De par les résultats acquis, de par la valeur éprouvée de son fondateur, l’école romane est plus intéressante bien que MM. Moréas et Maurras aient fait, inconsciemment, et à maintes reprises, le possible pour empêcher qu’elle réussisse.
M. Moréas est un excellent poète ; nous l’avons dit plusieurs fois et nous nous plaisons à le répéter mais il est un exécrable théoricien absolument dépourvu d’idées générales. Les Premières armes du symbolisme, la préface du Pèlerin passionné viennent à l’appui de notre dire aussi bien que tel article du Figaro (toujours la réclame) par où M. Moréas voulut répondre aux attaques de M. Fouquier — comme si l’on répondait à un Fouquier ! Il était dit notamment dans cet article « Le symbolisme que j’ai en partie inventé…, le symbolisme est mort. »
Hé non, M. Moréas, vous n’avez rien inventé du tout. — D’abord parce que de tous les poètes qu’on s’est plu à ranger parmi les symbolistes, vous êtes bien le moins symboliste qu’on puisse voir. Allégoriste si l’on veut, oui, et rien de plus. D’abord, votre admirable rhétorique confinée dans le domaine du sentiment pur ignore trop toute émotion profonde, est trop en dehors de la sensation et de l’idée pour avoir jamais pu prétendre à ériger des symboles. Ensuite, le symbolisme comporte un trop grand nombre de personnalités divergentes et aussi intéressantes que la vôtre pour que vous ayez sujet de déclarer qu’il est mort. D’abord qu’est-ce que le symbolisme ? Si l’on interrogeait séparément chacun des poètes dits symbolistes, il est à croire qu’on obtiendrait autant de définitions qu’il y aurait d’individus interrogés. Aucun de nos confrères ne nous démentira à cet égard. Pour nous, nous ne considérons le terme de symbolisme que comme une étiquette désignant les poètes idéalistes de notre génération ; c’est une épithète commode et rien de plus. — L’art n’a rien à voir avec les étiquettes et les écoles, l’art c’est la vie vue en rêve, et non le symbolisme ou le romanisme.
Mais vous, mal content de n’être qu’un très bon poète vous avez cru devoir vous affubler d’un plumet roman. — Parce que vous vous efforcez à une laborieuse marqueterie où des mots du XVIe siècle s’enchâssent de mots du XIIIe parce que vous déployez à nouveau les guenilles de la défroque mythologique ; parce que vous restituez aux fleuves de la Russie méridionale leurs noms anciens ; parce que, surtout, vous avez dévoyé quelques charmants poètes non dépourvus de talent mais qui depuis qu’ils vous fréquentent refont Galatée, et emploient comme vous les vocabulaires périmés, les paillons mythologiques l’Arax et le Strimon, pour toutes ces raisons, ne croyez pas avoir fondé une école. — Tout au plus restera-t-il de votre tentative une sorte de Parnasse plus ennuyeux et plus mort que le premier. Quant à vos disciples quand ils seront las de vous donner du laurier et de clamer que si vous les accueillez au rang de vos poètes, leur front démesuré atteindra jusqu’aux cieux, ceux qui auront quelque fleur bien personnelle à cultiver retourneront dans leur jardin et vous laisseront seul animer les échos de votre Olympe déserté, — Les autres…, ce n’est pas la peine d’en parler ; ils seront votre école.
On est particulièrement peiné de voir M. Maurras employer son talent juvénil au los de l’école romane d’autant que cet écrivain aggrave son cas d’un rêve d’alliance entre M. Moréas et le félibrige.
M. Maurras, dernièrement, dans l’Ermitage nous prit à partie au sujet de nos prétendues tendances germaniques. Il négligea du reste de réfuter les arguments d’un article sur la question que nous avons publié ici-même en août dernier, et s’est contenté d’affirmer à nouveau et sans démonstration probante que Shakespeare représentait évidemment l’aboutissement de la Renaissance italienne et de déplorer notre penchant vers Siegfried et Brunehild. Il crut aussi pouvoir s’autoriser de certaines réponses de M. Oscar Wilde à un journaliste pour déclarer que ce poète applaudissait au romanisme. Comment M. Maurras ne s’est-il pas aperçu que M. Wilde avait très spirituellement plaisanté son interlocuteur ? Quant à l’opinion de M. Wilde sur l’école romane, nous pouvons avec presque certitude, nous porter garant qu’elle est loin de lui être sympathique. M. Maurras n’a sans doute jamais entendu dire, à M. Wilde parlant des théories de M. Moréas : « Oh ! ce n’est pas intéressant ! »
Nous concéderons à M. Maurras ceci : actuellement, un écrivain de talent ou de génie et de sang plus ou moins germanique n’est tout à fait complet que par une éducation gréco-latine ; mais de la plus forte part de son talent ou de son génie, il sera toujours redevable à son origine d’homme du nord. — Le midi pur ne donne (toujours actuellement et à peu d’exceptions prés) que des rhéteurs ou des adaptateurs habiles. Quant aux félibres, on peut les diviser en deux catégories. Les uns, patoisants honorables, produisent des poèmes égaux en intérêt aux poèmes bretons ou picards. Les autres ne sont que des entrepreneurs de tutupanpan.
Il n’y a qu’une langue en France, le Français. Et la meilleure preuve, c’est que M. Maurras lui-même écrit en français les Quatre âmes de mon pays qui sont une chose exquise.
M. Maurras devrait donc parachever cette œuvre au lieu de s’employer à réunir des brebis derrière la houlette de ce pasteur de l’Hymette : notre ami Moréas. Qu’il se pénètre de cette vérité au Nord comme au Midi, il n’y a pas d’écoles, il y a des individus.
M. Maurras a interrogé Pythéas afin de nous confondre ; nous, nous avons interrogé la grande Muse éternelle : « Déesse, lui disions-nous, est-il vrai que désormais les poètes devront élire l’un d’entre eux pour roi afin que celui-ci leur départisse les vêtements dont il ne voudra plus et les fasse obéir au geste de son sceptre ? Est-il vrai qu’il faut fonder des écoles ? »
Mais la grande Muse étoilée ne répondit rien. Un sourire dédaigneux fleurissait sur ses lèvres et ses regards terribles restèrent perdus vers les profondeurs éthérées.
Adolphe Retté.