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Les Réponses de l'A. F. et de Charles Maurras
avant la condamnation

Le 15 décembre 1926, L'Action française, en réponse aux attaques dont elle était l'objet de la part de certains journaux, publiait l'article suivant 1 :

Rome et la France
Réponse à des diffamations de presse

Tout ce qui nous prête attention dans le monde aura pu voir si l'Action française faisait preuve de patience et de modération ! Les seuls blâmes sérieux qu'elle ait encourus auront porté sur notre usage un peu trop discret de nos droits. Telle règle, tel principe auraient pu être invoqués, telle grave rectification aurait pu être imposée. L'Action française, voulant donner l'exemple de la déférence envers les autorités qu'elle suit ou vénère, s'est limitée à rétablir, de temps en temps, la vérité contre l'extrême licence des fureurs agressives d'une multitude de feuilles qu'un soupir de colère, un murmure d'indignation scandalise, mais pour lesquelles la distinction du vrai et du faux paraît s'être complètement évanouie !

Notre réserve était si forte que nos ennemis ont été réduits à prendre le parti d'élever des doutes sur notre sincérité. Cette insulte a couru La Vie catholique, L'Action sociale, même La Croix. Nous venons de la lire une fois de plus, hier, dans L'Osservatore Romano 2. Cette dernière récidive est intolérable. Nous la relèverons.

L'Osservatore Romano

Bien loin de devoir accepter les leçons de leurs confrères italiens de L'Osservatore Romano, les journalistes français de L'Action française seraient à même de leur en proposer plus d'une, et d'importance.

Après tant de confusions grossières, tant de contrevérités étalées au mépris de faits constants, tant de preuves de parti pris aveugle ou volontaire, nous ne saurions nous étonner de constater à quel point les rédacteurs de L'Osservatore Romano sont étrangers à ce simple souci de dignité qui suffit à quiconque tient une plume, pour prendre et pour garder toutes les responsabilités qui lui appartiennent.

Il faut cependant admirer que ces messieurs osent, d'un cœur si léger, essayer de faire entendre que leurs responsabilités à eux, n'engagent rien de moins avec eux que l'autorité supérieure de l'Église. Est-ce par là qu'ils croient montrer ce dévouement au Saint-Siège qu'ils voudraient si gratuitement dénier à tout autre ?

Fondée, exclusivement, sur un programme de politique française qui (dès lors que sont respectées les lois morales et religieuses de l'Église) ne relève en rien des censures du Saint-Siège, L'Action française a su comprendre tout autrement que les porte-plumes de L'Osservatore Romano les égards qui sont dus par tous à la plus haute autorité spirituelle qui soit au monde. Le respect du Saint-Siège a été poussé si loin que nous avons épargné jusqu'ici à quelques-unes des autorités qui en dépendent, la publication de textes et de faits qui suffiraient pour les faire descendre au niveau du germanophile belge Passelecq 3.

Nous aurons donc fait jusqu'au bout ce qui a dépendu de nous pour empêcher le malheur devant lequel n'ont jamais hésité les passions rageuses de ceux qui nous haïssent en haine de la France et aussi en haine de cette vérité que l'on confesse et que l'on publie chez nous. Nous aurons multiplié tout ce qui était humainement possible pour éviter d'exposer le Siège de Pierre, infaillible quant à la Foi et aux mœurs, à une erreur politique qui irait droit aux catastrophes et qui, en attendant, lui ferait subir le contre-coup du discrédit qui s'attache, dès aujourd'hui, dans tous les milieux informés, à la petite bande des intrigants simoniaques parmi lesquels se recrutent nos principaux calomniateurs.

L'Osservatore rêve d'être identifié au Pape régnant. Nous avons fait remarquer que L'Osservatore n'a engagé ni la personne ni la politique de Benoît XV pendant la guerre, bien qu'il ait tout osé pour les compromettre cruellement. Ce journal se prétend autorisé et inspiré dans ses articles de venimeuse polémique à notre égard. Nous refusons d'admettre que la Cour de Rome ait donné aux anonymes de la rue Germanicus 4 le mandat d'injurier un père couvert du sang de son fils assassiné 5 parce qu'il est l'auteur de L'Avant-Guerre et que l'Allemagne a souffert de ses bienfaisantes révélations. Nous ne croirons jamais que L'Osservatore ait obtenu la liberté honteuse d'offenser, dans leur conscience de croyants ou dans leur honneur d'hommes, des Français qui jouissent dans leur pays et au dehors d'une estime dont ils n'ont pas démérité.

Soumission, respect, juste liberté

La parole du Pape a été reçue à l'Action française avec les sentiments d'une soumission filiale ou d'un respect profond. Cette parole n'y a pas été discutée, mais obéie. Elle signalait un péril qu'elle avait le droit de signaler. Elle demandait des précautions vigilantes, des mises en garde sérieuses. Pour y correspondre, des mesures ont été prises. D'autres ont été proposées. Des sections entières de la Ligue d'Action française sont allées demander à leur évêque des conseillers théologiques. Nos Comités directeurs ont soumis à l'autorité leur projet de relever la chaire de politique religieuse (ou du Syllabus) à notre Institut. Que ces démarches soient accueillies ou, comme L'Osservatore l'annonce avec allégresse, qu'elles soient rejetées, ce sont là des actes. Nos actes portent en eux les signes palpables des intentions qui les inspirèrent : chez les uns, vénération sincère de l'Église ; chez les autres, esprit de discipline et de foi : intentions parfaitement naturelles dans une matière où tout le monde s'accorde à saluer le magistère doctrinal et moral du Souverain Pontife. Nous n'avons jamais songé à nous en faire honneur. Mais ce n'est pas une raison pour les dénaturer.

L'Osservatore nous objecte qu'il y a des matières mixtes 6. Nous osons répondre à ce journaliste que, ne l'ignorant pas, nous avons toujours professé qu'en ces matières, comme l'a dit Bernard de Vesins au Congrès, la primauté appartient à l'Église. Celui d'entre nous qui a eu l'occasion de mettre cela par écrit le premier est précisément le même qui a formulé la maxime « Politique d'abord ». Alors, dira L'Osservatore, celui-là s'est contredit ! En quoi ? Pourquoi ? L'Osservatore se figurerait-il que « politique d'abord » voulait dire « pouvoir, autorité politique d'abord » ? Il en est bien capable. Malheureusement pour lui, il donne à ces mots un sens qu'ils n'ont pas chez nous ni en eux-mêmes. Cela fait disparaître la contradiction dont il a rêvé. Mais il en rêve d'autres ; parce que l'on a constaté ici la succession des ordres, conseils et directives du Souverain Pontife dans la variété des circonstances et des temps, L'Osservatore, de sa grâce, s'imagine que nous accusons les papes de s'être « contredits » entre eux ou, dit-il contredits eux-mêmes. Dans sa passion, L'Osservatore oublie jusqu'aux conditions logiques de l'emploi du terme « contradictoires ». Du train dont il va, nous allons le voir revenir, avec toutes les inconsciences de la passion, aux étonnants articles de 1894, où il invoquait l'infaillibilité papale contre les Français qui refuseraient de se rallier à la République !

Il y a des matières religieuses où l'obéissance s'impose de droit. Il y en a où elle s'impose par le haut sentiment des égards dus au pouvoir spirituel. Il y en a, enfin, de naturellement libres.

Dans la lettre du 5 septembre 1926, le Pape a distingué un terrain politique où tous les fidèles jouissent de leur « juste liberté ». Ce terrain, les germanophiles de L'Osservatore Romano prétendent le retirer aux Français. Comment ? Par de grossières sollicitations de textes et de faits. Pour critiquer l'amiral Schwerer, ces messieurs nous imputent une étonnante infraction au Syllabus et à l'encyclique Pascendi ! À les entendre, nous admettrions que l'Église n'a aucun pouvoir temporel direct ou indirect. Où ont-ils vu cela chez nous ? Où ont-ils pu nous voir soutenir que, au nom du bien public, le citoyen peut négliger les avis, les conseils, les préceptes, les lois de l'Église ? Le bien public est invoqué par nous sur un terrain où l'Église même commence par nous reconnaître, en termes éclatants, nos droits légitimes.

Jamais L'Osservatore ne s'est permis de tels procédés à l'égard de la presse allemande ni du peuple allemand. Il se trompe s'il juge les catholiques de l'Action française capables de se laisser asservir de la sorte !

Ce que disent les catholiques d'A. F.

« Nous ne sommes pas disposés, disent-ils, à rien céder de nos libertés. Nous n'avons pas envie de devenir des ilotes, ni de laisser réduire les Français catholiques à l'état des catholiques mexicains 7. Nous réclamons le droit de trouver bons les arguments politiques de Maurras, comme les démonstrations astronomiques de Galilée. Ces vérités d'ordre naturel, expérimental, s'imposent à nous, et personne ne peut rien contre elles… L'Église, du reste, n'a pas d'intérêt, pensons-nous, à ce que ses fidèles fassent figure de citoyens diminués, ligotés dans leur activité nationale, réduits à recevoir du dehors leurs consignes politiques. Le Souverain Pontife a la garde des intérêts universels de la chrétienté : les intérêts politiques particuliers de la France échappent, par leur nature même, à sa sollicitude, et c'est nous, Français, qui en avons seuls le grave souci. Dans la politique française nous sommes chez nous et, volontiers, nous redirions, à ce propos, la parole du grand agitateur catholique qui n'était pas “gallican”, l'Irlandais O'Connel : “Our faith from Rome. Our policy from home.” “Notre foi, de Rome. Notre politique, de chez nous.” Nous ne sommes pas ici pour faire de la politique pontificale, mais de la politique française. Nous entendons rester dans ce domaine, indépendants des ingérences ecclésiastiques, aussi bien que des ingérences gouvernementales et financières : c'est notre force et notre raison d'être ; tous les bons Français nous suivront dans cette voie, et l'Église ne gagnerait rien à essayer de nous la barrer. Windthorst ne laissa pas commettre cette faute en Allemagne, du temps de Bismarck, lorsque Bismarck obtint l'oreille du Vatican ; c'est par ses longues résistances à ces manœuvres bismarckiennes venues de Rome que Windthorst put forger si puissamment le parti catholique allemand du “Centrum” qui jouit aujourd'hui de toute la faveur de L'Osservatore.

« Nous n'admettrons point, par exemple, qu'un nonce du Pape se mêle de nos affaires intérieures et intervienne dans des questions électorales. S'il se construit, dans les sphères ecclésiastiques, un vaste plan de paix européenne et mondiale où la France soit sacrifiée, nous sommes là pour nous y opposer. Nous ne croyons ni à Locarno, ni à la Société des Nations, ni au désarmement de l'Allemagne, qui ne sont pas encore devenus, que nous sachions, des dogmes de foi. Que si certains hommes d'Église mettaient leur autorité au service des dangereuses illusions qui préparent pour l'Europe et, en particulier, pour la France, des cataclysmes sanglants, c'est en vain qu'ils nous inviteraient à les suivre. Simples laïques, nullement théologiens, nous savons tout de même que, si l'Église a la promesse de la vie éternelle, les hommes d'Église – l'histoire entière le prouve – peuvent être mal renseignés, se laisser circonvenir par des influences malhonnêtes, s'engager dans des entreprises nuisibles – et que tout cela s'est produit au cours des âges. Ces affirmations, dont quelques-uns affecteront de se scandaliser, ne sont pas scandaleuses ; elles sont banales : tout le monde dans l'Église sait bien qu'il en est ainsi. Mais pratiquement on agit et on écrit comme si le contraire était vrai. Est-ce loyal ?

« La déférence, ajoutent les catholiques d'Action française, la déférence due à des autorités qui sont sacrées dans leur domaine, et qui auront toute notre obéissance, nous obligerait-elle à les suivre en ce que nous estimons être faux et nuisible à notre pays ? Personne n'oserait le soutenir. Nous lisons dans le Dictionnaire apologétique de la Foi catholique (fasc. XIX, col. 114 et 115) ces lignes, à propos du pouvoir du Pape :

L'indépendance de l'État et des citoyens chrétiens dans le domaine purement politique est une doctrine certaine proclamée par l'encyclique Immortale Dei (de Léon XIII) et qui doit être loyalement sauvegardée. Or cette doctrine deviendrait irréelle et illusoire si l'on allait jusqu'à reconnaître à l'Église le droit d'imposer aux fidèles un précepte de stricte obéissance à propos de toute affaire politique où le Pontife romain jugerait que le bien de la religion et des âmes se trouverait intéressé. Il n'est pas une affaire politique de quelque importance qui, surtout dans un régime démocratique, n'ait son contrecoup sur l'intérêt de la religion et des âmes !… Étendre ainsi le pouvoir indirect équivaudrait à supprimer, pour les catholiques, l'indépendance légitime de leur conduite dans le domaine spécifiquement temporel et politique. Ce serait attribuer aux Pontifes romains une prétention énorme, qu'ils ont toujours répudiée… Mais, à côté du pouvoir indirect (strictement préceptif), il y a raisonnablement place pour un pouvoir directif… l'autorité d'un conseil paternel qui mérite d'être pris en considération de la manière la plus sérieuse et la plus respectueuse, sous peine de commettre une faute contre la vertu de prudence…

Toutefois, le devoir d'obtempérer à ce conseil cesserait de s'imposer… si, après mûr examen, on estimait, en conscience, avoir des raisons très légitimes et sérieuses, des motifs très graves de suivre la ligne de conduite que Rome désapprouve, et de douter du péril et du dommage religieux que Rome signale dans cette conduite.

Cette théologie-là n'est pas une théologie de journaliste comme celle que l'on improvise chaque jour pour nous combattre. Elle n'a pas été inventée pour la circonstance où nous nous trouvons. Exposée dans un Dictionnaire apologétique, elle représente apparemment l'enseignement commun de l'Église. Pour réfuter la légitimité de notre attitude, il faudra inventer un autre enseignement. Nous ne sommes pas des catholiques en révolte : nous sommes des catholiques loyaux, qui seulement ont pris soin de s'instruire et qui savent jusqu'où s'étendent leurs obligations de fidèles. »

Le mensonge déchaîné

Telle est la position très clairement sentie de nous tous. Elle ne l'est pas d'un certain nombre de folliculaires qui, en France et ailleurs, déshonorent leur plume et, parfois, leur habit. Ils sont démocrates ou libéraux, c'est leur droit, nous le reconnaissons en les combattant, mais la démocratie n'excuse ni la mauvaise foi, ni la calomnie, ni le faux, et, quand nous lisons, par exemple, dans L'Action populaire, des diatribes où le mensonge se fait jour sans aucune vergogne, l'Action française tout entière a le droit de les qualifier. Mais ne suffit-il pas de montrer quelques échantillons de leur savoir-faire ?

Les catholiques de l'Action française lisent avec stupeur, page 7 d'une « Lettre à un jeune étudiant » : « Jaurès et Maurras – et Lénine ! – tous les trois disent, à la manière de Karl Marx : “La religion est l'opium du peuple.” Voilà pourquoi nous l'attaquons, crient aujourd'hui les communistes. Voilà précisément pourquoi je la préconise, répond Maurras. »

Page 9 : « L'A. F. prononce les exclusions suivantes : l'exclusion d'une règle morale dans les choses de la politique… ; l'exclusion des revendications de la justice sociale en faveur d'une classe déshéritée… et ces exclusions constituent précisément les éléments essentiels de la doctrine politique de l'Action française : Politique d'abord, c'est-à-dire : Exclusion d'abord de tout le reste… »

Comment un prêtre peut-il en venir à ces jeux de mots déshonorants ?

Nous apprenons, en outre, qu'à l'Action française on a « le dédain de l'ouvrier » (page 13) — qu'en dites-vous, ouvriers Camelots ? — que, dans la question du syndicalisme, on n'y a jamais « fait entendre le son chrétien » (page 12) — qu'en dites-vous, Ambroise Rendu et Pierre Chaboche ? — que la clairvoyance à l'égard de la mystification pompeuse qu'est la Société des Nations, ou la raillerie à l'égard d'un dangereux comédien tel que Valois, ne sont pas de mise chez un chrétien (pages 8, 11, 12) ; que, même le souci de l'orthodoxie remarquable, on le concède, chez les catholiques d'Action française, « trahit un catholicisme peu éclairé. C'est Byzance qui se proclame orthodoxe ; ce n'est pas Rome » (???) (page 6), etc., etc.

Quel chapelet d'insanités !

« Iriez-vous tuer Schrameck 8 ? » demande triomphalement l'auteur de la lettre à son naïf interlocuteur. Ce qui est simplifier beaucoup une question passablement complexe et dont l'énoncé correct serait celui-ci : en temps d'anarchie intérieure, alors que les citoyens ne sont plus défendus contre l'assassinat par les pouvoirs publics, et, qu'au contraire, un très puissant haut fonctionnaire donne son appui aux assassins, est-il permis : 1o de le menacer de mort pour qu'il abandonne ses intentions homicides ; 2o de le tuer pour en interrompre l'exécution ?

Hélas ! Ce goût pervers d'envenimer une situation déjà pénible pour les catholiques de l'Action française, ces mensonges onctueux, ces textes, non pas même sollicités, mais grossièrement déformés, ces raisonnements boiteux et sophistiques – même sur des questions de théologie ! – cette soi-disant « direction spirituelle » où un prêtre démocrate abuse de l'ignorance et de la candeur d'un adolescent, ce mélange de piété douceâtre et de haine recuite forment le morceau le plus répugnant qui soit. Pour diffamer plus sûrement l'Action française, est-ce qu'on veut se déshonorer ? Mais, après tout, il est heureux que ces pages aient été écrites. Nous avons là un précieux spécimen de la manière dont certains hommes d'Église entendent exploiter le plus sacré et le plus délicat des ministères. Ils donnent là au public une terrible leçon de choses. Ces « simples feuillets de pastorale » (!) que La Croix s'est cru permis de recommander et qui affichent le pieux dessein d'« amener à se soumettre… les consciences troublées » ne susciteront-ils pas plutôt, dans les âmes droites, l'indignation et la nausée ? Que nos ennemis prennent garde de dépasser leur but. Trop est trop.

De fameux orthodoxes

La Vie catholique du 23 octobre a publié une réponse de L'Action populaire à Maurras. Les courageux anonymes de L'Action populaire commencent par attaquer l'honnêteté de Maurras : il est de mauvaise foi : « voiles prudents dont il enveloppe (sa pensée)… Mots jetés pour faire illusion… l'usage peu honnête que M. Maurras fait de la parole. » Chez des gens qui blâment les violences de polémique, ce jugement des intentions est remarquable. Eh ! contre Maurras tout est permis. Son cas fait brèche aux Commandements de Dieu.

Les anonymes continuent. Ils ne reprochent plus à Maurras « aucune parole maladroite ». Ainsi s'affranchissent-ils de toutes discussions de texte pour lesquelles, apparemment, ils se sentent battus : l'expédient est merveilleux ! Ils reprochent donc à Maurras les éloges qu'il a donnés à l'Église, du point de vue naturel. Ce point de vue, incomplet pour un croyant, est-il faux ? Tout ce qui n'est pas catholique est-il mauvais ? À cette question : « L'Église est-elle bonne ? » l'incroyant qui répond : « oui » est-il à blâmer ? Doit-il répondre le contraire ? Ou bien y a-t-il « équivoque » dans sa réponse ? L'équivoque consiste à jouer sur les mots. Où est-elle ici ? « Mais le mot devoir, dans la bouche de Maurras, qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? » Ma foi !, quelque chose comme ce que le bien moral signifiait pour Aristote, dont saint Thomas a commenté l'Éthique à Nicomaque, et à qui il a pris les deux tiers de la doctrine des vertus, exposée dans la Somme !

Notez que l'officine d'où sort le vertueux intégriste de La Vie catholique est la même que celle où paraissaient, il y a quelques années, maint livre moderniste, condamné par l'Église, par exemple : Dogme et critique, par E. Le Roy ; La Crise morale des temps nouveaux, par Paul Bureau ; tel ouvrage de l'abbé Naudet, et que le « grand ami » dont parle La Vie catholique (16 octobre), M. Henri Brémond, fut aussi l'ami et le confident de Tyrrel, et qu'il a eu, lui aussi, sa condamnation de l'Index pour un livre sur Sainte Chantal. Ces catholiques, si zélés contre l'Action française, ne sont pas d'un aloi indiscutable. La « condamnation » de l'Action française a particulièrement réjoui ce qu'il y avait de plus suspect et de plus suspecté. Nous comprenons que L'Action populaire récuse le qualificatif d'« orthodoxe » comme « trahissant un catholicisme peu éclairé ».

Politique ! Politique, et non religion, que tout cela.

Conclusions des catholiques d'A. F.

Les catholiques de l'Action française refusent d'être dupes de ce mauvais usage des choses sacrées, ils le signalent aux Français.

« Pour les choses qui regardent la foi et la morale, ajoutent-ils, l'Église n'aura jamais de fils plus soumis que nous. Dans cet ordre, la moindre indication de nos pasteurs sera acceptée par nous avec une discipline et une docilité absolues. À cet égard, conformément aux recommandations données par Rome à nos étudiants, nous fuirons “le plus possible” toute contagion, même provenant de nos amis les plus chers, de nos chefs les plus justement aimés.

« Nous ne les quitteront pas pour cela.

« Voici pourquoi :

« On rencontre en France des catholiques dans la plupart des partis politiques. Les chefs de ces partis sont souvent des “laïcistes” avérés, tel, par exemple, et pour ne pas prendre d'emblée l'exemple le plus fort, M. Raymond Poincaré 9. Mais les catholiques s'avancent plus loin dans les régions de gauche on les trouve à côté, sous la direction d'anticléricaux militants et agressifs, dans des groupes qui ont, eux aussi, une doctrine et non pas purement politique comme l'Action française, mais plutôt politico-religieuse, empruntée la plupart du temps aux formulaires maçonniques. On a vu certains de ces catholiques voter, par exemple, pour l'intangibilité des lois laïques. Loin de nous la pensée de réclamer contre eux la moindre censure ecclésiastique. Nous nous bornons à constater les faits. Bien plus, on a vu récemment des catholiques se grouper autour d'un homme 10 qui, certes « ne s'est pas montré maître de la doctrine et de la morale chrétiennes », ayant encouru, sous Pie X, une condamnation formelle ; on a vu ces catholiques fraterniser avec des francs-maçons, avec des persécuteurs fameux et impénitents, dont le nom seul rappelle la destruction de nos libertés religieuses les plus chères, traiter avec eux des questions philosophiques et morales, se mettre d'accord avec eux sur certaines conclusions communes et sur certains vœux. Encore une fois, au point de vue religieux, ce n'est pas notre affaire de censurer de telles réunions : nous ne nous reconnaissons pas le droit de murmurer contre la bénédiction apostolique qui les a sanctionnées. Nous sommes fort loin de réclamer pour nous-mêmes le même degré de tolérance et de faveur. Au contraire, nous faisons remarquer que cette tolérance et cette faveur vont à quelque chose qui dépasse et de beaucoup la stricte liberté politique que nous revendiquons. Nos adversaires démocrates-chrétiens seraient donc mal venus à nous reprocher des alliances qu'ils pratiquent d'une façon infiniment plus large et plus audacieuse que nous.

« Dans les écoles publiques et les lycées de l'État, où enseignent des professeurs athées, anti-chrétiens, juifs, protestants, maçons…, les dangers courus par la foi et la morale sont certes extrêmement graves. Néanmoins, tout en souhaitant vivement l'amélioration de tels établissements, nos prêtres ne nous ont jamais fait un cas de conscience d'y mettre nos fils, à charge pour nous de pourvoir par ailleurs à leur éducation chrétienne et de les défendre efficacement contre les influences funestes. Des établissements ecclésiastiques (externats de lycéens) existent même à cette fin. Pourquoi donc agirait-on à l'égard des dangers, sans conteste moins terribles et moins prochains, qui peuvent résulter de la fréquentation des respectueux incroyants de l'Action française ? y a-t-il donc, dès qu'il s'agit de celle-ci, une manière spéciale de juger, une jurisprudence exceptionnelle ? »

Nous ne trahirons pas

… Cette jurisprudence exceptionnelle existe et, dans toute une presse, elle fonctionne contre nous avec ses doubles poids et ses doubles mesures.

L'Action française entière connaît cette injustice.

Tous ceux qui en souffrent, croyants et incroyants, sont quelquefois réduits à rire amèrement des accusations que soulève un texte de Taine ou de Renan publié chez nous quand l'éloge des mêmes hommes et des mêmes œuvres, s'il est fait au dîner de la Revue des deux mondes, est dévotement inséré sans réserves ni protestations dans La Croix. Ce spectacle immoral et incompréhensible ne peut avoir qu'un sens : on veut imposer à l'Action française d'arrêter sa besogne patriotique et de briser son entreprise de relèvement national. L'Action française ne croit pas que ses devoirs impérieux envers la Patrie en danger puissent être ni désobéis ni éludés comme le souhaitent passionnément les ennemis intérieurs et extérieurs de la France. Personne n'a le droit de lui demander cette trahison.

Charles Maurras et l'Action française
  1. L'article est signé « L'Action française » dans le numéro indiqué. Cette signature est reprise dans le recueil de 1927, L'Action française et le Vatican. Le titre y est toutefois modifié pour mentionner expressément Maurras en sus de l'Action française.

    Les notes sont imputables aux éditeurs. [Retour]

  2. Il faut rappeler que de vives polémiques avaient opposé durant la guerre et dans l'immédiate après-guerre L'Action française et le journal romain, accusé d'être de parti pris pro-allemand et de vouloir compromettre le pape Benoît XV dans ce sens. [Retour]

  3. Auteur belge, accusé par l'Action française de sympathies allemandes, et dont une brochure datant de 1925 inspira en grande partie les premières accusations du cardinal Andrieu contre l'Action française à l'été 1926. Voir notre édition des articles des 5 et 7 janvier 1927 sous le titre Charles Maurras et le cardinal Andrieu. [Retour]

  4. Adresse historique de L'Osservatore Romano, qui le désigne par métonymie. [Retour]

  5. Allusion à Léon et Philippe Daudet. [Retour]

  6. C'est-à-dire qui relèvent sous certains aspects de la morale ou de la foi et sous d'autres aspects de la politique. [Retour]

  7. Allusion aux Cristeros mexicains, alors exposés aux persécutions. [Retour]

  8. Allusion à la célèbre Lettre à Schrameck de Maurras. [Retour]

  9. Conservateur, dont la formule était connue selon laquelle ce qui le séparait de Maurras et de l'A. F. c'était « toute l'étendue de la question religieuse ». [Retour]

  10. Marc Sangnier. [Retour]

Article paru dans L'Action française du 15 décembre 1926, repris dans le recueil L'Action française et le Vatican.

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