Le texte des Amants de Venise a d’abord été publié par la revue bimensuelle Minerva, dans les quatre numéros de juillet-août 1902. L’ensemble a ensuite été réuni dans un ouvrage de 274 pages, publié la même année aux éditions Albert Fontemoing, dans une collection reprenant le nom de Minerva. Nous n’en savons pas davantage sur cette première livraison ; la Biblio-Iconographie de Roger Joseph indique qu’il y a eu sept éditions successives, nous vous présentons la huitième :
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Tir à vue sur les Barbares
Charles Maurras n’appréciait guère les Parnassiens.
Née dans les années 1860, cette école de poésie était toujours active et prolixe à l’approche des années 1900, une période où la critique littéraire constituait l’essentiel de l’activité, et des revenus, du jeune Maurras. Les jugements qu’il portait alors sur le Parnasse ne sont donc pas des études sur une œuvre passée dont le temps écoulé a pu mesurer le succès et la portée, mais des réactions à chaud sur des poèmes qui venaient d’être publiés. Et ces jugements ne sont jamais très élogieux. Continuer la lecture de « Tir à vue sur les Barbares »
Jaurès, la Grande Mademoiselle
Jean Jaurès, qui a son avenue dans toutes les villes de France, est un mythe officiel, une statue du Commandeur, une référence omniprésente ; mais qui sait au juste ce qu’il fut, ce qu’il réalisa ?
Les points de repère sont rares. Jaurès n’a jamais été à la tête de l’État, il n’a jamais même été ministre. Il n’a pas tenté de prendre le pouvoir. Il ne laisse aucun livre culte, aucune poésie que tout un chacun a pu apprendre à l’école. On est bien en peine de citer quelque chose de lui, ou de lui attribuer quelque événement symbolique ; pas de bataille d’Hernani, ni de « J’accuse », ni de Déjeuner sur l’herbe. Les mines de Carmaux, la Verrerie ouvrière d’Albi, voilà qui relève plus du fait divers local que de la secousse planétaire. Alors, d’où vient la légende ? Continuer la lecture de « Jaurès, la Grande Mademoiselle »
Quand une bonne idée ne mène à rien
Qui n’a pas eu un jour, au hasard d’une lecture, d’une conversation, d’une pensée vagabonde, l’idée fugitive d’un beau principe universel éclairant les mystères du monde ? Et si ce principe, devenant central, puis devenu fondamental, se révèle d’une puissance et d’une portée inégalables, proposant en chaque circonstance, bonne ou mauvaise fortune, victoire ou chute, attirance ou répulsion, une explication convaincante et argumentée ?
Cela peut durer un moment, jusqu’à la folie de l’inventeur qui s’en est fait un système démiurgique et tente de l’imposer à l’entendement de ses semblables, ou jusqu’au trivial réveil qui dissipe les brumes d’un rêve trop bien agencé. Cela peut aussi ne jamais finir, et se métamorphoser sans cesse pour nourrir de nouvelles chimères.
Un certain Jules de Gaultier, critique et essayiste né en 1858, crut ainsi avoir trouvé la pierre philosophale dans l’œuvre de Flaubert. Du personnage d’Emma Bovary, il inventa le concept de bovarysme, le fait de se penser autre que ce qu’on est réellement, et entreprit de l’appliquer à toutes choses et en tous lieux.
Maurras commente avec une sympathie amusée ce Bovarysme publié en 1902, après un premier essai écrit dix ans plus tôt et intitulé Le Bovarysme, la psychologie dans l’œuvre de Flaubert.
À une époque où Spencer (que Maurras a étudié très jeune) s’est déjà longuement penché sur le sujet du dédoublement de la personnalité, mais où les acquis de la psychanalyse restent encore à venir, Maurras accorde à Jules de Gaultier un crédit d’estime : voilà un petit livre qui intéressera quinze à vingt personnes. Au passage, il délivre un satisfecit à l’auteur pour ses incidentes sur l’immigration : une société (la France) qui en vient à se penser à travers l’autre (les arrivants de fraîche date) cède toute entière au bovarysme et ne se maîtrise plus.
Voilà qui rejoint ce que Maurras appelle sa « théorie des Métèques ». Mais Jules de Gaultier n’en tire pas de conclusion politique ; et il dévie sur des considérations encore plus globales. Et comme qui trop embrasse, mal étreint, le « Grand Tout » se réduit à un vain petit rien, et son Bovarysme appliqué à chaque élément de l’Univers se dégonfle comme une baudruche crevée.
L’article de Maurras paraît dans la Gazette de France du 24 août 1902, et sera repris en 1925 dans le recueil Barbarie et Poésie sous le titre D’Emma Bovary au Grand Tout.
Maurras justifie ce choix dans sa Préface :
J’ai mêlé aux morceaux de critique […] des réflexions […] propres à élucider l’esprit de ces vieilles campagnes dont les prétextes renaissent toujours. Quelques études, fantaisies, parfois simples exercices de logique élémentaire, aideront à ce résultat, je l’espère ; qu’ils traitent du plagiat en littérature, de la longévité des membres de l’Académie française ou de l’essai de cosmologie générale qui prit pour centre une héroïne de Gustave Flaubert, la variété des points de vue successifs permettra au regard de mieux fixer l’objet.
Exécution en règle du romantisme hugolien
Ce texte n’aura connu qu’une diffusion restreinte, bien que ce soit l’un de ceux où Charles Maurras s’exprime le plus complètement et le plus clairement sur sa conception des rapports entre classicisme et romantisme, bien que ce soit aussi l’un des rares endroits où Maurras exécute le romantisme en tant qu’art poétique pur, c’est-à-dire en n’y faisant pratiquement aucune référence ni à l’Allemagne, ni à la Révolution.
Le texte original paraît en trois livraisons, dans la Gazette de France, au moment des festivités du centenaire de Hugo, de novembre 1901 à février 1902, sous les titres :
- Protozoaire ou vertébré : à propos de Victor Hugo ;
- Hugo ;
- Nouvelle réplique, ou la journée de Victor Hugo.
Les trois articles, rebaptisés Avant la fête, Pendant la fête et Après la fête, ne seront réunis et publiés qu’en juillet 1926, dans une petite brochure qui prend le titre Lorsque Hugo eut les cent ans.
Maurras y adjoint un épilogue, curieusement daté « du milieu du vingtième siècle ».
Le premier tirage est confidentiel ; il porte la mention d’éditeur « Chez Madame Lesage, à Paris ». Un second tirage, cette fois de 1500 exemplaires, paraît en Janvier 1927, avec la mention « Chez Marcelle Lesage ».
En 1932, le Dictionnaire politique et critique en reprendra quelques extraits. Enfin, une partie du texte est reprise dans le tome 3 des Œuvres capitales, dans le chapitre Bons et mauvais Maîtres. Maurras y a entièrement supprimé le second article, fait quelques coupes dans le premier, procédé ailleurs à des retouches de détail, et ajouté de nouvelles notes.