Une courte notice de 1894

Tirée du numéro 136 de La Plume (15 décembre 1894, p. 518-519), la courte notice suivante ne peut figurer parmi les œuvres de Charles Maurras, elle n’a ni l’originalité ni les dimensions qui lui permettraient cette ambition. Elle a néanmoins son intérêt ; si Une passade est un peu oubliée, Henry Gauthier-Villars, alias Willy, ne l’est pas : c’est bien le Willy qui épousa Colette puis signa plusieurs de ses ouvrages à défaut de les écrire, qui fut un journaliste brillant et un critique musical ou dramatique aussi avisé que féroce.

Bibliographie

Une passade

Notre collaborateur et ami Henry Gauthier-Villars vient de publier chez Flammarion un petit chef-d’oeuvre, cette Passade qu’il a signée de son pseudonyme habituel et déjà plus qu’à demi célèbre de Willy.

Nous ne parlerons pas de Willy. Willy, ce joli nom correspond dans l’esprit des lecteurs à des images parfaitement arrêtées et d’une netteté entière. Les directeurs de journaux disent déjà aux débutants « Faites-nous du Willy » comme ils demandaient du Janin il y a cinquante ans. Mais Willy vaut mieux que Janin, et Janin n’a d’ailleurs jamais écrit Une passade, ni rien qui vaille ce charmant poème de l’Amour-Esclave.

Une passade est, d’ailleurs, d’un Willy tout neuf, d’un Willy en profondeur, si j’ose ainsi parler. On le connaissait et on l’admirait pour l’agilité de ses sautillements, pour les vastes espaces de pensées qu’il courait en un clin de phrase, en un tour de main, en rien de temps, le nombre de secondes indispensables à la sommaire indication d’un bon calembour. Des calembours métaphysiques, des calembours moraux, Willy en fourmillait dans ses moindres cartons. Mais voici que le moraliste intégral se démasque, et le métaphysicien pur nous apparaît dans les pages d’Une Passade.

Ne riez pas. Il y a là une métaphysique, courte et bonne, d’une des passions essentielles de l’amour, qui, sans conteste, est l’habitude. Il y a une description de l’intérieur (très peu meublé, je le concède, mais la faute n’en est nullement au peintre, à Willy) d’une âme de petite femme.

Puis les jolis paysages de Montmartre ! Les tendres croquis d’anarchistes au café et, par dessus tout, la belle charge (elle était devenue nécessaire), de la jeune grue littéraire coiffée en Botticelli, allongeant des yeux de Lippi, discutant de perversité et de magnificence, et, pour couronne, se distribuant en récompense aux esthètes les mieux aimés des Muses les plus absconses.

Charles Maurras