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Les Trois Aspects du président Wilson
III
L'ARMISTICE

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Au fait par le droit
25 novembre 1918

C'est au cri de Justice ! Justice ! qu'il faudra acclamer le président Wilson à son arrivée en Europe.

Nous ne croyons pas, nous n'avons jamais cru, en ce qui nous concerne, à l'opposition radicale, à la contradiction intime et directe des diverses idées sur lesquelles le genre humain a vécu. On peut très bien vouloir le Salut public et ne rien enlever à l'idée de Justice, on peut être un ardent sectateur de l'Ordre public sans rien vouloir envier à la notion de la Vérité, tout au contraire ! Le cas est fréquent où le soin des intérêts les plus généraux de l'Homme concorde point par point avec les préoccupations du patriotisme concret.

Nous en sommes là en ce qui concerne la guerre. Nous pouvons généraliser hardiment. Nous pouvons élever les questions à leurs termes les plus indépendants et les plus exempts de toutes servitudes françaises. Nous pouvons en traiter comme s'il s'agissait de Hurons ou de Patagons ; de toute façon, les principes restent avec nous et militent pour nous. Un dommage gratuit nous a été fait. On nous a attaqués. On nous a envahis, nous n'avons aucune responsabilité ni grande ni petite dans les affreux dommages qui nous ont été faits. Il faut réparer ce dommage. Que la France soit grande ou petite, bonne on mauvaise et digne en elle-même d'estime ou d'aversion, ces modalités ne font rien à l'affaire : on nous doit, on doit nous payer.

Sans quoi, ayant été lésés, nous resterons endommagés et le dommage immense ne sera pas réparé, ce qui fera une offense flagrante au « droit » dont on nous annonçait sur tous les tons le règne ! Non pas au nom du patriotisme, mais au nom du Droit, non pas au nom de la France martyre, mais au nom de l'Humanité offensée, nous demandons ce qui est demandé dans tous les cas des particuliers molestés.

Dans l'ancien droit public de l'Europe, il était reconnu que la guerre payait ceux qui avaient eu la peine et fait l'effort d'en dicter la fin. On veut imaginer des principes plus jeunes, des lois d'une tradition plus récente. On veut porter l'argument final devant un tribunal international où l'idée de puissance sera sacrifiée à l'idée de justice. Ce nouveau système ne touche en rien au fond des choses, n'y ajoute rien, n'en retranche rien.

Au lieu de réclamer aux Allemands en tant que notre vaincu de juillet-novembre 1918, il s'agira de faire rendre gorge au demi-vainqueur d'août 1914-juillet 1918, et cela reviendra absolument au même. Par quelque bout qu'on l'entame, de quelque instance militaire ou judiciaire qu'on le poursuive, que l'on parle paix de justice ou paix de puissance, le résultat ne change point. La situation matérielle et la situation morale contiennent les mêmes avantages pour nous.

Soyons aussi ardents, aussi énergiques, aussi sages que nos ennemis ; ils ont joué des principes démocratiques et de l'évangile de M. Wilson pour essayer de sauver leur domination, leur patrie, leur existence nationale elle-même ; ayons la même hardiesse et la même activité pour employer, défendre, utiliser nos victoires et leurs sacrifices. M. Wilson ne paraît pas sentir complètement nos raisons de défense nationale et de précautions à venir ; exposons-lui à voix haute nos motifs de morale pure. Je le répète, faisons autour de lui retentir le cri de justice.

Il peut être indifférent aux invasions futures dont nos citoyens et nos soldats sont préoccupés. Mais le passé est le passé, le mal acquis est bien acquis. Il ne peut éviter d'en considérer les dégâts. Ou le Boche nous les paiera ou nous aurons à le payer et dans ce cas, l'amélioration rêvée par les philosophes et les juristes représente une pure fantasmagorie sans valeur que M. Woodrow Wilson, dans la clarté de sa conscience, dans la droiture de son cœur, dans le réalisme de son esprit, sera le premier à désavouer.

Ce que nous disons au nom de notre principe se trouvant corroboré par le principe qu'on nous propose, pour peu que ce principe soit pris au sérieux, il faut nous en emparer et nous en servir hardiment. Laissons les socialistes admettre comme intangibles et irresponsables les États et les nations, à l'heure même où ils viennent de les soumettre verbalement au même régime que les autres personnalités humaines. Leur position est insoutenable. Leur verbiage est fait de mots sans corps. Acceptons les idées générales reçues d'outre-mer pour tenir avec fermeté à l'exacte réalisation de leur sens. Nous devons obtenir par là tout ce qui nous est dû pour d'autres raisons. Des négociateurs intelligents excelleront à faire sortir les réalités utiles des droits les plus rigides et les plus absolus. Ainsi fit Talleyrand à Vienne. L'idée de légitimité, qu'il nous rendit favorable, était une idée juridique. D'une autre idée juridique dûment pressée et précisée peuvent sortir des résultats d'autant plus favorables qu'aujourd'hui, à la différence de 1814–1815, nous ne sommes plus vaincus, mais vainqueurs. Et si des toiles d'araignées filées par des métaphysiciens et des idéologues étaient capables d'arrêter la fortune de la patrie en pleine victoire, les institutions et leurs hommes assureraient des responsabilités si grandes que nulle des fautes passées n'y serait comparable. Ce serait la faillite absolue des unes et des autres.

Franchement, à ce point, je n'y saurais croire. Ni les hommes républicains, ni les institutions républicaines ne sauraient oublier jusque là ce qu'ils ont de français. Il fut relativement facile au représentant du roi Louis XVIII d'invoquer la raison d'être commune de tous les trônes européens. Il sera au moins possible au représentant des « démocraties » européennes de plaider devant M. Wilson cette idée de justice infinie qu'il a le plus souvent et le plus éloquemment invoquée. Je ne suis ni démocrate ni sectateur des obscures et confuses divinités juridiques invoquées à tout bout de champ ; mais pour le salut du pays, pour la clôture de la frontière, pour la sécurité des générations à venir, pour le bien-être du combattant, l'aisance et la facilité de l'économie générale, je serais, pour ma part, aussi disposé que tout autre à mettre au service du vrai, des arguments flottants et des considérations plutôt vagues.

Telle est ma cynique pensée. Je souhaite à nos plénipotentiaires le même cœur.

La Belgique et le wilsonisme
6 décembre 1918

À les voir de près, il y a autre chose qu'un thème très général dans les importants discours prononcés à l'Élysée hier soir. Des actions y sont en germe. Non précisément ces actions d'agrandissement et de renforcement territorial que tous les bons esprits s'accordent à prédire à la Belgique nouvelle et que Bainville, hier, définissait heureusement en ces termes :

Tout ce qui est Belge doit être belge. Une Belgique solidement constituée, maîtresse chez elle, bien assise sur ses fleuves, la Meuse et l'Escaut, est indispensable.

Ce ne sont pas précisément ces hauts problèmes qui étaient agités à l'Élysée hier, mais des problèmes plus hauts, plus importants encore. Le roi Albert a ajouté à son rappel des souffrances, des espérances et des victoires communes, un bel acte de foi certaine en l'amitié française, et spécifié que la Belgique devait être « dégagée des servitudes internationales que faisaient peser sur elle des traités que la guerre a profondément ébranlés », et M. Poincaré avait déjà dit que la Belgique serait « débarrassée des entraves de cette neutralité qui n'a pas été pour elle une garantie » et recouvrerait « son indépendance et sa souveraineté ». Là-dessus, en effet, l'opinion est unanime en Belgique et en France. Il ne faut plus que la Belgique puisse s'endormir à l'ombre de la plus trompeuse des promesses internationales. Il ne faut plus que la grande âme de ce peuple héros et martyr puisse être livré aux hasards de la vigilance et de la prévoyance d'une petite poignée de bons citoyens guidés par deux rois de tête et de cœur. Elle a eu Léopold, elle a eu Albert. Avec des esprits moins lucides, des caractères moins trempés, quel piège eût tendu à sa bonne foi et à son amour de la paix le « chiffon de papier » de 1839 ! Autant l'indépendance établie et reconnue huit ans plus tôt par le roi des Français fut un bienfait européen, autant cet accord international qui suivit était décevant, captieux, précaire. Ni Albert Ier, ni M. Poincaré, ni la Belgique, ni la France n'en veulent plus.

Wilsonisme ou anti-wilsonisme ?

Mais, ce disant et ce faisant, il importe de voir et de savoir ce que l'on fait et ce que l'on dit. On fait, on dit, on affirme et on réalise une doctrine qui tourne absolument le dos à la doctrine de la Société des nations. On pose, on règle, on établit les principes de la liberté des nations du moment que l'on abolit des « servitudes internationales » et qu'à la garantie soi-disant donnée par les puissances à l'État belge, on substitue les risques et, comme dirait Platon, les beaux risques de l'indépendance plénière et de la complète souveraineté.

C'est un pas dans la voie de l'évolution qui emporte l'Europe depuis quatre siècles. Ce n'est aucunement un pas dans le sens des principes du président Wilson.

Le dictateur et pape de l'Amérique ou ne dit rien ou propose un système de servitudes internationales, et ce système lui-même ne serait rien s'il n'apportait une limite à l'indépendance et à la souveraineté des États. Or, en ce qui concerne la Belgique, l'effet matériel de cette guerre, de toutes les souffrances endurées, de tous les efforts déployés, sera d'écarter même sans discussion la garantie juridique et la défense morale représentées par de purs accords internationaux ; la Belgique et son roi demandent à l'Europe qui les aime et les admire, la permission d'user d'une liberté plénière et d'établir leur sûreté par la liberté de leurs mouvements matériels et moraux, de leur activité diplomatique et de leurs préparatifs militaires. Cela est raisonnable et juste ? Cela, direz-vous, est la juste leçon pratique tirée du mépris témoigné par Bethmann-Hollweg aux accords internationaux ? Cela, en somme, participe de la majesté des vérités rationnelles que l'expérience confirme ? Assurément, et c'est pourquoi cela est aussi tout ce qu'il y a de plus anti-wilsonien.

Le wilsonisme serait-il un système réactionnaire ?

Contredirait-il le droit fil de l'évolution ? Eh ! cela n'est peut-être vrai que d'un wilsonisme inférieur, celui dont nous régalent les organes d'extrême-gauche. Le président américain nous a souvent paru corriger ce que ses principes ont d'un peu archaïque ou rigide par une acuité de regard, une sensibilité au fait qui remet tout au juste point.

Société des nations ou politique d'équilibre ?
7 décembre 1918

Les nationalités garderont-elles leur statut juridique d'aujourd'hui et d'hier ? Resteront-elles indépendantes, souveraines, inviolables, maîtresses de s'allier à qui leur semble, de rompre l'alliance si le cœur leur en dit ? Bref, demeureront-elles pures de ce qui a été appelé vendredi à l'Élysée servitudes internationales ?

Ou, au contraire, le type des traités conclus en 1839 et garantissant la neutralité belge sera-il prolongé dans l'espace et dans le temps ? Tous garantiront-ils à chacun, chacun garantira-t-il à tous l'inviolabilité du territoire et l'indépendance de la nationalité ? La société limitée fondée (avec quel avenir !) autour de l'État belge deviendra-telle une société illimitée dont les organes (à créer) et les forces armées (à mettre sur pied) auront la charge de veiller sur tous les États de l'Europe et du monde ?

L'escadre qui amène M. Woodrow Wilson et son conseil de 150 jurisconsultes et statisticiens apporte ou plutôt rapporte à l'Europe une extension de la méthode de 1839. Les machines diverses qui ont apporté et remporté sur la terre et sur l'onde les rois Albert Ier et George V semblent plutôt être venues déposer sur nos bords un principe favorable à l'autonomie absolue des États.

M. Wilson devant les faits

La conciliation verbale des deux formes de statuts n'est pas impossible, les motions nègres-blanches étant toujours licites dans les congrès, qu'ils soient de socialistes ou de diplomates. Mais d'une part, il ne faut pas se faire d'illusion, il y a là deux idées contradictoires, et même deux « droits » opposés, c'est-à-dire, en puissance, deux termes de conflits aigus. Et, d'autre part, au bout de ces quatre années de guerre, la race humaine, si vaillante et vigoureuse qu'elle soit, ne parait pas d'humeur à s'épuiser, en ce moment, sur des idées pures, si inflammatoires qu'on les suppose.

Dans sa majorité raisonnable et digne, le genre humain est disposé à s'apaiser en s'arrêtant à un moyen terme plus ou moins nettement défini, mais reposant, mais confortable, et qui permette tout à la fois mouvement et ordre. Tel est, tout au moins, notre vœu. Le « chiffon de papier » de 1839 a subi en 1914 une telle disgrâce que nulle école ne saurait demander aux Belges, aux Anglais, aux Français de faire désormais une confiance sans réserve aux engagements de l'Europe. Il semble bien en résulter que plus un instrument diplomatique obtiendra d'adhésions, plus il accroîtra ses risques de dédit. Cette voix du fait est bien propre à faire réfléchir M. Woodrow Wilson, mais il n'est pas douteux non plus que le désir universel de paix future est une force morale qu'il y a utilité à capter pratiquement et, s'il est possible, à transformer en loi positive.

Sans retarder la conclusion du traité, on peut intéresser à son observation et à sa durée toutes les puissances de sentiment et d'intelligence qui sont en vigueur de nos jours. On peut essayer de le sceller à l'effigie de tout ce que les relations internationales ont gardé d'intéressant et de considérable.

Pour vivre en paix, il faut que les hommes puissent communiquer. Ce sont les facteurs de ces communications immatérielles qui importent. Lettres, sciences, arts, et par-dessus tout religion. C'est en développant les bonnes relations de ce genre que l'on oppose aux passions et aux intérêts concurrents, semences de guerre, un correctif solide qui porte en soi la paix.

M. Woodrow Wilson s'appliquera à cet ordre d'idées, lorsque, ayant vu l'Europe et mesuré nos maux, il s'occupera d'en rechercher les remèdes. Son penchant naturel est de croire ceux-ci simples, faciles, directs et comme à portée de la main. Il apercevra la difficulté. Sans doute les statuts d'une société des nations se rédigent sans trop de peine ; le malaisé et même le pénible sera de découvrir le moteur moral, l'aliment spirituel, le pain et le charbon vivants de cette ingénieuse machine humaine. La peur de la guerre ne suffit pas. Il faut trouver la peur efficace de l'injustice. Il faut trouver aussi de quoi limiter les intérêts et équilibrer les passions. Par là, M. Wilson sera en droit de penser que le vieux système de l'équilibre avait matériellement du bon. Et amené aussi à scruter l'état philosophique, moral et religieux de l'Europe, peut-être que, désolé de ce qu'il aura discerné, il se demandera si la sagesse ne sera point d'aller faire un tour du côté de ce Vatican avec lequel on essaya de le mettre en concurrence, mais auquel il serait très sage de proposer une nouvelle « alliance religieuse » sur le modèle que notre Auguste Comte a déjà rêvé.

M. Wilson contre les hommes de désordre

Car, pour ce qui est du concours dont les éléments d'extrême-gauche lui seront prodigues, il aura bientôt fait de voir que les chefs socialistes et même syndicalistes sont bien loin d'être mûrs pour une action vraiment pacifique et humaine ; ces ennemis de la guerre extérieure sont de violents fauteurs de guerre intérieure, et leurs idées ne tendent qu'à la démagogie et à l'anarchie. Il serait trop naïf de prendre ces agitateurs intéressés pour des pacifiques… Le bon ordre est le moindre de leurs soucis. Ils en détestent la seule image jusqu'au fond de la steppe russe, et sa réalité en France les irrite ou les scandalise : — En vérité, se croirait-on en République ? disent-ils.

Que diraient ces pauvres esprits de l'ordre américain ! Le président Wilson ou sera déçu s'il ignore absolument ce milieu-là, ou, s'il est averti, les marques de politesse qu'il lui donnera comme à tout le monde seront sans proportion avec les bruyantes manifestations et les enthousiasmes artificiels que ces messieurs préparent. Les amateurs de trouble en seront pour leurs frais, les perturbateurs se trouveront pris à leur piège.

Telle me parait devoir être la vérité certaine. Nos calculs personnels nous semblent confirmés par ce que disent bien des Américains à bien des Français :

« Pourquoi vous méfiez-vous de Wilson avant de connaître ses dispositions actuelles ? Il a suivi, puis dirigé l'opinion américaine vers la guerre, avec toute notre presse, il a uni dans un même hommage de reconnaissance Louis XVI, Vergennes, La Fayette et la Révolution. L'opinion américaine veut une paix sévère et définitive. Wilson la suivra. Ne faites pas de conjectures défavorables. Attendez qu'il ait parlé, ici.

« Que nous gênions les formules de notre presse socialiste par notre façon de pratiquer le régime démocratique, de respecter toutes les libertés, quittes, lorsqu'il le faut, à les abandonner aux mains d'un chef momentanément autocrate, cela n'est pas étonnant. Mais notre manière devrait réjouir les partisans de l'autorité unique du chef qui, chez nous, a été le vrai artisan de la victoire.

« Faites-lui confiance. Faites-nous confiance, nous n'avons marchandé ni notre affection, ni notre sang, ni notre argent. Nous la méritons autant que les Anglais, dont vous venez d'accueillir le roi avec enthousiasme.  »

On imagine quelles réflexions peuvent être échangées de ce point de vue. Elles sont la vérité même. Le président Wilson est un philosophe en même temps qu'un homme d'État. Il a réussi à servir (avec quelle hauteur de vue, avec quelle noblesse) la cause de notre Occident civilisé, c'est le service capital dont nous devons lui savoir un gré éternel et c'est le souvenir qui ne peut nous quitter. Quant à sa pensée, homme de pensée, il nous saura lui-même gré de la discuter avec franchise et netteté. D'un libre échange de vues sortira vraisemblablement un accord rapide sur les faits acquis. L'accord sur les principes, sur les faits à instituer, en sera sans doute plus laborieux, mais j'ai la confiance qu'il est possible et sera, malgré tout, facile si l'on s'avise d'orienter l'esprit de M. Wilson vers le plan solide que doit adopter toute action morale dans nos pays.

Ou bien l'action wilsonienne s'adressera à l'enthousiasme idéologique, et ce sera un feu de paille aussi trompeur que les autres, qui durera tout juste ce qu'il faudra pour permettre à l'intrigue allemande d'en profiter.

Ou l'action wilsonienne empruntera les vieilles routes vénérables, solidement construites et fortement battues, des traditions, des mœurs, des cultes et de tout ce qui a constitué les forces spirituelles de l'Occident ; par elles, bien des idées neuves peuvent s'incorporer définitivement aux esprits et aux volontés. Ni les États, ni les dynasties ne seront des alliés méprisables à ce point de vue. Il faudrait pouvoir se servir de tous les éléments de ce qui vit déjà pour instaurer une vie meilleure. Au contraire, un plan neuf avec des matériaux neufs, sur un emplacement neuf, cela suppose une poussée préalable de destruction bolcheviste qui est précisément ce dont M. le président Wilson a horreur, nous assure-t-on.

Il faut expliquer M. Wilson à la France
8 décembre 1918

Nous avons cru faire œuvre de bons citoyens en nous efforçant plusieurs fois d'expliquer la France à M. Wilson. Nous ne changeons pas de métier en expliquant aussi M. Wilson à la France.

Son vocabulaire, sa doctrine, son « dogme » y paraissent souvent plus moraux et plus religieux que politiques. Une influence extrême de Kant a dû être relevée autrefois, avant l'intervention. Ce kantisme s'est atténué ; non les habitudes sermonnaires d'une civilisation où, depuis la Réforme, le clergé n'est pas différencié dans l'État, où l'éthique et l'ecclésiastique font corps dans toute exhortation appelée à conduire les hommes. Mais cette confusion de l'ordre moral et du politique n'exclut nullement la vigueur, ni même la violence de ce dernier élément. Rappelez-vous M. Lloyd George. Dans les commencements, il prêchait tout autant et tout aussi bien que M. Wilson. Eh bien, voyez les résultats de ces beaux prêches ; sans coup férir ils ont capturé la splendide flotte allemande tirée des réduits de l'Elbe et du canal de Kiel. Si l'on ne savait quelle action hardie et forte a déterminé ce bienfait, le miracle ferait la paire avec celui des trompettes de Jéricho.

Ou je me trompe fort (ce qui est d'ailleurs possible) ou M. Wilson nous étonnera de la même manière que M. Lloyd George par le sérieux, la fermeté et l'à-propos de son esprit pratique. N'a-t il pas déjà commencé ? La prodigieuse besogne matérielle menée à bien en moins de deux ans de luttes ne dépose-t-elle pas en faveur de ce sentiment ? La mise sur le pied de guerre d'un pays vingt fois plus grand que le nôtre, aussi vaste qu'un continent, ne répond-elle pas aux reproches de rêverie, d'utopie, d'une philosophie extérieure et inférieure à la vie ? Ce qui étonne, ce qui nous étonne, nous Français, nous sceptiques-nés, c'est la méthode si prêcheuse, c'est le langage de ce prêche si confit de dévotion et presque de superstition ! Mais quoi ! cela même n'est pas inexplicable peut-être, ni irréductible aux conditions dans lesquelles cette parole et cette pensée se font jour.

La patrie et la nation des Américains

Il faut se représenter les États-Unis d'Amérique dans leur étendue géante comme dans leurs pouvoirs sans mesure. Un nombre d'hommes relativement petit, dont nous connaissons quelques-uns, y nourrissent de hautes, de profondes ambitions nationales. Mais ils sont les premiers à nous en avertir, notamment notre confrère M. Morton Fullerton dans ses beaux livres et ses précieuses brochures 1, leur nationalité se fait, elle n'est pas faite encore. Cette guerre y concourra fortement. Mais pour entraîner des masses aussi nombreuses à affirmer et à constituer, les armes à la main, une nationalité définie, ce serait un cercle vicieux que d'invoquer, d'attester l'argument national. Leurs souvenirs nationaux sont forts, mais limités, ils en ont vite fait le tour. La Fayette et Washington en sont les colonnes d'Hercule dans le passé. Leur patrie aussi est à faire. Précisément, parce qu'il est très vif et très fier, comme il est très récent, le patriotisme américain ne comportant pas de longues réserves dut être ménagé par un homme d'État aussi avisé que M.~Wilson ; sensible et exalté à la surface, il a besoin d'être un peu détourné de lui-même de crainte qu'en s'analysant il ne s'affaiblisse. Mgr Baudrillart 2 qui revient d'Amérique ne nous dit-il pas qu'à Chicago il a compté des catholiques appartenant à vingt-six nationalités différentes ? Nationalités doit signifier ici, comme au moyen âge, langues et même races. Ajoutez que les vingt-six foyers primitifs européens ou asiatiques ont pu fournir aussi des adhérents à vingt-six fois vingt-six religions ou sectes différentes. Et vous pouvez conclure que s'il est prudent et politique de fortifier, de doubler le patriotisme américain en faisant des appels vigoureux à d'autres sentiments du même ordre ou d'ordre convergent, ils doivent être choisis aussi généraux et même aussi vagues que possible sous peine de créer des dissensions et des troubles là où il s'agit de cimenter l'union.

Morale et religion américaines

Encore ne parlons-nous que des villes. Mais dans les campagnes où la population est loin d'être agglomérée, les différences morales sont accrues par les éloignements matériels. Là encore, à plus forte raison, si l'on veut se faire entendre, si l'on veut réunir, rassembler, il faut recourir aux principes fondamentaux de l'ordre élémentaire, absolu, qui ont excité l'enthousiasme raisonné et grave, la foi sérieuse des commencements de l'humanité et de la cité : — Tu ne tueras point. Tu ne trahiras point. Tu ne mentiras point. Tu ne voleras point. Tu seras humain envers les prisonniers et les misérables. Tu seras juste… Si hautes et si pures que soient les abstractions morales enveloppées dans ces préceptes, elles sont cependant familières au colon comme au portefaix d'Amérique ; ce sont celles que l'on prêche au temple ou à l'église chaque dimanche, et ce sont celles que répand le prêtre ou le ministre quand le wagon dominical s'arrête au fond d'un pays de défrichement. D'idées générales plus actives, ni plus puissantes, d'idées-forces plus efficaces, l'Amérique prise dans sa masse n'en connait point, réserves faites du souvenir de gratitude gardé à l'intervention de Louis XVI. On eût perdu son temps à lui prêcher une prise d'armes politique contre le germanisme. En prêchant la croisade morale, au nom du Juste et du Bon contre l'Inique et le Mal, M. Wilson a atteint son but qui était le nôtre ; il a été compris, suivi. L'eût-il été autrement ? Voilà ce qu'il faut regarder.

Ce regard sur des réalités moins complexes que les nôtres ne diminue certes pas l'énorme danger, et le danger pressant, que comporte l'application directe et simpliste de principes aussi généraux à des situations aussi difficiles. M. Wilson est innocent de ces répercussions malheureuses. Ce qui est régression de ce côté de l'océan, ce que nous avons le droit de juger trop vague ou trop général pour régler nos affaires, représente là-bas un formulaire naturel et rationnel qui s'explique par les états naissants d'une civilisation, d'une nationalité, et d'une patrie en voie de se définir.

Comprenons bien ce dernier point si nous désirons nous faire comprendre.

Il faut expliquer la France à M. Wilson
9 décembre 1918

Hier, en expliquant M. Wilson à la France, nous montrions que l'origine toute réaliste de son idéologie tient à la nature d'un peuple qui commence, d'une civilisation qui est à son printemps. Si les principes de morale élémentaire qu'il a dû utiliser sont extrêmement généraux, c'est un signe de l'extrême jeunesse des organisations et des unions qu'il fédère. Plus anciennement mêlé aux difficultés de l'Europe, voyant de plus près les hautes différences qui existent entre des contractants éventuels pour lesquels il propose un contrat uniforme, M. Woodrow Wilson atténuerait ou nuancerait ses propositions.

Au fur et à mesure qu'il se rapprocherait de nous, et donc à chaque tour de l'hélice de son navire, M. Woodrow Wilson se rendrait mieux compte des questions concrètes qui, avant de dresser l'acte de société des nations, obligent à examiner l'être physique et moral des sociétaires, leurs vertus, leurs vices, leur vigueur, leurs faiblesses, leur degré de richesse ou de pauvreté, enfin les moyens dont chacun dispose pour obéir au Juste ou lui désobéir, pour composer avec ses ordres ou pour mener contre lui une lutte ouverte. En un mot, plus près de nous, plus près des choses, M. Wilson rendrait à des questions territoriales la faveur, le crédit qu'il leur a refusés. M. Wilson verrait que les solutions juridiques ne se suffisent pas. Leur fermeté, leur poids varient avec les forces qu'elles meuvent, les forces respectives des États contractants, forces nées des situations bien plus que des intentions.

Tout cela, ne demandant qu'un peu de réflexion, irait de soi si les principes wilsoniens ne subissaient en arrivant en Europe un traitement qui en change la forme et le fond à tel point que l'on peut le nommer sans erreur une transmutation véritable. Ce qui là-bas sonnait la vertu, une vertu presque héroïque, celle qui s'arme pour le juste et le beau, sonne par ici le plus bas des vices qui est la lâcheté ou l'inertie quand ce n'est la haine civile. Ce qui là-bas est la volonté d'imposer le respect de vies innocentes devient ici le goût pervers de sauvegarder des vies criminelles. Ce qui là-bas respire la guerre sacrée en vue d'une paix profonde et durable n'affecte, n'emprunte ici un son et un aspect moral que pour fomenter la guerre intestine et impie. Des termes identiques, des formules presque pareilles tirées de ce qu'une humanité jeune renouvelée par une terre neuve peut montrer de plus fier, sont sollicités à signifier les désirs et les vœux qui circulent dans les éléments dégénérés et parmi les milieux décadents d'un état social dont la maturité et la perfection impliquent forcément beaucoup de déchets. Les signes du jeune élan vital américain sont captés et interprétés ici comme s'ils concordaient avec nos régressions, nos fatigues, nos maladies.

Nos hommes malades

C'est, en effet, un véritable malade social que la petite poignée des chefs et agitateurs du socialisme français. Leur autorité depuis la guerre est tombée à rien. Leur reste d'influence réelle ne vaut que par l'État et l'administration, où la plupart de ces messieurs se sont embusqués fructueusement. La masse populaire est fixée sur leur valeur intellectuelle (ils se sont toujours trompés), sur leur valeur morale (inférieure à certains égards à celle des pires politiciens de Tammany 3).

Lorsque M. Wilson faisait, dans son récent message, allusion aux « gens du peuple » que son programme idéaliste et mystique séduirait, il a pu songer légitimement au peuple d'Amérique et de tel ou tel État européen que je m'abstiens de désigner, ne le connaissant pas ; pour la France, l'erreur serait lamentable et profonde si les chefs socialistes qui lui écrivent, lui télégraphient, se préparent à le recevoir et à l'aller voir étaient considérés de M. Woodrow Wilson comme les représentants légitimes des ouvriers et des travailleurs. Ce ne sont pas des « gens du peuple ». Ces messieurs sont des messieurs. Ils ne font jamais œuvre de leurs dix doigts que pour écrire des professions de foi ou des articles. Leurs mains ne sont pas calleuses. Il sont les parasites et les profiteurs, mais démasqués, mais déconsidérés, de la politique sociale et ouvrière française. La profondeur du discrédit auquel ils succombent explique la rage violente et la fureur désespérée avec laquelle ils font chez nous le jeu de l'Ennemi.

Quand donc ils s'emparent de certains fragments de proposition wilsonienne, quand ils en développent certains aspects de modération et de justice unilatérale qui semblent favorables au peuple allemand, on peut juger qu'ils infligent à la doctrine américaine exactement le même outrage qu'au peuple français ; ils l'exploitent, ils superposent le parasitisme inné de leur politique intéressée et alimentaire à des vues nobles, désintéressées, généreuses, dont ils espèrent dégager non le bien de la France, non le bien de l'Amérique, non le bien du prolétariat français ou américain, mais leur bien à eux, leur sale bien, profit et pâture, leur humble et honteux revenu.

En effet, s'ils s'attachent à ces vues, ce n'est point du tout pour les approfondir, les examiner, les adapter, les discuter et, par un échange d'idées, attentif et consciencieux, les améliorer en les rapprochant du réel ; point du tout. Ce qu'ils en tirent tout d'abord, c'est une espèce de formulaire tout verbal à recevoir en article et symbole d'une foi, qu'on assène aux gens comme une pierre ou un bâton. Société des nations joue un rôle de talisman. Ces mots proférés sont supposés imbus d'une vertu magique. Il faut les prononcer. Il ne faut point les discuter. Il ne faut pas les accroître d'un éclaircissement, ni les diminuer d'une méprise ou d'une équivoque. Il faut surtout bien se garder de rechercher ce qui permettrait à ces mots, à cette idée pure, de passer, enfin, dans le royaume des faits. Qui prononce, qui articule ces vocables est le bienvenu. Mais qui veut les comprendre et les interpréter, raca, maudit soit-il… Il n'y a pas d'indice plus net de la manœuvre politicienne et de l'intrigue intéressée.

Sachons causer avec M. Wilson

Nous Français, patriotes, en union étroite avec les profondeurs de notre peuple éprouvé et meurtri, nous recevons M. Wilson non seulement comme un ami, et un très grand ami de notre patrie, bienfaiteur et très grand bienfaiteur de l'humanité présente, mais aussi l'un de ceux sur lequel l'avenir national et humain doit compter de plus en plus pour la construction et l'affermissement de la paix sacrée que nous désirons. Mais forts de cette communauté de but, assurés de cette identité de désir, nous ne nous priverons pas, et bien au contraire, de signaler au président l'obstacle où l'écueil aperçu le long de la route commune.

Nous n'hésiterons pas à lui dire que sa foi absolue au droit comporte une attention vigilante donnée aux litiges que les notions de droit sont naturellement capables de faire naître ou d'envenimer. Nous lui ferons observer que surtout après l'exemple russe et ces craintes de bolchevisme qu'il a lui-même ressenties pour l'Allemagne, il faut bien prendre garde de ne pas donner pour support à la paix entre les peuples des conditions qui exciteraient ou faciliteraient la guerre entre les citoyens. Nous le supplierons encore de prendre garde à la qualité de certains pacifistes qui, ennemis de leurs frères de race, ne sauraient être bien sincèrement les amis des hommes qu'ils ne connaissaient pas ; de tels marchands de haine intérieure devraient être mis au ban de tous les États, principalement des États dénommés Unis, puisque ces meneurs ne prêchent que la désunion. Enfin, si l'on regarde la vaste question allemande, le grand réaliste qu'est Woodrow Wilson sera aisément amené à jeter un coup d'œil sur les deux facteurs essentiels qui la dominent et la gouvernent, car l'une est l'histoire, l'autre la géographie.

L'histoire est mal famée sans doute ! Elle fournit des précédents et il est très vrai que les précédents passent pour avoir toujours échoué ; mais le tribunal de La Haye est un précédent, lui aussi ; est-ce qu'il a réussi ? N'a-t-il pas échoué, et plus complètement que le traité de Vienne ou les traités de Westphalie ? Les échecs de la politique d'équilibre ne sont rien comparés aux échecs de la politique du droit. Et comment le droit pour agir, pour s'appliquer, se passera-t-il des données de géographie ? Comment, sans tenir compte de la qualité des parties, juger et surtout faire durer les jugements et faire appliquer les sanctions ? M. Wilson n'y pense pas. Il y songe si peu qu'il tombera parfaitement d'accord avec nous que la méthode politique supérieure ne consiste pas à exclure, mais à combiner.

Une Société des nations qui hébergerait une Belgique sans défense et une Allemagne accrue, juxtaposerait le bourreau et la victime sans autre résultat que de les rapprocher en facilitant le forfait et d'en multiplier l'horreur sous de beaux noms nouveaux qui en resteraient déshonorés pour jamais. La vraie Société des nations comporte la révision de la structure, du statut, des forces de chaque nation, et le débat ainsi ouvert et conduit aboutira à des résultats fructueux.

Est-ce impossible ? Un seul cas nous parait devoir faire dévier ces justes colloques : l'intrusion de la troupe ignorante et fanatisée des chefs socialistes toujours prêts à remplacer le signe d'une idée par la cocarde d'un parti, une objection ou une doctrine par des injures ou de gros mots 4. Avant de leur prêter la moindre attention, le président américain, tout comme le public français, sera sage de faire une enquête. Leur passé d'avant-guerre et de pendant-guerre les montre si grands amis de l'Ennemi qu'un seul trait doit réjouir et satisfaire de la part de tels philoboches : leur inimitié déclarée.

M. Wilson et le pape
10 décembre 1918

M. Jean Carrère, journaliste romain 5, s'est souvenu qu'il était le poète des Buccins d'or pour annoncer à son journal Le Temps la grande nouvelle. Le vers alexandrin qu'il en a fait sonne vraiment comme un or pur :

« Le président Wilson rendra visite au pape. »

Le pythagoricien Lysis qui fit les premiers Vers dorés 6 ne pouvait y parler de S. S. Benoît XV, ni de M. Woodrow Wilson, et pour cause. Mais il n'a pas rythmé vérité plus substantielle, ni plus instructive leçon. Le président Wilson rendra visite au pape ! Qu'est-ce à dire ? D'abord que l'homme d'État américain enfant (et combien dévoué et combien traditionnel) d'un peuple d'origine et de formation religieuse, le descendant des passagers du Mayflower, le produit d'une race de persécutés et de saints, n'est cependant en aucune sorte homme de préjugé. Une des grandes forces morales de l'univers ayant son point essentiel d'application en Europe, il ne passera point sur l'ancien continent sans aller lui pointer ses hommages de convenance supérieure. Ensuite, M. Wilson est homme pratique. Puisqu'il a constamment des questions à régler avec les représentants ou les sujets spirituels du Saint Père, eh bien, il va voir le Saint Père et conférer avec lui de façon à les mieux régler à l'avenir.

Concurrence ou complément ?

Est-ce tout ? Il y a autre chose. Le président Wilson rendra visite au pape. Par nationalité, par position, par goût peut-être, M. Woodrow Wilson, souverain temporel, a assumé un rôle spirituel. Cela pourrait être considéré comme un empiétement, soit par les ministres des diverses confessions anglo-américaines, soit par le chef du catholicisme qui est le type le plus pur du souverain spirituel. Mais, de son côté, le pape a fait beaucoup, beaucoup de politique ces dernières années, et de politique internationale, et d'internationalisme à tendance pacificatrice. De sorte que, s'il se plaignait de l'usurpation de sa suprématie spirituelle par le chef d'État américain, celui-ci, moyennant un grain de fantaisie, pourrait répondre que les plates-bandes de la souveraineté temporelle ont été aussi empruntées par les pas du Saint Père et qu'ainsi l'on est quitte. Deux empiétements égaux ne valent-ils pas un égal échange de respects ?

Cette fantaisie peu respectueuse mise à part, il reste que M. Wilson a dû définir le Juste, le Bon, le Mal, l'Inique et que S. S. Benoît XV a proposé certains accords politiques d'un modèle plus ou moins concordant avec celui de M. Wilson. Pour une raison ou pour une autre, et même à tort ou à raison, ces deux puissances se trouvent donc engagées sur le même plan, occupées des mêmes aspirations humaines, possédées du même souci surhumain. Si donc la règle était suivie du vieux jeu bien connu en France, il s'ensuivrait qu'un choc et un choc violent est promis aux deux personnages, aux deux fonctions, aux deux idées en présence ou, si le choc était évité, il le serait à la seule et expresse condition qu'ils ne se rencontreront pas, qu'ils ne se verront pas, qu'ils ne causeront pas et s'ignoreront avec une passion pieuse et farouche.

Or, pas du tout ; le fait est autre, ils ne veulent pas s'ignorer :

Le président Wilson rendra visite au pape.

Et tout annonce que la visite sera reçue avec la haute courtoisie qui en a arrêté la résolution. On se verra, on causera et peut-être que l'on mettra en commun, afin de mieux servir la cause commune, des ressources de cœur et d'esprit qui ne sont ni rivales, ni même concurrentes, mais complémentaires.

Utilité de la visite

Si j'étais d'humeur d'oser quelques pas circonspects dans la direction des hypothèses plausibles, je dirais que de l'entretien pourrait sortir pour M. Wilson, nourri d'une pensée impétueuse, mais, à bien des égards, indéfinie encore, ces clartés plus précises, ces classifications plus nettes, ces catégories plus fermes et plus réalistes tant en matière de morale que de politique et de droit, que les dignes héritiers de saint Thomas d'Aquin peuvent offrir aux disciples de Kant et même d'Emerson 7. En revanche, instruit par l'expérience de ses vingt et un mois de guerre à l'Allemagne et de ses rapports fraternels avec les Alliés, M. Wilson serait tout à fait dans son rôle s'il mettait S. S. Benoît XV au courant de certains points de fait qui sont vitaux pour nous, et que nos Alliés ont forcément toujours présents à l'esprit et au cœur. Jusqu'ici, des ambassadeurs (mais non l'ambassadeur de la France) ont pu en parler au pape. Un chef d'État venu au nom des peuples attaqués et envahis par l'ancienne Quadruplice aura plus d'autorité, étant d'ailleurs mieux renseigné que n'importe quel diplomate…

Le président Wilson rendra visite au pape.

Il lui dira ce qu'il faudra dire. Il lui dira ce qu'il lui dira.

Je ne prétends pas que les choses se passeront forcément comme je le dis, ni que les rôles y seront distribués avec cette égale harmonie. Mais le désir n'est pas absurde, le vœu est raisonnable, me semble-t-il. J'en formerai encore un autre : c'est que du Quirinal au Foreign Office et de Zagreb à Lisbonne, en passant par Paris, sans oublier Bruxelles et Bucarest, l'Entente fasse un acte de sagesse analogue au nôtre. Qu'elle prenne la chose comme il importe de la prendre, c'est-à dire du bon côté, du côté positif, lumineux, utile 8… Ici, nous n'avons pas à nous faire, comme dit le peuple, une raison et nous pouvons dire de la visite du 23 décembre prochain : Hoc erat in votis 9, puisque nous écrivions, samedi, à cette place, que M. Wilson se demandera peut-être si « la sagesse ne sera point d'aller faire un tour du côté de ce Vatican avec lequel on essaya de le mettre en concurrence, mais auquel il sera très sage de proposer une nouvelle alliance religieuse sur le modèle que notre Auguste Comte a déjà rêvé ». Mais en formulant nos souhaits, nous ne pouvions nous aveugler ; il existe des vœux contraires, quelquefois animés d'une véritable passion. Eh bien, souhaitons cette fois que la passion se calme et que le fanatisme ne se mêle de rien. M. Woodrow Wilson agit en sage de la Grèce, M. Jean Carrère met cet acte en vers dans Le Temps ; attendons, espérons les meilleurs effets possibles de cet exemple de sagesse et de la musique qui l'accompagne. Tout irait tellement mieux en Europe si des idées qui veulent examen et réflexion, étaient traitées en idées pures et non violentées à coups d'adjectifs qualificatifs !

— Mais ne voyez-vous pas que la cause alliée va être desservie auprès de M. Wilson par le Vatican ?

— Dans ce cas, ce serait que les Alliés se seraient bien mal servis auprès de lui. Montrez à M. Wilson tout ce qui doit lui être montré, instruisez-le de ce qu'il doit savoir, pénétrez-le du sentiment, des vérités qui nous animent et nous transportent. Il sera armé et équipé pour déposer entre les mains du pape les arguments de fait que le pape ignore peut-être et ainsi il l'amènera, si toutefois un tel voyage n'est point superflu, au point de vue des Alliés qui y gagneront comme nous.

Bref, là comme ailleurs, c'est la méthode positive qu'il importe d'appliquer et de faire appliquer. Des contradictions discourtoises, des polémiques venimeuses nuiraient surtout à nous. Rien n'empêche d'être inflexible sur les intérêts vitaux de la France. Nous le sommes ici. Nous exigeons tout notre dû. Cela empêche-t-il d'examiner les objections qu'on nous prépare ? Cela oblige-t-il à nous créer de nouveaux ennemis ? Non, non, causez, causons, faisons causer. Recueillons l'avis, le conseil de chacun. Ce sera le moyeu d'avoir la paix désirable. En voit-on un autre ? Pas moi.

À Paris
15 décembre 1918

Assis, dans le landau présidentiel, face aux troupes qui présentaient les armes et face au peuple qui lui offrait une indescriptible ovation, M. le président Wilson a fait hier matin une entrée glorieuse et qui ne sortira d'aucune mémoire. L'histoire morale de cette grande journée se décompose ensuite en deux actes : les discours de l'Élysée, l'ambassade Renaudel.

M. Renaudel 10 est un homme peu intelligent, se disant mandataire d'un parti qui ne lui a même pas renouvelé le mandat illégal de 1914. Porteur d'un papier couvert d'idées absurdes, il a lourdement essayé d'établir l'importance de sa personne et de sa fonction. Il a institué un fastidieux parallèle entre les thèmes wilsoniens et les thèses de son parti. M. Wilson lui a répondu poliment qu'il « ne suffisait pas d'établir des principes », il fallait trouver les voies de réalisation.

Cette substantielle et topique réponse confirmait le pronostic donné la veille par Pierre Veber 11 : « Le président a ses directives, il ne s'y tiendra pas obstinément s'il les juge mauvaises. »

Et le rédacteur du New-York Herald disait plus loin :

En ce moment, la propagande allemande veut s'appuyer sur les déclarations que M. Wilson fit en décembre 1916 ; elle espère ainsi modifier l'état d'esprit du Congrès ; c'est une manœuvre bien médiocre.

Depuis cette date, la religion humanitaire du président a été éclairée ; si ses principes sont restés les mêmes, leur application a pu se modifier à mesure que des renseignements plus précis parvenaient à la Maison-Blanche.

Lorsque le président Wilson aura considéré de près les infamies et les forfaits allemands en territoire belge et français, chacun pourra voir « si ces principes n'ont pas évolué depuis décembre 1916 ».

Ce coup droit porté à la propagande allemande s'applique évidemment à la propagande de ceux qui estiment leur pays « lié » par la gratitude et l'honneur à toute syllabe de tout article de ce programme wilsonien, dont l'évolution fut si bienfaisante ! M. Gauvain 12 est l'un des doctrinaires qui veulent ainsi nous « lier ». M. Pierre Renaudel en est un autre. On n'est pas étonné de les trouver ensemble et les deux font la paire ; ce serait pour le malheur de leur pays, si les destinées de la France ne passaient haut, très haut, par dessus de telles misères !

M. Wilson et M. Poincaré

Les discours prononcés au déjeuner de l'Élysée, tournant autour du même problème, l'ont posé et l'ont résolu comme il faut.

Après tant de mois d'une coopération éloignée mais étroite, singulièrement courageuse et méritoire, les deux chefs d'État se trouvaient en présence. Qu'allaient-ils se dire ? Des fictions conventionnelles ? Non, la vérité. Qu'allaient-ils manifester ? Des amours-propres personnels ou des entêtements d'école et de doctrine ? Non, mais le sentiment des intérêts les plus généraux de l'Amérique et de la France, auxquels les intérêts du genre humain sont présentement suspendus.

Il ne sera donc pas nécessaire de nous presser sur les pas de M. Wilson pour lui crier « Justice », pour lui demander « Justice pour la patrie ». Ce vœu national a été présenté avec clarté et fermeté au président de la République américaine par le président de la République française.

Nous en avons placé l'essentiel à la manchette de L'Action française :

Le président Poincaré au président Wilson :

… Votre noble conscience prononcera sur ces forfaits.

S'ils restaient sans sanction et s'ils pouvaient se renouveler, les plus belles victoires seraient vaines. Monsieur le Président, la France a lutté, patienté, peiné pendant quatre longues années…

Ce n'est pas pour être exposée à des recommencements d'agression qu'elle s'est résignée à tant de sacrifices. Ce n'est pas non plus pour laisser des criminels impunis relever la tête et préparer de nouveaux assassinats que, sous votre forte impulsion, l'Amérique s'est armée et a traversé l'Océan…

Le président Wilson au président Poincaré :

J'apprécie comme vous, Monsieur le Président, la nécessité de prendre, en décidant des résultats de la guerre, des mesures telles que, non seulement ces actes de terreur et de spoliation seront flétris, mais que l'humanité entière restera avertie qu'aucun peuple ne pourra oser de pareils outrages sans encourir la certitude d'un juste châtiment.

Nous l'avons fait suivre de la réponse donnée par l'hôte de la France. Celle-ci énonce, immédiatement, explicitement, sans autre forme d'examen, une première série d'assurances dans l'ordre moral. Elle promet au peuple coupable un châtiment. Cette sanction en suppose une autre : si le criminel est puni, l'innocent dépouillé et meurtri sera dédommagé, et des garanties effectives le mettront à l'abri de tout retour d'épreuves qui seraient désormais insoutenables.

M. Woodrow Wilson destine à « l'humanité en général » la sécurité et la liberté de la vie. M. Poincaré requiert pour la France, pour l'Amérique, pour tous les Alliés « le mutuel appui dont nous avons besoin les uns et les autres pour faire prévaloir nos droits ». On peut entrevoir en effet dans l'avenue des siècles la perspective d'un ordre nouveau. Cet ordre ne se réalisera qu'au moyen de précautions fortes, souscrites, combinées, épaulées par tous. L'orateur de la France y a insisté avec force, et il a bien raison ! Nous n'avons pas le droit de faire danser nos fantaisies sur un million cinq cent mille tombeaux que la guerre a ouverts sur la terre française. Nous n'avons pas le droit d'oublier que ces tombes ont été creusées par l'esprit d'illusion, d'utopie, de chimère ; si elles avaient eu le sens de la réalité, les générations et, comme on dit, les « classes » qui grandirent sur notre sol durant vingt ans pour cette hécatombe seraient encore pleines de vie parmi nous. Si leur deuil ne nous apprenait pas la prudence et la réflexion, à quelles enchères sanglantes devrait être achetée la future sagesse ?

La réponse de M. Wilson a été naturellement imprégnée d'un état d'esprit un peu différent. En admirer l'idéalisme serait insuffisant. Le fait est que la généreuse et vaste conception du président américain s'est développée sur une terre lointaine ; cette terre semble parfois n'avoir pris sa part des maux de la guerre que parce qu'elle l'a bien voulu. La pensée de M. Woodrow Wilson a bénéficié d'un semblant de liberté et d'immunité par rapport aux menaces du germanisme. Mais cette pensée est trop nette et trop directe pour se laisser décevoir à des apparences. L'homme civilisé et cultivé d'outre-mer était-il à l'abri de ce germanisme qui menaçait tout, l'ouest américain, le sud brésilien, l'ensemble des races humaines ? M. Woodrow Wilson n'a pas cédé au seul penchant philosophique lorsqu'il a universalisé le problème, il l'a vu et posé absolument tel qu'il était. L'Allemagne aspirait à la domination de la terre, c'est la terre entière que M. Wilson a voulu libérer.

Guerre et démocratie

Je me permettrai dès lors de lui signaler un aspect des choses qui n'a pu lui échapper, mais dont l'importance est multipliée ici par la proximité de l'Allemagne, de cette Allemagne d'où souffla toujours la Révolution.

Nous ne savons pas du tout ce qui se passera lorsque l'influence allemande se sera évanouie de la face du monde ; le cœur de l'homme en sera peut-être renouvelé. En attendant, il convient de faire attention et de se garder. M. Wilson prêche la guerre à la guerre ; rien de plus pacifique. Mais il la prêche au nom de la démocratie, et pour une raison ou pour une autre, en Europe, ce nom de démocratie est loin de signifier ni l'ordre public, ni la tranquillité. Par suite de l'influence allemande ou de toute autre cause, beaucoup d'Européens tiennent la démocratie pour synonyme de lutte de classes ou de conflit des citoyens. L'homme au grand cœur venu au secours de la France et qui l'a tant aidée à se défaire de la guerre étrangère, aurait une horreur plus vive encore s'il est possible, d'une guerre fratricide à l'intérieur de nos pays. Or, tel est le vrai fond de l'ambition de ceux qui manifestent le plus d'aversion pour la guerre allemande et qui parlent le plus tendrement de la démocratie ; ce sont les partisans de la guerre de classes, et la guerre civile est leur rêve secret ! Un poète français qui fut longtemps le plus populaire de nos auteurs après La Fontaine, a écrit que « souvent la peur d'un mal fait tomber dans un pire 13 ». Cela est arrivé aux Russes ; effrayés et las de la guerre étrangère, ils se déchirent entre eux depuis dix-huit mois. Cela n'arrivera certes point à notre ardente et confiante France de 1918. Cela pourrait arriver ailleurs. L'attention de l'humanité a été attirée par un grand poète américain sur « la voix haute et salutaire » destinée à nous avertir de ce qu'il y a d'insensé dans les efforts faits « pour établir une démocratie universelle 14 ». La substitution de la guerre civile à la guerre étrangère consacrerait et vérifierait l'avertissement du poète. Mais serait-ce un progrès ? Et, si ce n'est pas un progrès, ceux qui songent à nous épargner les guerres que produisent l'autocratie et la diplomatie secrète ne seraient-ils pas sages de parer aussi à ces autres guerres que suscite la diplomatie publique et qu'engendre la démocratie ?

On peut le demander au président Wilson. Et la même question peut être posée au grand écrivain français, qui paraît conclure dans le même sens que l'orateur et président américain, M. Anatole France.

Politique et morale
16 décembre 1918

M. Woodrow Wilson disait à notre ambassadeur, avant de quitter Washington, que sa Société des nations formait « une association forte, honnête, unie » ; sujette d'une loi commune, elle se dresserait toujours contre les outlaws, contre les « hors la loi », contre ceux qui vivraient hors d'elle.

L'existence de ces outlaws et le soin de la sûreté commune pourraient faire durer en effet cette association bienfaisante. La méfiance et la surveillance de l'Allemagne seront pour elle principe de la sagesse, de la fédération, de la paix ; comme la méfiance et la surveillance du duc d'Autriche furent principe de la sagesse, de la fédération, de la paix intérieure pour les premiers cantons suisses. Mais, si la force de cet ennemi commun subsiste, un principe de guerre subsistera aussi. Et, s'il s'évanouit, le principe de paix interne aura de fortes chances de s'évanouir avec lui…

Les Alliés ont battu l'empire allemand, mais leur alliance est composée de puissants empires, leurs pavillons divers, couvrant des étendues immenses, représentent des forces en activité ardente, en perpétuelle tension.

Or, toutes les rivalités de ces grands intérêts ont un caractère singulier et bien digne d'attirer l'attention des hommes d'État et des philosophes. Ce sont des procès civils, des litiges d'affaires, et si étendus qu'il n'est pas toujours facile ni même possible d'y dire le droit. Ils éclatent souvent entre deux droits antagonistes, entre deux intérêts dont chacun a sa légitimité. C'est pourquoi de part et d'autre peuvent et même doivent se trouver la même foi, la même passion, donc le même désir de ne rien céder, même à l'arbitrage et, si l'arbitre a prononcé, de courir aux armes.

Les guerres allemandes de 1870, de 1914 ont été des chefs-d'œuvre de perfide cautèle. Mais l'histoire est pleine du cas contraire. Des guerres douloureuses ont été soutenues par des adversaires honnêtes. Dans son esquisse de la Guerre de Sécession, le comte de Paris s'est montré frappé du caractère de résolution farouche et de probité réciproque observé chez les nordistes et les sudistes. C'est l'indice très clair que les plus loyaux des hommes et les plus nobles des nations peuvent en venir aux mains sans être diminués dans l'ordre moral.

À l'église

Que conclure ? J'ai vu très distinctement M. le président Woodrow Wilson au moment où le landau présidentiel débouchait du pont de la Concorde sur la place. Il ressemble beaucoup, en plus sanguin, en moins ascétique, à certains membres de la Compagnie de Jésus que j'ai eu l'honneur d'approcher. Homme d'État dans l'action, il m'a paru, dans la liberté des spéculations et des rêveries, homme d'Église bien plutôt que philosophe. N'est-ce pas lui, au fond, qui prêchait à l'église américaine de la rue de Berri où il s'est rendu dimanche matin ? Les paroles suivantes ne pouvaient-elles pas être de lui plutôt que du prédicateur ?

Pour texte de son sermon, il a pris le 9e verset du chapitre XI des Prophéties d'Isaïe. Il a insisté avec force sur la nécessité d'imprégner d'idéalisme la vie politique et civile, sur ce fait que l'Église doit soutenir cet idéalisme de toute son énergie et de tout son pouvoir. Il a indiqué que le royaume de Dieu peut être de cette terre en ce qui touche la vie politique et civile des peuples, et, plus précisément, dans les relations entre les nations. Il a déclaré que l'Histoire nous révèle que le progrès, l'évolution de humanité, dont l'existence primitive, dite préhistorique, a été le premier stade, approche maintenant, par la constitution de la Société des nations, de son stade dernier. La Société des nations sera la dernière étape de l'humanité dans la voie ou, depuis le lointain des âges, elle marche, à travers les difficultés, les épreuves et avec des reculs momentanés.

Sauf pour l'appel (d'ailleurs inexact) à l'Histoire, qu'il ne me souvient pas d'avoir lu sous la plume de M. Woodrow Wilson, toutes ces paroles du révérend Chauncey W. Goodrich seraient superposables à telle et telle parole du président. Mais le pasteur de l'église américaine s'est rapproché d'un autre grand personnage ecclésiastique à la fin de son oraison telle que la résume Le Temps :

En terminant, le Révérend Chauncey W. Goodrich s'est élevé contre ceux dont l'orgueil, l'ambition, les convoitises et la barbarie ont retardé la venue de l'heure où la Société des nations pourra enfin devenir une réalité.

Nos lecteurs ont déjà reconnu le thème. Il a été développé avec une ardente éloquence dans une encyclique célèbre de S. S. Benoît XV. L'orgueil, l'ambition, les convoitises, la barbarie, voilà les causes de la guerre. Elles sont morales et sociales ; elles sont humaines bien plus que politiques. La fonction d'une politique saine est de modérer, de régler, de limiter ces causes. Quant à les supprimer si cela est possible, cela est du ressort des doctrines et des arts qui se proposent de changer le cœur de l'homme. L'œil net, l'esprit méfiant, la conscience et l'intelligence lorraines de M. Poincaré ont parfaitement discerné selon nous à quelle confusion de genres tendait le noble idéalisme américain. Les émouvantes et édifiantes cérémonies de la rue de Berri établissent une fois de plus que, dans son esprit, cet idéalisme était religieux.

Ce n'est pas sur un Washington, c'est sur un Mayflower que ce petit-fils des Puritains a repassé l'abîme atlantique. Sa doctrine politique est la conclusion logique d'une foi. Ah ! si cette foi devenait la foi du monde, tout le reste serait non aisé ni facile (rien de supérieur n'est aisé ni facile), mais possible et, par conséquent, nécessaire. Ôtez ce support, qu'est-ce qui tient ?

Pour et contre les quatorze articles
17 décembre 1918

Ainsi, d'après Marcel Sembat, un abominable attentat à peine commis à Lisbonne, un autre « non moins cruel » se prépare à Paris ; si un jeune inconnu a abattu le président Sidonio Paes 15, deux adultes non ignorés se préparent à jeter par terre les quatorze articles du président Wilson, et ces conspirateurs sanglants ne seraient autres qu'Alfred Capus 16 et Charles Maurras, si l'on en croit le directeur de L'Heure.

Mains tordues et poil arraché, il tourne tristement autour des chers quatorze articles, lesquels d'ailleurs se portent bien et n'ont subi de dommage que sur la seule affaire de la liberté des mers dont l'empire britannique ne peut s'arranger.

Sans me porter garant en rien du sombre esprit de Capus, je peux assurer Marcel Sembat qu'il se trompe sur ma pensée. Certes, je ne crois pas que les quatorze articles soient ce que M. Wilson nous ait adressé de plus précieux. Il y a ses braves armées, qui ont aidé à la délivrance de notre sol. Il y a ses paroles pleines de cœur et de sagesse qui ont affermi notre espérance. Il y a ses bateaux pleins de fer et pleins de froment qui nous ont armés contre l'invasion et contre la famine. Tous ces admirables bienfaits de M. W. Wilson nous paraissent supérieurs aux quatorze articles, mais, loin de faire fi de ces derniers, nous jugeons au contraire que la plupart d'entre eux expriment les vœux d'une âme belle et puissante, habituée à commander et accoutumée de vouloir.

Passions, intérêts, religions

Jusqu'à quel point commande-t-on à la nature ? L'empire de la volonté pure est-il illimité ? C'est toute la question que soulèvent les doctrines de M. Wilson. Nous y lisons des impératifs. Nous n'y trouvons pas des moyens de les réaliser qui soient proportionnels aux difficultés abordées. Mais ces moyens existent ou ils n'existent pas. Cherchons-les. Nous avons commencé. Rien n'empêche Sembat d'aider notre recherche.

Les deux Français qu'il inculpe d'intentions assassines ne lui en voudront pas de son accusation s'il leur fait le plaisir de fournir un commencement de réponse à leurs curiosités, car enfin, nous n'estimons pas du tout, bien qu'il nous attribue cette pensée, que « l'idée de tuer la guerre » soit « subversive, anarchique et anti-française ». Nous lui demandons seulement de nous en dire les moyens dans l'état présent d'une Europe où les nationalités représentent des associations d'égoïsmes effervescents ; où les mouvements sociaux représentent des jalousies et des haines de classes artistement sur-aiguisées par l'intérêt des partis politiques ; où enfin l'idée religieuse est combattue à peu près partout par les États nationaux et par les partis sociaux… M. Wilson a rédigé ses quatorze articles sur l'hypothèse d'États et de Partis civilisés, domptés, polis et adoucis par une culture morale et religieuse aussi profonde que la sienne.

Pareille culture, Sembat la voit-il, et où ?

Médecine chinoise

Je lui réponds très posément, comme je l'ai fait plusieurs fois ici, par des idées très définies et des raisons très perceptibles. S'il aime mieux crier au meurtre et au complot, libre à lui. Mais tout le monde se demandera avec surprise ce qu'il a, ce qui lui a pris. On dira même que les quatorze articles doivent lui sembler bien fragiles puisqu'il ne peut pas les défendre de sang-froid.

Ou, si l'on s'occupe de trouver une raison plus ingénieuse à son extraordinaire mimique, on pourra se dire qu'il tient à l'énoncé des quatorze articles beaucoup plus qu'à leur pratique et à leur réalisation. Signer, proclamer, acclamer les quatorze articles donnera peut-être au bon peuple l'illusion de leur règne et de leur action. Mais de tels procédés nous ont fait toujours penser à la médecine chinoise qui, à défaut du remède, en fait avaler aux malades le nom dûment inclus dans des boulettes de papier. Seulement Sembat est l'auteur de Faites un roi et de maint article du Courrier européen où le monde républicain d'avant la guerre était sommé de parler et d'écrire sérieusement ; sinon, disait Sembat, l'idée royaliste viendra fatalement à bout de l'absence d'idée républicaine. Comment croire que d'un raisonneur, d'un dialecticien, d'un critique, les immenses événements où il a été acteur et public aient tiré un adepte du nominalisme chinois ? Et, si l'on refuse d'admettre cette catastrophe, comment concilie-t-il son goût de la liberté intellectuelle, son estime des quatorze articles et l'horreur que lui inspire tout débat sur ce point sacré ? La question est inextricable.

Le monde vu de Londres par un homme moral
29 décembre 1918

Qu'elle était émouvante cette rencontre, à Londres, du roi d'Angleterre et du président américain, les deux chefs des plus vastes agglomérations d'hommes qu'il y ait sur le globe, Wilson, comme il l'a dit « à titre temporaire », George V, de tout temps, depuis le roi Alfred 17 !

Suivant une habitude dont le retour est immanquable et dont nous nous ménageons attentivement le plaisir, le dépositaire de la Couronne anglaise a trouvé l'accent de l'émotion et le point du cœur pour évoquer ses grands souvenirs nationaux. Nul peuple depuis Rome n'a mieux tenu ce noble langage, par lequel le fleuve puissant des majestueuses causes anciennes roule et étend ses flots jusqu'à baigner, jusqu'à porter tous leurs effets qui sont les plus proches de nous. Sur la communauté historique de Londres et de New-York, le roi George a dit entre autres paroles :

À vous non moins qu'à nous appartiennent les grands souvenirs de nos héros nationaux, depuis le roi Alfred jusqu'à Philip Sydney, Drake, Raleigh, Blake et Hampden 18 jusqu'aux jours où a commencé à poindre dans l'Amérique du nord la vie politique héritée des ancêtres anglais. Vous communiez avec nous dans les traditions de liberté, de self-government, aussi vieilles que la grande charte.

Comme un orchestre immense, l'enthousiasme de deux millions d'âmes soulevées servait d'accompagnement à ces souvenirs, et chacun pouvait redire comme le roi : « L'heure présente est historique, votre visite marque une date historique. »

L'âme du wilsonisme

Le président Wilson a répondu comme il convenait à ce grand accueil.

Une nuance de son discours frappera. C'est la satisfaction visible, et très hautement avouée, avec laquelle le successeur de Washington et de Lincoln a repris pied sur cette vieille terre, à l'antique foyer des parents de ses grands-parents. Mais il a parlé aussitôt, presque immédiatement, sans transition, de ce qui me paraît être son vrai objet, l'objet profond de sa pensée et de son action : « l'influence que le peuple américain peut avoir sur les affaires du monde ». Il ne faudrait pas nous pousser beaucoup pour nous faire avouer qu'à notre avis là est la pensée essentielle de ce chef d'un État géant. La nature de cette influence, sa qualité, les moyens par lesquels elle s'exercera et les fins qu'elle poursuivra seront certainement débattues avec loyauté et délicatesse dans cette intelligence et dans ce cœur, mais, soyons-en sûrs, cela n'y viendra qu'en deuxième ligne. Évitons l'illusion contraire.

On a déjà tenté de définir le président Wilson un homme dont le réalisme est au service d'un idéalisme passionné. Ce n'est pas bien cela encore. Il faut ajouter que ce noble idéalisme est essentiellement national ; ce ne sont pas seulement les forces, les moyens, les matériaux qui sont américains dans M. Wilson, c'est aussi l'idée directrice, et ce qu'elle a d'américain passe avant tout. Plus la nationalité de l'Amérique, réalisée dans une élite d'esprits et de cœurs, semble encore distante de son point d'accomplissement et continue à mériter son vieux titre de nébuleuse, plus ces Américains de la « plus grande Amérique », véritables Pères de la Patrie, sont attachés à leur désir, à leur espoir, à leur passion du développement « d'une grande influence sur les affaires du monde ». Leur dévouement si exalté, leur générosité, leur volonté de servir efficacement sont animés pour une très grande part de ce beau souffle de patriotisme volontaire. N'hésitons pas à ajouter que c'est aussi à ce caractère que nous les reconnaissons pour vrais et dignes frères des grands hommes d'action dont l'histoire politique de notre ancien monde est issue. Nation y fut toujours berceau conditionnel de civilisation.

Le wilsonisme religieux

La nuance particulière de moralisme, de dévotion ou de sainteté qu'y ajoute M. Wilson nous est un peu plus étrangère. Inconnue ? Non ; familière sur d'autres plans.

Dans la jeune Amérique, ces plans, encore confus, restent entremêlés, ils ne le seront plus dans cent ans. Alors on distinguera mieux la morale et la politique, la morale et la religion. Alors on sera plus attentif à ne point mélanger trop souvent le point de vue du droit qui est celui des choses sacrées, avec celui des intérêts de fait qui, pour être moins noble, représente l'air, l'aliment, la lumière, le vêtement, la sécurité de la vie pour d'innombrables populations et qui, par là, se rapprochent aussi d'une zone sacrée, celle du devoir.

Pourquoi y aurait-il des Gouvernements s'ils ne devaient défendre, soutenir et développer l'existence des gouvernés ? Le « droit » du président tout en générosité envers les frères éloignés et indifférents ne tend-il pas d'ailleurs à s'oublier parfois lui-même quand il tourne à l'indulgence pour un ennemi criminel ? Les habitants affamés de Lille ou de Sedan n'ont-ils pas en droit véritable un tour de faveur sur ceux de Vienne et de Berlin ? Mais le droit théorique du président américain s'arrête à peine à cette préférence dont la légitimité paraîtra absolue !

Le jugement moral du monde

Il est d'autant plus intéressant de poser de telles questions qu'une phrase très remarquable du discours de Londres semble montrer que l'éminent orateur a perdu de vue même leur existence. Dans une allusion très nette au grand mot de Montaigne et de Pascal sur les trois degrés d'élévation du pôle qui renversent toute la justice, M. Wilson a tranquillement indiqué que, selon lui, ces remarques de contemporains de Shakespeare et de Milton sont aujourd'hui bien périmées. Il a dit que « jamais » peut-être avant notre temps, les hommes n'ont « réellement » compris combien petite était la différence entre les mots « droit et justice sous une latitude ou sous une autre, sous une souveraineté ou sous une autre ».

Voilà, on a le droit d'en avertir cet homme éminent et que sa place élève encore, voilà, sans doute aucun, la déclivité de la plus dangereuse des illusions. Il n'est pas exact que l'on tombe plus aisément d'accord de la Justice qu'autrefois. Et c'est même tout le contraire. Le « jugement moral du monde », comme il dit plus loin, ne tend aucunement à s'unifier. Il faut le dire sans plaisir, comme il faut le voir sans trouble, mais il faut le dire et le voir. Croire que les hommes se comprennent de plus en plus alors qu'ils tendent à la plus sensible et à la plus profonde des mésententes, c'est accélérer sans le vouloir l'ordre des malheurs nouveaux de l'humanité.

Nous nous permettons d'attirer l'attention de M. Woodrow Wilson sur cette erreur de fait. On a le sentiment de lui rendre service en la lui signalant.

Toute l'histoire de cette guerre d'alliances, avec ses arrêts fous, de cette alliance elle-même, aux retards scandaleux, alors que l'ennemi avait tout fait et si bien pour nous fédérer dès la première heure, cette histoire constitue à elle seule un témoignage de la plus haute valeur en faveur de l'opinion la plus pessimiste. Cette histoire établit que l'homme moderne, de 1914 à 1918, n'a essentiellement bien compris que les coups, et les coups une fois reçus ; il a fallu l'invasion du sol belge pour appeler l'Angleterre à nos côtés, il a fallu l'invraisemblable succès boche du 21 mars 1918 pour faire l'unité de commandement, il a fallu… Non, non ; si, pour juger, il faut commencer par connaître, jamais les esprits n'ont été plus lents, les intelligences plus paresseuses, les communications intellectuelles plus difficiles à établir. De ces lenteurs et de ces imperfections dans la connaissance sortent les plus extrêmes variétés et contradictions dans les jugements. Je promets à M. Wilson de beaux étonnements sur la variété du « jugement moral du monde » s'il a le malheur de se fier à cette dernière et crépusculaire idole de la fantasmagorie criticiste.

Vers la tour de Babel

Nous allons à la tour de Babel, voilà la vérité. Un regard sur l'Europe moyenne, centrale, orientale, confirmera ce sentiment. Quant à la force morale qui voudra la débrouiller, il est permis de lui souhaiter beaucoup d'agrément ; pour ce qui est du travail, cela ne lui manquera pas.

Au surplus, que M. Wilson fasse une expérience. Qu'il la fasse non pas de nation à nation, mais dans un même pays anglais ou français (tous deux divisés par l'âpre contention des partis sociaux et politiques dans des conditions sensiblement analogues, ce qui ne veut pas dire qu'elles soient très semblables). Que M. Wilson prenne « le jugement moral du monde » chez les chefs et militants socialistes de France et d'Angleterre et qu'il le compare au jugement moral du monde dans la moyenne du reste de l'opinion ; il verra quel particularisme insensé, quelle catégorie nouvelle d'exilés à l'intérieur, quelle sorte de corps étrangers a développé dans la masse des deux nations voisines une agitation sociale fondée par une faction sur une doctrine économico-politique. Les peuples modernes tendent à se dissocier à l'intérieur par la lutte des classes, les rivalités nationales les opposent entre eux. Ces deux ferments pernicieux n'emporteront sans doute pas la civilisation, nous avons confiance qu'ils seront vaincus quelque jour, mais il faut commencer par travailler à les vaincre. Faire comme s'ils étaient vaincus d'ores et déjà, procéder comme si le double problème, si redoutable, était résolu, c'est mettre de nouveau la charrue avant les bœufs et, si l'on se soucie du bonheur du genre humain, y travailler en rêve pour une Ville des Coucous et des Nuées 19 qui n'a rien de commun avec notre ville ni avec ses faubourgs.

M. Wilson à Rome
5 janvier 1919

La visite de M. Wilson au Vatican a été commentée, admirée et donnée en exemple ici au moment où l'annonce en causait une assez forte surprise à Paris. Nous n'avons pas à revenir sur nos impressions, qui étaient justes. M. Wilson s'est conduit en homme de goût et en homme de bien, ce qui ne l'a pas empêché de se montrer aussi homme pratique, politique avisé et sincère ami de la paix ; il eût été inouï de passer les mers pour tenter d'établir l'amitié entre les hommes par le moyen d'un instrument politique et de vouloir se priver du concours de la plus haute autorité morale de l'univers, celle qui régit le plus grand nombre d'esprits et de cœurs dans l'humanité.

M. Wilson n'a pas commis cette erreur. Cela nous donne confiance dans son action. Nous ne la croyons ni infaillible, ni impeccable. Mais nous avons la certitude qu'elle reste de toute façon et dans tous les cas d'un fort degré supérieure à certaines formules dont s'enchante et (très visiblement, à Rome) s'égaie son esprit et son éloquence. On remarquera et l'on admirera dans les discours d'hier et d'avant-hier le plus curieux ton de détente. Le président américain semble avoir respiré, du Capitole au Janicule, je ne sais quelle composition hilarante dont la subtilité, sans faire tort à sa raison, l'a exaltée, affinée, sublimée, et parfois un peu égarée vers de beaux nuages couleur d'émeraude et de pourpre, d'espoir et de domination.

Capitole romain et Capitole américain

Comme toujours, l'orateur prenait les précautions les plus solides, il s'ancrait tout d'abord aux réalités fermes et par exemple avant de partir pour l'azur, il commençait par dire tout net :

Il est aisé de parler de droit et de justice, il est quelquefois malaisé de les faire passer dans la réalité, et cela exigera une pureté de mots et un désintéressement d'intentions dont le monde n'a jamais été témoin jusqu'ici dans les conseils des nations.

Pas de précédent. Donc, attention et gare ! dit le bon sens américain. Mais cela dit (et fait), le président s'embarque dans des constatations dont le défaut est d'être remarquablement unilatérales… Oui, il a raison de le dire, « de grands empires sont tombés en morceaux », c'est le fait capital de cette guerre, mais ce n'est pas le seul ; d'autres empires se sont resserrés, concentrés et fortifiés, il faut donc y penser. Oui encore, ce qui rattache les hommes dans les États, ce qui peut rattacher les États entre eux, c'est l'amitié. Aristote l'avait déjà dit. Est-ce l'amitié seule ? Il y a des intérêts qui le plus honorablement du monde ont su unir de grandes nations, après les avoir divisées ; l'Angleterre et la France ne l'ont-elles pas éprouvé dans les plaines de Flandre ?…

Le président dit encore que l'amitié est le seul trait d'union international « si vous écartez la force ! » Mais le plus beau est que vous ne l'écartez pas de la Société des nations ; vous êtes obligés de créer une force internationale, et cette force est passible de toutes les objections dont les forces nationales sont si curieusement accablées aujourd'hui.

Alors ? Alors, il y a beaucoup de fantaisie, de mousse, d'humour philosophique et doctoral dans ces magnifiques discours et quand on lit, d'autre part, ce regret :

Si l'Allemagne avait attendu seulement le temps d'une simple génération, elle aurait possédé l'empire commercial du monde. Elle se refusait à faire cette conquête par les moyens de l'intelligence, de l'esprit d'entreprise, de la réussite commerciale…

Ici, on ne peut s'empêcher de rêver et, le rêve achevé, de se dire qu'un empire purement commercial peut être terriblement oppressif, homicide et dévastateur. La Société des nations nous y exposera-t-elle ? Ne haussez pas l'épaule, ne vous confiez pas au destin des belles idées et fuites (je ne vais pas vous donner un petit modèle), faites, faisons tous comme le roi d'Italie, riche en sourires radieux pour la Société des nations, mais qui a commencé un paragraphe de son discours en des termes aussi sages et puissants que ceux-ci :

L'Italie ayant désormais réuni à elle ceux de ses enfants depuis longtemps éprouvés par l'oppression étrangère et retrouvé les frontières qui seules peuvent lui donner, avec la sécurité, une véritable indépendance…

Victor-Emmanuel III est décidément de l'avis de M. Clemenceau. Société des nations tant qu'on voudra ; mais des frontières, des armements, des alliances et l'équilibre des forces de terre et de mer en Europe et dans le monde entier. Ce système peut être ancien. Il est. Tout ce qu'on peut dire de l'autre est qu'il n'est pas encore apparu capable de vie.

Roosevelt et Wilson
8 janvier 1919

C'était une étrange figure, tout en force, tout en doctrine, tout en passion. Ne criez pas aux contradictoires, Roosevelt avait la passion de la doctrine de la force, et cette force enseignée avec cette passion était pour lui la plus haute expression de la morale et de la vertu, le plus digne hommage qu'un homme conscient pût adresser au droit. Ce qui chez le président Wilson affecte volontiers les fugitives apparences d'une opposition paraissait plutôt chez le président Roosevelt une composition.

Mais, en fait, ils pensaient de même et ces deux adversaires de là-bas font figure de co-religionnaires ici.

Assurément, l'un veut freiner, l'autre exalter, l'un adoucit et rêve de pacifier, l'autre prêche la guerre sainte contre l'existence du « type flasque » et ne croit qu'aux énergies d'une activité enivrée d'elle-même. Ces contrastes s'expliquent par des diversités de profession et de carrière ; Wilson a toujours été professeur, Roosevelt a mêlé la guerre à la politique. Mais leurs différences les plus extrêmes ne laissaient pas d'obéir aux mêmes principes et de le rapporter au même américanisme. Tous deux étaient les fils d'une Amérique triomphante, tous deux auront été des nationalistes et j'allais dire, en dépit de leur intervention magnanime, des particularistes américains.

En voulez-vous la preuve ? Des deux, c'est le belliciste qui a mis sur pied la plus petite armée et la plus petite marine, et c'est le pacifiste qui a fait passer l'Atlantique au drapeau étoilé, ombrageant deux millions de soldats !

L'humanité nouvelle et la France

À tous les deux, la France dévoue, doit dévouer une gratitude sans borne. L'apôtre de la paix Woodrow Wilson nous a, en fin de compte, apporté les ressources, l'or, le fer et le cœur même de sa patrie. Le prédicateur de la guerre Roosevelt, après avoir prodigué, pour la cause de l'Entente, tous les efforts de sa parole et de sa plume, lui a envoyé ses quatre fils, dont l'un dort l'éternel sommeil dans un repli de notre terre abreuvée de son sang. Théodore Roosevelt n'aura pas longtemps survécu à Quentin Roosevelt. Il conviendra que nos drapeaux pendent sur son cercueil. Cet homme si semblable aux hommes de son pays était aussi différent de nous que possible, mais c'était un vrai homme et c'est contre la bête allemande qu'est née l'occasion de nous connaître, de nous estimer et de nous aimer.

Avancerons-nous encore dans l'heureuse voie que nous ouvre la découverte, graduelle et chaque jour plus claire, des Anglo-Saxons par les Français et des Français par les Anglo-Saxons ? Cela se fera si nous savons prendre également conscience de nos différences et de nos ressemblances. La raison de nos sympathies est à n'en pas douter de l'ordre du cœur. À la droiture innée, au goût du bien moral si vif chez nos voisins correspondent, chez nous, en développements symétriques, le goût du vrai, celui du beau et le sentiment de l'honneur. Ce qui nous étonne toujours un peu, c'est l'attention immense et presque sans mesure donnée par l'Anglo-Saxon au thème de l'énergie et de la vertu personnelle ; les peuples de culture latine ne sont pas « individualistes » de cette façon et même ils ne le sont pas du tout. Les trésors indivis du langage, des arts, de la poésie, de la science et de la raison, les acquisitions sociales, voilà leurs points de départ favoris ; c'est d'une belle émotion impersonnelle ressentie en commun ou d'une brillante démonstration rationnelle et comprise ensemble que nous nous élevons à l'imitation des héros et des saints de notre patrie. Bref, il faut que l'intelligence soit de la partie, qu'elle ait son compte dans le jeu ou dans le labeur. Deviendrons-nous moins « cérébraux » au contact de l'Amérique et de l'empire anglais ? Ou nos amis anglo-saxons se laisseront-ils prendre et charmer à notre façon de penser l'action ou la sensation tout en les vivant avec énergie ? L'avenir le dira peut-être. Il dépend de nous de le décider, et la décision importe si l'intérêt du monde est toujours que les races nourries et modelées aux leçons des deux Romes ne perdent pas de vue leur rôle magistral, trois fois millénaire, d'humaniser et de spiritualiser l'univers.

La noble race des Théodore Roosevelt et des Woodrow Wilson aura décidé du principal en écartant de l'avenir, il faut l'espérer, toute candidature de la barbarie boche à l'Empire. Cet effort s'est fait dans la guerre. Il se continuera dans la paix. À nous de faire le nôtre et de l'accentuer ; l'effort qui ne peut être fait que par nous, l'effort dont le premier effet est de nous rendre à nous-mêmes et le second de nous mettre à même d'employer tout le plein, tout le bon de nos qualités. Si, comme tout l'annonce, la barbarie anarchiste et révolutionnaire, la barbarie d'en bas, qui alarmait Macaulay 20, subit le sort de la barbarie germanique, la réorganisation intellectuelle et morale de notre patrie nécessaire dans tous les cas, devient pour elle le plus délicat des devoirs de la gratitude ; comment remercier nos sauveurs si ce n'est en leur distribuant avec plus d'abondance toutes les douceurs, toutes les lumières et toutes les forces que la France d'autrefois leur a rayonnées ?

M. Wilson au Sénat
21 janvier 1919

Nous ne regrettons pas d'avoir rappelé, l'autre jour, le tour excellent des discours prononcés, pendant la guerre, par M. Antonin Dubost 21. Décidément, le vieil Allobroge parle bien. Son allocution au président américain dans le déjeuner sénatorial d'hier lui fait honneur ainsi qu'au pays.

Visiblement, M. le président du Sénat a tenu à parler au nom de la France et non d'un régime ou d'un parti exclusifs. Il a marqué la continuité nationale. Il s'est déclaré, avec le Sénat, continuateur d'une « histoire qui compte déjà quinze siècles ». À la bonne heure ! Et le « soyez bienvenu, vous et vos idées » ne manquait pas d'allure non plus.

Il a proposé à M. Wilson un autre excellent point de vue, celui de l'Allemagne éternelle qui explique tout, substitué à celui de « l'autocratie » qui n'éclaire rien. Il y a des autocraties pacifiques ; exemple le malheureux tsar Nicolas. Y a-t-il des gouvernements allemands qui aient laissé la paix au genre humain ? Non. Jamais. Au temps de son anarchie la plus sauvage, la plus barbare et bégayante, l'Allemagne était déjà, il y a deux mille ans, la perturbatrice du monde. M. Antonin Dubost, né, je crois, au bord d'une voie romaine du Dauphiné, la définit telle qu'elle est : « race de proie », faisant sa « poussée séculaire ». Il eût pu dire : millénaire. « Race qui semble elle-même poussée par quelque obscur, quelque ancestral besoin de migration » ; devant cette race, à courte distance de cette poussée, se trouve placée notre patrie. Telle est sa destinée et sa fatalité. Ce mot, souvent impropre, est ici où il faut.

Fondons, établissons un ordre nouveau, soit. Organisons le monde suivant les généreux projets du président Wilson : « Cet ordre nouveau devra toujours s'appuyer sur une force quelconque… Cette force, la France en sera, en définitive, la sentinelle la plus avancée et la plus exposée ». Que ce nouvel ordre nous libère du cauchemar de l'invasion ; mais, pour le moment, près de 140 0000 Français viennent encore de donner leur vie, faute d'être suffisamment protégés ! On les protégera ? Soit. Et tant mieux. Mais pas d'excès de confiance ; voici que, pour une part de l'Europe, à la guerre étrangère succède l'anarchie, c'est-à-dire « la haine et la discorde » et toujours les coups. Ce que nous voyons doit nous rendre prodigues et hardis dans la multiplication des défenses.

Que les idées de M. Wilson soient les bienvenues !

Comme toujours, la réponse de M. W. Wilson a été empreinte d'un grand charme. Il suffit de la lire pour avoir idée d'une cordialité rayonnante et aussi pénétrante. Il a repris la comparaison de la sentinelle. Il a évoqué avec l'éloquence de la tragédie « la ligne imperceptible de la frontière » qui nous séparait des armements monstrueux de notre ennemi éternel. Il a donc ratifié en somme, quant à l'essentiel, l'esprit des objections qui lui avaient été si amicalement et si franchement exposées. Quant à l'avenir, sa parole la plus rassurante contenait l'idée que voici : « Beaucoup d'éléments nouveaux » sont nés ; ils doivent nous inspirer confiance…

On disait la même chose en 1790. De grandes guerres ont suivi. On disait la même chose en 1815, on redoublait en 1848. De grandes guerres ont suivi. Les mêmes choses étaient reprises en 1898. Les grandes guerres n'ont pas manqué… Cette concordance est impressionnante… De manière générale, il est sage d'être en garde contre l'hypothèse de transformations destinées à changer l'ordre prévu et stable de la nature sociale. En 1898–1900, prévoyant la guerre, nous élaborions l'Enquête sur la monarchie. Un chef socialiste, comme nous l'avons raconté dix ans plus tard, lut notre ébauche et prononça que le projet paraissait sensé.

— Alors, lui dîmes-nous, pourquoi ne pas vous y rallier ?

— Parce que, nous répondit-il, il se produira d'ici peu des transformations qui changeront tout…

Les transformations se sont produites, en effet. Mais elles étaient, point par point, de l'ordre, de la direction et du sens que nous avions prévus.

Il faut défendre l'Europe contre la Germanie
24 janvier 1919

Cette note, tout d'abord intitulée « La déconvenue à prévoir », était écrite au lendemain des ouvertures faites aux révolutionnaires russes, que l'on conviait à d'étrange conversations dans une île de la mer de Marmara. On sait le résultat de l'équipée de Prinkipo22

À entendre les socialistes du centre et de la gauche, on dirait quelque grande victoire nationale. Ce n'est rien, c'est une simple défaite, disent-ils, des représentants de la France, MM. Clemenceau et Pichon, par MM. Lloyd George et Wilson. Une voie sûre est abandonnée. On adopte la voie indirecte et longue, semée de fondrières, au bout de laquelle il faudra bien que tout le monde revienne sur ses pas. Les Cachin, les Longuet et leurs tristes émules ne se tiennent pas de plaisir. Un faux pas de l'Entente, un pas de clerc de la France, c'est tout ce qu'il leur faut pour s'extasier.

Laissons-les à leur triste joie. Nos sévérités ne les troubleront pas. Ni cris d'appel, ni mots de pitié ne les remueraient. Le bandeau sur les yeux, un bandeau fait de mots médiocrement agencés, ils vont. Dans quelque temps, bientôt peut-être, mais certainement tôt ou tard, ils rendront au pays le spectacle de leur stupeur vaine et de leur sotte angoisse, le même qu'ils donnèrent, si beau, dans les premières semaines d'août 1914, après que Jaurès eût vainement recherché dans un lexique allemand-français une autre signification aux vocables de guerre que le télégraphe apportait. Alors, pour quelques jours, la réplique du fait avait rabattu le caquet de leur verbiage.

Ils annonçaient la paix entre les nations. Le feu et le sang accoururent. Ils annoncent la constitution d'une Europe nouvelle à la Wilson. Un effondrement inouï qui surviendra les confondra.

L'Europe est-elle condamnée ?

Laissons-les. Pis que des coquins et des brutes, ce sont des sots. Mais, indépendamment de leur sottise épanouie qui, par contraste, donne à un Gustave Hervé figure d'homme de bon sens, il nous faut encore admirer l'esprit d'aveuglement qui préside aux conseils de l'Europe et du monde. Sans doute, il convient de parler avec quelque réserve des intérêts communs de notre planète, car ils sont à peine définissables, et le genre humain épars sur les îles et sur les continents est lui-même, par les diversités de son habitat, entraîné à de surprenants effets de concurrence et de haine. Cependant, il ne nous semble pas conforme aux destins généraux de la terre et de l'humanité que notre vieille Europe sombre dans le chaos des divisions, des conflagrations, des révolutions, mal tempérées par des organisations à la boche. L'Europe peut avoir des défauts, des torts, des lacunes ; c'est un édifice de géographie et d'histoire qu'il n'est pas téméraire de nommer un grand bien. Il est de l'intérêt de l'humanité de le maintenir et de le défendre. Il serait sauvage de le détruire. Voudrait-on ce malheur ? Tout se passe comme si on le voulait.

Pour guérir l'Europe, il eût fallu que la Conférence de la Paix à peine réunie s'attaquât en principe à la question d'Allemagne. De là était venu le mal, là devait être appliqué le remède. Quel remède? Eh bien, le fer chaud, si le fer chaud était nécessaire ! La maladie du germanisme étant mère du bolchevisme, le bolchevisme ne pouvait vraiment être abordé et traité que là. Là seulement aussi pouvaient être posés et résolus les problèmes émis par les peuples périphériques slaves, latins, gallo-latins. Nous le disions bien avant l'armistice, dès le milieu des mois d'été : méditez la question d'Allemagne ! On a préféré méditer des questions qui, sans celle-là, ne peuvent même pas être conçues, et l'on aboutit de la sorte à la co-existence de ces deux douloureux résultats : le raffermissement de l'autorité en Allemagne, l'obscurcissement et le trouble portés dans toutes les autres nations, dans toutes les autres questions.

Nous avions appelé M. Woodrow Wilson un nationaliste américain. Mais nous n'avons jamais admis que le nationalisme du président pût se confondre avec une formule d'abaissement et de diminution pour le peuple ami que ses armes ont sauvé, et sans lequel il serait envahi lui-même. En nous refusant les précautions et les protections nécessaires contre un ennemi éternel, M. Wilson ne peut penser qu'il fasse les affaires de l'Amérique. Ou son erreur serait si grave qu'elle serait indigne de lui.

Le monde anglo-saxon tout entier est encore plus intéressé qu'il ne croit à la vie et à la vigueur d'une Europe affranchie des épouvantes du germanisme. La ceinture d'argent et d'azur de la Manche, les abîmes océaniques eux-mêmes sont de petites garanties contre l'essor du rapace malfaisant de Berlin ou de Weimar. Si la justice, le droit et le devoir pouvaient devenir lettres mortes pour eux, « ceux qui parlent anglais » feraient sagement de se dire qu'à Rome, à Paris, à Bucarest et en quelques autres villes choisies, mais non très nombreuses pourtant, ni très populeuses, ils ont des amis qui les défendaient en se défendant ; oui, ces amis se sacrifiaient à quelque chose comme un bien vital indivis entre eux et nous. Personne n'eut jamais raison de laisser périr de semblables amis, mais, quand on commet cette négligence, on la paie. Le continent européen abandonné sans défense aux menaces prochaines de son foyer central, serait sans doute fort à plaindre ; plus à plaindre peut-être ses ingrats ou ses négligents débiteurs !

Intentions et résultats
27 janvier 1919

Un Français qui écrit au New-York Herald, journal américain de Paris, notre confrère Pierre Veber faisait toucher du doigt, hier matin, à M. Wilson le douloureux contraste, trop saisissable, entre des intentions magnanimes et les résultats obtenus. Ils ne sont encore que moraux. Mais d'autres peuvent suivre. « Les mystiques », dit M. Pierre Veber, « ont beau faire appel aux plus nobles idées, ils en viendront forcément à l'emploi de la force pour imposer leur volonté. Il serait paradoxal que, de cette Assemblée pacifique, il sortît une guerre nouvelle ! » Paradoxe dont les annales du genre humain ont toujours regorgé.

Nous ne ferons pas reparaître notre vieux tableau des instructives concordances entre le courant pacifique et le courant guerrier. La vie et la mort du dernier empereur de Russie, fondateur du défunt tribunal de La Haye, illustrent d'un jour triste et cru cette vérité. Au dehors, au dedans, il a voulu la paix. Au dehors, au dedans, il a subi la guerre. Et lui aussi rêvait de la faveur de « l'opinion du monde » ! Lui aussi, cet autocrate tolstoïen, professait qu'il convenait de tout remettre « entre les mains du peuple » ; son mysticisme teinté de fatalisme d'Orient n'était pas si éloigné du mysticisme wilsonien, tout animé de la généreuse activité des nations d'Occident… Orient, Occident, ces notions se confondent sur la planète ronde, et le sentiment du messianisme biblique laïcisé se laisse voir aux deux extrêmes ainsi rejoints. Malgré les différences et les contradictions, ce parallèle donne un désagréable frisson.

Fermons les yeux. Ne souhaitons rien de russe, ni de slave, à la riche, féconde et magnifique Amérique. Mais que les hommes d'État américains prennent enfin garde à ces puits de misères qu'ils sont en train de nous creuser, de creuser à tous, eux-mêmes compris ! Il suffirait que les collaborateurs de M. Wilson voulussent bien attirer l'attention de leur chef sur la qualité des gens dont il recueille ici l'approbation tapageuse. Ce ne sont pas des honnêtes gens. Ce ne sont même pas d'honnêtes esprits. On ne peut les désigner que du nom le plus haï de la loyauté anglo-saxonne : ce sont des fraudeurs.

Dans la division des esprits, quand l'intérêt est de se mettre d'accord au moyen de la raison et de la vérité, ces spécialistes de la fraude oratoire et littéraire font ce qu'ils peuvent pour empêcher entre Français, entre Alliés, un échange d'idées cordial et franc marquant les points d'accord, les points de dissidence et cherchant à les régler par effort commun. C'est aux passions, aux préjugés, aux illusions, aux plus grossières rêveries mythologiques d'une foule enfant que l'on tente de s'adresser pour obtenir les perturbations dont le président américain serait l'artisan, dont sa philosophie fournirait le prétexte. Pour ce résultat l'on ne dédaigne point de l'aduler parfois d'une façon si plate qu'il en doit être écœuré, parfois aussi d'une manière insinuante, subtile, délicate même et capable de surprendre quelque faiblesse d'un grand cœur.

Mais un ami vrai le mettrait en garde et lui rappellerait ce qui est dit, à l'apocalypse de Jean, du petit livre doux à la bouche et qui est fort amer au ventre ; le solitaire de Patmos en eût dit tout autant de tels journaux de Paris. Il ne manquera pas à Washington de voix austères pour le lui rappeler un jour.

Avant ce jour, le premier venu des Français peut conseiller au président Wilson de considérer l'envers de ces flatteries. Les mêmes qui se vautrent à ses pieds tournent des regards de fiel et des propos de haine contre leurs propres compatriotes et, sans que la raison y soit pour rien, l'intolérance de l'intérêt et de la passion est si forte qu'il suffit à un écrivain du rang de Capus d'émettre dans le tour le plus impersonnel, des objections de l'ordre le plus général pour se voir appliquer le reproche de diverses hypocrisies et de grossier jésuitisme, terminé par des murmures de ton guerrier ; comme s'il était impossible à certains esprits de rêver paix extérieure sans se peindre aux couleurs de la guerre civile !

M. Wilson à la Chambre et notre indépendance :
4 février 1919

En prenant place à la tribune de la Chambre, dans cette Assemblée qu'il a jugée si exactement, M. le président Wilson s'est-il rappelé les sentences émises autrefois dans son livre L'État, éléments d'histoire et de pratique politique ? S'est-il rappelé en particulier les phrases qui servaient de manchette à notre numéro du 17 janvier ? Elles disaient :

La responsabilité ministérielle a rapidement fait place en France, dans les dernières années, au Gouvernement par les Chambres ou, ce qui est pis, au Gouvernement par la Chambre des députés…

… La Chambre des députés est notoirement un corps sans modération…

…Et la France faiblit sous cette pesante, cette intolérable forme de gouvernement…

La « brillante conception de la France » qu'il nous apporte d'Amérique et qu'il a laissé entrevoir dans son discours d'hier n'a que des rapports très lointains avec ces aphorismes. Ce qui lui paraît désormais « briller » parmi nous, c'est l'élément sous lequel notre pays lui paraissait faiblir. Au contraire, ce qu'il paraît traiter avec quelque indifférence, même quelque dédain, c'est l'élément national, l'esprit d'indépendance, la force militaire, tout ce à quoi nous devons d'exister et de respirer après quatre ans.

Étranges variations ! M. Wilson se félicite de la paix conclue, enfin, d'égaux à égaux avec l'Angleterre. Il prodigue à plusieurs reprises les marques d'estime et d'amitié au général Pershing. Mais à nous, que dit-il ? Il croit pouvoir demander, en pleine Chambre « un peu d'abandon de notre indépendance d'action » et promet, en échange, quoi ? La sécurité, ou pour mieux dire, l'assurance d'une sécurité dont il ne paraît distinguer encore ni les moyens réels, ni les solides garanties. Ainsi le cœur du président américain se révèle animé de sentiments généreux et même magnifiques, mais un peu protecteurs et nous ne sommes même pas absolument certains que les conditions réelles de cette protection soient devenues entièrement sensibles à son esprit. Ce qu'il a la grande bonté d'en dire suffirait sans nul doute s'il suffisait au pays de se croire défendu. Mais la France a besoin d'être en sûreté véritable. Elle ne peut pas croire au pouvoir des mots pour cela.

La visite de Reims

M. le président Wilson est allé à Reims. Qu'a-t-il vu ? Qu'en rapporte-t-il ? Une donnée intellectuelle ou sentimentale relative au péril allemand ? Pas tout à fait. Nos malheurs se sont offerts à son esprit sous l'aspect scolastique d'une erreur générale de conduite, plus morale que politique, à rectifier.

Voici : avant que la ville et la cathédrale fussent ruinées, les dirigeants du monde, paraît-il, avaient pensé aux relations entre les gouvernements, mais avaient oublié les relations entre les peuples. Ils se préoccupaient de manœuvres et de relations internationales. Ils auraient dû être préoccupés « des destinées des hommes et des femmes et de la sécurité de leurs foyers ». Ils « auraient dû prendre souci de voir leurs peuples heureux parce qu'étant à l'abri du danger ». Je peux assurer à M. le président Wilson qu'il commet une double erreur de fait. Toutes les politiques (je ne parle que des politiques dignes de ce nom) ont et ont eu toujours présent à l'esprit ce truisme que, sous les affaires et les tractations des gouvernements, il y a les intérêts, il y a la vie matérielle des peuples, c'est-à-dire des hommes, des femmes et des enfants. Quicquid delirant reges 23

Tous les Français, qu'ils soient royalistes ou républicains, ont plus ou moins souvenir de la fable que La Fontaine a intitulée Les Membres et l'Estomac, où sont indiquées les suprêmes répercussions de la politique ; tous les Français ont lu, ou l'on a lu pour eux, la magnifique page de la Politique de Bossuet où il est dit :

La joie rend les corps sains et vigoureux et fait profiter l'innocent repas que l'on prend avec sa famille loin de la crainte de l'ennemi et bénissant comme l'auteur de tant de biens le Prince qui assure la paix, encore qu'il soit en état de faire la guerre et ne la craigne que par bonté et par justice.

L'Action française est une école qui se singularise par bien des points. Elle n'a jamais songé à réclamer comme une distinction originale le fait d'insister à tout bout de champ sur les rapports des moindres intérêts particuliers et de l'intérêt général, de la sûreté de l'État et de la sûreté des hommes, des femmes et des enfants. Conclure une alliance nationale ou signer un traité de commerce sans avoir évoqué d'abord cette pensée des familles et des individus ne peut être le fait que de rhéteurs psittacistes ou de juristes devenus étrangers à la matière de leur savoir.

M. le président Wilson commet une autre erreur. Si l'on n'a pas fait la faute qu'il indique, on en a fait une autre qu'il n'indique pas. On n'a pas assez fait de politique véritable. On a négligé cette étude, cette gestion de nos intérêts les plus généraux. On n'a pas tenu à jour au degré où il l'eût fallu les conversations de notre gouvernement avec les gouvernements étrangers. On n'a pas su constituer à l'avance, contre l'Allemagne, cette Ligue des nations que les hasards de la guerre ont formée peu à peu, automatiquement et trop lentement. Les gouvernements et, entre tous, les nôtres, n'ont pas fait leur métier de gouvernement.

Pourquoi ? Serait-ce pour des raisons de vaine diplomatie ? M. Wilson le croirait-il ? En ce cas, il ferait une troisième erreur. Cette politique extérieure n'a pu être faite parce que la politique intérieure nous dévorait. Les politiques n'ont pas rempli leur fonction, ils ont manqué à leur devoir parce qu'ils étaient ou opprimés et gênés par les politiciens ou eux-mêmes embauchés dans cette tribu de malheur. M. Wilson peut en croire, non pas notre témoignage qui lui serait (bien à tort) suspect, mais le rapport de ce médecin de village que je publiais à cette place hier.

Voici, m'écrivait le docteur Moret, de Courlon-sur-Yonne, un petit récit que je vous dédie pour corroborer ce que vous dites. Je vous livre les noms, le mien comme ceux du monsieur pour les publier au besoin, si vous le voulez ; nous vivons dans un temps où il faut mettre les points sur les i, les noms sur les personnes, et ne pas se contenter de la polémique anonyme.

Or donc, en septembre 1913, j'assistais, comme conseiller municipal, à la distribution des prix des élèves des écoles de mon village de Courlon (Yonne). La présidence était dévolue au conseiller général de mon canton : M. Chéreau, vieillard falot et terne, qui eut la malencontreuse idée de nous servir comme morceau d'éloquence la lettre de Léon Bourgeois, célébrant l'inauguration du palais de la paix à La Haye, d'où il résultait clair comme le jour (et ça ne faisait de doute pour aucun des assistants) que la paix était garantie à jamais, et la guerre désormais impossible. Après ce ridicule factum, l'orateur ajouta des réflexions de son cru, aussi dépourvues de bon sens que la lettre de Bourgeois ; le commentaire valait le texte et tout était à l'avenant.

Placé derrière le personnage, vous pensez si, nourri de la lecture de Kiel et Tanger, je bouillais à l'audition de ces inepties. Je passe pour un violent, à tort, comme Daudet. Si je l'avais été, si j'avais écouté ce que me dictait l'indignation, j'aurais empoigné le personnage par les épaules et je lui aurais fait vider l'estrade et crié à l'imposture. Je me contentai, en guise de protestation, au moment des applaudissements, de lever les épaules le plus haut que je pus, et d'enfoncer mes mains au plus profond de mes poches.

Mais je pris ma revanche. Huit jours après la déclaration de guerre, rencontrant dans les rues de son village le stupide vieillard, disciple et thuriféraire de Bourgeois, je l'abordai en ces termes :

— Eh bien, monsieur Chéreau, maintenant que les événements vous ont donné un tel démenti, que pensez-vous de votre discours de distribution de prix à Courlon ? Vous aviez de telles illusions ?

— Je les avais, me repartit le personnage.

— Eh bien, alors, lui dis-je, on peut appeler cela l'erreur de l'aveugle qui se fait chef. Eh bien, Monsieur, ce m'est en ce moment un soulagement de vous dire comment j'accueillis votre discours : en haussant les épaules et en mettant mes mains au plus profond de mes poches.

Je ne serais pas pressé de livrer ce récit à la publicité. Mais puisque Bourgeois reparait sur la scène du monde après toutes les raisons qu'il a d'en sortir, on peut craindre que ses lieutenants en fassent autant. Il faut, comme dit le populaire, leur mettre le nez dans leurs confitures.

Dans nos moindres petites agglomérations a sévi la triste manie de la lutte intérieure ; mais, quand un esprit prévoyant y parlait des menaces étrangères, de la nécessité d'armer, de la certitude de la lutte extérieure, il y avait au Conseil municipal ou au Conseil général quelque mystagogue enivré pour évoquer l'autorité de Léon Bourgeois et de Jean Jaurès assurant que l'ère des violences était terminée, que la guerre était morte et que la Vigilance était affaire d'un autre temps. Voilà, monsieur le président de la République américaine, pourquoi la ville de Reims a été brûlée, ravagée et mise à sac par l'agresseur et l'envahisseur. Voilà la vraie raison. Elle est matérielle ; nous n'étions pas assez forts. Elle est morale ; on nous avait empêchés de maintenir d'abord, ensuite de reconstituer notre force. Voilà ce qu'atteste non l'imagination juridique, toujours un peu arbitraire, mais la réalité consultée. Il est fâcheux de la voir négliger de si haut.

Le « noli timere » de M. Wilson

En accueillant M. Wilson, M. le président de la Chambre avait fait ce qu'il avait pu pour ramener du ciel sur la terre cette étrange théogonie. Il a parlé avec fermeté, courtoisie, netteté des garanties territoriales, militaires, économiques, financières indispensables. Il a parlé non du concept, mais de la réalité de la France, et son Allemagne a été celle qui se voit et se touche, celle des « moyens d'agression ».

Il a méritoirement déclaré :

Nous avons été trop souvent envahis pour ne pas veiller toujours. Les plus ardents pangermanistes furent les libéraux et les démocrates de 1848. Le Parlement de Francfort fut le précurseur de Bismarck. En 1914, toute l'Allemagne a voté les crédits de guerre, égorgé la Belgique et tenté d'assassiner la France.

Puissent ces paroles semer dans l'esprit de l'auguste visiteur à qui on les a destinées des réflexions plus fructueuses que la vue éloquente et stérile des ruines de Reims !

Nous apprécions à sa haute valeur d'intention le noli timere 24 du président Wilson, nous mettrions à plus haut prix une vue, une idée, une décision qui bannirait effectivement les sujets de craindre.

De Franklin à Wilson
5 février 1919

La question de souveraineté a été posée lundi devant le Parlement par un chef d'État étranger admis à la tribune de la nation. M. Wilson y a prononcé cette phrase dont la France était le sujet :

Un peu d'abandon de son indépendance d'action ne peut pas être mis en parallèle avec l'incessante menace d'une autre catastrophe.

L'idée d'un parallèle semblable ne se serait présentée à l'esprit d'aucun Français. Les Français, depuis deux mille ans, ont préféré à la dépendance, petite ou grande, la mort. Mais, comme nous le faisions observer dès hier, ce que M. Wilson nous propose en échange du plus noble et du plus précieux de tous les biens est très précaire. C'est une sorte de garantie de neutralité du type que l'Europe libella (définitivement, croyait-elle) en 1839 pour le royaume de Belgique ; la Belgique d'alors était à l'Europe ce que la France de demain serait à la Société universelle de demain. Soixante-quinze ans plus tard, on vit ce que valait la garantie diplomatique de l'Europe pour la Belgique du temps de Guillaume II ; nous n'attendrions pas trois quarts de siècle pour vérifier, pour éprouver à nos frais ce que vaudrait la garantie diplomatique de la Société des nations pour une France contemporaine du très prochain Attila III.

M. Wilson, chef et prêtre

Il paraît que M. Wilson parle d'abondance. Il n'écrit pas : donc, contrairement à la coutume observée entre chefs d'État aux époques barbares de la diplomatie régulière et secrète, M. Wilson ne remet pas à son collègue et partenaire le texte de son discours avant de le prononcer. Donc, rien de concerté, rien de préparé. Cette grâce familière et sauvage donne sans doute du piquant et de l'imprévu aux solennités politiques où l'on se rencontre. Mais l'absence de protocole pourrait avoir des inconvénients de toute sorte, car, si l'histoire enseigne quelque chose, c'est certainement que le retour à la nature précède de peu la ruée de la barbarie. La pauvre reine Marie-Antoinette ayant voulu voir de près l'homme naturel, sa bergerie, comme tant d'autres, a dû finir parmi les loups. Qu'il me soit permis d'exprimer plus d'une crainte sur la pastorale d'aujourd'hui. Ce n'est plus seulement la reine de France qui est en cause. C'est la France même. C'est la souveraineté de la nation sur le domaine du sol, sur l'obédience du sang. Comme citoyen de la France, je suis libre aujourd'hui. Le serai-je demain ?

Marcel Sembat qui n'aime pas les curés et qui a horreur des chefs raffole du président Wilson qui « l'air à la fois d'un prêtre et d'un chef », selon sa propre et judicieuse remarque. Nous n'avons cessé de contester avec autant de fermeté que de respectueuse courtoisie la doctrine, sacerdotale en effet, et aussi magistrale, la doctrine de maître, la doctrine de directeur et de chef que nous apporte le président des États-Unis. Sembat compare cette mission spirituelle, morale et politique à celle de Franklin. Dans les deux cas, l'imagination de Sembat exagère. Franklin venait offrir à la nation française rangée autour d'un roi puissant l'occasion d'exercer les plus hautes vertus de la fraternité humaine ; l'historien et le politique ont le droit de distinguer entre cette offre précieuse et les idées moins précieuses que Franklin distribua et sema. Cette distinction est d'autant plus facile que, très peu d'années plus tard, ces idées causaient à la France un préjudice plus que séculaire, la jetaient dans une anarchie dont nos amis d'Amérique eux-mêmes rougirent, et la soulevaient en partie contre son roi, le roi de 1778, le roi libérateur pour lequel l'Américain Thomas Payne prit hautement et courageusement parti à la Convention. Les idées de Franklin furent au moins mal comprises à Paris. Cela n'empêche pas le voyage de Franklin d'honorer immortellement Franklin et la France.

La même distinction s'établit d'elle-même entre le glorieux voyage du président Wilson et certaines nuances de ses idées. Elles sont sans doute excellentes pour son pays. L'universalité qu'il désire pour elles leur fait encore défaut, non peut-être essentiellement, mais parce qu'elles ne sont pas au point. La religion dont il est prêtre nous ne la professons, ni ne la pratiquons, nous, Français, Marcel Sembat compris, malgré tous les airs dévots et confits que nous lui voyons prendre. Quant à la haute allure de Chef des Chefs adoptée (avec quel brio) par l'illustre voyageur, nous attendons Sembat et nous le voudrions voir au premier désaccord sur quelque point de fait où seraient engagés et un peu passionnés les intérêts de son parti ; de quelle allure aussi nos socialistes parisiens renverraient leur hôte éminent à son temple et à son logis 25 ! En quoi ils auraient bien raison, pour une fois.

Les précédents du pacifisme

Nous croyons certes à l'universalité de certaines idées politiques justes. Mais pour être applicables partout, il leur faut porter sur des objets vraiment généraux et valoir indépendamment de la variété des cœurs, des esprits et des corps particuliers à telle on à telle nation. Si cette abstraction est faite mal à propos, si par exemple l'on veut raisonner de l'homme en soi sur un sujet où ne valent que les traits distinctifs du Germain et du Français, de l'Anglo-Saxon et du Russe, on aboutit à des méprises profondes et qui peuvent devenir cruelles, une fois transportées du champ de bataille des idées au champ de bataille des gens.

Nous avons commis ce genre d'abstraction malheureuse en 1789 et la philosophie, évidemment pacifiste et philanthropique, émanée de nos voisins de Londres, de Genève et de New-York, a eu pour résultat de longues guerres entre nous, dont quelques-unes fort sanglantes, et des guerres plus longues, plus sanglantes encore avec les autres nations. Une prédication douce jusqu'à la fadeur, chargée de baisers Lamourette, comme la prédication d'avant-hier était terminée et fleurie d'un « baiser wilsonien », a abouti aux épouvantables carnages intérieurs ou extérieurs, qui allèrent de 1792 à 1815, dont la suite a rougi toute la course du siècle écoulé et dont l'évolution en Allemagne a provoqué finalement cette tuerie universelle de quatre années. Tel étant l'effet du principe libéral ou démocratique ou frankliniste ou wilsonien, il ne serait que sage de chercher à fonder la paix sur d'autres principes que ceux qui ont souffert ou soutenu, subi ou causé tant de guerres.

Du rêve à la réalité
26 février 1919

« Tous les peuples d'Europe » se sentent-ils « légers » ? Et se fient-ils à « un esprit d'espérance » ? M. Woodrow Wilson vient de le déclarer au peuple de Boston accouru pour l'accueillir et pour l'applaudir ; cette peinture de nos préoccupations et de nos soucis représente une façon si poétique, si optimiste et si heureuse de rédiger l'histoire contemporaine que nul des anciens hôtes du président américain ne lui en fera un reproche. On lui saura gré, au contraire, de ses récits de paix et de guerre qui tiennent du poème homérique et de la saga :

Des hommes combattaient, les muscles tendus et la tête baissée… Ils sentaient qu'ils combattaient pour leur vie et pour leur pays. Et quand ils entendirent, aux accents qui leur venaient d'Amérique, tout ce qui était en jeu, ils redressèrent leurs têtes et levèrent leurs yeux au ciel. Alors ils virent des hommes en kaki qui venaient de l'autre côté de la mer, animés d'un esprit de croisés, et ils trouvèrent que c'étaient là d'étranges hommes, non seulement indifférents au danger, mais indifférents, parce qu'ils semblaient voir quelque chose qui faisait que le danger valait la peine d'être couru. Des témoins m'ont affirmé, en Europe, que nos hommes étaient possédés de quelque chose qu'on ne peut appeler que d'un mot : une ferveur religieuse. Nos hommes n'étaient comme aucun autre soldat. Ils avaient une vision, ils avaient un rêve, et ils combattaient dans un rêve. Et comme ils combattaient dans un rêve, ils firent tourner tout le flot de la bataille et ce flot n'est jamais revenu en sens inverse.

Ces belles imaginations perdraient un peu de leur puissance de persuasion si on les comparait à la froide réalité.

Les deux vagues de l'idéalisme

À l'heure où les Américains par leur courage vinrent ravir d'enthousiasme le cœur de l'Europe, la vague de l'idéalisme avait passé une fois et deux fois sur les combattants, elle ne les souleva point une troisième fois.

La première fois, en 1914, différents orateurs officiels, pour amortir l'opposition de quelques poignées de sans-patrie, firent circuler le mot d'ordre : nous faisions la dernière guerre ; si dangereuse que fût une telle promesse, dont nul ne peut répondre, nul n'étant à même de la tenir, un petit nombre d'exaltés la prit au sérieux et leurs convictions s'en nourrirent. Mais, peu à peu, l'effet tomba soit par l'inanité profonde de la doctrine, soit que l'ambiance militaire, la joie de la victoire de la Marne et des premiers avantages qui l'ont suivie, le retour aux usines de la plupart des combattants socialistes eussent achevé de rendre superflu un appel à des conceptions aussi peu résistantes que peu substantielles. Comment se fussent écoulées les longues, lourdes, lentes saisons de la guerre immobile si le soldat n'eût pas connu la solide consolation du patriotisme sous les évidences de la nécessité ? Même vers le milieu de 1916, cette idéologie démocratique apparaissait déjà plus défaitiste et dissolvante que fortifiante ; des chefs socialistes, comme Sembat, comme Renaudel 26, se montraient inquiets de voir l'esprit de la Révolution se séparer ainsi d'avec la cause de la France et c'est pour arrêter ce courant douloureux que, vers ce moment, nous précipitâmes notre propagande pour la Part du Combattant, plus propre qu'aucun « idéal » suranné à fournir des réponses au « pourquoi te bats-tu ? »

Il n'y avait donc plus en présence que le patriotisme nationaliste et l'anarchie anti-militaire. Quelques rares fidèles du militarisme révolutionnaire en souffraient. En mars 1917, la Révolution russe leur rendit un peu d'espérance. J'en sais un, combattant dévoué, qui tomba à la fleur de ce rêve d'une Europe orientale régénérée par la démocratie ; ses lettres recueillies par L'Humanité qui les a publiées depuis, font foi de ce que l'on peut appeler la seconde vague de mysticisme pacifiste et guerrier. L'intervention américaine à peine annoncée par les feuilles n'y fut pour rien. Et ce mouvement lui-même dura trop peu. Les honteux événements de Russie se fussent chargés de le dissoudre si, de son propre élan, par les excitations de ses doctrinaires du Bonnet rouge, il n'eût conduit aux mutineries de mai-juin qui introduisaient parmi nous la guerre civile. Ces événements malheureux brisèrent le courant idéaliste en le faisant apparaître ce qu'il était sans doute au fond : une propagande de désunion nationale et de désarmement devant l'ennemi.

Pourquoi pas de troisième vague

Lors donc que les admirables troupes du président Wilson firent au printemps 1918 leur éclatante apparition sur nos champs de bataille, il y avait de graves difficultés à ce que l'on prit garde à autre chose que leur valeur, leur courage, leur indomptable ténacité et leur dévouement héroïque. Militaire ou civil, le public continental fit entendre un applaudissement prolongé, moins prolongé peut-être que la reconnaissance de notre cœur ! Mais, quant aux idées, non : elles ne furent pas aperçues, volant comme en un rêve au-dessus du drapeau fédéral, de ses couleurs brillantes, de ses bandes et de ses étoiles, ou c'est à peine si l'on se soucia de la présence ailée de ces nobles déesses. Saturé d'évocations oratoires, l'ancien scepticisme français avait repris le dessus. La douleur du sol ravagé, des villes menacées, d'une belle jeunesse fauchée par milliers d'âmes cédait parfois, souvent, à des passions moins sombres ; mais c'étaient celles de nos espérances nationales rigoureusement maintenues, le désir de chasser l'ennemi, de punir le traître, l'incompressible volonté de libération, de salut, de résurrection. Ces idées, car de telles passions sont aussi des idées, monsieur le président Wilson, ces idées ne s'arrêtaient pas forcément à la nation française, elles s'étendaient de tout cœur à nos alliés et au monde, mais elles étaient pures, ou à peu près, du séraphisme éthéré, du messianisme stoïcien que M. Wilson prête à ses soldats et aux nôtres. Il n'y a pas eu de troisième vague d'idéalisme durant la résistance de Foch ni durant les cinq mois de son offensive immortelle. Le fait historique est aisément vérifiable. Les saturnales de l'idéologie pacifiste ont commencé beaucoup plus tard, c'est-à-dire la guerre à peu près finie. Ce fut un grand bonheur pour le monde ; que fût-il arrivé si l'Allemagne eût continué d'être armée pendant que les vigilances et les intelligences auraient été méthodiquement endormies de notre côté ?

De la famille à la patrie, de la patrie à l'humanité

Quand le repos aura succédé à ce long voyage et qu'il se verra face à face avec les images des choses dans le silence de son cabinet de travail, M. le président Wilson distinguera certainement deux objets très différents : d'une part, sa doctrine, avec ses nobles élans vers les hauteurs d'une vie humaine comparable pour la pureté, la dignité et la blancheur à quelque vol de cygne éployé sur des champs de neige, et d'autre part l'usage, l'emploi, l'exploitation de cette doctrine par des éléments qui ne sont pas ce que l'Europe compte de meilleur. Ces deux objets, il le verra, imposent deux devoirs à nos peuples d'ici : étudier la doctrine avec le sérieux dont elle est digne, en mesurer sévèrement l'application à ceux qui s'efforcent de la faire tourner à leurs mauvais desseins.

Que dirait M. le président Wilson si, étant par fortune l'inventeur de la première table de la loi instituant une discipline générale de la Cité, dans un milieu jusque là composé seulement de familles sans liens, si les premiers, les plus ardents zélateurs de son innovation étaient surtout de mauvais fils, de mauvais pères, des frères atroces, des sœurs toutes souillées du sang fraternel ? Une semblable clientèle lui ferait horreur. Il dirait que, pour pratiquer des préceptes plus hauts, une enceinte de lois plus vaste, il faut commencer par être soi-même en règle avec les maximes élémentaires du stade inférieur ou prochain. Soyez bon père et bon fils avant d'ambitionner un brevet de bon citoyen, dirait-il. En quoi il aurait bien raison.

Mais, si, un parricide ou un fratricide ne peut pas faire un patriote, comment de mauvais citoyens on de mauvais amis de la patrie, insurgés contre la vie nationale, ou mal pliés à ses nécessaires obligations, feront-ils de bons éléments, des éléments sûrs de la vie internationale ? C'est sur l'élite nationaliste qu'une bonne Société des nations devrait s'appuyer. Dans ses réflexions de la Maison Blanche, M. Woodrow Wilson verra peut-être qu'il a trop négligé ce point de vue. Un peu étouffé dès son arrivée par la confuse acclamation des pires ou des moins bons, il ne s'est pas assez dit que ce halo fâcheux altérerait les véritables nuances de sa pensée qui nous arriverait ainsi sous un jour faux, dans une mauvaise lumière… Ne vous semble-t-il pas que l'erreur reconnue des deux parts devrait être rectifiée sans délai ?

L'altération des idées wilsoniennes

L'abus qui se commet au nom des idées wilsoniennes militera pour cette ratification. Un journal financier, la Revue des valeurs américaines, signalait jeudi dernier une déformation des idées du Président qui est courante, donc colportée au profit de l'Allemagne par tous les philoboches de Paris et de la banlieue. Notre confrère traite de notre « droit à l'indemnité au titre de nos dépenses de guerre » :

Il n'y a pas un mot dans les quatorze points du 8 janvier 1918 sur les indemnités ou la réparation des dommages dans leur ensemble. Ni l'une ni l'autre question n'était envisagée. Le président, manifestement, en avait traité au point de vue américain, neuf mois avant, lorsqu'il disait, le 2 avril 1917, dans son message au Congrès qui a précédé de quatre jours l'entrée en guerre des États-Unis : « Nous ne désirons ni conquêtes, ni domination, nous ne recherchons aucune indemnité pour nous-mêmes  — no indemnities for ourselves –- aucune compensation matérielle pour les sacrifices que nous allons librement consentir. » Les seuls mots « nous ne recherchons aucune indemnité » eussent été suffisamment clairs. Le président ajoutant « pour nous-mêmes » souligne le fait qu'il ne s'agit et ne peut s'agir que des États-Unis.

La situation financière et économique des belligérants engagés depuis trois ans dans la plus terrible des guerres était telle à ce moment-là qu'il paraissait évident qu'un engagement de cette nature, de la part du chef de la grande nation la plus riche du monde, tout en impliquant un désintéressement rare, ne pouvait compromettre l'avenir du pays.

La correspondance des gouvernements alliés et du président immédiatement avant l'armistice ne touche que deux questions : celle qui a trait à la liberté des mers et les précisions sur les compensations dues aux civils des nations alliées pour tout dommage à leurs personnes ou à leurs propriétés résultant de l'agression de l'Allemagne sur terre, sur mer, dans l'air. Cette réserve répondait à une interrogation précise : « L'ennemi accepta les quatorze points, le faites-vous ? » Elle n'avait pas à envisager la question des indemnités de guerre, tenue en dehors des quatorze points. Quant aux clauses de l'armistice, l'article 19 réserve expressément, après avoir spécifié la réparation des dommages, tous les droits et réclamations ultérieures des Alliés et des États-Unis.

Le droit à indemnité pour le coût de la guerre demeure donc entier en ce qui regarde les Alliés. Si les États-Unis y ont renoncé « pour eux-mêmes » dans le message du 2 avril 1917, leur président ne s'est jamais prononcé sur le droit des Alliés d'en poursuivre le recouvrement, et n'avait pas à le faire.

Tel est le langage des faits. Voulez-vous avoir maintenant celui des farceurs payés pour plaider en France contre les intérêts français ? Prenez le second des journaux de Téry, celui qui paraît le soir. Le « journaliste » qui fait la revue de la presse cite un article de M. le député Louis Puech exposant l'impôt sur le capital dont nous sommes menacés et priant le gouvernement de commencer par fixer le chiffre de la contribution de guerre allemande ; arrivé à ce point, le collaborateur du louchissime fronce les yeux, pose la plume et demande si M. Puech oublie « que la paix wilsonienne exclut toute contribution de ce genre ».

Alfred Capus avait émis le même vœu. « M. Capus l'oublie-t-il aussi ? » demande l'homme de Téry.

Pacifiques ou guerriers, les principes wilsoniens ne servent, on le voit, dans certaines feuilles, qu'à minimiser les droits de la France et qu'à passer au bleu l'intérêt du pays. Le Président se rendra compte que nul Français digne de ce nom ne peut le confondre avec de tels personnages ; mais nous sommes bien obligés de déplorer qu'ils se collent à lui pour le compromettre, pour le diffamer, pour associer son nom admiré et respecté à d'abominables besognes.

Valeur, prévision, prudence
7 et 8 mars 1919

Pour exprimer les forces en présence dans cette guerre « mondiale », l'Europe disait : germanisme et civilisation. M. Wilson a dit : autocratie et démocratie. On a vu le résultat de cette erreur de fait. Se figure-t-il qu'elle lui a du moins valu une popularité quelconque ? La haute estime dans laquelle il est tenu, la gratitude que lui ont vouée les gouvernements et les États procèdent de raisons toutes différentes. Comme il appartient à la véritable grandeur, ses méprises sont déplorées et ce juste regret sera redoublé si la cause en est aggravée.

Nous lisons en gros caractères dans L'Humanité sous le titre significatif : « Les hommes d’État aveugles, les peuples clairvoyants, un avertissement solennel » deux extraits d'un discours prononcé par M. Wilson au Metropolitan Opera. Ils donneront lieu à de sérieuses méditations :

La Ligue des nations n'est ni plus ni moins qu'une convention par laquelle le monde s'engage à maintenir les principes dont il vient d'assurer la revanche au prix du sang le plus précieux qui fut jamais versé.

Ceci n'est pas sorti du conseil des hommes d'État.

L'Europe est secouée dans ses entrailles à l'heure actuelle, car elle s'aperçoit que les hommes d'État n'ont pas de vision, et que seuls les peuples ont eu la vision. Ceux qui souffrent voient. Ceux qui subissent l'injure voient combien est désirable le droit à la justice.

Aucun gouvernement, d'après M. Wilson, aucun État (eh quoi, pas même le sien ?) n'a eu l'inspiration d'adoucir les souffrances, d'arrêter la tuerie, d'appeler la justice :

Et c'est le peuple qui a eu cette vision. Mes amis, je voudrais que vous songiez à ceci : la vision de ce qui est nécessaire pour entreprendre les grandes réformes a rarement été accordée à ceux qui dominent les nations. Cette vision a été accordée au besoin et à la volonté et elle s'est ouverte devant les revendications des grandes masses des hommes qui cherchaient la liberté.

Nous n'entrerons pas dans le détail de cette psychologie où le pragmatisme et l'apocalypse tiennent trop de place pour nous. Le lecteur rêvera ou devinera. M. Wilson poursuit :

Et je suis stupéfait — je ne suis pas alarmé mais je suis surpris — qu'il y ait dans certaines sphères une telle ignorance de la situation mondiale. Ces messieurs ne se rendent pas compte de ce qu'il y a de justice dans l'esprit des hommes actuellement. Tout le monde autour d'eux s'en rend compte. Je ne sais pas où ils ont été renfermés. Je ne sais pas quelles influences ont pu les aveugler, mais je sais qu'ils se sont trouvés en dehors des grands courants d'idées de l'humanité.

Quel ton pour décrire un état de méprise et d'erreur qui est au juste celui de l'orateur !

Et je désire donner cet avertissement solennel, non pas comme une menace, car les forces du monde ne menacent pas, elles agissent : les grands flux et reflux du monde ne préviennent pas, ils montent et vont ; ils montent, dans leur majesté et leur puissance irrésistible et ceux qui se trouvent sur leur passage sont submergés. Maintenant l'âme du monde s'est éveillée et l'âme du monde doit être satisfaite.

Ne vous arrêtez pas à vous imaginer un instant que le malaise des populations européennes est entièrement dû à des causes ou à d'arrière-motifs économiques. Son origine est plus profonde. Ces populations ont vu que leurs gouvernements n'ont jamais été capables de les défendre contre l'intrigue ou contre l'agression, et que dans aucun cabinet moderne, il n'y a ni valeur, ni prévision, ni prudence.

Les cabinets européens pourront être quelque peu surpris de s'entendre destituer par ce collègue de toute valeur, prévision, ou prudence. Quelques grands services qu'ait rendus M. Wilson, nous ne sommes pas sûrs que le mode tardif de son intervention lui donne le droit de traiter de si haut ce que nous appellerons, dans son langage, le Prochain. Car enfin, le Prochain a aussi sa valeur… M. Wilson fait abstraction de sa valeur propre, de la dignité des ministres et des chefs d’État. Mais le Prochain aura le droit de lui crier gaiement, et toutefois avec quelque sérieux, dès le débarcadère :

— Monsieur Wilson, Monsieur Wilson, déjà l'hiver passé vous agitiez des antithèses bien anciennes et bien usées, des antithèses contemporaines du vieil Hugo, dans votre opposition des démocraties aux aristocraties, et elles ont ainsi fait pas mal de dégâts. Prenez garde de n'en point faire de nouveaux qui seraient plus graves, en opposant les populations aux gouvernements. Les unes et les autres vivent en paix. Ils ne demandent pas mieux que de continuer. Ne leur donnez-pas de mauvais conseils. Ne les brouillez pas. Jusqu'ici, souvent, vous avez ressemblé à un bon père, ou à un bon frère. N'altérez pas votre œuvre. Ne gâchez pas votre bienfait. Ne donnez pas raison à ces diables de sénateurs américains qui disaient l'autre jour que la principale vertu de votre système était d'ajouter un ou deux numéros inédits au catalogue des causes de guerre. Les luttes intestines sont aussi des fléaux.

Nul n'attaque M. Wilson

Personne n'attaque M. Wilson. On le respecte, on le salue et on l'acclame et, si l'on ne met pas ses idées au-dessus de la discussion, si on ne lui accorde ni l'infaillibilité papale, ni davantage la demi-divinité, c'est que personne, du moins parmi les bons Français, ne veut le couvrir de flagorneries indignes de lui. Une pensée jeune, neuve, inexperte, mais généreuse et ardente, amoureuse de controverses, doit préférer des contradicteurs comme nous à des approbateurs de la pâte de Jean Longuet ou de Charles Rappoport.

Quant à la roideur fréquente de telles ou telles paroles échappées à la verve de la raison française, aucune n'est à comparer au mot désormais historique de M. Woodrow Wilson sur les cabinets européens qui n'auront eu, selon le président américain, « ni valeur, ni prévision, ni prudence ».

Si la sentence n'est pas expliquée ou démentie, qu'est-ce qui pourra empêcher les hommes d'État de la vieille Europe de montrer au porte-parole de la jeune Amérique, à côté du cabinet italien entré dans la lutte pour la beauté du monde et le salut de l'homme dès le dixième mois de la guerre, le cabinet anglais que cette sainte cause arma dès le second jour et le cabinet belge qui fut sous les armes dès le premier ?

Valeur, prudence, prévision, ô vertus cardinales du moraliste américain, où étiez vous à cette époque ? Dans le cabinet d'Albert Ier, de George V et de Victor-Emmanuel III, souverains héréditaires de l'ancien continent, ou dans le cabinet de l'autocrate élu du nouveau monde à qui il fallut plus de deux années et demie d'hésitation avant de se résoudre à sauter le terrible pas ! Ô Valeur, ô Prudence, ô Prévision, tirez-nous de doute ! Prévision, Prudence, Valeur, répondez !

Charles Maurras
  1. Les Grands Problèmes de la politique mondiale, Les États-Unis et la guerre. [Retour]

  2. Alfred Baudrillart (1859–1942), recteur de l'Institut catholique de Paris depuis 1907, était déjà « monseigneur » en 1918, contrairement à ce qu'indique sa notice sur le site de l'Académie française, laquelle date de 1921 son accession à la fonction épiscopale. (n. d. é.) [Retour]

  3. Créée à l'origine pour accueillir et aider les nouveaux immigrants, la Tammany Society était une organisation puissante, aux multiples ramifications souterraines, associée au parti démocrate de New York, qui contrôlait de fait la ville pendant tout le XIXe siècle, jusque dans les années 1930. (n. d. é.) [Retour]

  4. C'est exactement ce qui s'est produit. [Retour]

  5. Jean Carrère (1868–1932) était le correspondant du Temps à Rome. Son recueil Les Buccins d'or venait de paraître. (n. d. é.)  [Retour]

  6. Lysis de Tarente, disciple de Pythagore, vécut cent ans environ après son maître, dont il transcrivit la doctrine en vers si parfaits qu'on les appela « dorés », au sens de l'Âge d'or. Émigré à Thèbes, il y fut le précepteur d'Épaminondas. (n. d. é.) [Retour]

  7. Ralph Waldo Emerson (1803–1882), célèbre poète et philosophe américain. (n. d. é.) [Retour]

  8. On s'en est bien gardé. [Retour]

  9. Horace, Satires, livre II, début de la satire VI : « Hoc erat in votis : modus agri non ita magnus hortus ubi... » c'est-à-dire : « Cela faisait partie de mes vœux : un terrain pas trop grand, avec un jardin... » (n. d. é.) [Retour]

  10. Pierre Renaudel (1871–1935), un compagnon de Jean Jaurès, il fut directeur de L'Humanité pendant la guerre. (n. d. é.) [Retour]

  11. Pierre Veber (1869–1942), auteur dramatique lui-même, fut critique dramatique parisien pour plusieurs journaux, notamment le New York Herald. Il est notamment célèbre pour son duel avec Léon Blum, en octobre 1912. (n. d. é.) [Retour]

  12. Auguste Gauvain (1861–1931), avocat, auteur de nombreux ouvrages et chroniques sur la diplomatie. En mai 1921, Marcel Proust le compare à Jacques Bainville dans une lettre adressée à Charles Maurras : « [Bainville] n’a guère à faire le modeste, étant de tant de centaines de coudées au-dessus des Gauvain, je ne dis pas même des Recouly… » (n. d. é.) [Retour]

  13. Boileau, Art poétique. (n. d. é.) [Retour]

  14. Edgar Poe. (n. d. é.) [Retour]

  15. Sidónio da Silva Pais, né en 1872, quatrième président de la République portuguaise. Accusé de vouloir instaurer la dictature, il est assassiné le 14 décembre 1918. (n. d. é.) [Retour]

  16. Alfred Capus (1857–1922), académicien et auteur de vaudevilles, est ici dénoncé par Marcel Sembat au titre de directeur du Figaro, fonction qu'il occupe depuis l'assassinat de Calmette en 1914. (n. d. é.) [Retour]

  17. Alfred le Grand (849–899), roi du Wessex, devenu le premier roi de l'ensemble des Anglo-Saxons après ses victoires contre les Danois. (n. d. é.) [Retour]

  18. La composition de cette liste de grands hommes anglais en lesquels pourrait se reconnaître la jeune Amérique a pu plonger les historiens dans des gloses infinies ; pourquoi ceux-là, Philip Sydney (poète, 1554–1586), Francis Drake (corsaire, 1542–1596), Walter Raleigh (explorateur, 1552–1618), Robert Blake (amiral, 1598–1657) et John Hampden (homme politique, 1595–1643), et pas d'autres ? (n. d. é.) [Retour]

  19. Néphélococcygia, c'est la ville des Oiseaux d'Aristophane, qui revient souvent sous la plume de Maurras ; voir par exemple la note 4 de notre édition de l'article sur L'Industrie, écrit en 1909 après le vol de Blériot. (n. d. é.) [Retour]

  20. Citation récurrente sous la plume de Maurras. Voir par exemple le point II de l'introduction du Dilemme de Marc Sangnier. (n. d. é.) [Retour]

  21. Antonin Dubost (1842–1921), radical et franc-maçon, maire de la Tour-du-Pin pendant plus de quarante ans et président du Sénat de 1906 à 1920. (n. d. é.) [Retour]

  22. Cette conférence qui devait reconstruire l'équilibre européen avec la participation, au titre de la Russie bolchévique, de Léon Trotski, n'eut jamais lieu. Dix ans plus tard, l'île de Prinkipo devait être la première étape de l'exil du même Trostki. (n. d. é.) [Retour]

  23. Horace, Épitres, livre I, II, 14 : « Quicquid delirant reges, plectuntur Achivi », c'est-à-dire : « Toutes les folies des rois [il s'agit principalement de Pâris et d'Achille], les Achéens en portent la peine. » (n. d. é.) [Retour]

  24. « Ne crains pas ». (n. d. é.) [Retour]

  25. Cela s'est produit point par point. [Retour]

  26. Au Congrès national d'août 1916. [Retour]

Recueil paru en 1919.

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