Maurice du Plessys

C’est Maurice du Plessys que Paul Verlaine prend à témoin en 1888 dans Amour :

Et, n’est-ce pas, bon juge, et fier ! mon du Plessys,
Qu’en l’amer combat que la gloire revendique,
L’Honneur a triomphé de sorte magnifique ?

Bien qu’il ait publié jusqu’à sa mort en 1924, Maurice du Plessys fait aujourd’hui partie de la cohorte des poètes oubliés auxquels Maurras a consacré quelques textes. Celui que nous vous proposons aujourd’hui est paru en 1897 dans la Revue encyclopédique Larousse. La raison de cet intérêt pour du Plessys est simple : poète honorable mais infiniment moins connu qu’un Verlaine ou un Valéry, il faisait partie du petit cercle réuni autour de Jean Moréas vers 1890 et qu’on appela l’École romane à partir de 1891-92.

Sans en faire à proprement parler partie comme un poète établi, Maurras écrivait alors déjà des vers, défendit le petit cénacle à de multiples reprises dans les combats littéraires de l’époque, et nos lecteurs réguliers savent combien la figure de Moréas et son esthétique furent alors importantes pour Charles Maurras : même longtemps après, il y a peu de textes traitant de poésie où Maurras ne revient pas d’une manière ou d’une autre à ces années aux côtés de « l’Athénien honneur des Gaules », Moréas, années où il connut Maurice du Plessys.

François Villon, poète contemporain de tous les âges

Sait-on que Maurras se qualifiait lui-même de « vieux Villonniste », de « vieil amoureux opiniâtre de Villon » ? Pourtant, il n’était guère porté sur l’argot ni sur l’apologie de la pègre ou du scandale, étiquettes que l’on colle aujourd’hui, très systématiquement, sur l’auteur de la Ballade des pendus.

Eh bien, justement, répond Maurras. Amoureux et admirateur du poète éternel, il vitupère les dérives romantiques et académiques de ces critiques qui nous ont fabriqué un faux Villon sur le modèle de Jean Valjean, pour le noyer ensuite sous des flots d’intellectualisme obtus.

Contre les cuistres qui sanctifient le truand mais ignorent le poète, contre les Trissotins qui comptent et analysent les gros mots mais restent insensibles à la musique du vers, Maurras reprend des thématiques développées dans le Prologue d’un essai sur la critique : la dissection d’un texte devient perverse dès lors que, de moyen de mieux comprendre pour mieux apprécier, elle devient une fin, un simple exercice mimétique requis par les canons de la mode et les codes du pouvoir intellectuel.

L’occasion de cette diatribe lui est fournie par la parution, en 1913, d’un ouvrage de l’érudit Pierre Champion : François Villon, sa vie et son œuvre. Maurras est enthousiaste, et livre ses impressions dans un article paru dans L’Action française du 25 septembre 1913 sous le titre « L’historien de François Villon », article repris en 1934 dans le Dictionnaire politique et critique.

Et si Maurras y est amené à reprendre la trame de son Prologue, lequel est à cette date inconnu du public puisqu’il n’est pas reparu depuis sa première publication confidentielle en 1896, c’est que Pierre Champion fait dans son livre l’éloge appuyé de Marcel Schwob. Or Maurras confesse ne pas aimer Schwob ; s’il lui reconnaît de grands mérites, il lui fait le grief rédhibitoire de préférer le détail scandaleux et accessoire à l’essentiel, puis d’en faire gloire et commerce.

Marcel Schwob, mort huit ans auparavant, peut en effet être considéré comme l’inspirateur d’une certaine villonomania (laquelle ne cède en rien à la rimbaldomania), qui fait que les seuls poètes qui se vendent encore un peu aujourd’hui sont ceux dont le nom est auréolé d’un parfum sulfureux… Cependant Maurras n’est-il pas là quelque peu excessif ? Quand il s’en prend à Schwob, ne s’en prend-il pas d’abord à lui-même, lui qui ne parvient pas, malgré ses raisonnements et ses dénégations, à se départir de la fascination qu’il éprouve depuis son plus jeune âge pour Les Fleurs du mal ?

Sainte Beuve, qui clôt l’article, y semble omniprésent, et se pose en tous cas en arbitre de la querelle. Le saintebeuvisme est un art bien difficile, qui doit être manipulé avec précautions !

Avec ou sans Ferdinand Brunetière, sur le chemin critique

En 1896, au moment où Maurras publie son Prologue d’un essai sur la critique, la référence incontournable en la matière s’appelle Ferdinand Brunetière. Ce personnage haut en couleurs, bien oublié de nos jours, dirige alors la Revue des deux mondes depuis près de vingt ans. Académicien, professeur à l’École normale supérieure, il est l’auteur d’une multitude de volumineux ouvrages qui font autorité. Maurras, pourtant, ne lui consacre qu’un paragraphe du Prologue, et c’est pour som­mairement l’exécuter.

Brunetière développe alors une vision générale de la littérature qui s’inspire du darwinisme ; ce que Zola cherchait à fonder pour l’expression littéraire elle-même, Brunetière l’étend au discours sur la littérature toute entière et sur son histoire. Inutile de préciser que tout ceci est loin de convaincre Maurras. Mais cela vaut-il d’y consacrer de longs développements ?

Le déclencheur viendra un peu plus tard, lorsque Brunetière annonce qu’il se rapproche de la foi. En fait il se rallie à la démocratie chrétienne naissante, lui apportant un renfort de poids qui en modifie le centre de gravité. D’ailleurs, les écrits de Brunetière qui sont aujourd’hui aisément accessibles sont ceux de ses dernières années (il mourra en 1906), consacrés à son cheminement vers la croyance et à la traduction politique qui en découle.

Maurras fait alors paraître le 14 janvier 1899 dans la Revue encyclopédique Larousse une étude circonstanciée, La Décadence de M. Ferdinand Brunetière vue de la fin du siècle, dans laquelle il reconnaît certains mérites à Brunetière, bien qu’il y proclame également que celui-ci n’a ni goût ni jugement, ce qui est pour le moins sévère s’agissant d’un critique !

Mais au-delà des termes de cette décadence, qui donne en passant à Maurras l’occasion de régler leur compte aux Parnassiens, ce texte contient nombre d’éléments qui viennent compléter le Prologue et annoncer L’Avenir de l’intelligence, si bien qu’il sera ensuite republié à diverses reprises, même si entre temps Brunetière est tombé dans l’oubli.

Il reparaîtra ainsi, d’abord en 1913 dans l’ouvrage Charles Maurras et la Critique des lettres, préfacé par Henri Clouard, avec deux autres études consacrées à Barrès et à Verlaine, puis en 1923 dans le recueil L’Allée des philosophes, enfin sous une forme réduite des deux tiers, dans les Œuvres capitales, sous le titre Brunetière ou le faux critique.

Un obscur recoin réservé à l’espoir

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Pendant les années d’occupation, la production journalistique de Charles Maurras se réduit ; le papier manque, et la censure est omniprésente. La rareté fournit l’occasion de prendre un certain recul avec une actualité dramatique, pour toujours y revenir avec un message d’unité et d’espoir.

Ainsi, le 29 septembre 1943, Maurras publie dans Candide le récit d’une histoire vécue dans son jardin de Martigues, la réapparition subite d’un fruit merveilleux dont on croyait l’arbre porteur perdu à jamais ; c’est l’« Apologue sous un figuier ».

La Providence s’y laisse prendre à faire aux mortels un don gratuit et inattendu, heurtant frontalement toute la mystique de l’action que Maurras enseigne depuis des années. À celui qui prêche un engagement incessant, affirmant qu’aucun effort n’est vain mais que sans effort aucun résultat ne sera obtenu, voilà que la nature et le Hasard viennent combler l’oisif de bienfaits inespérés. Il y faut une leçon tout de même, et ce sera, comme le croyaient les Anciens, la grâce qui finira par émerger de la barbarie pour sourire au « misérable peuple des hommes ».

En 1949, cet article est réédité avec quelques autres productions des mêmes années dans un recueil à faible tirage, Inscriptions sur nos ruines, sous le nouveau titre La Figue-Palme.