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Le 11 juillet 1888, Maurras est reçu à la Société des Félibres de Paris. Il a alors tout juste vingt ans, et réside dans la capitale depuis deux ans et demi ; il y passe son temps dans les bibliothèques et vivote d’articles qu’il donne à L’Observateur français, à La Réforme sociale et à quelques autres revues.
Il est encore totalement inconnu du public, mais pas de la Société des Félibres de Paris ; en effet, quelques mois plus tôt, celle-ci organisait un concours sur Théodore Aubanel. Son choix se porte à l’unanimité sur une contribution montrant un tel niveau de connaissance du sujet que tout le monde est convaincu que le nom du lauréat, Maurras, est un pseudonyme sous lequel se cache quelque vieil érudit.
De cette aventure, le jeune Charles Maurras aura gagné un Premier prix décerné par le Ministère de l’instruction publique, ainsi qu’une invitation à rejoindre la Société des Félibres de Paris, ce qui sera fait ce 11 juillet. Ce soir-là, en l’absence du président Sextius Michel, la séance est animée par M. Maurice Faure, ancien ministre et vice-président du Sénat, alors député de la Drôme. Maurras y prononce, en guise de discours de réception, un éloge en provençal de sa ville de Martigues, à laquelle il attribue trente beautés.
Ce texte paraît d’abord en septembre 1888 dans la Revue félibréenne, puis dans l’Armana Prouvençau pour l’année 1890. Il sortira de l’oubli en 1915 : Maurras rassemble alors, dans L’Étang de Berre, divers textes de jeunesse sur Martigues et la Provence, pour en faire un livre publié au profit des blessés de la guerre. Les Trente Beautés y sont accompagnées de leur traduction en français, augmentée de quelques notes.
Il y aura plusieurs éditions de L’Étang de Berre ; nous reproduisons ici les illustrations parues dans celle de 1927. Comme la plupart des textes de L’Étang de Berre, Les Trente Beautés seront également reprises dans les Œuvres capitales. Enfin, elles auraient été tirées en tract en 1972 par le syndicat d’initiative de Martigues.
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Si la ville de Martigues reprenait aujourd’hui pareille initiative, sans doute lui faudrait-il expliquer, pour se mettre en règle avec les canons du développement durable, que la grande mer ne sert plus d’égout, et que la propreté des rues n’est plus assurée par le seul mistral…
Peut-être également la maxime de Félix Gras :
J’aime mon village mieux que ton village ; j’aime ma Provence mieux que ta province ; j’aime ma France par-dessus tout !
semblera-t-elle aujourd’hui bien chauvine, discriminatoire, voire xénophobe ! Surtout, quand elle est reprise par quelqu’un qui s’appelle Maurras ! Et cependant, ce Félix Gras, qui sera capoulié du Félibrige de 1891 jusqu’à sa mort en 1901, était un Rouge du Midi, républicain convaincu, chantant la geste mélangée des Albigeois et des sans-culottes. Les interdits de notre époque sont décidément bien tortueux.