Des Provençaux accusés de lâcheté, d’avoir cédé devant l’ennemi, de n’avoir pas encaissé le choc des Bavarois ou des Mecklembourgeois, de s’être égaillés comme une nuée de moineaux en abandonnant fusils et couvre-chefs ? Et faussement qui pis est ? Maurras ne pouvait pas laisser calomnier ses compatriotes, d’où cet article du 25 août 1914. Il répond à un article du sénateur Gervais dans Le Matin de la veille : « un incident déplorable s’est produit… La défaillance d’une partie du 15e corps a entraîné la retraite sur toute la ligne ». Or le 15e corps d’armée était essentiellement composé de régiments méridionaux.
Aussitôt cette rupture de l’Union sacrée contre une région accusée tout entière de lâcheté entraîne pétitions de parlementaires et articles indignés où Maurras n’est qu’une voix parmi d’autres. Il a l’avantage d’avoir dénoncé bien avant la guerre la stéréotypique représentation du Midi comme une région ensoleillée, où il fait bon vivre, nécessairement remplie de hâbleurs, incapables de donner de bons soldats, aussi sa voix est-elle peut-être plus autorisée et plus sincère que d’autres. Maurice Maistre, qui a écrit sur l’événement La légende noire du 15e corps met bien en avant cette dimension parisienne et nordiste : « C’était comme une satisfaction, longtemps retenue, de fulminer contre cette Côte d’Azur ensoleillée qui ne pouvait donner de solides soldats ».
Et les faits ? il semble qu’il y ait eu quelques régiments qui ont cédé sous le feu allemand à un moment où l’évidence n’est pas encore acceptée que « le feu tue » dans une France toute à des représentations romantiques de la furia francese qui devrait suffire à faire céder le Boche mieux équipé : un peu de coeur et de courage bien de chez-nous auront raison de la mitraille, aussi dense soit-elle… Mais ces incidents n’ont pas été le fait du 15e corps d’armée tout entier. Il s’est trouvé que ces régiments étaient méridionaux, c’est un fait. Mais ce n’est qu’un fait ; donnons la parole à l’autre historien qui s’est penché sur la question, Jean-Yves Le Naour — Désunion nationale, la légende noire des soldats du midi :
« Les Méridionaux n’ont pas seulement porté la responsabilité de la retraite et des erreurs du haut commandement. Ils ont aussi payé pour leur climat trop clément, pour le fédéralisme des Girondins, pour les galéjades de Tartarin, l’arrivisme de Numa Roumestan, le républicanisme, le radicalisme, le socialisme et l’antimilitarisme. Enfin, ils ont été victimes des préjugés qui, aux yeux de la droite nationaliste, les avaient conduits au bord de la France. »
On le voit, Maurras n’a peut-être pas tout entièrement raison d’accuser les républicains comme dans ses anciennes brochures ou de mettre en cause Gambetta… reste qu’il a bien vu et le danger pour l’armée et le germe de désunion qu’il y avait dans de telles représentations.