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Le Tombeau du Prince

I
Le 28 mars 1926

Quelle douleur ! Une douleur où la déception ressentie doit se teinter de quelque honte, le bon Français, serré au cœur, étant près de se demander s'il n'y a pas lieu de rougir un peu de la France ! Mais la France n'y pouvait rien. Ce sont, abusés, joués et bernés, les Français de 1894-1926, qui n'ont pas su, qui n'ont pas pu, qui n'ont pas osé vouloir prendre aux cheveux l'occasion magnifique, une possibilité de grandeur et de force que ce temps leur offrait et dont les âges à venir leur marchanderont les pareilles !

Quelle douleur ! Le Prince 1 était notre Roi, notre roi légitime sans doute. Mais il était bien autre chose pour nous. Il était notre recruteur et notre animateur. Il était celui dont la voix avivait, réveillait, il y a trente ans, dans les profondeurs des âmes vivantes, tout ce que le souvenir d'une grande nation contient d'immortel.

Ne nous lassons pas de le répéter, Henri V, comte de Chambord, avait restitué les principes sans lesquels rien n'eût pu renaître. Philippe VII, comte de Paris, adaptant ces principes aux nécessités administratives et sociales du jour, les avait ainsi dégagés de tout archaïsme. Mais le duc d'Orléans, mais Philippe VIII, mais « Philippe », comme nous disions, fort des idées, fort des doctrines de ses prédécesseurs, s'était engagé, pour sa part, bien au delà : il était entré dans le vif des actions et des réactions nationales les plus confuses. Il avait discerné, dès l'avènement en exil, quelles luttes s'engageaient entre les forces de la vie française et les puissances de décomposition. Il avait pris parti pour l'armée, pour la patrie, pour le drapeau traîné dans la boue, contre la coalition des métèques et des juifs. Il avait annoncé sa volonté de séparer la maçonnerie de l'État, de dégager l'autorité et le commandement de l'infini bavardage des assemblées, enfin de s'appuyer, contre la fortune anonyme et vagabonde, sur l'armée et sur le peuple. Ces manifestations vieilles d'un quart de siècle, sont d'une époque où le mal, moins sensible qu'aujourd'hui, n'avait pas encore été vérifié par les terribles expériences d'une guerre de quatre années, d'une paix médiocre et menteuse ; idées bien en avance sur leur temps, quelle fortune elles ont faite ! Quelle pénétration profonde dans toutes les couches de la population !

Les royalistes socialement haut placés ignorent trop ces magnifiques répercussions de la plus royale des paroles. Elle est allée au cœur d'un grand nombre de ces bons Français que l'on appelle de petites gens, sans doute parce qu'ils ont l'esprit fier et le cœur généreux. Le nationalisme ardemment populaire et, si j'ose ainsi dire, démophile, du prince eut pour effet direct, graduel et profond d'affranchir la notion de la royauté. À dater du duc d'Orléans, on n'était plus royaliste parce que l'on était né tel : on se disait tel du seul fait qu'on était né Français et, véritablement, à proportion qu'on se sentait meilleur Français. Qu'importait la condition, la fortune, le rang ! On allait au jeune roi parce qu'il personnifiait les facteurs de durée et de solidité de la patrie, facteurs plus précieux aux petits qu'aux grands et aux pauvres qu'aux riches. De 1894 à 1926 on peut dire qu'une partie de la haute société parisienne s'est ralliée à la République, mais on peut dire aussi que, dans le même laps, une partie considérable du gros peuple et de la petite bourgeoisie, autrefois républicaine, a viré de bord et mis le cap sur la monarchie. Nos réunions de Luna-Park le démontrent assez ! En avril 1924, visitant au 2e secteur les électeurs dévoués que nous y comptions, nos candidats étaient souvent conduits à traverser d'inimaginables taudis. Un jour, notre cher ami regretté Marcel Azaïs serra le bras de Marie de Roux 2 : — Et voilà, dit-il, nos douairières ! Ces bons et pauvres vrais Français, qui n'avaient pour tout bien que leur intelligence politique et leur foi nationale, c'est la voix du duc d'Orléans qui les avait rejoints, appelés, mis en marche vers son étoile.

Qu'on ne renverse pas l'ordre des faits ! Les dates sont là. Les dates prouvent que cette politique nationale et populaire fut l'œuvre personnelle du duc d'Orléans, puisque c'est elle qui persista dans la succession de ses conseillers ou ministres in partibus. Les tempéraments des hommes, même leurs idées, ont pu différer. Fidèle à sa pensée et à sa volonté, sa politique n'a pas dévié, ni varié d'un iota ; autoritaire et anti-parlementaire, décentralisatrice et nationale, mais, avant tout, il faut oser le dire, profondément traditionniste et légitimiste. Le prince était fier de toute sa race, spécialement de sa branche et de sa Maison, dont il n'oubliait ni ne désavouait rien. Cependant, il y avait des scissions historiques dont il souffrait en tant que Français, et ce retour philosophique se traduisait en quelques maximes profondes, qui, tombées de sa bouche, ont puissamment remué quiconque les entendit. Cet homme d'action et tourné de tout son cœur vers les réalités prochaines, dévoilait en de tels moments, d'étranges trésors de réflexion et de mélancolie. Peu d'esprits auront aussi pleinement aspiré à la réconciliation nationale ! Bien peu auront souffert au même degré de nos divisions !

Était-ce de ce mélange complexe, singulier, unique, que naissait la grâce brillante de sa personne ? Les dons physiques le comblaient. Ni la majesté de la taille, ni la beauté du visage, ni l'air de force et de santé qui émanait de lui ne suffisent pour expliquer la puissance incomparable de son attrait. Ses familiers disaient : Je l'aime. Les passants, les visiteurs d'un jour étaient empaumés. Il lui suffisait d'être Lui. Que de Français le rencontrant à l'étranger, celui-ci dans les rues de Bruxelles, celui-là dans le canal de Suez, ou en chemin de fer le long du Nil, le quittaient émus, éblouis ou bouleversés d'un contact de quelques minutes !

Quelques paroles fugitives, jetées sans y penser, avaient fixé les cœurs. Simples conquêtes de hasard ! Qu'il y joignît un peu d'attention, qu'il reçût dans son cabinet tel ancien ministre républicain, qu'il se prêtât aux questions d'un journaliste hostile ou perfide, qu'il donnât quelques heures à l'étude en commun de l'une ou de l'autre des difficultés du moment, l'impression était la même, la réception officielle valait la rencontre furtive, et l'on y goûtait par surcroît le sentiment des hautes facultés d'intelligence et de caractère, une mémoire d'ange, une rare puissance d'attention, un pareil esprit d'organisation et d'assimilation, et cette rapidité du jugement motivé qui, jointe à la volonté hardie et à la prudence, forment le principal indice de chef.

Je n'écris pas d'oraison funèbre. Je voudrais seulement que le temps et l'espace me fussent accordés pour ébaucher de simples mémoires. Mais le moment n'est pas venu. Peut-être bientôt saura-t-on ce qui a été contesté, nié, offusqué, passionnément travesti par tout ce qui avait intérêt à maintenir le gaspillage et le verbiage républicain. Puissent ceux qui, sans le vouloir, y ont collaboré, avouer quelque jour, le jour où tout finira par apparaître, combien leur frivole et légère fable a contenu d'offense à une vérité qu'ils ignoraient peut-être, mais qu'il leur eût été facile de découvrir !

Il est mort ! Il est mort. Ce grand Prince, ce fils de nos Rois est de ceux que l'on pleure comme un autre homme, comme un simple compagnon en humanité. C'est qu'il avait plus que la familiarité : l'amitié, la bonté et aussi je ne sais quelle soudaine douceur de cœur éveillée aux alertes de la vie et qui savait donner des signes exquis de sa véracité et de sa beauté. Notre ami René Theetten, avec qui je fus à Londres en 1916, se souviendrait peut-être de l'extraordinaire vivacité de l'inquiétude éprouvée par le prince au sujet de l'un de ses serviteurs que, pendant quelques heures, on avait cru égaré dans cette ville de la Bible ! Il était impossible de ne pas ressentir jusqu'au fond de l'âme une telle synthèse d'esprit militaire, patriarcal et princier. D'autres hommes et d'autres princes ont pu réunir les mêmes qualités. L'admirable était ici qu'elles rayonnaient : tout les publiait, le port, le pas, la voix, le regard, le sourire. Quelle révélation pour le pays, si le sort l'eût voulu ! Je ne donnais pas à la France quinze jours pour en délirer.

De ce délire nécessaire, de cette popularité légitime d'un principe sauveur, la France est frustrée durement. Pour nous qui conservons du moins le riche et puissant écrin de nos souvenirs, ce que nous perdons est encore peu de chose en comparaison de ce que la France perd : le chef-né, le chef de droit et de raison qui eût été le chef aimé ! Il y a peu d'exemples d'une méconnaissance plus complète et plus douloureuse, ni de plus lamentable dilapidation d'un plus beau trésor : ce silence de quarante ans en un sujet où l'acclamation s'imposait ! On ne s'en étonnera plus quand l'histoire secrète de notre temps commencera à filtrer. Le pays a été trahi de mille manières. La trahison s'est exercée envers lui, contre lui par la dissolution de son armée, la ruine de ses défenses matérielles, la protection des espions et des traîtres, l'abandon des bons serviteurs, la destruction des services de vigilance : on saura, on dira comment et pourquoi la même trahison s'est donné carrière dans la calomnie organisée et méthodiquement propagée par tous les moyens de la Finance internationale et de l'État antinational, contre un Fils de France exilé de son pays et de sa fonction.

Un quart de siècle de dur labeur aura permis au mouvement de l'Action française bien des triomphes. Pour triompher d'une diffamation impalpable et omniprésente il eût fallu pouvoir montrer, directement, personnellement, au Peuple intéressé le noble innocent diffamé, ce qui était bien impossible tant que la République restait debout ! L'iniquité non réparée sur la tombe qui nous déchire apporte un grief de plus contre le régime d'imposture et d'abaissement qui se meurt.

Car il importe de le dire, si grand que fût le mort, si puissante que soit la mort, nulle disparition, nulle catastrophe ne peut venir à bout, en France, de la Monarchie. Nos légistes surent l'écrire : le roi de France ne meurt pas. Ce n'est point par servilité, mais par patriotisme que, le dernier soupir du règne à peine exhalé, les portes de la chambre mortuaire s'ouvraient à deux battants, et le magistrat désigné criait à la Cour et au Peuple : Le roi est mort, vive le roi ! Quand la nation n'arrête pas, pourquoi l'autorité mère de la nation souffrirait-elle une interruption parricide ? Les bons Français fidèles à leur tradition historique n'ont pas besoin d'aller se promener à Versailles pour voir des députés jeter dans une urne le nom des candidats de leurs factions et procéder ainsi à leur petite guerre légale. La doctrine monarchique n'organise pas la guerre mais la paix. Elle a disposé de tout à l'avance, dans un ordre que les siècles n'ont pas altéré. L'antique loi salique, l'arrêt nationaliste du XIVe siècle se retrouvent tels quels dans la Constitution de 1791, au fort de la Révolution, qui maintenait encore un principe de cohérence, de continuité et d'autorité : « La royauté, dit-elle, est indivisible et déléguée héréditairement à la race régnante, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance… »

Hier, deux heures après-midi, du souffle expiré de Monseigneur le duc d'Orléans, la délégation héréditaire a passé sans interruption en la personne de Monseigneur le duc de Guise, que le même droit investit de la même autorité à laquelle s'attachent les mêmes respects, les mêmes dévouements et les mêmes fidélités, riche d'efforts nouveaux qui se déploieront vers un avenir plus heureux.

Comme tous ses prédécesseurs, le prince si noble que nous pleurons, dut, à l'heure suprême, éprouver dans son patriotisme et dans son esprit politique, la seule consolation humaine et terrestre qui fût possible, car il s'est dit que ni son œuvre ni son espérance ne finissaient, mais que l'une et l'autre seraient très pieusement recueillies par des mains dignes d'elles : elles seraient conduites, elles seraient transmises, elles iraient naturellement et glorieusement à leur terme, jusqu'à ce qu'enfin la plus vaine, la plus faible, la plus onéreuse des Républiques cède la place qu'elle usurpe au plus beau Royaume qui soit sous le ciel 3.

II. Témoignage du Dr Récamier
3 avril 1926

Le docteur Récamier accompagnait le prince dans tous ses voyages du Pôle à l'Équateur. Il l'a accompagné pour sa dernière course, dans les montagnes de la mer Rouge et aux sources du Nil Bleu. Il ne l'a pas quitté à son lit de mort. Je ne crois pas qu'un témoignage soit plus précieux ni montre plus clairement de quel tour de vive et ronde amitié le petit-fils d'Henri IV usait à l'égard de ses serviteurs. Le docteur Récamier m'écrit :

Vous l'aimiez et il vous le rendait bien… Vous aviez bien vu ce qui était vraiment royal dans cet exilé dont toute la vie n'a été qu'une souffrance de ne pouvoir rentrer dans son pays, dont tous les souvenirs heureux se rapportaient au temps de son enfance où il vivait en Normandie…

Il me disait pendant ce dernier voyage : « Maurras me comprend à voir remuer mes lèvres ; je n'ai pas besoin de parler fort pour me faire entendre de lui. » Et avec sa gaieté habituelle, il mimait le geste ordinaire de votre main qui quitte votre oreille, et l'inclinaison de votre tête lorsque vous avez compris et approuvez 4, du 10 juin 1926 : « Moi qui n'appartiens à aucun groupement et qui ai vécu avec Monseigneur jusqu'à sa fin, je suis prêt à témoigner de son indéfectible confiance en vous, en vous Maurras, jusqu'à sa mort. ». Les lignes qu'on va lire devraient porter en épigraphe le grand mot de Bossuet sur « le patriotisme inné dans le cœur des rois » :

Il y a peu de jours, voyant passer un navire japonais, nous parlions de la guerre russo-japonaise et je rappelais au prince combien alors, dès le début, il avait prévu avec justesse les résultats de ce conflit et il me répondit à peu près :

« Ce n'était pas difficile à prévoir ; les Japonais étaient animés du patriotisme le plus ardent depuis l'empereur jusqu'au dernier des portefaix, tandis que la haute société russe était sceptique et le peuple mécontent, sans idéal.

« Le patriotisme est tout pour une nation. Voyez quel magnifique avenir s'ouvre devant l'Italie, du fait du patriotisme exalté qui l'entraîne. Ce qui se passe en France actuellement me semble grave non à cause de la plaie d'argent, qui n'est pas mortelle, mais par le fait que des Français, des membres du Parlement, puissent se dire antipatriotes sans soulever une réprobation unanime. »

Cette idée de la grandeur de la patrie française le dominait et avait pris cette forme, ne pouvant faire mieux, de travailler à réunir le magnifique musée d'histoire naturelle qu'il destinait au Muséum.

Le pauvre prince rêvait parfois de mourir en mer, disant que ce serait le tombeau naturel d'un voyageur et d'un marin comme lui. Mais je crois qu'il désirait en réalité que son corps fût porté en terre française, à Dreux. Un peu de terre française était pour lui une relique.

Il est mort dans son lit, en exil, tenant dans sa main cette petite boîte d'argent pleine de terre de France qui ne le quittait jamais.

Voici maintenant qui nous introduit au plus intime de l'homme :

Monseigneur a demandé un prêtre en pleine connaissance, et, quand je l'ai conduit près de son lit, je l'ai entendu qui disait en souriant : « On vous dira que je suis un peu musulman, parce que j'aime l'Afrique, mais ne craignez rien ; le roi de France est très chrétien. J'ai toujours été croyant. » Ce sont, je crois, textuellement, ses paroles, presque les dernières.

Mon cher ami : le roi est mort, Vive le roi ! Mais un ami est mort que personne ne remplacera, ni pour vous ni pour moi.

Tel est ce mystère de la mort quand il se reflète dans un grand cœur.

Et voici le rite funèbre :

Sa Majesté la Reine de Portugal 5 est arrivée avant la mort de son frère, accourue au premier appel de Naples où elle se trouvait. S. A. R. Madame la duchesse d'Aoste 6, malheureusement à Milan pour une réunion de charité, je crois, a voyagé jour et nuit, mais n'est arrivée qu'après la mort, aujourd'hui.

La Reine a voulu, malgré mes objections, assister le prince dans son agonie avec tout le profond attachement qui les unissait l'un à l'autre depuis l'enfance, lisant elle-même les prières des agonisants avec son courage habituel, veillant à ce que l'on mît sur le corps le crucifix et le drapeau français. C'est une noble princesse ; que Dieu la préserve de toute contagion !…

Les lois sanitaires sont très strictes ici. Il ne nous a pas été possible d'accompagner le prince au cimetière où il reposera jusqu'au retour en France qui demande des délais. Nous sommes en quarantaine, mais, au moins, les deux princesses et Monsieur et Madame de Baritault et quelques serviteurs ont pu conduire le cercueil jusqu'à ce parc que le duc d'Orléans aimait tant, et ce petit cortège n'avait rien de la banalité des funérailles officielles…

Quelle douleur ! C'est le mot qui nous sort sans cesse du cœur. Et je lis et relis cette dépêche de Khartoum, le dernier signe que j'aie eu de Lui, simple accusé de réception d'une longue notice qui le poursuivait depuis Palerme : affectueux et vif comme un cri de confiance répondant à une parole de dévouement.

III. La mort du prétendant
3 avril 1926

Le Times, comme toute la presse anglaise, n'a pu s'empêcher de consigner avec étonnement « les longs articles sympathiques » consacrés au duc d'Orléans par l'immense majorité des journaux français. L'organe de la Cité croit discerner là un signe de respect pour le représentant d'un régime « à l'égard duquel beaucoup de bons républicains éprouvent encore au fond du cœur une certaine chaleur de sentiment dans le trouble des temps présents… »

J'ai souligné l'encore. Il est de trop. Ce que le Times prend pour une survivance est au contraire une nouveauté. M. William Martin s'est exprimé là-dessus avec une rare clarté au Journal de Genève. Son article sur « La mort du Prétendant » est assez « objectif ».

M. William Martin commence par comparer à l'atroce description de la mort de Louis XIV dans Saint-Simon la mort « obscure » du chef de la Maison de France après un exil de quarante ans. Cette obscurité fait pourtant un rayon de sombre lumière qui remplit le monde et qui l'apitoie. Le rédacteur du Journal de Genève se défend contre la pitié, puisqu'il prend position contre la loi d'exil. Il la tient pour une loi de majesté, qui fait partie des accessoires de la royauté légitime. Mais il ajoute :

On ne nous croirait pas si nous disions que le « règne » de Philippe VIII tiendra une grande place dans l'histoire du monde. Mais on aurait tort, inversement, d'en sous-estimer l'importance. Le duc d'Orléans laisse une œuvre — du moins une œuvre qui a été faite sous son nom. Et n'est-ce pas là la prérogative royale ?

Cette œuvre ne se fût jamais faite sans lui. J'ai exposé lundi, dans mon hommage funèbre, comment Monseigneur le duc d'Orléans avait rallié les premiers d'entre nous qui soient venus à la Monarchie. Sans son programme des années 1894, 1895, 1896, 1897, 1898 et 1899, je n'eusse jamais pu écrire en 1900 l'Enquête sur la monarchie. Notre fondateur Henri Vaugeois 7 ne vit le prince qu'en 1901. Je ne lui ai été présenté, pour ma part, qu'en 1902. Ces dates règlent tout. Il faut en prendre son parti : le règne en exil du duc d'Orléans a été un gouvernement personnel. M. William Martin continue :

Lorsque, le 8 septembre 1894, Philippe d'Orléans succéda à son père, le comte de Paris, une certaine inquiétude se manifesta dans l'opinion. Qu'allait faire ce jeune homme impétueux ?

Il ne fit rien, en apparence, ni coup de tête, ni extravagance. Mais, il laisse le parti royaliste infiniment plus vivant qu'il ne l'a trouvé. Au moment où il est monté sur ce trône putatif et itinérant, le royalisme, anémié par un mouvement continu de ralliement, allait se mourant. Il n'était plus le fait que de quelques nobles vieillards, blasonnés et fatigués.

Aujourd'hui, l'Action française a rallié au roi des milliers de jeunes gens ardents et enthousiastes. Elle a suscité une mystique [mais non, une logique ! mais une logique de feu] et a revivifié le royalisme. Il est certain que Philippe VIII meurt soutenu par les prières de plus de partisans que n'en avait son père.

L'Action française a fait davantage. Elle a donné un programme au prétendant [non, elle l'a reçu de lui], elle a créé, de toutes pièces une doctrine royale. Cette doctrine, inspirée des formes du passé, est essentiellement moderne par son contenu. Les peuples ne se passionnent plus pour la politique. Ce qui intéresse, ce sont les problèmes sociaux. Le temps est passé où l'on se faisait tuer pour le suffrage universel. Tant d'héroïsme nous fait sourire. Aujourd'hui, le régime qui saura organiser la production, protéger l'ouvrier et accroître la prospérité commune recueillera une popularité facile.

Malheureusement pour lui, M. Charles Maurras se meut dans une contradiction. Si les peuples s'intéressent plus au contenu d'un régime qu'à sa forme, comment les enthousiasmer par l'institution royale ? Comment les persuader que, seul, le roi sera capable de ramener le bonheur sur cette terre ?

Diable ! La contradiction n'est pas de celles dont on ne puisse sortir ! Est-ce que l'épuisement des formes démocratiques ne plaide pas très instamment pour le roi ?

On ne peut pas nier que les excentricités du Parlement, au cours de ces derniers mois, et l'incapacité notoire des partis à placer l'intérêt national au-dessus de la politique, aient détaché de la démocratie de nombreuses sympathies. La plupart des Français admettent aujourd'hui que les choses n'allaient pas plus mal sous les rois et la mystique révolutionnaire a perdu beaucoup de terrain.

Cela dit, M. William Martin croit qu'il serait « d'un singulier aveuglement » d'espérer le triomphe de la Monarchie. Et pourquoi ?

Pour une raison de principe et pour une raison de fait. La raison de principe est que toute la doctrine de l'Action française repose sur un a priori erroné. Le roi seul, nous dit-on, a la stabilité et la durée nécessaires à la défense des intérêts nationaux. Le roi seul peut se placer au-dessus des partis. Seul le roi peut s'identifier à la Patrie.

Il y a du vrai dans cette théorie. Elle était vraie sous Louis XIV. Elle ne l'était déjà plus sous Charles X. Elle le serait bien moins encore demain. Un roi qui reprendrait son trône par un coup d'État serait un homme de parti, exposé à toutes les vicissitudes des révolutions, et uniquement préoccupé de maintenir son régime. Loin d'être stable, absolu et indépendant, il serait dans la main de ses partisans et à la merci d'un coup d'État de ses adversaires.

Admettons. Bien qu'il y ait 1o à dire ; 2o à taire… Car enfin le coup de main de l'adversaire, on y veillerait… Bah ! admettons. Ce roi si combattu en fait ne le serait pas en droit. Il n'aurait pas ce que la République a dans le dos : une Constitution, une Loi, un Ordre, une Doctrine, qui prêchent à ses partisans l'instabilité, la discontinuité, l'incohérence, le désordre, le droit divin de la lutte des partis, enfin tout ce qui est contenu de légalement et de légitimement anarchique dans l'esprit républicain. Si l'on croit que ça ne fait pas une différence !

M. William Martin poursuit :

La continuité est, en politique, une admirable chose. Nous en convenons. La continuité de la monarchie, au cours de huit ou neuf siècles, a fait la France grande. Mais la continuité, troublée par sept révolutions, ne peut pas se rétablir aujourd'hui — comme si rien ne s'était passé.

M. William Martin oublie ce qu'il a dit qui s'est passé aussi : un dégoût de la mystique révolutionnaire, le regret des révolutions. Cela existe. La France voit ce qu'elle était avant ses huit révolutions. Elle voit ce qu'elle est depuis. La comparaison l'a instruite.

Quant à la grève générale, aux mouvements populaires (ou ouvriers) dont M. William Martin menace éventuellement la restauration royaliste, ces informations retardent. Nous n'avons pas l'innocence de ce pauvre Kapp 8. Et nous ne sommes pas aussi éloignés du peuple, de ses intérêts, de ses besoins et de ses passions, que veulent bien l'imaginer M. William Martin au Journal de Genève, et M. Clément Vautel au Journal tout court. Avant de rallier « les masses », nous avons travaillé les élites, créé des cadres, organisé une pensée et un sentiment. Le reste viendra et vient.

Si le « royalisme » de 1926 est « plus fort qu'en 1894 », comme l'avoue M. Martin, l'efficacité de cette force se révélera ou peu à peu ou tout d'un coup. « Dangereuse », alors ? Non, libératrice !

IV. Ceux qui ont vu
Mgr le duc d'Orléans
4 avril 1926

Ceux qui se plaignent de la forme abstraite, générale et, pour tout dire, patriotique de notre campagne en faveur de la Monarchie et des Rois me font penser à un beau jugement de mon vieil ami regretté Frédéric Amouretti sur Fustel de Coulanges : — C'était un homme d'une profonde sensibilité, mais, comme il était clairvoyant et raisonnable, l'histoire des hommes de France qu'il a écrite s'est appelée Histoire des institutions 9.

Ah ! oui, nous avons parlé des principes autant et plus peut-être que du Prince. Mais il n'en était que plus facile d'aimer le prince et c'était même justement et précisément pourquoi nous l'aimions. Nous nous disions sans cesse que la beauté majeure du régime royal tient à ce que, dans le cas de déchéance et d'infériorité personnelles, l'institution est plus forte que la personne, mais, dans le cas inverse, quand l'héritier était comme celui-ci un homme de premier plan, toute l'économie sociale et nationale devait ruisseler des bienfaits que lui prodiguerait, dès son aurore, sans effort, du simple fait qu'il succéderait à son père, un chef de pareille valeur.

Beaucoup d'amis nous écrivent pour exprimer le vif sentiment, l'empreinte profonde qu'ils ont reçus des audiences du duc d'Orléans. On m'approuvera de citer cette lettre d'un militant ancien, dévoué jusqu'à la passion :

J'ai eu, en janvier 1914, le très grand honneur de voir Monseigneur le duc d'Orléans en audience particulière et d'être retenu par lui à déjeuner. Vous avez exprimé les sentiments qu'éprouvaient tous ceux qui s'approchaient de lui, Charme enveloppant, bonté affectueuse, simplicité exquise, intelligence lumineuse et éclairée, tout cela dominé par la majesté et la grandeur du souvenir de sa grande lignée.

Je n'étais pas le seul à avoir subi ce charme. J'avais rencontré à ce déjeuner, notamment, le petit X…, qui venait prendre le vent — et qui a enseveli ce souvenir dans un de ses innombrables tiroirs à accessoires — le Z… et le sympathique N… Nous échangions le soir, dans le rapide qui nous emportait vers Paris, nos pensées, et j'entends encore le petit X… me dire dans le couloir d'où, à travers la glace, je regardais mélancoliquement s'enfuir le paysage belge, cette terre de Belgique et d'exil, j'entends encore X… me dire : « Oui, c'est un grand prince ! Quel dommage qu'on ne puisse pas l'utiliser ! » Ce sentiment, nous l'avions tous, Oui, quel dommage, mais comme il ne tenait qu'à lui, X…, et à quelques autres, d'aider à hâter l'heure où, roi de France, le pays aurait pu l'utiliser, au lieu de chloroformer cette opinion publique qui, elle, ne savait pas ! Ah ! les coupables que tous ces gens-là, qui ont sacrifié la France à la démocratie !

Oui… Les coupables. Mais oublions-les pour un jour. Pensons aux bienfaiteurs. Pensons à ceux qui ont bien servi. Quelques personnes m'écrivent pour exprimer leur étonnement. Comment ai-je pu, de 1897 et même 1896 jusqu'à 1902, militer pendant cinq et six ans entiers pour un prince que je n'avais jamais vu ? Je ne l'avais pas vu, mais je l'avais lu. J'avais suivi ses admirables, ses incomparables avertissements à la France de l'Affaire Dreyfus, véritables et premières prophéties d'avant-guerre. D'abord rétif, puis intéressé, puis saisi aux entrailles, je n'avais pu me tenir de céder à l'appel, essentiellement national, du petit-fils des fondateurs et pères de notre nation. Sa voix portait sur tout ce qu'il y avait de français au fond de mes idées et de mes sentiments.

Nulle attraction, nulle tradition de famille ne me disposait particulièrement à cela. J'étais, comme la plupart des Français de la classe moyenne, partagé entre toutes les nuances symboliques de notre drapeau divisé. Il y avait du bonapartisme, du légitimisme irréductible, du libéralisme, du républicanisme et même du socialisme qui coulait au vif de mon sang. C'est l'esprit qui a départagé tout cela et m'a aiguillé, orienté ; d'abord l'esprit des maîtres du XIXe siècle, depuis Maistre, Comte et Le Play ; mais ensuite l'esprit des manifestes du duc d'Orléans, esprit social et national : capable de résoudre les tendances contradictoires, il les a unifiées pour toujours.

Mais le hasard s'en est mêlé, le beau hasard qui fait bien les choses. Pendant les années critiques de l'Affaire, j'ai assisté d'abord de loin, puis de plus près, aux conférences de quelques-uns des amis et des conseillers du Prince. Qui n'eût été sensible à l'admirable figure si loyale, si énergique, si ardente d'André Buffet 10 ? Ce Français de Lorraine, le loyalisme même et la vérité, était alors l'interprète et le lieutenant le plus direct de la pensée royale. Il parlait du prince avec une simplicité, une mesure, une clarté pleine de respect et d'amour. Le contraire d'un courtisan. Le contraire d'un partisan. Le type du Français, du Français de l'est, robuste et lucide, Français avant tout. Je ne l'ai jamais vu qu'occupé de rapprocher les Français de leur Prince, la Patrie de ses destinées. Avec un tel homme on pouvait avoir confiance.

Il y en avait un autre près de lui, très différent, mais tout semblable par le dévouement, par le cœur. Comme il n'habitait pas habituellement Paris, mais Bordeaux, je ne le connus qu'à la fin de 1898. Nos jeunes amis d'aujourd'hui ne peuvent pas savoir ce qu'il y avait d'électricité dans l'air en ce moment-là. La situation, tout compte fait, était moins grave qu'aujourd'hui. Mais elle était ressentie avec plus de force. C'était l'armée ou les juifs ; la peau de l'état-major, du Service des renseignements, de l'information, de l'organisation de l'armée française, ou la peau du traître Dreyfus. Je venais de prendre la défense du malheureux colonel Henry 11, j'avais avec moi toute la nation française, peuple et soldats, plèbe et patriciat, tout le monde. Seuls, çà et là, quelques robins infatués et autant de salonnards boudaient aux vivacités nécessaires qui avaient encouru les censures de M. Reinach. Donc, une belle après-midi, je vis arriver rue Baillif, à la Gazette de France, accompagnant notre directeur, M. Janicot, un homme en veston bleu, jeune encore, taillé en force, le teint vif, le visage calme, le geste rapide et, je dois le dire, très intelligemment rythmé. À peine M. Janicot nous eut-il présentés, le comte Eugène de Lur-Saluces, on le reconnaît, me pressait les mains en me disant combien il était avec moi dans la défense du malheureux officier supérieur cruellement tombé dans l'embuscade juive. Nous causâmes un instant du malheur des temps. La minute d'après, la conversation n'avait pas trop changé, mais elle avait bondi au plan supérieur : M. de Lur-Saluces parlait de son Prince, qui était déjà notre Prince. Avec quelle passion ! Avec quelle espérance !

J'avais déjà recueilli les souvenirs si émouvants du colonel de Parseval, ancien gouverneur militaire de Monseigneur le duc d'Orléans, mais Saluces ajoutait, d'une façon saisissante pour moi, à des souvenirs personnels, le commentaire d'une réflexion puissante et riche, les comparaisons d'une immense lecture, en un mot quelques-uns des éléments essentiels d'une philosophie de la monarchie. Ce gentilhomme si cultivé portait en lui tout ce que Bonald, Maistre, Blanc de Saint-Bonnet, Veuillot avaient élaboré pour nous depuis soixante-quinze ans. Il allait jusqu'à Taine et Bourget. Nous arrivions avec d'autres auteurs, classés plus à gauche, et tout aussi concluants en faveur de la réorganisation nationale et royale, de Renan à Barrès, de Fustel à Proudhon, à Guesde, à Lafargue. Les idées se croisaient moins pour se contredire que pour se composer et, toujours, au centre de ces préoccupations générales la figure splendide du prince apparaissait pour leur offrir un centre vivant de réalisations magnifiques.

Les lecteurs de l'Enquête sur la monarchie savent que je n'exagère rien. Ce que j'en dis n'est que pour éclairer les autres. Un roi peut régner de très loin. Ce mélange de présence politique et de pouvoir quasi spirituel est si certain que cette Enquête n'eut pas besoin d'être achevée et mise aux pieds du prince ; dès les premiers entretiens de Buffet et de Saluces, publiés en juillet et août 1900, le prince daignait m'adresser sous forme de lettre la confirmation, la ratification éclatante de l'essentiel des idées que ses deux amis, ses deux témoins, alors bannis par la Haute Cour, avaient émises sur la réforme des réformes : la réduction de l'étatisme et le principe décentralisateur. Je ne lui avais pas été amené. Il avait suffi qu'un modeste écrivain fournît une preuve d'activité et de bonne volonté pour sa cause, il y répondait sans retard, et de la façon la plus propre à toucher quiconque désirait voir reparaître au sommet des affaires françaises un peu de prévoyance patriotique, un peu de sagesse, de raison et d'intelligence !

Nous pouvons travailler, agir, progresser, gagner encore, vaincre enfin, nous n'oublierons jamais, nous ne nous consolerons pas.

V. Princes français
4 avril 1926

Nos confrères du Figaro n'ont pas eu tort de saisir l'occasion du deuil qui nous frappa pour montrer à leur public ce qu'ont été, en avant de Monseigneur le duc d'Orléans, deux hommes très représentatifs de sa race. Son auguste père le comte de Paris 12, et le comte de Chambord 13.

Le Figaro a publié le récit dressé pour le comte de Paris d'une visite faite en 1873 au comte de Chambord par un écrivain royaliste, Jules Poulailler (Paul Lloret), mort récemment doyen de la Société des gens de lettres. Je voudrais citer toute cette page historique. En voici du moins un passage essentiel, relatif à cette « réconciliation de la Maison de France » dont l'esprit de chimère et l'esprit de parti ont vainement tenté de diminuer la portée :

— Vous savez, reprit aussitôt Monseigneur, que la réconciliation de la Maison de France est complète ?… Ah ! le comte de Paris est le plus honnête homme que je connaisse. Les journaux vous ont rapporté notre entrevue. Je vous la dirai à mon tour :

« Le cérémonial du 5 août avait été ordonné bien à l'avance ; la formule de l'acte de soumission que M. le comte de Paris devait me faire en m'abordant avait été rigoureusement arrêtée ; Paris se présente : immédiatement il commence à réciter les phrases strictement imposées par le protocole ; mais moi, l'émotion me saisit, les larmes me viennent aux yeux, je me précipite dans ses bras, je lui dis de ne pas poursuivre, je l'embrasse plusieurs fois avec effusion, en le pressant sur mon cœur, et de mes doigts je lui clos la bouche. Il résiste et persiste à continuer jusqu'au bout, quoi que je fasse… Ah ! l'honnête et loyal caractère ! »

M. le comte de Chambord continue son récit. Il se livre au plus complet éloge de M. le comte de Paris ; il vante aussi les hautes qualités, l'admirable franchise, la belle gaieté du duc de Chartres 14, en ce moment auprès de lui, à Frohsdorf, et avec le caractère duquel il sympathise extrêmement. Il daigne m'entretenir du bonheur qui l'envahit, de cette réconciliation, qui lui est personnellement si précieuse et qui constitue pour la nation un gage important, car elle affermit le trône, les droits héréditaires du comte de Paris, en ne laissant plus subsister aucun doute sur les intentions du roi à l'égard de son auguste parent.

Je louais et remerciais tout à l'heure les bons et loyaux serviteurs de Monseigneur le duc d'Orléans. Qu'il me soit permis de donner un souvenir à ces fusionnistes ardents, dignes des « politiques » auxquels Henri IV a dû sa couronne, qui, pendant un quart de siècle, travaillèrent à réconcilier Bourbon et Orléans et qui virent enfin l'effort couronné. La question du drapeau soulevée plus tard reste un malentendu d'origine parlementaire. « Je n'ai pas été compris », disait le comte de Chambord au marquis de La Tour du Pin, qui l'a raconté.

Ces souvenirs ne seraient pas complets si l'on n'y ajoutait une évocation d'avenir. Nous la trouvons au Gaulois dans cet extrait du livre de Monseigneur le duc de Guise 15, Sous le Danebrog, en mémoire de son séjour dans l'armée danoise.

L'article 4 de la loi du 23 juin 1886 s'exprime ainsi : « Les membres des familles ayant régné en France ne pourront entrer dans les armées de terre et de mer, ni exercer aucune fonction publique ni aucun mandat électif. »

J'étais fils d'un officier, qui fit campagne en Italie aux côtés de l'armée française, puis combattit aux États-Unis dans les rangs de cette république américaine qui dut sa naissance à l'aide décisive des vieilles troupes de France, d'un soldat qui se jeta dans la mêlée, durant la néfaste guerre de 1870, sous un nom d'emprunt que consacra la croix de la Légion d'honneur ; j'ambitionnais donc, comme tant d'autres fils de colonels, l'honneur de servir mon pays sous le pantalon rouge ; mais j'étais né prince, la loi m'atteignit ; j'étais Français, il ne me restait qu'à m'incliner et je dus aller à l'étranger pour y apprendre à servir ma patrie.

En Danemark, ce petit pays si sympathique, ma sœur aînée 16 était mariée à un fils du roi. Mon départ pour Copenhague fut décidé. J'y arrivai au mois de décembre 1891, suivi de mon fidèle serviteur Arthur, ancien zouave, décoré de la médaille coloniale, et dont j'avais depuis de longues années apprécié le dévouement.

Les services rendus à la France par la princesse Marie Valdemar sont familiers à tous ceux qui ont suivi notre histoire diplomatique depuis 1890. Le vieux roi du Danemark d'alors était surnommé le grand-père de l'Europe. Toutes les cours se réunissaient dans la sienne. Tous les fils de la politique internationale s'y nouaient et s'y dénouaient. Quel séjour privilégié pour la France si, au lieu d'un gouvernement faible, divisé, discontinu et instable, elle avait possédé, elle aussi, une race régnante, un chef, une direction, une tradition !

VI. À la tombe de Mgr le duc d'Orléans
17 avril 1926

Du triste voyage que nous avons fait, Pujo, Bainville et moi, je ne veux donner que deux mots d'impression rapide.

Devant la tombe de Palerme où s'arrête, où se brise, par une espèce de scandale, un des grands destins de l'Histoire, devant ce qui reste du prince exilé dont l'œuvre constante aura été de rapprocher la royauté de la France, j'ai mentalement récité au nom des Ligueurs innombrables que nous représentions, la formule rituelle que, depuis janvier 1905, ils ne cessent en nombre croissant de contresigner :

Français de naissance et de cœur, de raison et de volonté, je remplirai tous les devoirs d'un patriote conscient.

Je m'engage à combattre tout régime républicain. La République en France est le règne de l'étranger. L'esprit républicain désorganise la défense nationale et favorise des influences religieuses directement hostiles au catholicisme traditionnel. Il faut rendre à la France un régime qui soit français.

Notre unique avenir est donc la Monarchie telle que la personnifie Monseigneur le duc d'Orléans, héritier des quarante rois qui, en mille ans, firent la France. Seule la Monarchie assure le salut public et, répondant de l'ordre, prévient les maux publics que l'antisémitisme et le nationalisme dénoncent. Organe nécessaire de tout intérêt général, la Monarchie relève l'autorité, les libertés, la prospérité et l'honneur.

Je m'associe à l'œuvre de la restauration monarchique.

Je m'engage à la servir par tous les moyens. 17

Vingt et un ans ont donc passé ! Les rigueurs de la mort remplacent le nom de Monseigneur le duc d'Orléans par celui de Monseigneur le duc de Guise. C'est tout ce que peuvent les forces matérielles sur l'idée, sur l'institution de la Monarchie nationale : une simple substitution de personne. Le roi de France ne meurt pas, vive le roi !

Admis à l'audience de Monseigneur le duc de Guise, nous avons éprouvé le chaleureux accueil d'une bienvenue magnifique, telle que l'annonçait le noble appel du 7 avril Aux amis du duc d'Orléans.

Les paroles dites par le prince ? Les mots prononcés ?

Pas un mot qui ne soit contenu dans la déclaration émouvante que toute la presse française a répercutée.

Chef de la Maison de France par la mort de Monseigneur le duc d'Orléans, j'en revendique tous les droits, j'en assume toutes les responsabilités, j'en accepte tous les devoirs.

Je remercie tous ceux dont l'affection et le dévouement ont adouci les quarante années d'exil de Celui que Dieu vient de rappeler à Lui.

Exilé moi-même à mon tour, ainsi que mon fils, je leur demande de reporter sur nous leur fidélité et leur attachement.

Je compte sur la discipline de chacun pour atteindre le but de tout Français : la grandeur et la prospérité de notre chère Patrie.

Mais, de vive voix, reprises d'un ton de simplicité forte avec l'éloquence de l'âme, ces fières convictions, filles du devoir national le plus sacré, auraient, je crois, touché n'importe quel Français quel que fût le climat politique de sa pensée. Pour ma part, elles m'ont ému au delà de ce que je peux exprimer, et je me répétais secrètement la haute parole du vieux Sage qui veut que toute organisation politique (toute Ville, disait ce Grec 18) ait eu pour fondement l'amitié. Le cœur d'un Roi, même en exil, est le lieu où se croisent et s'unifient toutes les amitiés qui sont dignes de la patrie.

Nous ne nous sommes pas éloignés sans acquérir une certitude précieuse sur un bruit surprenant et presque merveilleux qui, au moment de notre départ, courait Paris quant aux dispositions testamentaires de Monseigneur le duc d'Orléans. Notre confrère La Liberté et l'Agence Stefani y avaient fait des allusions, mais sous une forme dubitative et avec des points d'interrogation. Il n'y a plus sujet de douter, et l'on peut en parler sans hésitation, les volontés du prince sont bien celles que l'on a dites.

Cela est bien vrai, Monseigneur le duc d'Orléans a demandé à être inhumé en terre de France, à Dreux, il a formé l'espoir que le gouvernement, quel qu'il fût, ne pourrait refuser ce bonheur à ses cendres et, dans cette espérance, le prince a demandé que ses obsèques conservent le caractère tout privé d'une cérémonie de famille, interdisant toute manifestation politique et comptant sur ses amis pour l'exécution fidèle de cette volonté. Mais, dans le cas contraire, s'il était impossible de fléchir la loi des factions, si la dépouille mortelle d'un fils de France ne pouvait reposer dans sa chère patrie, eh ! bien, ordonnait-il, qu'on la jette à la mer en vue des côtes de France !

Je ne résume pas un texte, que je n'ai pas vu : tel en est le sens. Est-ce beau ! Et, depuis le testament de Sainte-Hélène, a-t-on rien lu dans cet ordre d'aussi passionnant ? Ceux qui ont connu un peu Monseigneur le duc d'Orléans retrouvent là le sublime plan sur lequel se mouvaient naturellement cette imagination, ce cœur, cette pensée de héros national qui promena dans les réalités de l'histoire contemporaine une ardeur de patriotisme dont la Légende seule a rêvé jusqu'ici.

Celui qui fit ce vœu d'avoir les mers de France pour asile s'il n'obtenait pas un coin de la terre de France que ses aïeux avaient séculairement rassemblée, ce prince magnanime n'aura certainement pas à subir la tragique extrémité de son désespoir. On ne voit pas le gouvernement, qui préférerait à de simples et intimes funérailles à Dreux, la vaste cérémonie nationale et populaire qui, au large du sol interdit, précipiterait, par exemple, en vue de la côte normande, devant l'estuaire du grand fleuve des Capétiens, au son du canon, dans les plis amers de quelque linceul tricolore, les restes de Celui à qui la loi d'exil aurait refusé tour à tour l'air et la terre de la patrie ! L'humanité, la pudeur, l'esprit politique seront d'accord pour une solution décente. Mais, il faut le redire, quelle énergique et sombre beauté de cœur traduit l'autre parti si fermement envisagé ! Les poètes en frémiront. Et, cette fois, leur tremblement sera compris et partagé par tout ce qu'il y a de bons cœurs, d'âmes droites, de volontés patriotes en ce pays-ci. Pas vrai un Français qui n'en doive conclure que celui-là, au moins, était des premiers de chez nous !

Ce qui sera sera ! La question du transfert, de l'inhumation définitive, ne peut se poser que dans quelque temps. Mais il ne peut y avoir d'inconvénient à révéler la belle pensée qui enrichit d'un trait nouveau l'héritage des sentiments que la France éternelle a su inspirer à ses fils.

VII. Une lettre du duc d'Orléans
à M. Clemenceau
20 avril 1926

À l'heure où les dispositions testamentaires du prince étaient connues du peuple français et commençaient à déchirer le voile, tissé de sottises et de calomnies, qui séparait de la Patrie le premier de ses citoyens, il nous est permis d'échapper au reproche d'indiscrétion en contant l'histoire, si belle, en publiant le document, si beau, que Maxime Real del Sarte a mis à notre disposition.

C'était en février 1919. Notre ami se promenait dans Londres avec le prince qu'il adorait et qui l'aimait beaucoup. Tout à coup, les journaux de l'après-midi font leur apparition, annonçant en manchette une fausse alerte : l'armistice est dénoncé. Le prince se contente de froncer les sourcils, mais la promenade se termine en silence. Peu de jours après, Maxime, rentré à Paris, recevait la lettre suivante :

Londres, 18 février 1919.

Mon cher Maxime,

Je sais, parce que tu me l'as dit, que l'âme d'artiste de M. Clemenceau n'a pas hésité, malgré la fermeté de tes convictions royalistes, à te recevoir, à t'encourager, à te pousser à produire des œuvres qu'il apprécie. Je ne saurais m'en étonner, car si la foi républicaine de M. Clemenceau le place à l'opposé de tout ce que je représente, nous pourrons toutefois nous rencontrer sur des terrains qui, en dehors de la politique, touchent au rayonnement, à la gloire de la France.

Les arts sont un de ces terrains, il en est un autre : celui du patriotisme. C'est sur celui-là que je te demande de te placer et, puisque tu as la possibilité d'approcher M. Clemenceau, de lui communiquer mon plus ardent désir. Le voici : si l'armistice est dénoncé, si la guerre se réveille, je demande instamment à M. Clemenceau de ne pas mettre d'opposition aux nouvelles démarches que je pourrai faire pour aller rejoindre les armées et me battre pour la France.

Je ne demande ni grade ni situation particulière, j'irai n'importe où, sur le Rhin aussi bien qu'en Orient, aux colonies ou ailleurs, sur terre comme sur mer, car je souffre trop, d'une inaction involontaire sans doute, mais qui me paraît coupable quand la France, ma patrie, lutte pour sa liberté, sa sécurité, son avenir, et que tous les Français, du plus petit au plus grand, luttent, souffrent et meurent pour Elle. En disant cela à M. Clemenceau, dis-lui que c'est un Français qui parle â un Français, rien de plus. Il comprendra ; l'élévation de ses sentiments, la noblesse de son cœur, son ardent patriotisme m'en sont garants.

Je t'embrasse.

Ton affectionné,

Philippe.

J'ai vu, j'ai touché avec une émotion que l'on comprendra, l'original de cette lettre magnifique. Chaque fois que Maxime voulait la montrer à ceux à qui il tentait de communiquer sa passion pour le Prince, il commençait par dire : — Tenez, je vais ouvrir une fenêtre sur l'âme, sur l'esprit, sur le fond de cette haute nature, je n'ajouterai rien, vous aurez compris.

Bien des Français l'auraient compris de même s'il avait été moralement ou matériellement possible de leur montrer le vrai visage de ce vrai chef…

VIII. Le duc d'Orléans intime
23 avril 1926

Léon Daudet a reçu cette belle lettre d'un ancien serviteur du prince que nous pleurons :

J'ai eu l'honneur, après la mort de Monseigneur le duc d'Aumale, de reconstituer les établissements vinicoles du Zucco, et pendant quatre ans, directeur de ces établissements, j'ai pu approcher plusieurs fois par jour, durant ses séjours en Sicile, notre cher disparu.

Sa bonté, sa simplicité, sa beauté lui attachaient tous les cœurs. Il causait avec moi et ma famille en ami ; chaque matin, pendant les vendanges, je prenais avec lui le petit déjeuner à 5 h ½ du matin, puis il partait à cheval avec ses vendangeurs. Bien souvent, il descendait dans les caves que j'avais installées à son goût et nous causions, il s'intéressait à tous les travaux, donnait ses avis et toujours avait un mot gracieux pour le serviteur le plus humble.

Oh ! les délicieuses soirées passées auprès de Monseigneur dans les jolis jardins du Zucco, où quelques musiciens italiens nous charmaient de leur musique entraînante !

Atteint de malaria et désirant rentrer en France pour l'éducation de notre fille unique, j'emportai les regrets de mon prince dont les dernières paroles furent : « Je vous remercie de tout ce que vous avez fait pour moi ; je ne vous dis pas adieu, mais au revoir dans notre patrie où la Providence nous réunira, j'en ai l'espoir », et il me remit un certificat élogieux que je garde comme une relique sacrée avec plusieurs signatures de sa main vénérée.

Monseigneur le duc d'Orléans achevant à cinq heures le petit déjeuner du matin et montant à cheval à la tête de ses vignerons ; c'est une image populaire digne de tous les vieux contes, si vrais ! que la France faisait sur la vie privée de ses rois.

26 avril 1926

Il faut juxtaposer à cette page coloriée le grave et sobre chapitre de la Revue des idées et des faits, où M. Jules Leclercq, membre de l'Académie royale de Belgique, résume la seconde exploration polaire du Prince, celle qui est racontée dans un beau livre très émouvant, La Revanche de la banquise. Voici les dernières lignes de l'article de M. Leclercq :

La dernière croisière du duc d'Orléans ne fut pas aussi heureuse, on le voit, que celle de 1905. Le prince y rencontra mille revers, et, dès le titre de son livre, on pressent les déceptions que lui réservaient cette fois les glaces polaires qui savent parfois donner un démenti au vieux dicton Audaces fortuna juvat. Quelle épreuve pour un homme d'action que cette longue et monotone captivité pendant laquelle il fut réduit à faire du filet pour tromper l'ennui du désœuvrement ! « Depuis Clairvaux, écrit-il résigné, cela ne m'était pas arrivé ! » Le charbon qu'il fallait jeter à la mer pour sauver la Belgica, c'était la route vers le Nord, ou peut-être, qui sait ! vers l'est, vers le Japon, à l'exemple de l'illustre Nordenskjold 19. Et ainsi fut irrémédiablement compromise une expédition qui aurait pu racheter, par une chance ultérieure, les malchances du début.

Cette relation d'une croisière contrariée par tant d'infortunes ne s'en lit pas moins avec un intérêt soutenu ; en dépit de toutes les adversités, le prince ne se départit jamais de sa calme philosophie. D'un bout à l'autre du récit, règne un accent bien français, de belle humeur et de confiance tranquille, même devant les périls les plus imminents. Si le duc d'Orléans ne fut pas favorisé par les heureuses circonstances qui favorisèrent sa croisière au Groenland, il n'en a pas moins rapporté une moisson précieuse de documents biologiques et botaniques et une contribution importante à la géographie et à l'histoire naturelle des régions polaires.

Quand il ne pouvait pas servir la France sa patrie, il servait la science, patrie idéale de la pensée : quelle merveille que ce musée des chasses et des pêches du Prince, installé au Manoir d'Anjou 20 et ouvert jusqu'ici à un petit nombre de privilégiés !

IX. Saint Philippe et 1er mai
1er mai 1926

Pas un des lecteurs habituels de l'Action française n'effeuillera le dernier jour du calendrier d'avril sans éprouver au cœur un resserrement douloureux. Il y avait trente-deux ans que, ce jour-là, les royalistes opposaient à la sombre férie révolutionnaire les réjouissances de la fête du Roi.

Le Roi du Travail, disaient-ils. Le roi de ces métiers où fraterniseraient, dans le sentiment du même intérêt social et national, les organisations ouvrières et les organisations patronales. Qu'est-ce qui voile cet intérêt et empêche de le sentir ? C'est le régime d'élection et de partis qui a besoin de la lutte de classes comme le cristal a besoin de son eau-mère pour se former. Ôtez ce régime, assurément tout ne devient pas parfait, les rivalités de position et d'intérêt, les passions de classes subsistent, mais vous en avez fait disparaître le stimulant essentiel, l'excitant capital. Vous avez réduit au silence la voix perfide de la loi mauvaise qui dit, chaque matin et chaque soir, qu'il est bon, qu'il est beau, qu'il est normal, utile, bienfaisant et avantageux pour chacun et pour tous de se livrer des batailles perpétuelles et de vivre sans cesse dans les élans furieux de la haine, de la jalousie, de l'envie, parce que par là, et par là seulement, peuvent et doivent se produire les désignations de l'autorité, les nominations de chefs, les renouvellements de pouvoirs !

Ce conseil pernicieux, une fois effacé des tables de la loi, nous ne rentrons pas dans le paradis perdu, nous ne passons pas à la Terre promise, et tout ne devient pas parfait comme au coup de la baguette de l'enchanteur ; non, mais nous revenons à l'état de simple nature, non pas bonne, non pas féroce, mais cependant capable de bien comme de mal, de paix comme de guerre, d'accord comme de division. Nous avons simplement fait disparaître les conditions artificielles qui nous condamnent au désaccord, à la guerre, aux tiraillements éternels. Parce qu'elle fait disparaître la République, la Monarchie devient facteur de progrès social, car elle élimine une cause permanente de trouble et de régression.

Voilà ce que nous disions, et il faut le redire. Il faudra le redire, très particulièrement, pour la fête de Monseigneur le duc de Guise, car la Monarchie de Monseigneur le duc de Guise jouit des mêmes propriétés que la Monarchie de Monseigneur le duc d'Orléans. Mais il est vrai que, durant les trente-deux ans de son règne exilé, celui-ci, continuant les vues de son auguste père, reprenant aussi celles du comte de Chambord, avait beaucoup insisté sur le caractère de paix sociale inhérent à la Monarchie : la Lettre sur les ouvriers, qui est, si je ne me trompe, de 1865, avait acquis avec le temps, la vertu et l'autorité d'une Charte. Toute notre politique en a été inspirée ici. Ce qu'il y a d'unilatéral et, par conséquent, de révolutionnaire, dans le syndicalisme, nous a toujours paru dangereux, mais nous n'avons jamais cessé d'espérer que le splendide effort spontané d'organisation ouvrière qui n'a cessé en France depuis un siècle et qui s'est surtout accusé depuis vingt-cinq ans servirait un jour à la reconstitution de l'État (au lieu d'en combiner la ruine) dès qu'il aurait été affranchi des politiciens destructeurs et de l'élection dissolvante.

On a raison de dire que c'est aux conservateurs qu'il convient d'instituer en droit et d'accorder en fait ce qu'il y a de juste dans les revendications ouvrières les plus extrêmes. Encore faut-il que ces bons esprits conservateurs soient incorporés à l'État et placés dans une situation politique indépendante. Tant qu'ils sont esclaves de l'élection, leur situation restant fausse, leur bonne volonté est paralysée. On verra comment tout à l'heure.

Notons pour le moment que les législations ouvrières les plus hardies et les plus généreuses de l'Europe moderne appartiennent à des États qui ne dépendaient nullement de l'élection : l'Allemagne des Hohenzollern, l'Autriche des Habsbourg. En 1904, Bebel 21 faisait déjà remarquer à Jaurès combien la condition des ouvriers de la Monarchie allemande était supérieure à celle des ouvriers de la République française. On dit la même chose aujourd'hui lorsque l'on écrit que la bonne législation ouvrière d'Alsace-Lorraine lui est venue d'Allemagne. Cependant, le vrai est qu'elle ne lui est pas venue d'Allemagne ; elle lui est venue de la Monarchie en Allemagne, c'est-à-dire d'un régime assez fort et assez sérieux pour que le bien-être des travailleurs n'y fût point l'enjeu des partis, mais fût étudié sérieusement et recherché en lui-même, pour le bien général de l'État et de la nation : le programme social n'y était pas une affiche, mais une véritable série de réformes réelles jalonnées et échelonnées dans le temps.

Je comprends et, dans une certaine mesure, j'approuve ceux qui reprochent aux « partis de droite » d'avoir négligé le chapitre des réformes sociales, bien que le reproche ne soit mérité ni par les royalistes dont les idées sont arrêtées depuis fort longtemps sur ce point, ni par certains groupes de catholiques non moins fidèles aux enseignements de Le Play et aux méthodes de l'Œuvre des Cercles 22. Mais on comprend aussi la position inverse, timide ou réticente, de ces conservateurs que l'on supplie ou que l'on presse d'engager leur parole sur une ou plusieurs réformes de l'ordre social industriel. Ils approuvent, ils adhèrent, ils signent, mais ils restent sceptiques, car, disent-ils, la surenchère est trop facile et il est dangereux de l'affronter ; on se condamne fatalement à devoir tôt ou tard dire non pour son compte en un point où l'adversaire continuera de faire monter l'enchère de prix imaginaires et de promesses en l'air. Il promettra le Vent, les trésors de la Mer, les mines de la Lune et le bon peuple continuera d'applaudir, tandis que le candidat sérieux et sincère hésitera, contestera et, finalement, échouera. Comment en serait-il autrement ?…

Ces conservateurs ont raison en partie ; ils auraient raison tout à fait s'ils sentaient que les maux dont ils se plaignent ne sont pas essentiellement attachés au programme social : la surenchère contient des risques graves dès l'instant où elle tend à faire élire un souverain et à nommer un chef, c'est une des faces de la nocivité du régime électif. Mais ce régime est bien celui où la question ouvrière ne peut guère être débattue honnêtement ni surtout réglée paisiblement entre autorités sociales, je dis autorités ouvrières et autorités patronales. Elle y devient rapidement un facteur de révolution.

Ne me dites pas : l'Angleterre. L'Angleterre a des mœurs électorales qui ne sont pas les nôtres, et ces mœurs vont en s'effaçant parce que ses deux partis historiques ne sont plus seuls en lutte et que le parti purement ouvrier y introduit des éléments inattendus. Pour le passé, la magnanime et bienfaisante action du parti tory n'eût pas été possible si le « franc jeu » eût suggéré ou permis aux whigs les violences et les cynismes dont on est saturé de ce côté du détroit.

Aussi a-t-on vu des hommes de droite d'un esprit large, d'une charité merveilleuse et même d'une prévoyante et vigilante sagesse, perdre, en vérité, tout sang-froid au seul énoncé d'un programme social et de réformes ouvrières. Ils se trompent. Ils font erreur. Nous ne les avons jamais suivis, mais il y a quelque justesse au fond de leur argument favori : — On commence par Albert de Mun, et l'on finit par Marc Sangnier 23 et par les abbés démocrates… Quelqu'un qui a bien connu l'illustre orateur catholique me disait un jour que M. de Mun ne se fût jamais rallié à la République s'il eût prévu que son programme social, le programme social du comte de Chambord, transporté dans le cadre républicain, produirait des effets tels que la démocratie chrétienne et que le Sillon ! Ce développement démocratique malsain que Renan prévoyait pour toute République en France guette aussi, de manière inévitable, tout mouvement social de tendances républicaines dans les conditions du régime électif. Le programme de revendications justes y est fatalement débordé par l'intérêt électoral, et celui-ci poussant, de sa nature, à forcer les promesses, rien n'y existant qui puisse marquer le point d'arrêt ni jouer le rôle de frein, il s'ensuit que les honnêtes gens y sont destinés, soit à la défaite, soit à la duperie, soit enfin à la corruption et même, fréquemment, à ce triple malheur.

Encore une fois, les doléances faites sur ce chapitre au nom des petits et des humbles par des esprits très jeunes et des cœurs innocents sont touchantes et sont plausibles. Là comme ailleurs, ils ne faut pas trop les contrarier. Il faut leur dire : essayez ! après les avoir avertis. Ou l'essai les gâtera pour toujours, ou, le bon naturel l'emportant, ils reviendront, un peu battus de l'oiseau, mais éclairés, instruits, enrichis par l'expérience, et leur premier mot sera pour nous dire : — Décidément, c'est vous qui avez raison, politique d'abord. Il faut changer le cadre politique. Rien d'important n'est possible sans ce nettoyage et ce déblaiement ; autant vaudrait couvrir de berceaux ou d'écoles maternelles un sol où tomberaient à la cadence de 50 ou 60 par heure des obus de 420. Commençons par échapper à la mitraille républicaine. Un régime normal rendra possible bien des choses charitables, généreuses et justes. Un régime anormal, qui les corrompt, les rend corruptrices à leur tour.

X. Magali chez le duc d'Orléans
6 mai 1926

Renvoyons à une autre fois ce que j'ai recueilli du Stanislas 24 de Cannes, et des jardins de la villa Saint-Jean. Cela me vient d'un très vieux temps. J'ai des souvenirs plus proches. Ne dois-je pas en faire part à nos lecteurs et amis ?

Qu'ils jugent. C'était pendant la guerre, en 1916, à Londres, où le prince nous avait conviés. Je vois encore ce petit salon du Savoye, suspendu sur la Tamise, dont la brume épaissie étendait, à midi, comme une demi-nuit. Le visage du Prince, si spirituel et mobile comme toujours, semblait tantôt céder et tantôt résister à cette affreuse décoloration de l'air et des choses. Il songeait aux champs de bataille d'où on le bannissait, à ses amis combattants et mourants, à tout cet immense peuple de France qu'il ne quittait jamais de pensée ni de cœur. Je me permis de faire une allusion mélancolique au soleil voilé, presque absent, non sans ajouter, en sourdine, je ne sais quelle malédiction familière contre les climats hyperboréens… L'expression changea, le ciel intérieur flamba, et, de cette voix douce et gaie, bien connue de tous ceux qui l'ont approché, le prince lança : — Oh ! je vous vois venir avec votre soleil ! Si on vous écoutait, je sais bien ce que vous feriez. Nous serions obligés, nous autres, à Paris, tous, oui, tous ! de parler votre provençal.

Il riait et feignait une grande horreur.

— Monseigneur, répondis-je, mon ambition n'est pas si haute. Mais il y a un peu de cela, je l'avoue. D'ici quelques années je me réserve d'adresser au roi un placet pour le prier de rétablir l'ancien théâtre des Italiens au bénéfice de la langue provençale ou de la langue d'oc. Car il est bien certain que notre français du Midi porte la musique infiniment mieux que celui du Nord.

— Pour cela, vous n'avez pas tort ! dit le Prince. Par exemple, la chanson de Magali, dans Gounod, est tellement moins sonore, et moins chantante que dans Mistral.

Et, le coude posé sur un bout de table, il se mit à chanter avec une parfaite justesse d'inflexion et de diction :

O Magali, ma tant amado
Mete la testo au fenestroun !
Escouto un pau aquesto aubado
De tambourin'me de viouloun.

Avec cette mémoire d'ange, qui ne lui fit jamais défaut, il attaquait le couplet :

Es plèn d'estello aperamount…

« Sommes-nous, dit-il, en Provence… » 25 Le vieux vers de la Psyché de La Fontaine me revenait en mémoire. Nous n'étions même pas à Versailles ! Nous étions à Londres. Le descendant et successeur des quarante Rois qui créèrent notre unité murmurait près de moi l'aubade illustre du poète dont son auguste père avait été le correspondant et l'admirateur. Et les syllabes provençales tintaient justes et pures comme des gouttes d'or dans une aiguière de cristal. Je ne pus m'empêcher de demander au prince par quel miraculeux privilège lui, resté si Normand de cœur, écolier d'Eu, marin de Dieppe et du Tréport, avait pu attraper à ce point notre intonation de « mocos ».

« Vous oubliez, dit-il, que j'ai passé trois ans au Stanislas de Cannes ; que voulez-vous qu'on y apprenne sans le provençal ? »

Que ces paroles vieilles de dix ans soient dédiées à nos amis de Basse Provence, spécialement à ceux qui, l'autre jour, ont assisté au service célébré à Cannes, sur la demande et aux intentions de LL. AA. RR. le duc et la duchesse de Vendôme ! La langue et les chansons de Cannes méritent d'être incorporées au souvenir du magnifique prince que nous pleurons.

XI. Le cœur de la France
6 mai 1926

Clément Vautel, bon moraliste, critique moins sûr, nous avertit que nous faisons fausse route ; les peuples se conduisent par la passion, non par la raison, notre propagande est ordonnée de travers, au lieu d'essayer de montrer la vérité toute nue au peuple français, nous devrions l'habiller et la déguiser à son goût.

Je remercie M. Vautel du conseil, j'en ferais mon profit si je le croyais bon. Malheureusement cela ne m'est pas possible.

Où a-t-il pris que l'on ne veuille ici parler qu'à la raison ? De la démarche du prince Gamelle 26 aux manifestations pour le culte de Jeanne d'Arc, en passant par toute la suite des sentiments nationalistes et antisémites, la place offerte aux passions spontanées du cœur paraît assez vaste. La propagande d'idée et de doctrine éclaire et avive la propagande de sentiment ; en quoi la contredit-elle ou l'amoindrit-elle ? La rage d'opposer ce qui peut être composé apparaît un peu trop dans ces topos faciles.

Maintenant le cœur de la France est-il aux Bonaparte, comme le croit Vautel ? Cela a été. Cela est-il encore ? La jeunesse française en est-elle au même point que les jeunes Déracinés 27 de 1890 ? Je prends un fait : notre génération militaire, celle des hommes de 55 à 60 ans, qu'elle fût républicaine, bonapartiste, royaliste, a été élevée avec une mélopée de noms de bataille qui commence à Valmy et finit à Solférino, en passant par Jemmapes, Marengo, Austerlitz, Friedland et Wagram : de 1900 à 1914, nous avons, nous qui parlons, instruit, élevé, exalté une incomparable jeunesse, celle dont les milliers et les milliers de sacrifices ont donné, aux premières années de la guerre, l'exemple de l'héroïsme le plus pur, et nous l'avons, il faut le dire, instruite, élevée, exaltée sans céder une ligne ni un point au programme império-révolutionnaire du stupide XIXe siècle, de sorte que Bouvines, Orléans, Marignan et Rocroy ont repris leur place historique au milieu et même au-dessus des trophées jacobins, consulaires et impériaux, ceux-ci étant même quelque peu négligés, par une réaction naturelle dont il faut convenir. Le fort de la splendeur impériale, son aspect de gloire sublime, quoique stérile, était donc en baisse dans une grande partie de la génération de la guerre et de la victoire.

Au surplus, si l'Empire est resté tellement puissant sur les cœurs, comment se fait-il que rien n'en sorte aujourd'hui ? Pas un acte. Pas un homme, Pas une idée-force. Rien qui rallie, rien qui agisse, rien qui porte en avant. Nous sommes des docteurs en us, c'est fort bien. Seulement les docteurs en us, sur le plan de l'idée et de l'action royaliste, rallient des dévouements de toutes les sortes, ils groupent depuis vingt-cinq ans des hommes, tellement prêts à sacrifier vie et liberté qu'ils ont à leur actif des milliers de jours de prison et que le revolver des assassins, loin d'éclaircir leurs rangs, les resserre et les reforme plus nombreux et plus puissants que la veille. Que l'on date comme on voudra le règne du prince Victor 28, ses trente-six ou ses quarante-deux années ne montrent rien de tel. Alors ? Où est le sentiment ? Où est la passion ? Où est le cœur ? Le cœur qui n'agit pas, est-ce un cœur bien sincère ? Clément Vautel serait aimable de nous le dire.

Au demeurant, il vient toujours une heure où le sentiment est sommé de donner ses raisons. Elles sont tantôt bonnes, tantôt mauvaises. Ici elles sont nulles. Le sentiment impérialiste, si sincère fût-il, a toujours échoué toutes les fois qu'il a dû s'entendre dire : — Vous annoncez une réforme, et vous ne changez rien. La France meurt du système électif, vous lui apportez le plébiscite. La démocratie nous tue, vous la couronnez. Nous nous épuisons dans l'étatisme, et vous nous apportez le renfort de César. Il n'y a rien de plus anachronique ni de plus intempestif que votre système. Vous êtes des gens de 1799, date à laquelle vous avez eu votre raison d'être. Mais en 1926, elle est évanouie ou renversée.

XII. Nouveaux instantanés
du duc d'Orléans
19 mai 1926

Nos lecteurs ne se lassent point de feuilleter avec nous les belles images brillantes que Monseigneur le duc d'Orléans a laissées dans l'esprit de ses fidèles et de ses amis. Ils nous sauront gré de publier ces deux nouvelles silhouettes, tirées d'une lettre de notre cher et excellent Bertran de Balanda, qui fut longtemps le président des fédérations royalistes de la Catalogne française.

… J'eus le très grand honneur d'être reçu deux fois par le Prince. Au cours de la première audience qu'il daigna m'accorder, il m'embrassa tout d'abord en me remerciant de ce que j'avais fait pour lui au cours de la campagne électorale, en me présentant comme royaliste et en développant le programme royal.

Puis, sur son expresse insistance, je dus lui parler longuement de ma carrière militaire. Ses questions se pressaient avec une vivacité et un intérêt dont seule était capable une âme de soldat. Brusquement, le prince me pose cette question :

« Quel est donc, mon cher ami, le moment de votre carrière militaire dont vous vous souvenez avec le plus de satisfaction ?

— Monseigneur, lui dis-je, c'est la période de quelques mois au cours de laquelle j'eus l'honneur d'être le chef indépendant d'une colonne de cavalerie dans le Sud algérien, où je dus prendre des responsabilités souvent redoutables. »

Je vois encore le geste rapide qui suivit ma réponse. Le prince me saisit vivement le bras, j'entends encore sa voix pleine d'une émotion contenue :

« Comme je vous comprends, mon cher ami, l'amour de la responsabilité est la marque du chef. »

Souvent, depuis lors, cette parole du duc d'Orléans est revenue à ma mémoire !

La seconde fois, j'eus la bonne fortune de faire le voyage de Bruxelles en compagnie de Jules Lemaître et de Capus. Ce dernier était ou paraissait sceptique et ne se privait pas de nous laisser comprendre qu'il était convaincu que nous étions, dans notre attachement pour le Prince, les jouets de notre imagination.

Tout de même quand son tour d'audience arriva, je sentis qu'il se mettait en défense contre cet entraînement d'imagination qu'il avait semblé nous reprocher. Visiblement il cherchait dans la blague et le mot pour rire un dérivatif à un mouvement émotif possible.

Son entrevue fut assez longue ; au sortir de l'audience, je l'interrogeais des yeux, me contentant de dire : « Eh ! bien », et Capus levant le bras en l'air, répond simplement : « Que voulez-vous, il m'a semblé avoir devant moi l'Histoire de France. »

Cri admirable et spontané d'un Français peu suspect d'emballement, expression parfaite de l'impression produite par le grand prince en qui s'incarnait, se matérialisait pour ainsi dire l'histoire de la Patrie.

Il y aura un jour, dans l'histoire de France, quelques pages qui s'appelleront le chapitre du remords national, elles s'appliqueront aux trente-deux années de règne en exil de Monseigneur le duc d'Orléans. Tout ce qui pensera en France souffrira de l'affreuse sottise des tristes temps qui auront vu et connu ce grand Prince, mais ne l'auront ni reconnu, ni acclamé, ni utilisé.

30 mai 1926

Un de nos amis briards nous communique une vieille lettre. Lettre d'avant-guerre. La lettre d'un général français, nullement royaliste, qui, avant de connaître le Prince, avait déclaré n'être nullement attiré par lui et qui n'était allé à Bruxelles que pour céder à son entourage, peut-être pour se délivrer d'instances presque importunes qui le harcelaient depuis sa mise à la retraite. Bref, cette lettre est d'un Français qui, à contre-cœur, avait demandé et obtenu l'audience royale :

Mon cher ami, je viens de voir Monseigneur le duc d'Orléans. Je l'ai quitté le cœur me battant vite ; impossible d'être plus grand seigneur, d'être plus roi ; avec cela charmeur jusqu'au bout de l'ongle.

Imaginez un homme grand, très joli de figure et de tournure, très élégant, respirant la force, la santé, la jeunesse, les gestes doux, câlins si je peux m'exprimer ainsi, et cet ensemble éclairé comme le sont les personnages de féerie qui tombent tout à coup sous un jet de lumière électrique. Chez le duc d'Orléans, on dirait que cette lumière électrique part de son cœur pour se répandre à profusion sur sa personne par tous les pores de sa peau, en lui donnant une majesté royale.

Intelligent, vivant, rieur, français et français instruit, au courant de tout, sachant son Europe comme moi mon village, adorant l'armée, la voyant juste et le reste aussi.

Quand je suis entré, il s'est jeté à mon cou et m'a embrassé en me disant : « Enfin ! je vous attendais ; je me disais, il ne viendra donc pas ? » Et cela avec une grâce, un charme que je ne saurais dire : c'était le roi; c'était notre roi !

Sans être inspiré comme Jeanne d'Arc, j'ai pensé immédiatement que je l'aurais reconnu entre mille courtisans. Comme il vous plairait ! Comme il plairait si on le connaissait ! À son premier mot, à son aspect, j'ai répondu mal à ses questions. Que voulez-vous ? j'étais ému.

J'ai même fait la gaffe, après lui avoir parlé tantôt à la deuxième, tantôt à la troisième personne, de l'appeler : mon général ! Comme je m'en excusais, il m'a dit « Ne vous excusez pas, vous ne pouviez me faire plus de plaisir. Eh ! bien, que pour vous je sois toujours le général. »

Bref, je suis sorti enthousiasmé, le disant à tous ceux que je rencontrais et, seuls, ceux qui m'ont vu les premiers, pourraient témoigner de ma grosse et véritable émotion. C'est le roi, mon cher ami, croyez-moi.

Comme j'aurais voulu défiler devant lui à la tête d'un régiment ou d'une brigade. Il est fait pour avoir les honneurs de cent divisions de cavalerie ! Et dire qu'au lieu de cela j'ai passé ma vie à défiler devant des André 29, des préfets et des présidents de la République. J'y songeais avec amertume.

Vous qui êtes jeune, qui avez encore de belles années de commandement devant vous, soyez plus heureux que moi ; je vous le souhaite et le souhaite à mon pauvre pays.

La belle vérité ! Et la douloureuse tristesse de cette vérité si belle !… Notre prince n'aura pas été souvent appelé « mon général », cent divisions de cavalerie ne lui auront pas rendu les honneurs pour lesquels il était né et fait. Une seule consolation : son sang nous reste, et le sang de France est si beau !

XIII. Autour du service funèbre
15 mai 1926

Le jour même où Madame la duchesse de Guise conviait à Notre-Dame tous les Français fidèles, exactement tous les Français patriotes, au service de son auguste frère, la voix autorisée d'un vieil ami s'élevait de nouveau pour évoquer la merveilleuse silhouette du prince dont nous suivons le deuil. M. François de Baichis, qui commanda longtemps le bateau sur lequel Monseigneur le duc d'Orléans aimait à naviguer, a reçu du docteur Récamier, médecin et compagnon du Prince, une lettre assez pareille à celle qu'on a lue plus haut. Nous y recueillerons avec piété, avec douleur, quelques tristes détails que nos lecteurs peuvent ignorer encore :

J'aurais bien voulu, dit le docteur, entraîner Monseigneur dans l'Arctique, et renouveler le voyage de la Belgica, mais c'est le centre africain qui l'attirait. Je l'ai suivi dans le Barh et le Ghazal et cette année dans les montagnes de la mer Rouge, et dans le désert, entre l'Abyssinie et le Nil Bleu. Voyage très fatigant, chaleurs torrides, points d'eaux éloignés, eaux stagnantes.

En rentrant à Palerme, il semblait cependant heureux de se revoir chez lui. Il s'est mis à tailler des arbres avec acharnement, si bien qu'il se mettait en sueur, et il a pris un frisson…

Le médecin appelé a reconnu une broncho-pneumonie qu'il a pensée grippale. Après deux jours de grosse fièvre, la température est tombée, et Monseigneur semblait en convalescence, lorsque brusquement les urines sont supprimées par congestion rénale, une éruption de purpura hémorragique est apparue, et le prince a succombé doucement en trente-six heures.

J'ai reconnu des éléments de variole, rares mais nets, avant sa mort, et je pense qu'il est mort de la variole hémorragique ; on me dit que ces symptômes peuvent être ceux du typhus.

Il est certain que pendant tout le voyage nous avons été entourés d'Arabes couverts de vermine.

La veille, je l'avais prévenu que son état était grave, et il s'était confessé en pleine connaissance ; après, je crois qu'il ne s'est pas rendu compte des progrès du mal…

Pendant les années passées à bord de la Maroussia, vous avez parcouru presque toutes les mers d'Europe, visité les grandes villes maritimes, vous l'avez vu, le duc d'Orléans, reçu dans la plupart des cours souveraines, où il était accueilli en ami, en parent, et vous avez été à même de constater l'élévation et la pondération de son esprit, la sagesse de ses appréciations.

Vous savez avec quelle joie mêlée de tristesse, alors que son yacht, côtoyant les rives de France, dans les eaux territoriales, interdites à l'exilé, il contemplait ces caps, ces golfes et ces villes ; et lorsque la terre de France disparaissait sous l'horizon, il retournait dans son exil un moment oublié.

Et dans cet exil, il suivait avec attention, toutes les questions politiques, militaires, sociales qui intéressaient sa patrie toujours présente dans son esprit. Je me plais à constater que ce prince si attaqué et décrié pendant sa vie, par ceux-mêmes qui auraient dû le défendre, va laisser un souvenir magnifique.

Devant la mort, un certain chœur de bas intérêts doit se taire ; les voiles déployés contre la vérité, sans se déchirer tout à fait, s'atténuent ou s'entrebâillent, et la vérité peut briller. Ce qu'elle montre, en un tel jour, ne fait qu'un médiocre honneur à l'intelligence et au patriotisme des citoyens. On le voit enfin, ce grand prince. À côté de quel beau règne avons-nous passé ! Quel chef nous avons négligé ! Quelle politique nationale aurait été possible, de 1894 à 1926, qui nous aura été interdite par le simple effet de l'ignorance, de l'étourderie et du préjugé !

Ce peuple, qui voulait se donner ou se trouver un chef, il avait reçu de l'histoire un chef-né autrement brillant, avisé et habile que tous ceux que le choix versatile a pu désigner : ceux-ci ont été tour à tour acclamés et renversés, mais le seul qui les surpassât, de valeur et de position, a rendu sa grande âme sur la terre d'exil, où il repose dans la désolation solitaire. Voilà ce qu'ont fait les coalitions des petits intérêts ennemis de l'intérêt national, voilà à quel affreux gâchage moral ont conspiré les mécanismes centrifuges et l'esprit destructeur inhérent à tout système républicain en ce pays-ci. Le spectacle est si dur qu'il arrive, ou très peu s'en faut, à faire taire la voix du profond regret personnel qui pleure notre prince, et nous ne songeons plus qu'au désastre de la Patrie.

XIV. À Notre-Dame
10 mai 1926

Ce qui s'est vu à Notre-Dame ne peut être communiqué. Les assistants diront aux provinciaux, aux pauvres Parisiens absents le rendez-vous du roi Henri, mais il n'y a point de mots pour leur exprimer comment l'arrière-petite-fille de Henri IV est entrée dans l'église, a salué son peuple, en a reçu les salutations muettes, qui furent plus ardentes qu'une acclamation !

Nous savons maintenant comment la majesté royale peut être tempérée et ainsi sublimée par la vivacité française. Nous avons appris qu'un regard plein de deuil tendu vers la France éternelle peut aussi sembler reconnaître chacun et remercier tous. Nous avons vu venir à nous, des profondeurs de l'histoire, la puissance du charme capable de cueillir des milliers de cœurs étonnés, — et, la révélation accomplie, la merveille acclamée, à voix basse, dans tous ces cœurs, je désespère, quant à moi, des termes qui définiraient cette rencontre de la Royauté et de la Patrie. Cependant un grand fait a été ressenti : tous ces Français, toutes ces Françaises ont suivi l'office des morts dans l'esprit lumineux des idées d'espérance qui, sans se détourner des sphères de l'au-delà, s'appliquaient sans effort à la résurrection de la Monarchie et de la Patrie.

Il serait inconvenant, je crois, d'insister sur ce qu'il y eut de glorieux et de triomphal dans cette heure de méditation commune sur le plus cruel de nos deuils. L'éclatante ressemblance physique de Madame la duchesse de Guise et de son auguste frère avivait la douleur, mais, sans la consoler, en tirait un nouveau et puissant motif de vie et d'action. Le vaisseau de la cathédrale est immense, son parvis est spacieux, une foule innombrable faisait honneur aux vastes progrès de l'idée nationale et de l'espérance royale. Mais si, fermant les yeux, l'on voulait réfléchir, on se sentait le cœur serré de ne point trouver là tous les Français dignes de ce nom, tous, tous, jusqu'au dernier, afin de les saisir et de les envelopper ensemble dans ces évidences, pour un instant splendides, de la nécessité de retrouver l'unité et du moyen unique d'y parvenir enfin !

Nous étions nombreux ? Pas assez. Nous étions résolus ? Il faudra l'être davantage. Nous considérions d'un œil avide et clair nos conquêtes d'hier et celles de demain ? Eh ! bien, peut-être encore n'y pensions-nous pas autant que le méritait le radieux avenir de la Monarchie. Ceux et celles qui ont vu cela se sont retirés, tous et toutes, en emportant au cœur le clair sentiment chaleureux d'une haute réalisation commencée.

Paris, à Notre-Dame, a vu, touché, senti ce que serait cette autorité naturelle, douce, simple, humaine et enfin digne de la France, une fois qu'elle aurait été recréée par les vœux convergents de l'intelligence du pays et de son instinct : l'autorité du chef de la famille. Chef avec tout ce que de tels mots comportent d'ordre, de sécurité, de progrès, de grandeur. On calculait, on travaillait, on espérait. Hier, on a vu, et cette austère déploration de la Mort a remué tout aussitôt quelques germes d'immortelle vitalité.

Un règne en exil
Conclusion

Comme le comte de Paris son père, comme son arrière-grand-père le roi Louis-Philippe, comme le duc de Bordeaux et le roi Charles X, Monseigneur le duc d'Orléans, mort loin de sa patrie, dort dans une terre étrangère. Pour les Français nombreux qui ont pris son deuil, ce n'est pas seulement une vie qui s'arrête, c'est un règne qui cesse, le règne de Philippe VIII, commencé en 1894. Celui de Philippe VII datait de la mort de Henri V, en 1883. Maintenant c'est Jean III. Ne sera-ce qu'un règne en exil, comme furent les autres ? Une éloquence triviale peut toujours se permettre de noyer insolemment ces noms, ces signes et ces titres aux cendres du même charnier. L'histoire nationale et la politique attentive y regardent de près avant de dénier toute réalité présente aux vestiges brûlants de pareilles grandeurs.

La succession, à elle seule, représente beaucoup de choses, car elle signifie les droits et les devoirs. Il se peut, puisque tout se peut, que le monarchisme soit une erreur. Mais enfin, s'il était une vérité ? Et si la conservation de la France était liée au rétablissement de la royauté héréditaire ? Il serait douloureux et un peu ridicule que la découverte et la propagande de cette vérité coïncidassent avec un phénomène d'extinction ou d'effacement dans la race des rois.

Que le pays puisse compter, pour un temps illimité, sur la présence, la bonne volonté, le labeur renaissant de la dynastie fondatrice, cela n'est pas la seule condition du salut public, mais c'en est une, nécessaire, et sans elle nous pourrions bien être réduits un jour ou l'autre, comme le furent, tour à tour, les neuf dixièmes des nations de l'Europe, à aller nous chercher une maison régnante hors des frontières de la patrie. Les Français d'autrefois étaient fiers d'avoir des rois de leur sang. L'avantage d'un règne autochtone est assuré par la fidélité de nos princes à l'ordre de leur sang malgré la dureté des épreuves que cela comporte. Monseigneur le duc de Guise vient d'en donner un beau et noble exemple : la fonction peut renaître tant que les fonctionnaires-nés se tiennent prêts à la tenir.

En fait, qu'apportent-ils ? Qu'apporte à la France la fonction des princes ? On peut répondre : une tradition, la tradition du bien public, et l'on peut définir laquelle. Une critique indépendante commence à reconnaître que la manière de gouverner propre à la royauté des Capétiens, des Valois, des Bourbons tenait de près à la loi d'existence et de développement de ce pays-ci. D'autres régimes lui ont donné de la gloire en lui appliquant telles ou telles idées en vogue, mais la gloire a péri, et la vogue est tombée, sans nous laisser de grands profits, tout au contraire ! À mesure que le XIXe siècle s'éloigne et que l'on en voit mieux les gains et les pertes, le bloc des gouvernements império-républicains qui s'étendent de 1792 à 1815 et de 1848 à 1926, ne semble plus valoir, pour le rendement matériel, ni pour le progrès moral, le bloc monarchique qui va de 1815 à 1848. Ici la paix, et là, la guerre. Ici, l'organisation et la production ; là, la consommation, la dépopulation. Ici, une armée et une marine fortes, qui ne font pas la guerre (ou si peu), mais permettent à une diplomatie intelligente, mesurée et fine de nous servir utilement ; là, des armées immenses inhumainement décimées, une marine en décadence régulière, une politique extérieure, d'abord bruyamment fanfaronne, qui nous a conduits par étapes à la situation de peuple assisté. La tradition révolutionnaire peut s'accommoder de cette courbe dégressive ou régressive, car il importe peu à la Révolution, chose universelle, il ne lui importe pas spécialement que la France existe ou n'existe pas. Une tradition monarchique enveloppe au contraire les vues d'intérêt national. Il lui est naturel de répugner aux diminutions séculaires de ce pays qu'elle a formé. Les règnes en exil incarnent donc une certaine loi du France d'abord, une certaine volonté de la France éternelle, ces beaux mots étant pris au sens littéral et concret, non pas d'une France idéale, vue en rêve oratoire, mais d'un territoire, d'un peuple, de son nombre, de sa fécondité, de sa richesse et de sa dignité. Notre personnel politique recruté surtout dans l'Université et dans le Barreau, ne distingue pas toujours assez clairement ce caractère d'énergique et profond réalisme qui est propre à la tradition monarchique. Mais, comme les réalités nous manquent, et qu'elles manqueront de plus en plus, ce réalisme a quelques chances très prochaines d'être apprécié et d'être regretté.

Le règne en exil représente ainsi un droit historique et un intérêt national.

Son troisième caractère est de ne point se présenter sous les traits d'une revendication chagrine, d'une réclamation juridique ; la royauté semble marcher au-devant d'une sorte d'acclamation. Cela tient à ce qu'elle est essentiellement paternelle. Franz Funck-Brentano l'a parfaitement démontré : l'ancienne monarchie est sortie du toit domestique, la magistrature royale est une charge de famille, auréolée par la religion. On risque de raidir et de dessécher un peu ces vénérables origines en ne parlant que d'un contrat entre la royauté et le peuple, à moins qu'on n'entende par là un contrat de mariage, un pacte entre deux graves et profondes sympathies collectives, chargées d'intérêts solennels.

Dans quelques provinces fidèles, où beaucoup de familles sont restées attachées à leurs princes, la réciprocité de l'affection est restée sensible et touchante, jusque dans le très petit peuple. Du temps du comte de Chambord, on voyait de pauvres servantes et de simples paysannes pleurer de joie et d'espérance pour quelque mouchoir blanc arboré au bout d'une canne d'enfant. Du temps du comte de Paris, de bonnes dames de fort petite bourgeoisie avaient des larmes dans la voix pour rappeler que Louis-Philippe avait envoyé ses fils au lycée, ou pour faire admirer sur l'écu de cinq francs une ressemblance, d'ailleurs frappante, entre le profil du roi citoyen et celui du grand roi.

Sans doute, de tels sentiments n'étaient en vigueur que dans certains milieux et certaines localités. Chacun a pu les y surprendre. Beaucoup ont pu croire assister à leur disparition. Ces sentiments ne disparaissaient pas, ils se transformaient. Ils se transformaient sous l'action des princes eux-mêmes : le plus original de l'activité politique des princes a tendu en effet à retrouver ou à reformer cette forte unité de cœur de la France que nos convulsions ont ruinée.

Le comte de Chambord, qui avait préféré son principe à tout, appliquait ses dernières années aux préparatifs d'une action directe qui eût fait de lui le héros de la résistance et de la renaissance religieuse dans le pays. Le comte de Paris, d'abord occupé d'une vaste manœuvre électorale dont il mesura vite l'inanité, appuya le mouvement nationaliste du Boulangisme, parce que, en dépit du grave risque de débander son propre parti, il jugeait que le nécessaire et l'indispensable était tout d'abord de rejoindre et de ressaisir dans leurs profondeurs les sentiments vivants, les ébranlements réels du pays. Il y avait de cela dans le Boulangisme : une explosion de patriotisme offensé, un cri de confiance et d'espérance vers un jeune chef militaire, une réaction du bon sens, de l'honnêteté, de l'esprit d'autorité contre un parlementarisme anarchique et profiteur, c'était bien une houle de sensibilité nationale, de bon sens soldatesque et plébéien, et il était salubre de s'y retremper. Nul principe ne s'y opposait et tout le passé y inclinait au contraire ! Sans l'ombre d'un sacrifice de conscience, le règne en exil se jeta donc dans l'aventure populaire. On put croire qu'il s'y perdait ; il n'y perdit que des électeurs et des partisans, pour un laps d'années assez court. Après avoir repris un contact désiré, l'idée royale était restée elle-même.

La valeur de cette nuance sera comprise et appréciée si l'on veut bien se rappeler que, fort peu après le boulangisme, entre 1890 et 1892, lors des conseils de ralliement à la République venus du Vatican, une autre occasion s'était offerte d'avancer et de gagner dans l'esprit public : du moment que l'Église devenait républicaine, n'allait-il pas être avantageux pour la monarchie de se teinter d'esprit anticlérical ? Cela fut conseillé. Cela fut rejeté. Le comte de Paris répondit qu'il était le roi très chrétien. Peu de temps après avoir donné cette double leçon de souplesse conciliante et d'intransigeance absolue, ce prince s'éteignit, entouré de l'estime ardente de quiconque l'avait connu, admiré des lecteurs capables de le suivre dans ses hautes études économiques et sociales, mais, malgré son effort, tenu encore assez éloigné du cœur du pays.

Il n'avait travaillé que pour l'avenir.

Quand Louis Philippe Robert d'Orléans vint en France, à l'âge d'un an, c'était après la chute du second Empire. Les circonstances étaient affreuses. L'atmosphère lugubre. Comme tous ceux de cette triste génération, les premières paroles qui le frappèrent se rapportaient à la défaite conçue et ressentie comme une humiliation sans mesure. Au commencement du XIXe siècle, Waterloo n'avait pas diminué le sentiment de notre valeur militaire et l'avait exalté peut-être : la Garde était morte et ne s'était pas rendue. Mais, à Sedan, une armée avait capitulé en rase campagne, une autre armée trahie s'était rendue en rendant Metz. Strasbourg était tombée. Après Strasbourg, Paris ! Cette liste cruelle, telle qu'on la récitait dans tous les foyers, prenait un sens plus dur dans la famille de grands soldats qui environnaient le jeune Prince. Son père n'avait pas été admis à combattre, mais le duc de Chartres, son oncle, avait pu servir à la faveur d'un déguisement, et, si le général Henri d'Orléans, duc d'Aumale, s'était vu refuser par des esprits jaloux un commandement qui eût été brillant, habile, efficace, son autre grand-oncle, le prince de Joinville, avait été vu aux armées. La rumeur des armes nationales brisées berça donc toute cette enfance et la rendit pareille à toutes les autres enfances de la nation. Le jeune Philippe grandit dans le même deuil que toute la partie saine de sa génération. À quinze ans il savait par cœur son Déroulède ; à trente, son Barrès. Un dauphin de France ne fait pas de politique : celui-ci, en 1886, à dix-sept ans, s'était contenté de souffrir la rigueur de la loi d'exil, mais, quatre ans plus tard, quand sonna l'heure du tirage au sort des Français de sa classe, le duc d'Orléans déjoua la surveillance de son gouverneur militaire, et s'échappa avec son ami Honoré de Luynes, atteignit Paris, demanda à servir comme simple soldat. Cela lui valut deux ans de prison dont il fit cinq mois, et les contemporains se rappellent quelle émotion détermina par toutes les nuances de l'opinion la démarche d'un prince qui réclamait ainsi une gamelle de conscrit !

Quelques calomnies qu'on eût multipliées dès lors, une impression de haute faveur subsistait, lorsque en septembre 1894, le duc d'Orléans, investi par la mort de son père, donna les signes d'une volonté directrice.

L'un de ses premiers actes fut d'adresser à Déroulède, à propos de sa pièce Messire Du Guesclin, une lettre qui faisait son propre portrait : « Ce n'est pas le prétendant qui vous félicite, c'est un Français… C'est un prince que touche la justice rendue à ses aïeux. C'est un soldat remerciant un soldat. La royauté n'est pas un parti, dit votre Du Guesclin : Henri IV, qui conquit son trône moins par son épée que par le plébiscite des cœurs, avait la même pensée lorsqu'il se disait de la religion de ceux qui sont braves et bons. » Le plébiscite des cœurs ! Il avait vingt-cinq ans. Grand et svelte, beau comme un jeune dieu, promenant sur la vie et ses tentations ces étranges yeux bleu de France où les extrêmes nuances de rêverie alternaient avec le regard le plus aigu, le plus direct, qui ait jailli d'une prunelle d'homme d'action, il semblait naturellement destiné à la clameur de ce plébiscite unanime. Un fidèle et ardent ami de son père, Mgr d'Hulst, avait écrit peu d'années auparavant : « Il est d'une séduction extraordinaire. Je ne puis m'empêcher de trembler pour lui, car il a un de ces regards qui allument tout ce qu'ils rencontrent, et il est avec cela d'une spontanéité, d'une ingénuité hardie qu'on ne rencontre plus guère chez les jeunes vieux d'aujourd'hui… Seigneur, ayez pitié de mon petit prince ! et, par lui, rendez un peu de poésie et d'espérance à la vieille France… ! »

Dans l'ordre de la politique stricte, peu d'hommes ont mieux su le secret d'attirer les amis, de les fixer, de troubler les indifférents et les ennemis. Mais, trop sensé, trop attentif aux choses, pour se fier uniquement à ce magnifique prestige personnel, sa pensée se portait d'elle-même sur les malentendus qui avaient séparé la couronne de la nation : moins pour les dissiper, car il les savait déjà morts, que pour en abolir les traces au moyen d'éclatants services nouveaux. Un instinct l'en avertissait, il ne s'agissait plus de tracer des contours de lois constitutionnelles, ni de frapper des principes en axiomes, mais d'entrer dans les pleines eaux de la vie française, de se mêler à elle, d'y compter comme serviteur et comme soldat. À hauteur de prince et de Roi, cela va sans dire, mais en mettant la main, soi-même, aux besognes de citoyen.

En janvier 1895, lors de l'élection du Président de la République, il avait fait figure de grand électeur de Félix Faure contre Henri Brisson : les intérêts nationaux étaient avertis qu'ils pouvaient compter sur lui. Je dis qu'il y a là quelqu'un, écrivait alors un homme du centre, M. Joseph Reinach. Ce quelqu'un apparut clairement, au poste de pilote, dans la longue tempête que souleva pendant quatre ans le procès de police militaire internationale de 1897. Dans cette Affaire, son attitude éclatante équivalut à une action pratique, ses paroles retentissantes le lièrent aux volontés et aux émotions de la France, il incarna enfin ce que souffrait et désirait l'immense masse nationaliste d'alors. « C'est l'armée qu'on veut détruire et c'est la France qu'on veut perdre. » Ce « cri de douleur et d'indignation » correspondait aux calculs des habiles comme à l'instinct et à la conscience des simples. Ses appels répétés, il faut s'en souvenir, eurent vite fait de franchir toutes les bornes des partis monarchiques. Des hommes obscurs purent s'étonner dans les profondeurs du pays que la voix du prince ne ralliât point tout le monde comme elle les ralliait, eux. Ardente et ferme, cette voix royale sonnait aussi la modération et la réflexion. On a beaucoup dit et cru le contraire. Mais on ne l'a pas vu. Ces manifestes sont royaux autant que nationaux. Ils disaient qu'il y a une question juive. Ils n'en tiraient aucun effet d'agitation vaine. On ne peut calomnier le fameux Manifeste de San Remo qu'à la condition d'en parler sans l'avoir lu. C'est une page d'homme d'État. Les guerres de races et de religion y sont désavouées dès le premier mot. On n'y fait pas non plus de vaine diatribe contre l'argent : on invite l'argent à la modération et à la sagesse. La fortune terrienne y est défendue contre la fortune anonyme et vagabonde, celle-ci est pressée, conjurée, de collaborer avec la fortune immobilière au lieu de la menacer d'asservissement. Tout cela est profondément prévoyant. Vingt-sept ans d'histoire postérieure en témoignent. Le cycle de ces instructions et de ces appels au pays composent un répertoire tel que la prophétesse Cassandre elle-même aurait pu l'envier au duc d'Orléans.

Il fut vaincu, mais avec la France. Il ne m'appartient pas de sonder les raisons pour lesquelles les conciliabules des partis nationaux crurent devoir repousser la main tendue de ce Fils de France et la solution, vraiment impartiale, qu'il apportait. En l'éliminant, on n'organisa point la victoire, on roula tout le monde dans les draps du même revers. La Haute Cour envoya dans le même exil des chefs de groupe aussi parfaitement rivaux, pour ne pas dire ennemis, que Déroulède, Marcel Habert, André Buffet, Lur-Saluces et Guérin. Bientôt, les ministères André et Pelletan purent s'acharner librement sur la France, les effectifs et les crédits, les programmes et les constructions furent réduits ou arrêtés, le Service des renseignements, œil de l'armée, fut aboli, la voie fut grande ouverte à l'espionnage international et l'idée nationale subit le même échec que les forces de la Patrie. Seulement, alors que l'antisémitisme républicain et le nationalisme républicain succombaient, à ce moment précis, les idées du duc d'Orléans développèrent une vertu de fécondité, un pouvoir d'influence auxquels on ne s'attendait pas.

Ces idées attiraient, groupaient, conquéraient. Elles faisaient de nouveaux royalistes. Des hommes qui avaient toujours appartenu aux partis de gauche, ou qui n'étaient d'aucun parti, s'enrôlaient dans le mouvement. Cela ne s'était jamais vu. En 1885, M. Vacherot, l'historien de l'École d'Alexandrie, s'était bien déclaré, dans Le Soleil d'Édouard Hervé, pour la monarchie héréditaire, mais cette espèce de pronunciamiento académique était resté isolé comme un cas d'idéologie élevé et froid. Cette fois, il y avait un courant, ou plutôt plusieurs courants, où confluait la substance cérébrale et nerveuse de la nation. Beaucoup de jeunesse. Mais une jeunesse qui se renouvelait, au lieu de s'épuiser, d'année en année. Toutes les hauteurs sociales y participaient, mais surtout leur palier médian, celui de ces classes moyennes qui pendant cinq cents ans ont dirigé toutes les évolutions et toutes les révolutions de la France.

On a fait honneur de cet effet à l'Action française. Servante du Prince, l'Action française ne pouvait pas ne pas travailler dans cette direction. Mais il ne faut pas renverser les rôles. Les actes décisifs du prince ont eu lieu entre 1894 et 1900. Ils ne doivent donc rien aux chefs de l'Action française, que le prince ne connaissait pas et qui ne le connaissaient pas à cette date déjà ancienne. Les conseillers se renouvelèrent : André Buffet et Lur-Saluces succédèrent à Dufeuille ; Paul Bézine, Roger Lambelin, Hector du Poy suivirent Saluces et Buffet. Le plan ne varia jamais, le prince suivait la ligne qu'il avait choisie en vue de retrouver le cœur de la France et d'y rétablir l'ancienne amitié. Aussi, dix et vingt ans plus tard, lorsque, en des assemblées où se coudoyèrent l'ouvrier et l'employé, le bourgeois, l'intellectuel et l'artiste, de vastes auditoires commencèrent à appeler, à espérer, à acclamer le roi, ce n'était plus une Vendée ou une Bretagne exprimant des fidélités particularistes, c'étaient, à Paris même, les représentants de toutes les régions, de tous les métiers, de tous les milieux, véritable et sincère abrégé du pays. Une élite ? Disons plutôt une armature, un réseau d'armatures subtiles et vivaces, insinuées dans toutes les profondeurs de notre nation.

Mais, ainsi posée par le prince sur des plans d'intérêt national, une renaissance royaliste ne pouvait pas s'étendre sans déterminer simultanément une renaissance de la nation. Le roi reconstruisait son trône dans le futur, mais, dans le présent, il aidait la nation à se ressaisir.

Il faut se rendre compte de ce qu'avait été l'œuvre du gouvernement républicain entre 1900 et 1912. Les noms propres ne diraient plus rien aujourd'hui. Tel qui, dans cette longue période d'affaissement politique voulu, avait coopéré à la diminution du pays, s'est depuis révélé patriote de cœur et d'âme. Tel groupe, tel parti, connu au long de ces douze années par son extrême indifférence au salut public, s'est dévoué ensuite à la reconstruction de ce qu'il avait laissé détruire. Dans l'ébranlement général, rien n'avait tenu ni duré, rien n'avait été à l'abri des variations, que la claire pensée du roi en exil. Tandis que, par la loi, par la presse, par les écoles, l'on s'était efforcé d'éteindre et de raréfier le sentiment national, comme l'on avait affaibli et amoindri la défense de la nation, l'Exilé avait discrètement accompli le travail inverse. Quand donc la menace de la guerre contraignit le gouvernement républicain à renverser une politique funeste, à revenir et à réagir, il fut obligé de s'apercevoir que les avis du prince avaient déjà fait faire la moitié du chemin aux éléments les plus vivaces du pays. M. Barthou et M. Millerand s'efforçaient de rétablir l'armée au point où elle était en 1897, M. Delcassé reconstruisait une marine, M. Poincaré remettait en honneur l'esprit national et même l'esprit provincial, conformément à la stricte doctrine royaliste : toutes ces phases d'un relèvement commandé par la menace des monarchies ennemies ne ressemblaient point mal à une réorganisation monarchique française faite sans le roi mais bien souvent au nom du roi. L'opposition antipatriote le faisait remarquer avec fréquence et insistance 30. Si le roi était dehors, il n'était pas absent, son pouvoir spirituel d'abord combiné à la réaction barrésienne et déroulédienne avait fini par aboutir à une action matérielle qui, pour être indirecte, était pourtant son œuvre et remontait jusqu'à lui, sans qui elle n'eût jamais été. Un courtisan eût pu lui dire : — Voyez, Monseigneur, au fond, c'est vous qui recrutez et qui enrôlez ces soldats, réorganisez ces états-majors, obtenez ces crédits, construisez ces navires, veillez par ces ambassadeurs et par ces ministres aux orages que tout annonce…

Mais le duc d'Orléans n'aimait ni les courtisans, ni la courtisanerie, ni même la cour.

Le duc d'Orléans était un homme d'action et d'action directe. Il n'était point capable de se consoler par un fantôme de pouvoir. Quand il en avait fini avec ces longues réceptions d'amis inconnus où il avait pu vérifier son étrange pouvoir d'ensorcellement, quand il avait donné les grandes directives destinées à lui rouvrir sa patrie, parlé de corrections essentielles à introduire dans le régime représentatif, demandé la séparation de la franc-maçonnerie et de l'État, il aimait à partir pour quelqu'un de ces lointains voyages dans les mers du Pôle, dans les déserts de l'Afrique, où ses yeux, ses mains, tout son corps pouvaient travailler, avec sa pensée, à servir la patrie, la science, la civilisation. Cette vie vraiment active était celle qui l'enchantait. Les solitudes le gorgeaient de cette âpre tristesse à laquelle inclinait son mélancolique destin. Au retour, il pouvait constater que son royaume intellectuel et moral s'était étendu, que son autorité ne cessait de s'accroître, mais que l'ensemble du pays glissait, de tout son poids, à des risques terrifiants. Alors, ni les succès de l'explorateur et du navigateur, caps reconnus, îles découvertes, variétés d'animaux marins ou de volatiles captées, classées, nommées, magnifique Musée constitué d'un voyage à l'autre, ni les heureux progrès de sa cause dans la jeunesse de la Patrie, ne pouvaient arracher l'exilé à la sombre amertume de ses prévisions condamnées à ne point servir. Ceux qui le virent au début de 1914 témoigneront de la violence des pressentiments qui l'assiégeaient à ce moment-là.

Un conspirateur d'aventure se fût réjoui. Un prétendant professionnel aussi. J'ose dire que, si l'on veut aller jusqu'au fond de son âme, Monseigneur le duc d'Orléans n'était pas un prétendant. C'était un roi. Le cœur du roi tremblait qu'on ne fît du mal au royaume. Le premier coup de canon lui fit écrire à ses amis : Attention ! plus de politique ! Face à l'ennemi ! Ensuite il demanda à combattre sous nos drapeaux. Lui dont la voix, l'esprit, avaient tant contribué à leur renaissance, il se vit refuser l'entrée des armées. Il essaya des armées belges : elles servaient sur le sol français, impossible ! Même réponse pour l'armée anglaise. Ni l'Italie, ni la Russie, ni l'Amérique ne se montrèrent plus humaines. Agha-Khan ne put lui ouvrir les troupes hindoues. Une étroite surveillance exercée à Londres lui interdit tout enrôlement clandestin. Ces demandes et d'autres durèrent deux ans et plus. Notre gouvernement, qui avait pris la responsabilité du premier refus, avait fait de vagues promesses. Quand il fut sommé de les tenir, il se déroba… Quel désespoir ! Aucun découragement : le duc d'Orléans était très gravement malade au moment de l'armistice victorieux ; à peine convalescent, en février 1919, comme l'on annonça que les hostilités allaient reprendre, le prince expédia un ami chez M. Clemenceau pour recommander sa cause au dictateur républicain : « Je ne demande ni grade, ni situation particulière, j'irai n'importe où, sur le Rhin aussi bien qu'en Orient, aux colonies ou ailleurs, sur terre comme sur mer, car je souffre trop 31 »

Les épreuves de la paix ajoutèrent aux peines que la dure « inaction involontaire » avait fait souffrir. Il était parvenu, à force de volonté, de régime, de travail manuel dans son parc du Manoir d'Anjou, à reconstruire solidement l'édifice de sa santé physique, car il tenait, disait-il, à « être paré » à tout événement ; il était fier, comme il voulait bien nous le dire, de rencontrer un peu partout, quelque terre lointaine qu'il abordât, un écho grandissant de la pensée royaliste française, déjà maîtresse de réaction nationale et de direction politique. Le vrai est de dire pourtant que ni il n'espérait, ni il ne désespérait. Il attendait. En attendant, il interdisait d'ajouter aux difficultés nationales, il se faisait un devoir étroit de protéger toute action, même républicaine, qui fût capable d'améliorer ce qu'il s'agissait de sauver. Il parlait avec intérêt des hommes au gouvernement, sans préjugé contre leurs intentions, sans illusion sur les moyens que leur proposait le régime, conjurant, au surplus, tous ses amis, tous ses serviteurs de coopérer de toute leur âme à n'importe quelle œuvre de bien public, mais, soudain, s'arrêtant avec une sombre tristesse sur des phénomènes d'abandon national que rien n'expliquait.

Sa grande joie était de laisser flotter sa pensée sur quelque trait du visage de la Patrie. Nous n'oublierons jamais, pour notre part, de quel regard il examinait, un soir, une petite collection de photographies représentant l'angle de la place de la Concorde qui donne sur la rue de Rivoli : « Là », disait-il comme s'il se fût parlé à lui-même, « le ministère de la Marine… Puis, la rue… la rue… », il nommait chacune à son tour. Que, dans ses voyages, il eût occasion de rencontrer un Français, sa physionomie exprimait une telle joie, la bonté qui transpirait dans ses paroles et ses attitudes était si puissante qu'un interlocuteur de rencontre et de passage était saisi, conquis à jamais : combien nous l'ont écrit, prêtres, fonctionnaires, soldats, marins, sous la fascination de cette haute mine, de ce port merveilleux, de ce beau et triste regard. Tout en lui annonçait une grande race de la nature. On saluait, on s'inclinait, on ne pouvait plus oublier : une figure de la France, une forte incarnation du patriotisme français avait traversé l'obscur chemin de la vie, et l'on en gardait le rayon.

Le croirait-on ? J'en demande pardon à nos intellectuels de Sorbonne, s'il en subsiste : cet homme, si intelligent, ouvert à tout, capable d'imaginer à son plaisir toutes les formes les plus flexibles et les plus fuyantes du sentiment et de la vie, était absolument fermé à toute compréhension de l'anti-patriotisme. On a lu plus haut quelle conversation significative il avait eue bien peu de jours avant sa mort avec son médecin et ami très fidèle, le docteur Récamier.

Monseigneur le duc d'Orléans avait toujours admiré que, sur ce point, la République n'eût pas su imposer une discipline obligatoire et automatique. Point d'État normal, en effet, sans une Patrie respectée. Mais certains États sont des monstres, et il n'est pas contraire à leur logique de monstres de favoriser leurs ennemis au dépens de leurs serviteurs. Ce magnanime serviteur traînait donc son exil comme il avait traîné l'inaction militaire. Les quarante Bourbons tombés à l'ennemi l'avaient poursuivi de leur gloire : maintenant, c'était la terre de France qui s'imposait à sa mémoire, le suivait de son souvenir. Lui-même l'écrivait en réponse à une belle lettre du jeune duc de Luynes :

Depuis quarante ans bientôt que je suis exilé, que de fois je suis parti vers des régions lointaines pour chercher, en travaillant de mon mieux pour la France, à échapper à la désespérante obsession de notre frontière barrée ! Et si je me consacre à mes collections, si je vis pour ainsi dire de mes Musées, c'est que là je me sens un peu plus près de la France à qui tous ces souvenirs sont destinés.

J'ai vu rentrer en France, grâce à l'amnistie, des condamnés de droit commun, des insoumis, des déserteurs. Moi qui avait tant voulu servir ma patrie et qui n'ai pu avoir ni cet honneur, ni cette joie, je reste banni ! Je vieillis dans la tristesse d'un long exil, Dieu veuille qu'avant de mourir j'aie la consolation suprême de revoir mon pays.

C'est à ce moment que des malheureux nous disaient :

— Votre prince existe-t-il ? La France veut-elle de lui ?

Cette France ignorante criait par tous ses bulletins de vote quelque chose comme « vive ma mort ». Cette folie n'étonnait pas le Prince. Il avait prévu le dimanche noir 32. Il l'avait prédit à Jacques Bainville. L'idée de tous les malheurs lui était familière. La volonté de servir ne le quittait pas. Pour compléter ses collections, il était reparti pour l'Afrique, méditant les oublis, les méconnaissances et les ingratitudes. Subitement, la mort passa, grande révélatrice, et la vérité se fit jour comme dans un éclair.

Cet éclair du 28 mars 1926 est appelé à durer peut-être. On y voit et l'on y verra le Fils de France à son dernier soupir, serrant entre ses doigts la petite boîte d'argent qui contient un peu de terre de France, on l'entend murmurer la parole testamentaire : « Je voudrais reposer à Dreux… Si le gouvernement y consent, que mes funérailles soient toutes privées, que mes amis s'abstiennent de manifestations politiques, je remercierai mes amis… Si Dreux m'est refusé, je demande à être immergé en vue des côtes de France… »

Jadis, Barrès, intéressé par les idées monarchiques, s'objectait à lui-même que les puissances de sentiment ne lui paraissaient pas se prononcer pour elles. Il y a vingt-six ans de cela ! Au bout de cette vie, au terme de l'action nationale et royale ainsi conduite, après les émouvants efforts d'une volonté et d'une sensibilité héroïques, orientées vers le plébiscite des cœurs, il semble bien que Barrès, si sa grande ombre pouvait se relever parmi nous, redirait ce qu'il avait déjà confié à Eugène Marsan 33 : sur beaucoup de points, et dans la jeunesse surtout, les puissances de sentiment tendent de plus en plus à terminer le schisme dont la France a souffert. On ne peut plus écrire que les idées soient d'un côté, avec les intérêts, tandis que l'instinct et le sentiment seraient de l'autre : Monseigneur le duc d'Orléans aura usé sa vie pour changer cela et l'on peut affirmer avec certitude qu'il y est véritablement parvenu. Il a nationalisé l'idée, le sentiment et le mouvement monarchistes.

La nation peut désormais s'abandonner comme il peut arriver à tous les peuples, mais chaque fois qu'elle sera tentée de songer d'abord à elle-même, il ne lui sera pas possible d'échapper au souvenir des nobles Exilés qui lui gardent les maximes de la restauration et les principes du véritable redressement. Le douloureux visage de ce Philippe VIII toujours errant, qui expira en mendiant une tombe dans sa Patrie, ne pourra manquer de reparaître de saison en saison dans tous les songes du patriotisme inquiet. Il en deviendra le symbole. Il en résumera les espoirs de résurrection.

Anniversaire
26 mars 1927

Il y aura un an lundi prochain que Monseigneur le duc d'Orléans s'éteignait à Palerme, au choc d'un mal rapide que l'arrière-petit-fils de saint Louis avait, sans doute, rapporté d'Égypte ou de Syrie. Ce souvenir ravive quelques-uns des signes visibles d'une douleur que le temps n'atténuera point. Tous ceux qui ont servi le duc d'Orléans l'ont aimé. Tous ceux qu'il s'était attachés s'étaient donnés à lui pour toujours. Comment ? Par le prestige de quel charme ? Il me serait difficile de le dire assez bien. J'ai confiance dans le beau recueil des souvenirs du docteur Récamier, qui sont annoncés. Le compagnon fidèle, le confident, l'ami saura trouver les mots à la ressemblance du Prince, les paroles capables d'émouvoir et de renseigner.

Ceux qui l'ont connu comme moi ne seront jamais consolés du destin de ce merveilleux Fils de France si parfaitement formé à la mesure de son peuple, et aussi de son temps, si bien fait pour régner et pour gouverner à son heure et que les circonstances seules, peut-être un simple retard de l'opinion, une nonchalance de l'esprit public ont ainsi privé de son bien, de sa charge, de son fardeau.

Ce fardeau, on peut dire qu'il l'a cherché toute sa vie, il en a porté le deuil quarante ans avec une expression de désir généreux et de nostalgie douloureuse, qui est inséparable de son grand souvenir. Trop pénétré du sentiment de sa dignité pour courir la popularité ni rien tenter qui ressemblât aux démarches d'un candidat, il était naturellement populaire, animé de cette bonhomie souveraine qui s'allie à la majesté. Le plus beau, l'un des plus intelligents des princes de notre temps, il avait l'allure et l'étoffe d'un roi. D'un grand roi. Il avait ce rayon de volonté gracieuse qui persuade et qui commande, qui emporte et fascine, qui prend l'imagination et le cœur tout en disant : « Je veux. » Qui ne se souvient des retours de Carlsruhe ou de Gênes, de Londres ou de Bruxelles, après la première audience de ceux d'entre nous qui s'étaient ralliés à sa voix !

J'ai failli me donner l'illusion d'entendre cette douce voix dans l'après-midi d'hier en allant enfin visiter à la Bibliothèque nationale les cahiers, les devoirs de latin de Louis XIV enfant, qui y sont exposés, dit-on. Un contre-temps m'a détourné du pèlerinage rêvé. Ce sera pour quelqu'un des jours de cette octave ! Devant le reliquaire, je me rappellerai avec quelle bonté d'autres manuscrits, d'autres exercices latins du jeune grand roi, me furent ouverts et communiqués feuille à feuille, un soir de l'autre année, au manoir d'Anjou, par mon prince attentif et grave. Les pièces dont les journaux ont donné la description ces jours-ci sont certainement sœurs de celles que possédait Monseigneur le duc d'Orléans et qu'il montrait avec un respect si pieux ! Les syllabes des mots de son commentaire me reviendront peut-être devant le legs sacré de la race, les signes émouvants de la tradition. Si je ne les retrouve pas, je ressens jusqu'au fond l'angoisse que donnaient de tels trésors maniés en terre d'exil.

On croit que Louis XIV recueillit le seul fruit des labeurs de son admirable prédécesseur. On se trompe. Lorsque le roi eut sa majorité, la France sortait d'anarchie. Mais il se mit au travail, lui et ses hommes. Peu d'années du commandement d'un seul, appliqué avec énergie à l'ordre, à la puissance, à la juste gloire, tirèrent du chaos les magnificences égales ou supérieures à ce qu'avaient vu François Ier, Louis XII et même saint Louis. Telle est la plasticité de la France entre les mains de son chef-né. La fortune y est toute proche des ruines, il lui suffit de se sentir gouvernée et conduite vers les hauteurs qui lui conviennent, sans caprice, mais sans faiblesse, avec le sens du juste, du noble et du beau. Ni les déperditions, ni les déliquescences du XIXe siècle ne faisaient un obstacle à la prompte renaissance de la Patrie par la royauté. Le duc d'Orléans, rétabli, eût entraîné, je voudrais oser dire : il eût empaumé tout son monde, et les oppositions auraient été facilement réduites par ce brillant mélange de générosité, de finesse et d'autorité.

Que manqua-t-il donc ? Ce fut, je crois, vers le début, en 1899, lorsque l'occasion favorable se présentait, un degré de préparation intellectuelle et morale que le pays possède aujourd'hui, qui alors n'était pas atteint ; ni les honnêtes gens ni les patriotes n'étaient fixés sur la véritable cause de nos malheurs publics. On ne savait pas qu'elle s'appelait République. Cela ne s'est vu que plus tard, à l'époque où les événements trop rapides ne permettaient plus beaucoup de jeu à notre politique intérieure. Dès 1914, n'importe comment, n'importe à quel prix, il ne s'est plus agi que de tenir et puis de vaincre, et le mot d'ordre sauveur ne pût être différent de celui que donna le duc d'Orléans ; mais son France d'abord aura été l'un des éléments de la victoire, et l'histoire impartiale se devra de le constater.

La maladie l'avait à plusieurs reprises dompté et le déclin de la victoire assombrit ses dernières années. Il s'étonnait du déclin du patriotisme. Une de ses dernières paroles fut son cri douloureux sur le détachement manifesté par des hommes publics à l'égard de la patrie et de son drapeau. Là était le cœur de son cœur. La petite boîte d'argent contenant un peu de terre de France, qu'il serrait entre ses mains pendant l'agonie, donne la juste idée du sentiment qu'il avait reçu de ses pères et que Philippe VIII a transmis à Jean III.

Nos rois sont les hommes de la race et du sol. Telle est la plus haute utilité publique de leur fonction. Le centenaire de leur interrègne fournit en leur faveur une preuve aussi forte et plus forte peut-être que le millénaire de leur règne fondateur, créateur, unificateur.

Au tombeau de Palerme
lundi 28 mars 1927

La messe du bout de l'an de Monseigneur le duc d'Orléans a été célébrée samedi, 26 mars 1927, afin d'assurer au plus grand nombre possible de nos amis travailleurs, employés, bénéficiant de la semaine anglaise, le moyen de prendre leur juste part de ce deuil de famille, car, ainsi que disait un jeune parisien qui me ramenait, « aucun de nous ne l'a oublié ».

Le souvenir resté vivant d'un noble prince que si peu d'entre nous avaient eu la faveur d'approcher donnait aux Comités royalistes et à l'Action française largement le droit d'anticiper le rendez-vous anniversaire : les quatre immenses colonnes de signatures publiées au numéro d'hier suffiraient à justifier notre avance de deux jours. Mais enfin c'est aujourd'hui que tombe la véritable date funèbre ! Il y a une année aujourd'hui, cette foudre nous a frappés.

Ceux qui ont visité, comme nous l'avons fait en avril dernier, Maurice Pujo, Jacques Bainville et moi, la chapelle palermitaine qui, pour un temps, garde les cendres de notre prince, n'ont pas fini d'en méditer la dure et poignante désolation. Quelle simplicité sauvage ! Quel isolement ! Depuis les obsèques, nul Français n'y était venu avant nous. Après nous, des marins, des touristes, des voyageurs de commerce appartenant à nos organisations de fidélité ont fait un détour par la Sicile pour saluer ce tombeau modeste, à l'entrée du cimetière du Saint-Esprit, y laisser une gerbe, et en rapporter quelques pincées de fleurs champêtres cueillies dans le voisinage du monument. Il est donc là, redisions-nous, le cœur étreint, et toute cette flamme de résurrection nationale, qu'il incarna deux âges d'homme ! Les mêmes tristesses redites, dans les mêmes termes, par un grand nombre de cœurs français, font, sans doute, en s'associant, une lourde plainte. Mais le nombre et le sens des communes douleurs en dégagent aussi l'espoir. Pas un de ces Français en deuil qui n'ait présente au cœur l'antique certitude qu'un roi de France ne meurt pas.

C'est en revenant de Palerme que nous eûmes, à Naples, l'insigne honneur de la première audience officielle de Monseigneur le duc de Guise, au palais de Capodimonte, chez S. A. R. Madame la duchesse d'Aoste, auprès de S. M. la reine Amélie qui est allée, aujourd'hui même, faire célébrer à Palerme, sur la chapelle de la tombe, cette messe de bout de l'an que les princes font célébrer en Belgique, à Dreux, à Larache, à Neuilly. Nous jetons sur ce court espace d'un an le bref regard chargé des mélancolies de l'épreuve ; mais qu'y recueillons-nous, de nouveaux signes favorables et nouveaux bons présages tirés de la course des choses ?

Ce deuil cruel a réveillé un élément, un aspect neuf de l'idée royaliste. Sur le cercueil d'une personnalité rayonnante, en qui s'incarnaient tous les meilleurs rêves du chef royal, la France a vu briller la vive et claire image de la famille couronnée : le roi, la reine, le dauphin, les princesses, tout ce qu'il semble qu'elle eût désaccoutumé d'aimer, elle l'a découvert avec admiration, ravissement, tendresse. Les Parisiens réunis à Notre-Dame le 15 mai 1926 en furent les témoins éblouis. Et ce qui s'est passé, depuis, dans l'ordre du resserrement national l'a confirmé : avec quelle fermeté, si digne d'un roi !

Il n'y a donc qu'à persévérer et à redoubler, jusqu'au jour prochain que tout nous annonce. Alors nous n'aurons pas à fréter un navire pour ramener en vue des côtes de France les restes du plus patriote de tous les princes ni pour les immerger à l'embouchure de la Seine, redevenue le fleuve du roi ; la République ne sera plus, elle-même, qu'un souvenir mauvais, et, le plus rationnel, le plus naturel des régimes, le seul qui soit conforme à la nature de la France et à sa raison nous aura ramené l'autorité, les libertés, la prospérité et l'honneur. Alors, avec l'esprit de réorganisation et de sécurité, montera librement au ciel l'expression des grandes certitudes françaises, et leur essor brillant ne pourra manquer d'être accompagné des éclats d'une grande joie.

Cependant, les hommes de ma génération essuieront des larmes furtives. Ils penseront à lui, à lui qui a tant fait pour la sûre échéance d'un si beau jour, et ce prince resté si jeune dans leur esprit réveillera leur propre jeunesse avec la chanson d'autrefois :

Notre jeunesse en fleur
Vous a donné son cœur,
Roi magnanime !
Menez-la jusqu'aux cieux
De cime en cime
Sur vos pas glorieux !

Charles Maurras
  1. Louis Philippe Robert d'Orléans, duc d'Orléans, prétendant au trône de France de 1894 à 1926 comme Philippe VIII, né le 6 février 1869 à Twickenham, au Royaume-Uni, décédé le 28 mars 1926 à Palerme, en Sicile. [Retour]

  2. Marie de Roux, marquis de Roux, 1878-1943, avocat, historien et journaliste, il fut l'un des principaux activistes du mouvement monarchiste français d'entre deux guerres. Il a consacré sa vie à l'Action française dont il était l'avocat et l'un des collaborateurs réguliers. (n.d.é.) [Retour]

  3. Maurras reprendra cette expression presque mot pour mot, un quart de siècle plus tard, dans sa Prière de la fin, poème composé à Clairvaux en juin 1950 :

    Le combat qu’il soutint fut pour une Patrie,
    Pour un Roi, les plus beaux qu’on ait vus sous le ciel…

    (n.d.é.) [Retour]

  4. D'une autre lettre du docteur Récamier, on me pardonnera d'oser extraire ces mots, publiés dans l'Action française [Retour]

  5. La princesse Amélie, 1865-1951, l’aînée des huit enfants du comte de Paris, née à Twickenham, épouse le prince héritier du Portugal en 1886. C’est le faste de ce mariage qui provoquera en réaction le vote de la loi d’exil qui contraindra le comte de Paris et le duc d’Orléans à partir pour l’Angleterre quelques mois après. (n.d.é.) [Retour]

  6. Hélène, 1871-1951, la troisième de la même fratrie, cadette du duc d’Orléans, également née à Twickenham, devenue duchesse d’Aoste en 1895. (n.d.é.) [Retour]

  7. Henri Vaugeois, 1864-1916, cofondateur de la Revue d'Action française en 1899 avec Maurice Pujo. (n.d.é.) [Retour]

  8. Le 13 mars 1920, une brigade de 6 000 corps francs commandée par Wolfgang Kapp marche sur Berlin pour contraindre le gouvernement de la République de Weimar a revenir sur sa décision de dissoudre les Corps francs. L’armée refuse de tirer sur les insurgés et le gouvernement est contraint de s'enfuir à Stuttgart. Kapp forme alors un nouveau gouvernement provisoire. Mais il est alors confronté à une grève générale de quatre jours déclenchée par les partis de gauche, qui bloque toute l’économie, et à la résistance des fonctionnaires berlinois. De plus, la Reichsbank refuse de financer davantage ses troupes. Le 17 mars, Kapp est contraint de fuir vers la Suède. Il revient néanmoins en Allemagne ou il est arrêté. Il décède en 1922, avant son procès. [Retour]

  9. Numa Denys Fustel de Coulanges, 1830-1889, a écrit une Histoire des institutions de la France, Paris, 1874, reprise en plusieurs volumes dans l'Histoire des anciennes institutions françaises, Paris, Hachette, 1901-1914. [Retour]

  10. André Buffet, 1857-1909, est un militant nationaliste et monarchiste français. Proche de Paul Déroulède, il fréquente les milieux royalistes et patriotiques, devient l'un des proches conseillers de Philippe d'Orléans. En 1900, il est condamné à dix ans de bannissement par la Haute Cour sous le chef de complot contre l'État suite à sa participation au coup d'État manqué organisé par Déroulède et plusieurs membres de la Ligue de la patrie française. Le comte Eugène de Lur-Saluces écopa de la même peine et tous les deux s'exilèrent à Bruxelles. Durant son exil, Buffet demande au duc d'Orléans que Paul Bézine lui succède. (n.d.é.) [Retour]

  11. Hubert-Joseph Henry, 1846-1898, officier français, l'un des protagonistes importants de l'affaire Dreyfus : ce lieutenant-colonel, convaincu d’avoir fabriqué un faux accusant Dreyfus, est arrêté le 30 août, et se suicide le 31. Pour le parti dreyfusard, c’est l’annonce d’une victoire totale, et pour le parti anti-dreyfusard, le découragement. Maurras rentre alors dans la bataille en publiant dans la Gazette de France son article « Le Premier Sang » qui renverse la situation. Il y déplace le débat, le portant prioritairement sur la défense de l’armée et de l’intérêt national. (n.d.é.) [Retour]

  12. Louis Philippe Albert d'Orléans, comte de Paris, 1838-1894, « Philippe VII ». (n.d.é.) [Retour]

  13. Henri Charles Ferdinand Marie Dieudonné d'Artois, 1820-1883, duc de Bordeaux, puis comte de Chambord, « Henri V ». (n.d.é.) [Retour]

  14. Frère cadet, 1840-1910, du comte de Paris. (n.d.é.) [Retour]

  15. Jean Pierre Clément Marie d’Orléans, 1874-1940. Le fils aîné de Louis Philippe, mort à Neuilly en 1842 d’un accident de cheval, avait deux fils, le comte de Paris et le duc de Chartres. Le comte de Paris eut, sur ses huit enfants, quatre fils, dont deux moururent en bas âge. Lorsque le duc d’Orléans devint Philippe VIII, son suivant dans l’ordre de succession était son frère Ferdinand, duc de Montpensier, alors âgé de dix ans ; puis suivait le duc de Chartres et ses deux fils survivants, Henri âgé de 17 ans et Jean de 12. Le duc d’Orléans n’eut pas de descendance, Henri mourut en 1901, son père le duc de Chartres en 1910, enfin le duc de Montpensier en 1924, ce qui faisait du duc de Guise l’héritier, futur Jean III. (n.d.é.) [Retour]

  16. Marie, 1865-1909, première fille du duc de Chartres, épouse le prince Valdemar du Danemark en 1885. (n.d.é.) [Retour]

  17. Il s'agit du serment prêté par les adhérents à la Ligue d'Action française, fondée en 1905. (n.d.é.) [Retour]

  18. C'est Aristote qui met l'amitié au fondement nécessaire — mais pas suffisant — de la cité dans sa Politique. (n.d.é.) [Retour]

  19. Adolf Erik Nordenskjöld, qui découvrit le passage du Nord-Est en 1878-1879, et non son fils Otto, explorateur de l'Antarctique. (n.d.é.) [Retour]

  20. À Woluwe-Saint-Pierre, en Belgique. En 1913, Philippe d'Orléans, loue puis achète le domaine comprenant un château construit entre 1896 et 1907. Après de nombreux travaux d'agrandissement et de restauration, il s'y installe et lui donne le nom de Manoir d'Anjou. (n.d.é.) [Retour]

  21. August Bebel, 1840-1913, était l'équivalent allemand de Jean Jaurès, aussi barbu, pacifiste et collectiviste que son homologue français. Co-fondateur du SDAP (Sozialdemokratische Arbeiterpartei, parti ouvrier social-démocrate) en 1869, il prend position l'année suivante contre les crédits d’armement et s’en trouve condamné pour haute trahison. Son parti devient le SPD en 1890 et il en prend la présidence en 1900. (n.d.é.) [Retour]

  22. Les Cercles ouvriers, fondés aux lendemains de la Commune par Albert de Mun, avec René de la Tour du Pin, Felix de Roquefeuil et Maurice Maignen. (n.d.é.) [Retour]

  23. Marc Sangnier, 1873-1950, est un journaliste et homme politique français. En 1894, il fonde Le Sillon, journal prônant un « christianisme démocratique et social ». Le journal devient rapidement l'organe des Instituts populaires crées par Sangnier. À partir de 1906 une violente polémique de presse oppose Sangnier et Maurras. Condamné par le pape Pie X en 1910, Sangnier se soumettra mais abandonnera peu après l'action religieuse pour se consacrer à l'action politique et, dans l'entre-deux-guerres, au pacifisme. (n.d.é.) [Retour]

  24. L'Institut Stanislas, à Cannes, fondé en 1866 par les Frères Marianistes. [Retour]

  25. Jean de la Fontaine, Éloge de l'Oranger in Les Amours de Psyché. (n.d.é.) [Retour]

  26. En 1890, Philippe d'Orléans, âgé de vingt-et-un ans et toujours sous le coup de la loi d'exil, débarqua clandestinement à Paris afin d'y faire son service militaire dans l'armée française. La presse ayant été mise au courant de son projet, le gouvernement fut fort embarrassé et le prince condamné à deux ans de prison. Il fut finalement libéré au bout d'à peine quatre mois de captivité et l'aventure lui valut le surnom populaire et affectueux de prince Gamelle, en référence à la gamelle des soldats. (n.d.é.) [Retour]

  27. Référence au roman de Maurice Barrès. (n.d.é.) [Retour]

  28. Le prince Victor Napoléon, 1862-1926, qu'une querelle de succession opposa à son père le prince Jérôme, d'où la remarque de Maurras sur la datation de son « règne ». (n.d.é.) [Retour]

  29. Le général André, nommé en 1900 ministre de la Guerre avec pour principale mission d'épurer l'armée de ses éléments conservateurs ; il s'illustre avec l'affaire des Fiches, c'est lui qui a été giflé par le député nationaliste Gabriel Syveton durant une séance de la Chambre, geste qui ressouda la majorité parlementaire malgré le scandale. (n.d.é.) [Retour]

  30. Voir, en particulier, le livre de Marcel Sembat en 1913 : Faites la paix, sinon faites un roi, et la Renaissance de l'orgueil français de M. Étienne Rey. [Retour]

  31. Lettre à Maxime Real del Sarte, publiée ci-dessus in extenso. [Retour]

  32. Le dimanche 11 mai 1924, triomphe électoral du Cartel. [Retour]

  33. Écrivain et journaliste français, né à Bari en 1882, mort en 1936. Compagnon d’armes de Maurras dès les premières années, il tint longtemps la chronique littéraire de l’Action française quotidienne sous le pseudonyme d’Orion. (n.d.é.) [Retour]

Recueil de textes paru en 1927.

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