Une communication de M. Raymond Triboulet

Nous venons de proposer à nos lecteurs Pour Psyché. Nous leur proposerons dans les semaines qui viennent, entre autres textes, l’importante préface à la Musique intérieure et La Bataille de la Marne.

Cela nous est l’occasion d’attirer l’attention sur une communication de M. Raymond Triboulet à l’Académie des sciences morales et politiques, en 1998, où il est question de ces textes : De la poésie pure à la musique intérieure.

Psyché et le vieux Faust

De ce poème Pour Psyché, voilà ce que Maurras dit dans un texte que nous vous proposerons bientôt, la préface à La Musique intérieure :

Mais j’aurais regretté de froncer le souverain sourcil de Jean Moréas. Il y avait deux ou trois ans que je voyais régulièrement chaque soir « l’Athénien honneur des Gaules » et me gardais de lui montrer ces copeaux de mauvais lyrisme. J’avais fait exception en faveur du petit poème Pour Psyché qui avait été imprimé dans l’année. Moréas avait jugé que « ce n’était pas mal », la juste indifférence du ton complétant au vif la pensée. Loués soient les dieux immortels qui placèrent sur mon chemin le génie rare, le puissant esprit inventeur et conservateur de ce nouveau Malherbe en qui la faculté du juge égalait le don du poète ! On se le représenterait mal en tyran des mots et des syllabes. Personne n’était moins puriste, ni plus éloigné du purisme. L’originalité de Moréas en critique était de considérer avant tout la conception, la pensée : forte composition et juste cadence. Que de fois il a daigné dire à d’ambitieux rivaux trop bornés pour concevoir même le sens de ses paroles, que le litige entre eux et lui portait « sur une question d’ordonnance ». Son souci de l’essentiel passait vite sur les détails et, comme il convient, les réglait sommairement tous. Ainsi l’ordre intellectuel rejoignait le moral. Il disait : « C’est sérieux » ou : « Ce n’est pas sérieux ». Glorieux d’apparence et d’allure, ceux qui parlent de sa vanité l’auront mal connu. Il était si désintéressé, si droit, si vrai, si libre qu’on cédait naturellement au désir de le prendre pour arbitre contre soi-même. Je n’ai connu personne de plus attentif à ne jamais laisser d’illusion aux jeunes esprits sur leur degré de chance et d’espérance de cueillir le rameau d’or. Mais ce qu’il trouvait « bien » balayait préventions, systèmes, partis pris. Le service du beau l’avait affranchi de lui-même. Dix ans peut-être après l’épreuve malheureuse de ma Psyché, je me laissai aller à lui réciter la petite chanson anacréontique qu’on ne sait quel démon m’avait emporté à traduire après Ronsard, Remi Belleau et Henri Estienne.

Aux taureaux Dieu corne donne
Et sabots durs aux chevaux…

Sur le trottoir que nous longions, Moréas s’arrêta vivement. Il me pria de répéter. Le sourcil haut, l’œil en fleur et les lèvres jointes, moins de contentement que de surprise, ne m’ayant jamais cru capable de mettre sur pied deux bons vers, il me dit les trois mots inouïs : « C’est très bien ».

Retour sur Tacite

Dans la note 28 de la dissertation sur Tacite, concernant une citation de « Raphaël, XCII » nous avions dû avouer notre ignorance car nous n’avions pas retrouvé cette référence dans les œuvres de Lamartine.

L’affaire est éclaircie, et notre texte corrigé de la manière suivante :

Cette citation est extraite du quatre vingt douzième paragraphe (XCII) du Raphaël de Lamartine, et non du dix septième (XVII) comme il est indiqué par erreur dans l’extrait du « cahier d’honneur » publié en 1965. Sur la copie d’origine, le C est indiscutable et ne saurait se confondre avec un V. Maurras reprend presque l’intégralité du texte de Lamartine, mais en modifie la texture, faisant des phrases plus longues, moins saccadées.

L’éloge de Tacite prend place, dans ce volume de souvenirs qu’est Raphaël, entre une évocation de Cicéron (XCI) et une réflexion sur l’art oratoire (XCIII). Lamartine décrit en détail le féroce appétit de lecture, surtout des auteurs de l’Antiquité, qui fut le sien autour de sa vingtième année ; ce qui rapproche les deux écrivains…

Voici le texte complet du paragraphe :

Quant à Tacite, je ne tentais même pas de disputer ma passion pour lui. Je le préférais même à Thucydide, cet Homère de l’histoire. Thucydide expose plus qu’il ne fait vivre et palpiter. Tacite n’est pas l’historien, mais le résumé du genre humain. Son récit est le contre-coup du fait dans un cœur d’homme libre, vertueux et sensible. Le frisson qu’il imprime au front, quand on le lit, n’est pas seulement l’horripilation de la peau, c’est le frisson de l’âme. Sa sensibilité est plus que de l’émotion, c’est de la pitié. Ses jugements sont plus que de la vengeance, c’est de la justice. Son indignation, c’est plus que de la colère, c’est de la vertu. On confond son âme avec celle de Tacite, et on se sent fier de la parenté avec lui. Voulez-vous rendre le crime impossible à vos fils ? voulez-vous passionner la vertu dans leur imagination ? Nourrissez-les de Tacite. S’ils ne deviennent pas des héros à cette école, c’est que la nature en a fait des lâches ou des scélérats. Un peuple qui aurait Tacite pour évangile politique grandirait au-dessus de la stature commune des peuples. Ce peuple jouerait enfin devant Dieu le drame politique du genre humain dans toute sa grandeur et dans toute sa majesté. Quant à moi, je dois à cet écrivain non pas toutes les fibres de ma chair, mais toutes les fibres métalliques de mon être. C’est lui qui les a trempées. Si jamais nos temps vulgaires prenaient le tour grandiose et tragique de son temps et que je devinsse une digne victime d’une digne cause, je dirais en mourant : « Rendez honneur de ma vie et de ma mort au maître, et non pas au disciple, car c’est Tacite qui a vécu et qui est mort en moi ! »

Inspiré du chant premier de l’Iliade

Ce poème, Ni peste ni colère, aurait été composé le 19 janvier 1944. Mais il n’a été publié qu’en 1951, dans un cahier de grand format tiré à seulement 120 exemplaires, avant d’être repris dans La Balance intérieure, puis dans les Œuvres capitales.

L’argument en est l’épisode bien connu du Chant premier de l’Iliade où le prêtre d’Apollon, Chrysès, attire sur les Grecs les traits d’Apollon sous la forme de la peste pour les punir de ne pas lui avoir rendu sa fille Chryséis.

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La date qui figure sur l’ouvrage est celle du 20 avril, jour anniversaire des 83 ans de Maurras.

Le bois gravé qui accompagne l’édition de 1951 est l’œuvre de Michel Jamar, artiste nancéen.

La Barque et le Drapeau

Voici le texte d’une brochure parue en juillet 1911. Elle reprend un article paru dans l’Action française le 20 mai 1911.

On comprend l’histoire en lisant les premières lignes : le 4 février 1911, Maurras évoque dans l’Action française une photo du duc d’Orléans. On la lui réclame, mais il ne veut pas la publier ni laisser en éditer une carte postale. Puis le duc d’Orléans publie un livre, Chasses et chasseurs arctiques dans laquelle se trouve la photo. Du coup Maurras publie l’article dans l’Action française et fait éditer la brochure, chacun accompagné des photos.

Les deux photos évoquées dans ce texte ouvrent (celle de la cabine de la Belgica) et ferment (celle de la barque, en médaillon) le gros livre de souvenirs publié en 1927 par le docteur Récamier, intime du duc d’Orléans : L’Âme de l’Exilé.

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Le Chemin de Paradis en cartes postales

Le promeneur qui découvre aujourd’hui la maison de Charles Maurras à Martigues aura du mal à imaginer ce qu’elle était du vivant de l’écrivain, par exemple lorsqu’il y reçut la visite de Joseph Kessel, venu au début de l’été 1926 l’interroger sur le retour de Poincaré aux affaires.

Un plan réalisé en 1956 par Roger Joseph et publié dans sa brochure Martigues et le Chemin de Paradis montre qu’encore à cette époque, avant la construction du stade et l’assèchement des salines, l’environnement immédiat de la maison n’avait guère évolué depuis l’enfance de Maurras ; il était resté tel que l’évoquent les Quatre Nuits de Provence.

Les six cartes postales que nous reproduisons datent de l’entre-deux-guerres : Maurras était assez célèbre pour que son nom apparaisse en légende de la photo de sa maison, bien que certains éditeurs aient privé son patronyme d’un de ses deux R. Et la maison, suffisamment isolée, constituait un sujet simple à caractériser, pour une photographie touristique.

Au temps de Maurras, le Chemin de Paradis est un vrai chemin, un chemin rural. Au Sud, jusqu’à l’étang de Caronte qui assure le passage entre la Méditerranée et l’étang de Berre, s’étendent des salines. On n’y musarde pas, surtout le soir, à cause des nuées de moustiques. Et au Nord, le chemin est bordé de collines où il l’on ne distingue qu’une seule construction : la Bastide. Plus haut, au loin, le vieux moulin. Devant la Bastide, le jardin : l’allée des Philosophes, la muraille des cyprès… Et autour, rien : des prairies, quelques pins. Vue d’en haut, la perspective dans laquelle s’inscrit la maison n’est guère enthousiasmante ; on comprend pourquoi Maurras s’est tant attaché à soigner son jardin :

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Cette carte a été éditée par un certain Albert Jourdan, libraire. Au verso, on apprend que c’est la 27ème d’un série consacrée à la Venise Provençale. La légende en est : « Quartier Paradis, Propriété Charles Maurras ».

Aujourd’hui, ce paysage semble lunaire. Il n’y a plus trace des marais salants ; l’horizon est bouché par l’immense palissade que forme le mur extérieur de la Tribune Paradis du stade, dont les quatre pylônes portant les projecteurs écrasent toute perspective. Entre le stade et l’étang, c’est la nouvelle Mairie, et tout un quartier surgi du néant. Autour de la maison, le terrain a été entièrement loti en petites parcelles, toutes bâties, abondamment clôturées et comme irriguées par les voies d’accès pour les voitures ; la Bastide reste au milieu, cachée par les haies, témoin des siècles passés et porteuse de la mémoire d’un écrivain polémiste qui aura tant fait pour la renommée de sa ville, où peu de gens se souviennent de lui de nos jours…

Le jardin n’a pris son aspect actuel que tardivement et progressivement. Maurras s’en était beaucoup occupé pendant ses dernières années, surtout pendant sa détention ; il conçut et fit faire d’importants travaux de maçonnerie dont il ne vit jamais le fruit.

Le jardin descendait naguère plus bas qu’aujourd’hui ; la transformation du Chemin de Paradis en voie urbaine, après la construction du stade, le fit reculer de quelques mètres.

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Cette carte qui prive Maurras d’un R a été réalisée par les éditions Tardy, 40 quai du Port à Marseille. C’est une des rares vues de la maison prises de face.

La plupart des vues que l’on rencontre sont prises de côté, ce qui ne permet pas toujours de bien distinguer l’allée centrale. Sur la suivante, bien que prise du côté ouest, la structure du jardin apparaît assez clairement.

Les deux fenêtres du rez-de-chaussée ont leurs volets ouverts ; la photo a donc été prise pendant la journée, vraisemblablement le soir (pour que la lumière du soleil soit derrière l’opérateur). La majorité des photographies des cartes anciennes ont été prises en été, tôt le matin, pour ne déranger personne et avoir des rues dégagées. En contrepartie, les volets sont tous fermés. Ceci laisse penser que cette carte est assez récente (peut-être 1940 ?). Par rapport à la précédente, les amphores ont pris la place des jardinières.

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On retrouve au verso mention de l’éditeur Jourdan. La carte porte le numéro 1461, avec la légende : « La Venise Provençale : Martigues (Bouches du Rhône). La Maison Charles Mauras » (avec un seul R).

Voici une autre vue prise du côté ouest, cette fois avec un seul volet ouvert. L’éditeur est « Real Photo — Cap — Strasbourg — Paris ». La légende est au recto, toujours avec un seul R :

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Enfin voici deux cartes sépia avec une vue prise côté est, ce qui permet d’apercevoir au loin la tour du vieux moulin :

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La première est produite par les éditions Gauthier, à Martigues, la seconde par les éditions Fournier, cours du 4 Septembre, également à Martigues. Les locaux ont tous deux fait attention à bien mettre les deux R. Les deux cartes se ressemblent beaucoup, mais l’état de la végétation permet bien de voir qu’il s’agit de deux périodes différentes.

Dans les deux cas, les volets de la fenêtre de la bibliothèque sont ouverts, mais ceux du bureau sont fermés.