À quoi ressemblait un discours de Maurras ? Pas un grand discours vibrant reproduit dans l’AF, mais un de ceux qu’il devait faire plusieurs fois par mois, devant une assistance restreinte ? Eh bien en voilà un, que reproduisait en 1938 L’Étudiant français. Petit discours de circonstance, donné pour un dîner des avocats proches de l’Action française, en février 1938, au restaurant Noël Peters — endroit mémorable s’il en est puisque le homard à l’américaine y fut inventé.
Un tel discours, c’est un mélange des circonstances du moment (ici le dîner des avocats, on parlera donc de droit), d’actualité (le Front populaire continué par Chautemps et les lointaines suites de l’affaire Stavisky), de souvenirs glorieux (l’autre Affaire, fondatrice) et de principes politiques (le rappel à la monarchie) ou moraux (les conditions d’une société juste).
Rien de bien original dira-t-on. Certes, au sens où l’on retrouve les éléments à peu près prévisibles d’un discours politique fait lors d’un dîner où l’on n’est tenu par aucun programme précis ni par aucun propos déterminé. Reste que ce discours de Maurras a quelque chose de très maurrassien, justement. Si on le met en face de ceux faits le même soir par Georges Calzant, par Marie de Roux et par Léon Daudet, excusé mais qui fait lire son intervention, on ne peut se tromper : celui de Maurras est reconnaissable au-delà des éléments qui identifient expressément son auteur.
À quoi cela tient-il ? On pourrait dire que c’est précisément le liant entre ces éléments qui caractérise le discours maurrassien. Ce ciment n’est pas chronologique. Il n’est pas plus logique au sens où l’on verrait se développer point par point un raisonnement précis et suivi. Ce n’est pas non plus une absence de liaison dictée par l’actualité diverse comme elle s’impose à Maurras dans son article quotidien pour le journal. Alors ? Quel est le modèle ? quelle est l’organisation ?
Ce discours, aussi faible soient son étendue et son importance, a ceci de remarquable qu’il suit assez rigoureusement la formule en quatre mouvements issue de la rhétorique classique : un exorde (le premier paragraphe), une narration qui présente la thèse (§ 2-6), une réfutation dont les arguments s’amplifient jusqu’à la guillotine qu’évite Chautemps (au § 16) et qui se poursuit en écartant les objections possibles comme le ferait une réfutation judiciaire (§ 17-19) enfin une vibrante péroraison sur la nécessité de maintenir l’idéal royaliste dans ce qu’il a de plus manifeste : le roi et le sang.
On a tout dit sur Maurras classique, sans doute. Mais il n’est pas inutile, de temps à autre, de redire texte à l’appui combien ce classicisme n’était pas chez lui une clause de style desséché, combien il semble correspondre exactement au mouvement naturel de l’esprit de Maurras. Était-ce inné chez le natif de Martigues, qui vit le jour non loin des ruines antiques de Saint-Blaise ? était-ce acquis chez cet homme éduqué vers 1870-80 dans la culture classique et par d’excellents professeurs ? On n’aura pas la prétention de trancher ici en quelques mots. Mais le fait est là : même pour écrire un petit discours sans grande importance, prononcé entre deux services à table, Maurras le compose, se coule sans effort apparent dans la rhétorique la plus classique, et, finalement, en fait une oeuvre, c’est à dire une totalité qui vise à sa propre perfection.