Avant d’être de nos jours le nom d’un hebdomadaire populiste de gauche fondé pour faire pièce à son symétrique de droite, Marianne fut un journal fondé par Gallimard en 1932 et que dirigea jusqu’en 1937 Emmanuel Berl, qui ne rédigeait pas encore les discours du maréchal Pétain… tout cela, comme on pense, est bien oublié.
Marianne était un journal de gauche un brin sentencieux et donneur de leçons comme on savait les faire du temps où le socialisme n’avait pas encore failli aux yeux de tous : ferme soutien du Front populaire, il est encore en 1937 un journal intellectuel qui se veut à la fois révolutionnaire et de fort bonne tenue. On serait tenté d’évoquer les gants couleur beurre frais de Léon Blum si l’encre d’imprimerie ne tachait pas tant. Évoquer la gauche-caviar des intellectuels bien-pensants est un anachronisme, mais parlera sans doute plus aux jeunes générations.
Dans ce journal, alors que Maurras se trouve en prison à la Santé, justement pour s’en être pris vertement à Léon Blum, paraît en 1937 un article de Jules Romains. En temps normal, Maurras l’aurait sans doute relevé en quelques lignes dans sa revue de presse. Mais il est toujours dangereux de jeter les graphomanes en prison : elle peut les vexer sans doute, limiter leurs mouvements c’est certain, mais ils y trouvent tout le loisir de se livrer encore plus qu’à l’ordinaire à leur manie d’écrire. Et Maurras emprisonné arrive à faire passer à L’Action française ses articles, qui sont alors publiés signés d’un pseudonyme : « Pellisson », allusion à un auteur du grand Siècle qui connut lui aussi la prison.
Ainsi l’article de Jules Romains est longuement analysé, avec un mélange d’ironie fine et de comique un peu plus appuyé que ne le pratique Maurras de manière habituelle et sous son nom ; c’est surtout le prétexte à une réflexion sur divers aspects de l’usage de la vérité en matière de journalisme politique, évoquant les cas de Briand, de Berthellot et – encore – de Léon Blum.
Précisons que Jules Romains qui écrivait dans Marianne en 1937 est resté parallèlement membre du comité France-Allemagne jusqu’en 1939, ce qui lui a permis d’être reçu avec les honneurs par le régime nazi. Il restera prudemment sur le continent américain pendant la guerre, puis évoluera vers des positions progressivement de plus en plus conservatrices jusqu’à sa mort en 1971, devenant en particulier l’un des soutiens littéraires de l’Algérie française contre le général De Gaulle.