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Le Chemin de Paradis
La Consolation de Trophime

D'abord qu'en terra noun se pôu…
Théodore Aubanel 1.

C'est cette volupté, cette Vénus, c'est elle…
Anatole France 2.

À RENÉ DE SAINT-PONS.

Aquarelle 8 de Gernez pour l'édition de luxe du Chemin de Paradis en 1927

I

Une grande douleur remplissait Arles, comme Trophime y abordait. Cela avait été sensible du plus loin que s'était annoncée cette ville heureuse, que les matelots du navire où il avait passage acclamaient, en grec marseillais, du surnom de Théline ou mamelle de la contrée. Tout, contre l'ordinaire, y était désolé et sombre. Les façades du port avaient des tentures de deuil, ainsi que les mâts des vaisseaux. On distinguait un long murmure de prières et de soupirs et, quand les voyageurs, en jetant l'ancre, demandèrent ce qui causait telle affliction, on leur répondit du rivage :

« Pouvez-vous l'ignorer ? C'est la belle Myrto qui veut renoncer à la vie 3 ».

Les matelots s'arrêtèrent dans la manœuvre et, le cœur anxieux, le front pâle, ils se hâtèrent de demander si Myrto avait commencé d'accomplir ce triste dessein.

« Pas encore, reprirent les hommes de la ville. Et certes, nos constitutions nous donnent bien le droit de la retenir parmi nous. Non plus que vous, ô Marseillais, les Arlésiens ne peuvent se délivrer honnêtement du poids de la vie, qu'ils n'aient obtenu le congé de leurs citoyens. Mais Myrto sollicite notre consentement. L'affaire doit venir demain matin à l'assemblée.

— Et que proposez-vous de répondre ? demandèrent les Marseillais.

— Vous dites bien. Hélas ! que proposer et à quoi nous résoudre, si elle s'obstine ? Nous ne sommes point si barbares que de lui refuser cet unique bienfait, après qu'elle a été tant d'années notre volupté et celle de nos hôtes, comme vous le savez trop bien. Que la mort lui soit douce, s'il faut qu'elle ait perdu le goût de voir le soleil. Mais comment assister à ses funérailles !

— C'est une dure extrémité ! accordèrent les matelots. »

Et ils se rappelaient le beau corps dont Myrto leur avait été libérale.

Trophime, à ces nouvelles, s'étonnait et s'apitoyait, mais il sentait en lui tous les mouvements de la joie. Il venait d'Ionie, mais il avait passé par Rome, où, après qu'il eût abjuré les erreurs d'Épicure, ses maîtres Pierre et Paul l'avaient ordonné évêque. Ils l'avaient dirigé de là vers les Galates d'Occident et principalement vers les cités du Rhône qui usaient de l'idiome de sa patrie. Il avait vu Marseille, Stomalimne 4 et la Colonie maritime sans grand profit pour le dogme qu'il annonçait. Mais voici qu'en revanche l'entrée d'Arles lui souriait et souriait apparemment à l'Évangile.

« Car, disait-il en rendant grâce, cette femme amoureuse jusqu'au péché et affligée jusqu'à la mort, dont le nom a flotté comme un nuage de parfums au-dessus des eaux et des barques devant que j'eusse pied à terre, cette Myrto m'est la figure de ceux-mêmes 5 que je prétends évangéliser. Si elle désespère, c'est donc qu'elle m'attend. Et comme elle a reçu les impuretés de son peuple, que le grain de Dieu lève en elle, il en sera de même de ses concitoyens. »

Trophime, alors, baisa le sol avec une sainte assurance. Il le bénit de sa droite étendue, pendant que matelots et citoyens s'entretenaient de celle qui désirait descendre avant l'heure dans les enfers.

II

Myrto, riche et bien née, ainsi que Trophime l'apprit dans la nuit qu'il passa, enveloppé de son caban, à écouter la causerie du menu peuple chez un tavernier du faubourg, Myrto avait d'abord étonné les citoyens d'Arles par son inconstance légère et sa facilité. Elle ne savait refuser aux instances de la jeunesse. Une fleur, une larme, le signe du moindre désir la faisait accourir palpitante à la volupté. Elle égalait le plus méchant ouvrier des sépultures aux enfants du patriciat. Elle admettait jusqu'aux barbares venus du nord des Gaules, au grand risque de concevoir de quelque Batave ou Suion.

« Je n'entendrai jamais, disait-elle communément, que les baisers d'un beau jeune homme puissent détourner de goûter de nouvelles délices aux bras d'un autre adolescent qui ait pareilles grâces et même perfection. »

C'est pourquoi ce dicton courut longtemps les places d'Arles que les dieux, qui avaient accordé à Myrto la beauté, lui avaient refusé l'amour.

Méchante, disait-on, qui ne peut s'attacher à l'amant, ni à la patrie !

Ceux qui la connaissaient le mieux protestaient toutefois, dès cette époque, contre une si dure opinion. Ils contaient qu'à la fin de ses nuits haletantes d'étranges fureurs lui venaient. Elle ne pouvait recevoir la lumière du jour nouveau sans fondre en larmes et la même chose avait lieu pour peu qu'elle sentît à vif une caresse. Mais, quoique le plaisir lui tirât de la sorte moins de rire que de soupirs, longtemps elle n'aima que lui.

Arrivés en ce point de la vie de Myrto, les Arlésiens qui discouraient devant Trophime cessaient entièrement d'être d'accord de leur sujet. Ils disputaient, non sans passion, de la nature des liens qui l'avaient unie quelque temps avec un certain Déméas, homme riche, étranger, dont le visage clos et froid n'exprimait que de jalouses mélancolies ; car, s'il n'était point contesté que la belle Myrto eût vécu plusieurs mois près de celui-là et, contre sa coutume, se fût refusée à tout autre pour ne point lui donner d'ombrage, cependant l'avait-elle aimé ? Déméas, tout au moins, n'avait pu le croire et la rigueur de sa maîtresse, l'altière indifférence qu'elle lui témoignait comme de parti pris l'avaient induit à une mort des plus misérables ; il s'était jeté dans le Rhône. Un regard de Myrto, le plus pâle sourire l'eût, sans nul doute, détourné d'une fin si désespérée.

C'était, du moins, ce que Trophime entendait assurer au plus grand nombre des assistants ; cependant plusieurs affirmaient qu'il n'y avait eu là qu'une de ces méprises qui sont fréquentes dans l'amour.

« Déméas, disaient-ils, s'est noyé comme Myrto était absente. Pouvait-elle empêcher une calamité qu'elle ne voyait pas ? Sa froideur n'était point insensibilité, mais sans doute excès de pudeur ou plutôt cette retenue timide, cette crainte qui ordonnent de taire et de dissimuler ce qui nous arrive d'heureux. Il y a des cœurs ainsi faits ; taciturnes dans l'allégresse, farouches devant le bonheur.

« Il n'est pas non plus impossible que Myrto, ignorante de tout ce qui n'était pas la pure volupté, pensât de ménager et de prolonger (comme on le fait dans les baisers) la commune béatitude en différant un peu celle de son amant. Peut-être aussi crut-elle s'acquitter envers quelque destinée vengeresse ; cette douleur que lui causaient les angoisses de Déméas payait peut-être le délice dont elle était baignée dès le seul aspect de cet homme 6

« Mauvais calcul, assurément. Toutefois, elle dut le faire, l'amour étant assez mauvais calculateur. Car, qu'elle eût aimé Déméas, cela apparut bien, lorsque, l'ayant perdu, elle fit retentir de ses cris toutes nos murailles. Vous vous en souvenez. Nous redoutâmes, un moment, que cette voix harmonieuse et pure comme l'or ne pérît déchirée de tant de sanglots. Elle prit la robe des veuves. Sa maison se ferma. Elle n'en sortit plus. Mais on surprit par ses servantes qu'elle vivait uniquement de laitage et de pain durci, ne pouvant se résoudre à recevoir par aucun sens aucune sorte d'agrément.

« Qui fut plus chaste que Myrto à cette période ? Le seul éclat du jour la couvrait de confusion ; mais, quand les nuits étaient sans lune, elle aimait à descendre vers la vigne enroulée au milieu de son jardin clos. Là se trouvait un lit, le témoin des premières ardeurs de Déméas, et il lui était presque doux de s'y rouler en gémissant jusqu'à l'approche du matin. Les servantes prétendent qu'à ce moment son teint avait pâli, mais non point sa beauté, où la tristesse répandait, disaient-elles, un charme plus fort. Des jeunes gens de la noblesse essayèrent de vérifier ces propos et elle ne fit point difficulté de les admettre en sa présence ; mais dès qu'elle parut, le visage voilé et leur tendant ses mains creusées d'une maigreur touchante, leur dessein les couvrit d'une telle honte qu'ils se retirèrent en rougissant. »

Aquarelle 7 de Gernez pour l'édition de luxe du Chemin de Paradis en 1927

Telle était la réponse des Arlésiens les plus favorables à Myrto. Mais il leur était aisément répliqué :

« La pauvre Myrto était folle ; elle pleurait Déméas mort qui, vivant, ne put recueillir un sourire un peu tendre d'elle. Pleurant ainsi la joie nouvelle, la première douceur d'avoir été aimée, qui pleurait-elle au juste de Déméas ou de l'amour ? »

Et d'assister à ces querelles, où chacun s'emportait, ne pouvait manquer de doubler l'intérêt que Trophime avait pris à toute la vie de Myrto.

III

Mais le désaccord disparut et fit place à l'admiration la plus pieuse et au respect quand on vint à examiner la récente métamorphose de cette célèbre beauté. Les dernières torches fumaient dans la taverne. Les tables étaient couvertes de feuilles de roses flétries qui se détachaient du plafond où avaient pendu des guirlandes. Il en pleuvait aussi dans les tasses de bois et d'argent bosselé ; ces tasses écumaient d'un vin blond où les orateurs puisaient à de lentes gorgées le souvenir et l'éloquence.

Ils rappelaient comment le fils d'un jardinier des environs, nourri à la campagne et qui était entré dans Arles plusieurs mois après la réclusion de Myrto, n'avait pu entendre louer ces tendres yeux inconsolables sans concevoir le vif désir de les voir briller une fois et comment le succès vint couronner cette audacieuse espérance. Le jardin de Myrto descendait jusqu'au fleuve, dont il se trouvait défendu par un quai de marbre surmonté d'une forte haie, L'enfant, car il passait à peine sa treizième année, se dépouilla un soir de ses vêtements et seulement muni d'une serpe et de sa flûte à trous, élevé au-dessus de l'onde, se glissa à la nage le long de cet enclos. Un autre eût péri. Mais il put s'accrocher à la saillie du quai et pratiquer une ouverture au travers des buissons piquants d'aubépines et de grenadiers, brèche étroite qu'il ne franchit sans y meurtrir cruellement ses mains, ses pieds et tout son corps. Ah, que lui importait ! Bien qu'une vaste lune éclairât l'horizon et que Myrto n'aimât que l'ombre, elle parut dans le jardin au premier soupir de la flûte. Il en jouait avec une ardeur infinie. Elle ne put le voir, nu et si blanc sur ce gazon où il était assis les jambes écartées, sans éprouver que ses entrailles remuaient encore d'amour. L'enfant saignait de profondes égratignures qui traçaient à ses flancs, ses cuisses, ses genoux et autour de son front comme un noir entrelacs de lierre ou d'hyacinthe si pitoyable 7 et désirable en même temps qu'elle vola vers lui et, n'ayant que lui dire, le prit dans ses bras nus et l'emporta comme une mère.

À cet endroit, Trophime espéra de Myrto qu'elle eût traité cet hôte adolescent comme son fils. Mais le récit des Arlésiens dissipa l'équivoque de sa vaine pensée 8. Au réveil, elle le pria de ne se nommer d'aucun nom, mais de répondre uniquement à celui qu'elle allait lui choisir à jamais et, quand il y eut consenti, elle le salua Éros, qui est le nom même d'Amour.

Et, dès le lendemain, Arles revit Myrto qui promena partout Éros, en expliquant ce nom, la félicité de sa vie. Ses ardentes paroles faisaient sourire un peu et l'on disait malignement :

« Éros signifie bien l'Amour, mais cet enfant ressemble beaucoup mieux à l'Aimé. Le vrai Éros ne serait-il dans Myrto elle-même ? »

Car elle l'accablait des mêmes libéralités et des mêmes caresses qu'elle avait eues de Déméas. Elle lui donnait des festins où tout Arles était réuni ; elle n'y regardait que lui. Fière, d'ailleurs, que les désirs fussent unis sur elle pour les déposer sur les joues brûlantes de l'enfant, il ne lui était même pas déplaisant que des hommes âgés ou que d'imberbes libertins se montrassent troublés des rondes épaules d'Éros. Elle louait leur goût et elle les plaignait, en convenant tout bas que nul trouble n'était plus juste ni aucun désir mieux placé.

« Infortunés ! ajoutait-elle. Vivre sans être aimé d’Éros ! »

Ainsi disant, elle drapait autour de lui, à plis légers et purs, les étoffes de lin qu'elle avait filées et il brillait comme les chefs-d’œuvre des statuaires. Cet éclat enflammait encore ses fureurs, mais en la remplissant d'inquiétudes jalouses presque lisibles sur ses traits 9.

Qui dans Arles n'aurait souri 10 de pareilles appréhensions ? Et qui eût pu se détacher de cette amante magnifique, ivre d'ardeur et de génie ? Quel homme eût été assez fou pour sacrifier à n'importe quelle beauté ce corps plus beau que tout où palpitait un cœur sacré, mûri par des douleurs qui n'avaient rien su y flétrir ? Mais Éros n'était qu'un enfant. Un matin qu'il sortait pour se rendre chez le rhéteur auprès duquel Myrto l'envoyait apprendre les lettres, il vit sur la place une fille du même âge que lui, mince, fragile, telle que les tableaux montrent Psyché. Éros l'embrassa donc et s'informa curieusement du nom qu'elle portait. « Daphné, dit-elle avec rougeur. » Ils se lièrent tendrement et se revirent chaque jour. Le jeune garçon s'échappait du lit embrasé de Myrto pour joindre plus tôt son amie. Ils couraient la main dans la main sur le rivage des étangs, Éros cueillant des fleurs dont il tressait quelque couronne, Daphné craintive et empourprée si, en la couronnant, il mettait un baiser à la pointe de ses cheveux.

Mais à peine se cachaient-ils. Myrto fut avertie. Elle accourut en frémissant. Elle les vit et toutefois ne put pousser contre l'ingrat les malédictions et les cris qu'avait préparés sa douleur ; elle ne put que défaillir au milieu de ses femmes et, lorsque la vie lui revint, la pensée d'arracher un pleur aux yeux d'Éros manqua de la faire mourir. Elle chassa la misérable qui lui proposait des vengeances ; mais elle fit venir le jeune homme et aussi Daphné, à qui elle parla d'un visage calme et riant. Elle donna à celle-ci ses parures, ses voiles, ses suivantes et tout ce qui l'avait servie dans le culte de sa beauté. Éros eut en partage le palais de Myrto, les esclaves mâles, les meubles et le jardin en pente sur le Rhône qui avait formé le seuil de ces prospérités. Myrto ne s'était réservé que le cher lit où ses amants l'avaient pressée l'un après l'autre ; encore le fit-elle transporter dans une cabane éloignée, située à l'autre extrémité de la ville, et qu'elle avait de ses parents.

« Ici, dit-elle, je mourrai, si les Arlésiens le permettent. Mourir seul est digne de moi, qui, n'aimant qu'à aimer, fus deux fois trahie de l'amour. J'ai été tour à tour l'aimée et l'amante et j'ai également souffert. La plus belle des femmes, je n'ai pas réussi à me faire chérir et, la plus passionnée, j'ai mal su témoigner quelle était ma tendresse.

— Paroles bien énigmatiques ? firent là-dessus observer beaucoup d'Arlésiens.

— Aveux très manifestes, disaient les autres, claires preuves que Déméas précéda Éros dans son cœur ! »

Les uns et les autres formaient en silence le vœu que, malgré les projets funestes de Myrto, Éros et Déméas pussent avoir un successeur ; mais, à la vérité, Trophime fut le seul qui, faisant ce souhait, s'osât flatter de l'espérance de le voir accompli.

IV

Il médita tous ces colloques et consacra ce qui lui restait de la nuit à mettre en ordre ses raisons et à préparer les discours qu'il voulait tenir à Myrto. Il était naturellement disert, quoiqu'il sût se taire, et persuasif, mais il enflammait les esprits mieux qu'il ne remuait les cœurs. Ce tour ingénieux de son éloquence l'avait fait désigner pour prêcher dans les Gaules, où tout rhéteur était certain d'être estimé plus que son prix.

Quand le matin parut, il se fit indiquer par un passant cette cabane de Myrto devant laquelle allait délibérer la population de la ville. Sachant l'ombrageux naturel des Arlésiens, Trophime n'eut garde d'y paraître à visage découvert ; mais, comme la campagne jusqu'au bord des étangs était toute semée de bouquets d'arbres et de tombeaux, il se dissimula derrière des abris pour observer sans être vu tous les apprêts de l'assemblée. Lui-même prenait en secret ses dernières dispositions.

Myrto était couchée au seuil de sa demeure, sur les coussins de double pourpre qui recouvraient le lit d'amour. Deux enfants, que Trophime reconnut aisément pour Éros et Daphné, se tenaient devant elle et n'effaçaient point sa beauté, digne de la peinture que la voix commune en faisait. Elle leur partageait ses derniers vêtements, rien ne la voilait plus 11.

« Aucun emblème, aucun discours, disait à voix basse Trophime, ne saurait peindre mieux que cette nudité ta fin, pauvre Myrto, et ta destinée misérable ! »

Il s'en réjouissait, tandis qu'elle congédiait d'un sourire les deux enfants qui retournèrent plusieurs fois leurs visages couverts de larmes en faisant des signes d'adieu.

Lorsque les premiers citoyens commencèrent à se grouper autour de la couche, Trophime estima que c'était le moment d'approcher. Il le fit tout d'abord avec une extrême prudence, roulé dans son manteau qui ne laissait passer que ses yeux et que ses oreilles, se mêlant le plus qu'il pouvait à cette foule arlésienne où l'on n'était guère attentif qu'à serrer de plus près la belle suicide.

La plupart avaient dénoué, une fois au moins dans leur vie, ces tresses odorantes et sensibles comme des fleurs, baisé ce cou doré et pâle où d'heureux gonflements appelaient les désirs, pressé cette poitrine, senti la chaleur de ces flancs. Et, à mieux voir tant de beautés, il devenait trop clair à l'esprit de Trophime, comme de tous les Arlésiens qui étaient là, que la mort n'habitait plus seulement ces belles lèvres et le fond de ce cœur navré ; elle s'était glissée déjà, à la faveur d'une nuit passée dans la fièvre du souffle mauvais des étangs, au secret des magnifiques membres qui palpitaient 12. Ah ! maintenant Myrto pouvait revenir sur ses résolutions ou même la cité lui défendre d'y donner suite ; son front moite, ses mains glacées portaient déjà inscrit un inéluctable destin.

Toute la matinée, Trophime écouta quelles réflexions étaient échangées avant que l'assemblée s'ouvrît. Myrto se taisait, souriante. Le soleil était au midi, quand enfin, l'assistance devenue plus compacte, les magistrats firent former le demi-cercle. Sans doute que la moribonde ignorait alors son état, car tous virent briller dans son accablement une décision obstinée.

Elle promena son regard sur tous les rangs de l'assemblée, heureuse de revoir et de rappeler tant d'amis.

« Chers Arlésiens... dit-elle. »

Mais elle se dressa soudain avec une sorte d'horreur ; son doigt montrait, et tous les yeux en suivirent la direction, le visage étranger auquel personne jusque-là n'avait pris garde. Par un effet de la curiosité qui grandissait en lui de moment en moment, Trophime s'était relâché de ses précautions ; les pans de son manteau lui avaient glissé de l'épaule. Tous les Arlésiens l'entourèrent, et ils s'indignaient avec bruit de la venue de cet impur contre toutes les lois et le droit même des nations au milieu du conseil des hommes. Ils le pressaient de cent menaces, en demandant qui il était, d'où il sortait et ce qu'il venait faire. Myrto les excitait avec des prunelles de feu.

Lui, agile et se débattant, ne s'arrêtait point de parler pour se justifier.

« Chers Arlésiens, reprenait-il après Myrto, ne me causez aucune peine. Je respecte vos lois. À quelle fin les troublerais-je ? Votre assemblée n'est point ouverte, je n'ai donc point commis de faute. L'eussé-je fait, vous ne voudriez peut-être point m'en châtier par égard pour vos intérêts et vos amours, si vous saviez qu'ayant appris le dessein de Myrto je venais lui fournir de puissantes raisons de vivre. Oui, de durer auprès de vous et pour votre bien immortel. »

Comme il était fort laid, cette prétention divertit tout le monde.

« À merveille, étranger, firent-ils avec bonne humeur, tu es le bienvenu, si tu viens nous sauver Myrto.

« Myrto, reprirent-ils, voici le beau sauveur que te mandent les destinées. À vrai dire ce n'est ni Mercure ni Apollon. Mais obtiens qu'il nous dise son nom, sa famille et son rang. »

Là-dessus quelques citoyens le reconnurent pour l'avoir vu débarquer la veille d'un vaisseau marseillais. Et d'autres vinrent assurer qu'il avait passé une nuit de sommeil paisible, la tête dans sa mante, dans une auberge hors des murs.

Mais, prenant sa place au milieu, sans plus se soucier de ces récits que des brocards, et relevant la tête, il commença avec noblesse :

« Je suis Éphésien, hommes d'Arles, d'un sang égal au vôtre, s'il n'est même plus noble, puisque vos temples, votre langue sont venus de notre patrie. Mais ce n'est point de préséances que je disputerai, n'étant rien que le serviteur de ceux qui servirent mon maître. Je m'appelle Trophime et, je vous le redis, je prétends arracher de celle-ci la noire pensée.

Or, ce nom de Trophime, qui veut dire le Nourricier, excitait de nouveaux sourires. Chacun équivoquait sur ce doux nom 13 que l'on trouvait ajusté à cette occurrence comme à la profession de la belle Myrto. Mais Trophime approcha du lit, où elle s'était recouchée.

Là, il s'agenouilla et lui prit les deux mains, murmurant d'une voix singulièrement adoucie :

« Ma sœur Myrto, je te salue... »

Et, comme elle ne répondait que d'un souffle d'indifférence, il poursuivit dans le langage caressant, volubile et aisément obscur où excelle l'homme d'Asie :

« Vive souffrance, cher amour, je te salue, Myrto, dans la misère où t'a réduite le flot prompt des félicités. D'abord, plus que personne tu désiras l'amour. Hélas ! tu le cherchas sur les lèvres de tous les hommes et, après les plaisirs, les larmes t'inondaient (on me l'a dit) chaque matin, car le dieu désiré ne couronnait point ta fatigue de ses uniques voluptés.

« À la première fois qu'il sembla levé dans ton cœur, la pudeur te saisit, tu es restée toute muette, et aussi redoutant de tout perdre avec un aveu. Telle fut ta souffrance près du malheureux Déméas. Enfin, t'étant donnée (mais avec quel emportement !) au jeune âge d'Éros, voici que le veuvage t'a surprise presque aussitôt. Tu restes seule et foudroyée ! Pauvre Myrto, rien de plus juste, aucune fleur ne dure et comment 14 ce qui doit mourir saurait-il persister dans sa forme heureuse ? »

En disant ces paroles, Trophime avait baissé sur elle son regard brun et doux. Elle y sentit son cœur à nu. Mais elle éclata en sanglots, quand il se mit à proclamer l'horreur de la mort solitaire après le vide et la vanité de la vie. Il est vrai que les Arlésiens, irrités, levaient leurs bâtons.

« Méchant fou, criaient-ils, respecte l'amour ; tu l'insultes ! respecte celle qui s'endort devant les autels de ce dieu. Elle a paré nos murs, nos festins, nos nuits immortelles. Elle a figuré le printemps. Ses beaux yeux marcheront devant nous aux îles Heureuses. Tais-toi ! Tu n'es ici qu'un étranger qui injurie ses hôtes, et ton mensonge est manifeste si tu dis que notre Myrto meurt seule et délaissée ou que sa belle vie n'a été d'aucun fruit ; car nous sommes ici et nous t'apprendrons le silence. »

Trophime faisait face à ce tumulte :

« C'est vous et non pas moi, hommes d'Arles, qui vous tairez. Car voyez cette femme, l'ardeur de sa fièvre ! Elle restera seule, tant qu'Éros ou que Déméas ne lui seront pas revenus, l'un de la terre où il sommeille, l'autre des yeux de sa Daphné ; car telles sont les deux fausses images qu'elle s'est formées de l'Amour. Sa vie, si je l'ai bien comprise, fut tramée des folies qui naquirent de son erreur. »

À ces paroles, un jeune homme fendit la presse et, se rangeant près de Myrto comme Trophime l'avait fait, mais de l'autre côté du lit :

« Ô discoureur, dit-il, l'erreur, les folies dont tu parles, je ne les vois qu'en toi. »

C'était un rhéteur du pays, nommé Philétas, dont on estimait les leçons. Les Arlésiens firent silence. Il poursuivit :

« Fol ou sophiste, je te laisse à choisir, si tu n'es qu'un simple ignorant. Car la vie de Myrto est le type de la sagesse. Aucun sage, d'aucune secte, n'a su gravir mieux qu'elle les divers degrés de l'Amour.

« Considère, étranger, ses commencements que tu blâmes ou que tu pleures, on ne le sait 15. Éprise des beaux corps, elle se pénétra de leur harmonie et de leurs vertus ; et ce ne fut qu'après en avoir recueilli une expérience parfaite et s'être accomplie de ce chef qu'elle osa accéder à ce tendre et jaloux désir de la préférence d'un cœur. Elle s'y éleva, non sans crainte. Par là, elle toucha à la Vénus céleste et un événement qui lui ravit beaucoup de pleurs l'y introduisit tout à fait ; du deuil de Déméas elle apprit la douceur d'aimer sans espérer d'autres plaisirs que ceux qui découlent des larmes. Aimer est tout, paye de tout. C'est une volupté qui est pure de peine. Éros, à qui Myrto est venue ensuite sourire, peut lui-même sourire maintenant à toutes les femmes. Elle s'est dépouillée en lui jusque du désir de la vie, et c'est la dernière tunique dont se vête notre néant. Tu devrais admirer comme Myrto couronne noblement le triomphe du magnanime Amour qui distribue tout ce qu'il est, sa chair, sa vie, à ce qu'il aime. Elle est montée au plus haut point où les hommes puissent venir ; tu ne l'en feras point redescendre 16. »

Myrto jeta sur Philétas un regard enflammé de grâces. Elle lui savait gré d'orner ainsi sa dernière heure. Mais pourquoi n'avait-elle retenu ses flancs de frémir quand le rhéteur avait redit les syllabes du nom d'Éros ? Puis, les nobles images que Philétas lui déroulait amenaient sur ses joues un sourire singulier, mais dont Trophime avait pénétré l'amertume, car, prenant de nouveau les mains languissantes, il les serra passionnément.

Si Myrto avait accepté quelques-unes des louanges de Philétas, les plus petits lambeaux de ce voile d'orgueil furent aussitôt arrachés :

« Avoue, avoue, criait ce frénétique 17, avoue que tu souffris sans cesse, et ta fausse sérénité ! Monter ! Descendre ! les vains mots ! Certes, tu as gravi les élévations de l'Amour, mais tu as dû rouler sur toutes les pentes douloureuses qui en retombent 18. Qu'est-ce que ces hauteurs toujours humiliées ? ces amours toujours détrompées ? Ah ! si tu t'es grandie par des abandons magnanimes, avoue, Myrto, que tu n'en recueilles 19 point de plaisir. Je le sais, tu meurs de douleur ! Va, ne me réponds pas ; je te devine inconsolable ! »

Les sanglots de Myrto interdirent à Philétas comme aux autres de répliquer.

Et Trophime reprit :

« Ce rhéteur, il est vrai, ne s'est pas trompé de tous points, lorsqu'il me montrait l'ascension dialectique de ton âme. Ton âme est généreuse, et rien de médiocre ne la sut jamais retenir. Mais c'est pourquoi je viens, Myrto, te révéler ici une chose qui passe tout. C'est la Vérité, mon amie, et elle est belle et douce. Mais il serait trop long de t'en faire voir le détail. Je t'annonce mon dieu, sans développer sa grandeur ni l'abaissement de son fils. Et du reste, ce dieu ne t'est pas inconnu ; tu n'as prié que lui entre tant de divinités, et c'est lui que tu blasphémais en imposant son nom à un pauvre enfant qui mourra : connais, ô sœur ! ô fille ! l'objet, l'essence de l'Amour...

« Aucun homme et aucune femme n'ont saisi l'Amour en ce monde. Pas même toi, beauté parfaite ; passion pure, pas même toi ! Nul ne l'a vu réalisé. Quelques-uns ont tenté devant son absence éternelle de douter qu'il fût nulle part ; mais ceux-là tombent desséchés avant même qu'ils aient mûri. Les chrétiens, mes frères, ont pu éviter ce malheur. Ils ont imaginé et ils sont convenus d'admettre que l'Amour est réellement ; mais, d'un grand sens, ils l'ont banni de tout regard, de toute prise, plus loin que les neuf cieux qui s'enroulent autour de nous. Là, vit cet amour éternel. Et comment serait-il ailleurs ? Comment les pauvres toits de la maison de vie contiendraient-ils sa volupté ? De cela, ô Myrto ! il faut que tu te persuades, la vie heureuse est à ce prix.

« Laisse les choses, elles mentent et tu l'as assez éprouvé. Laisse les hommes qui ne sont que les ombres de ton amour. Renonce aux souvenirs, s'ils peuvent te lier encore. N'aspire même plus à te reposer dans le sol. Sacrifie ces néants à l'amour unique, et cours à lui ! Que tous tes moments te rapprochent de cet astre impossible à voir. Quel il est, cela t'est facile à découvrir ; peins-le, chère Myrto, des plus beaux traits qu'imagineront tes vertus. Tu me demanderas si je suis assuré qu'il soit ; qu'il soit ou ne soit pas, la frivole question, s'il t'arrive par sa pensée d'accroître ta joie d'heure en heure et d'être en lui au moins à celle où tu seras près d'expirer ! Ma Myrto, représente-toi ce qu'eût été ta vie si, au lieu de poser sur tous les hommes d'Arles, puis sur les deux cœurs qui te trompèrent également, elle était accourue droit à lui depuis son matin ! »

Il parlait et Myrto l'entendait merveilleusement. Déliée de toutes les choses, nue qu'elle était et seule au point de vivre ou de mourir, elle concevait bien quel admirable amour nouveau, nourri uniquement des arômes de l'espérance, allait jaillir des rêveries que Trophime développait. Heureux disciples de cet homme ! Rien ne ralentirait ni ne décevrait leur désir. Vierges, l'aile de feu les emporterait à l'Amour, sans qu'ils dussent jamais être interrompus de ce vol.

Myrto se souleva, regarda le ciel d'Arles et les hommes de son pays ; puis, elle reporta du côté de Trophime de beaux yeux noirs baignés de toutes les ondes du ciel, en le considérant avec une grâce divine. Elle voulut balbutier des paroles de joie. Mais tant d'émotions lui venaient qu'elle en fut toute lasse et se renversa 20 sur le lit.

Là, à la vérité, d'autres songes la rejoignirent et tout le passé renaquit. Elle compta les dures persécutions souffertes, elle rappela les embûches autrefois tendues à son cœur. Son regard s'obscurcit. Les discours de Trophime, qui se continuaient, devinrent si lointains qu'ils lui semblaient des souvenirs. La musique d'Éros ne sonnait-elle pas de la sorte dans le jardin ? Et les baisers de Déméas ? Plus suaves encore, les promesses de l'Éphésien ! Mais peut-être aussi plus menteuses 21. Une épaisse nuit la couvrit, et elle vit distinctement au plus noir de cette ombre les dieux malins tisser contre elle une dernière tromperie qu'ils dévoileraient chez les morts. Trophime lui parut leur ministre artificieux. Eh ! ne lui parlait-il, sous couleur de vie éternelle, d'un troisième amour ?

Ce mot d'Amour, l'Éphésien l'avait sans cesse sur la langue. Et, chaque fois qu'il le disait, elle sentait son cœur battre plus mollement. Un tel cœur pouvait-il l'emporter désormais au-devant d'une erreur nouvelle ? Comme ses forces fléchissaient ! Myrto ne sentait plus celle d'être abusée. Son être retournait aux réalités infinies. Son œil ne fixait plus que les véridiques ténèbres, qui portent le poids des enfers. Que Trophime n'était-il né quelques années plus tôt ! Peut-être alors eût-elle couru pleine d'amour au service du nouveau dieu !... Et les pleurs 22 la noyaient à l'image de sa jeunesse.

En vain, Trophime (il entendait toutes les pensées de Myrto) redoublait-il son éloquence. Il opposait l'amour divin au fugace baiser de l'homme, multipliait aussi les preuves qu'elle ne perdait rien à tout espérer et même offrait enfin la céleste béatitude comme un couronnement des délectations de la terre, inventé pour les moribonds... Tout échoua. Les âmes véhémentes ont de ces faiblesses inopinées 23. Myrto brisée ne put que murmurer avec une grave lenteur :

« Combien tu es ingénieux, homme d'Éphèse ! »

Et de sombres yeux le fixaient pleins d'admiration. Mais elle retirait en même temps ses mains qu'il avait tenues jusque-là demi-pendantes dans les siennes ; puis, sans le quitter du regard, elle laissa couler sur lui le même clair sourire dont elle avait glacé la sagesse de Philétas.

Myrto sourit ainsi jusqu'au moment de rendre l'âme.

Alors l'évangéliste se frappa la poitrine, poussa des cris et des soupirs.

« Encore une âme, hélas ! encore une, en dehors de notre divine cité 24 ! »

Les Arlésiens pleuraient leur merveille à jamais enfouie. Mais ils se dispersèrent après qu'ils eurent assommé le malheureux Trophime qui, disaient-ils, l'avait par trois fois mérité, ayant interrompu une assemblée du peuple, agité les derniers moments de la plus belle de leurs femmes et n'ayant pas 25 tenu sa parole de la sauver.

Ils s'en allaient en admirant la fin de Myrto pour cette constance héroïque à assurer l'extinction de ses moindres désirs avant de s'éteindre elle-même et ils la comparaient à ces grands capitaines qui ne faisaient retraite qu'après le dernier des soldats. Quelques citoyens, il est vrai, moins soucieux de l'attitude, se demandaient entre eux s'il n'eût pas été plus sensé ou plus fortuné d'avoir une mort moins amère.

« Eût-il été moins beau, objectaient ces esprits voluptueux et fins, qu'elle se résignât à embellir ce pas suprême ?... Mais la vérité est qu'elle en a formé le souhait. Elle n'a pu le satisfaire. Il y fallait des forces qu'elle avait toutes dépensées. La nouveauté de l'âme, la fraîcheur du désir, voilà ce que Myrto avait dissipé sans retour ! Nous l'avons assez vu par le désespoir 26 de ses yeux… »

Ceux qui parlaient ainsi avaient bien soupçonné le sens des consolations de Trophime et, encore qu'ils n'eussent osé le soutenir contre les assauts du vulgaire, n'étant même point néophytes et encore mal préparés à souffrir avec joie pour les rêves d'un étranger, ils se plaisaient à méditer sur ce qu'il avait dit de mollement ingénieux et passionné. Aussi leurs pas tournaient d'eux-mêmes vers le lit de Myrto, au bord duquel gisait, couvert de plaies, l'Éphésien. Mais ils n'eussent point approché si Philétas, qui était demeuré assis sur la terre entre ce mort et cette morte, ne leur en eût fait signe, non sans leur crier du plus loin qu'il avait un trait de lumière ; à partir de ce jour, il saurait transformer 27 son enseignement.

Notes

A. — C'est Valère Maxime (1, 6) 28 qui nous apprend que, dans la grecque Marseille, les citoyens lassés de vivre devaient soumettre les raisons qu'ils avaient de se faire périr au Sénat de la République, auquel la constitution réservait le droit d'accorder ou de refuser le congé de la vie 29.

B. — La biographie de Trophime est sujette à des discussions. Raban Maur, évêque de Mayence, veut que Trophime fût venu de Judée dans les Gaules avec Lazare et Maximin. Saint Adon, de Limoges, de qui le siècle et la patrie sont plus rapprochés de Trophime, fait de lui un gentil qui naquit à Ephèse. Saint Paul parle, dans une Épître, de la maladie d'un Trophime. On chante au Propre de l'Église d'Arles :

Arelatensi populo
Petro jubente apostolo
Christi predicat gratiam,
Calcat idololatriam...

Ces diversités et bien d'autres, que les récents travaux de M. l'abbé Duchêne ont accrues, me donnaient le champ libre pour la composition du personnage de Trophime.

C. — Myrto meurt sans pouvoir goûter de consolation pour avoir trop connu la vie et s'être vieillie avant l'heure. Telle est bien la morale du mythe. Mais on en pourrait montrer différentes applications. Le dénouement fait voir en particulier une des raisons pour lesquelles nos pères avaient pris les mots de « mécréant » et de « libertin » dans une acception dédaigneuse. Ils voyaient, en effet, que l'impossibilité de croire n'est souvent que le fait d'un esprit fatigué. Beaucoup de nos sceptiques ne le sont que par lassitude. Ils n'ont plus d'imagination. Ce scepticisme est si peu intellectuel, qu'il n'aurait pas de quoi former la substance de la plus petite hérésie. Simple phénomène de dégénérescence plus ou moins due à la vieillesse de notre temps. L'âme moderne, si l'on peut user de ces termes, s'y arrête et s'y éteint comme ici Myrto.

Charles Maurras
  1. Aubanel, Li Fiho d'Avignoun, La Venus d'Avignoun.

    Les notes sont imputables aux éditeurs. [Retour]

  2. France, Les Noces corinthiennes, La Prise de voile. [Retour]

  3. Notre texte est celui revu par Maurras en 1921. Dans le texte de 1895, la réponse des Arlésiens commence par : « Eh quoi ? » [Retour]

  4. Ce toponyme désignait déjà un endroit dans les environs du camp achéen de la Troie des poèmes homériques, il signale la proximité d'une lagune salée et l'accès qu'on y a de la mer. Il y eut diverses Stomalimné — littéralement : bouche du rivage — dans l'antiquité, et spécialement une dont les modestes ruines étaient évidemment connues de Maurras, sur le littoral entre Port-de-Bouc et Fos-sur-Mer. C'était une étape sur la route antique de Marseille à Arles. [Retour]

  5. En 1895 : « de celle-même ». [Retour]

  6. En 1895 : « Peut-être aussi crut-elle s'acquitter envers quelque destinée vengeresse par la douleur que lui causaient les angoisses de Déméas du délice infini dont elle était baignée dès le seul aspect de cet homme... » [Retour]

  7. En 1895 : « …sans éprouver que ses entrailles remuaient encore d'amour, d'autant qu'il était tout saignant de profondes égratignures qui traçaient à ses flancs, ses cuisses, ses genoux et autour de son front comme un noir entrelacs de lierre ou d'hyacinthe ; si pitoyable… » [Retour]

  8. Ici, l'édition de 1895 donne plusieurs phrases qui seront purement et simplement supprimées en 1921. Les voici : « Il apprit que Myrto, après avoir lavé les blessures de divers baumes, les couvrait de baisers plus doux que ces baumes d'huile et de miel. Des questions artificieuses ayant fait apparaître que le convive inopiné ignorait encore Vénus, elle ne se tint pas de l'attirer contre son sein où s'élevaient des flammes ni de lui révéler quelles tendresses échangées, quel grave baiser, quelle étreinte sont le secret couronnement de toute virile beauté ; et, l'enfant enivré et brisé de l'embrassement, elle ne put fermer les yeux qu'elle ne l'eût comblé encore. » [Retour]

  9. En 1895 : « …d'inquiétudes si vives qu'elles devenaient aisément lisibles sur ses traits. » [Retour]

  10. En 1895 : « Mais qui dans Arles n'eût souri... » [Retour]

  11. En 1895 : « …et rien ne voilait plus son corps. » [Retour]

  12. En 1895 : « …la fièvre au souffle mauvais des étangs, tout le long de ces membres magnifiques qui palpitaient. » [Retour]

  13. En 1895 : « ce beau nom » [Retour]

  14. En 1895 : « …rien de plus juste, car comment… » [Retour]

  15. En 1895 : « l'on ne sait. » [Retour]

  16. En 1895 : « descendre. » [Retour]

  17. En 1895 : « criait le frénétique homme d'Asie ». [Retour]

  18. En 1895 : « qui en descendent. » [Retour]

  19. En 1895 : « tu n'en eus ». [Retour]

  20. En 1895 : « se rabattit » [Retour]

  21. En 1895 : « Plus menteuses peut-être. » [Retour]

  22. En 1895 : « Et des pleurs » [Retour]

  23. En 1895 : « faiblesses subites, inopinées. » [Retour]

  24. En 1895 : « la divine cité » [Retour]

  25. En 1895 : « n'ayant même pas… » [Retour]

  26. En 1895 : « dans le désespoir… » [Retour]

  27. En 1895 : « … non sans leur crier du plus loin qu'à partir de ce jour il allait transformer… » [Retour]

  28. En 1895 : « (2, 6) ». C'est d'ailleurs l'édition de 1895 qui a raison : le chapitre 6 du texte de Valère Maxime qui traite des mœurs étrangères, notamment celles des Marseillais, appartient bien au tome 2. [Retour]

  29. En 1895 : « … de refuser ce parti de la mort volontaire. » [Retour]

Conte paru dans le recueil Le Chemin de Paradis en 1895, modifié dans l'édition de 1921.

Les illustrations sont reprises de l’édition de luxe du Chemin de Paradis en 1927, ornée d’aquarelles de Gernez.

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