mallarmé, il garde une rancœur tenace vis-à-vis des hommes qui l’ont durement attaqué au cours de sa double vie de poète et de combattant : Paul Souday, Henri Bremond, Julien Benda en font durement les frais.