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13 juillet 1926
La Politique

I. Sur le dictateur espagnol

J'ai eu le plaisir d'entrevoir, dans la soirée d'hier, les deux manifestations qui attendaient M. Primo de Rivera 1, premier ministre du roi Alphonse, à la gare d'Orsay. Les acclamations des Français hommes d'ordre et des Espagnols loyaux étaient si fortes et si vives que M. Morain dut avouer qu'il n'avait jamais vu d'homme d'État étranger si bien accueilli dans Paris.

Quant aux malédictions, c'était peu de choses. J'avais lu avant-hier les affiches Rouges du parti de même couleur. Elles ne disaient rien de net et intéressaient peu. Sans parler des Espagnols qui doivent au « Dictateur » les bienfaits de l'ordre et de la paix, quel Français réfléchi peut élever un grief contre lui ? Nous lui savons gré de sa collaboration efficace contre nos ennemis du Riff. Il nous est reconnaissant d'un concours de même nature. Lui bouder ne signifierait absolument rien, ne correspondrait absolument à rien. Le jour viendra sans doute où l'observation politique pourra s'emparer, pour l'histoire et pour la chronique, de l'utile aventure de M. Primo de Rivera. Quelques leçons en seront tirées. On fera voir comment dans une monarchie un peu fléchissante, mais qui n'a point laissé se créer d'irréparables séparations de classes, un homme du monde, doublé, dit-on, d'un homme d'affaire et de plaisir, a pu conduire une entreprise fort complexe dans le sens du relèvement et de la réorganisation du pays.

Mais un pareil succès supposait le succès préalable du grand Canovas del Castillo 2, de l'illustre restaurateur d'Alphonse XII qui, lui, ayant dû commencer par le commencement, s'était tout d'abord fait connaître comme professeur à l'Athénée de Madrid… C'est dans les temps tranquilles, comme ceux où vivait Molière, que les hommes de qualité savent tout sans l'avoir appris. Tempora si fuerint nubila 3, lorsque les eaux ont été brouillées, il faut bien s'adresser à des pilotes qui sachent le nom et l'emplacement des écueils.

Venu en des temps relativement calmes, cinquante ans juste après Canovas, Primo de Rivera a pu se donner le grand luxe de réprimer l'intellectualisme révolutionnaire et rappeler à l'ordre les académiciens brouillons de l'Athénée. Il ajoute à l'ordre de l'ordre, et il a bien raison. Que n'avons-nous son pareil en France ! C'est le cri général. Hélas ! Pas de Primo sans Alphonse XIII. Le cri contraire n'est poussé que par une poignée de perturbateurs assez mous. Je les ai vu onduler fort gauchement sous les charges de la police. Les jeunes amis qui m'accompagnaient soulignaient en riant le maigre entrain de l'anarchie. Il n'y a d'entrain à Paris que pour la cause de la Patrie, de l'ordre et du Roi. Quant au coup de couteau qui a éraflé la main d'un agent, on peut dire qu'il n'était, de toute certitude, ni parisien ni français.

II. La mosquée

Quelques rues du centre de Paris sont égayées par de très belles robes de nos visiteurs marocains. Il y en a de vertes, il y en a de roses, il y en a de toutes les nuances. Certains de ces majestueux enfants du désert apparaîtraient « vêtus de probité candide et de lin blanc » si leur visage basané et presque noir ne faisait songer au barbouillage infernal. Que leurs consciences soient couleurs de robe ou couleur de peau, leurs costumes restent enviables : notre ami Eugène Marsan m'est témoin que le plus négligent des hommes serait capable des frais de toilette qui aboutiraient à ces magnifiques cappa magna, à ces manteaux brodés de lune et de soleil. Notre garde républicaine elle-même, si bien casquée, guêtrée et culottée soit-elle, cède, il me semble, à la splendeur diaprée de nos hôtes orientaux.

Toute cette couleur dûment reconnue, il n'est pas moins vrai que nous sommes probablement en train de faire une grosse sottise. Cette mosquée en plein Paris ne me dit rien de bon. Il n'y a peut-être pas de réveil de l'Islam, auquel cas tout ce que je dis ne tient pas et tout ce que l'on fait se trouve aussi être la plus vaine des choses. Mais, s'il y a un réveil de l'Islam, et je ne crois pas que l'on en puisse douter, un trophée de cette foi coranique sur cette colline Sainte-Geneviève où enseignèrent tous les plus grands docteurs de la chrétienté anti-islamique représente plus qu'une offense à notre passé : une menace pour notre avenir. On pouvait accorder à l'Islam, chez lui, toutes les garanties et tous les respects. Bonaparte pouvait se déchausser dans la mosquée, et le maréchal Lyautey user des plus éloquentes figures pour affirmer la fraternité de tous les croyants : c'étaient choses lointaines, affaires d'Afrique ou d'Asie. Mais en France, chez les Protecteurs et chez les Vainqueurs, du simple point de vue politique, la construction officielle de la mosquée et surtout son inauguration en grande pompe républicaine, exprime quelque chose qui ressemble à une pénétration de notre pays et à sa prise de possession par nos sujets ou nos protégés. Ceux-ci la tiendront immanquablement pour un obscur aveu de faiblesse. Quelqu'un me disait hier : — Qui colonise désormais ? Qui est colonisé ? Eux ou nous ?

J'aperçois, de-ci de-là, tel sourire supérieur. J'entends, je lis telles déclarations sur l'égalité des cultes et des races. On sera sage de ne pas les laisser propager trop loin d'ici par des haut-parleurs trop puissants. Le conquérant trop attentif à la foi du conquis est un conquérant qui ne dure guère.

Nous venons de transgresser les justes bornes de la tolérance, du respect et de l'amitié. Nous venons de commettre le crime d'excès. Fasse le ciel que nous n'ayons pas à le payer avant peu et que les nobles races auxquelles nous avons dû un concours si précieux 4 ne soient jamais grisées par leur sentiment de notre faiblesse.

III. La campagne d'Alsace

C'est aujourd'hui le seizième jour de prison de notre ami François Girard (de Mulhouse). Son nom est inscrit au tableau d'honneur de l'Action française que l'on trouve en troisième page. Il me semble équitable de l'associer, lui et son compagnon de chaînes Georges Acker qui a fait si jours de prévention, aux dignes et fiers sentiments que fera naître dans le cœur de tout ami d'Action française la lecture d'un article que je viens de lire.

Je trouve cet article dans un hebdomadaire républicain patriote, La Nation, organe du groupe Marin. On y juge en ces termes notre manifestation de Strasbourg et son influence sur les menées autonomistes au sein de l'Union républicaine populaire d'Alsace :

Une élection au Conseil général du Haut-Rhin amena une cuisante défaite du candidat de l'U.P.R. qui vit le mandat échoir à un indépendant ayant fait sa campagne électorale sur le terrain anti-autonomiste.

Puis, l'autre jour, l'Action française organisait à Strasbourg une manifestation d'une ampleur extraordinaire et à laquelle assistèrent des milliers de catholiques alsaciens que le manque de franchise nationale de certains chefs de l'U.P.R. et l'attitude inexplicable des journaux de ce parti avaient poussés dans les rangs royalistes.

Plus encore que l'élection de Masevaux, l'intervention des royalistes – disons au moment psychologique – retint l'U.P.R. de rouler dans l'abîme autonomiste. C'est seulement plus tard qu'apparaîtra toute la signification et que se révélera l'immense portée de l'entrée en scène de l'élément royaliste pour l'idée française en Alsace.

Ainsi parle d'une manière qui honore son impartialité dont nous le félicitons, ainsi parle un journal républicain de « l'immense portée de l'entrée en scène de l'élément royaliste » « pour l'idée française en Alsace ». Malgré le silence des journaux quotidiens de Paris, telle est d'ailleurs l'impression unanime là-bas. Cette unanimité a pu surprendre et même scandaliser certains esprits. Quelqu'un s'est même demandé comment tel journal alsacien, centraliste à outrance et subventionné par le gouvernement républicain, a pu rendre à la vérité des hommages aussi éclatants. C'est d'abord que le coup porté par nos amis était imprévu. C'est ensuite que, l'incendie menaçant, on s'est rué aux pompes, fussent-elles ornées de fleurs de lys. Est-ce qu'à Paris un socialiste que nous n'avons jamais ménagé, Georges Weill, n'a pas avoué à M. Roger Deleplanque, du Petit Bleu, que « le parti royaliste français » rallie « dans une proportion considérable » les éléments que le séparatisme, même masqué d'autonomie, épouvante ? Est-ce que la socialiste Freie Press, qui avait commencé par nous accabler d'ironies, n'a pas écrit à peu près :

Quelque chose est changé. La cause est à chercher dans le fait que l'organisme qui, jusqu'à présent, n'avait que peu de partisans, en a gagné subitement beaucoup et au détriment des cléricaux. Voyez dimanche passé, le grand nombre d'auditeurs. C'est la preuve. Une exemplaire organisation et une réclame monstre y ont contribué pour une grande part et même, tout cela mis de côté, il en restait assez pour permettre aux royalistes de proclamer leur première réunion un succès complet.

… L'A. F. en a gagné, l'aile nationaliste a passé au drapeau de Daudet . Il est vrai que la persécution répugnante a dégoûté pas mal de gens de la République — mais l'idée française n'a pas été tuée.

Les joyeux héritiers sont les Camelots du Roy (aujourd'hui du moins).

Aujourd'hui et demain. Comme l'a bien vu de Paris notre confrère La Nation, un succès comme celui de Strasbourg est fait pour s'étendre et grandir. voilà pourquoi il faut reporter, en grande partie, l'honneur de ce succès à ceux qui ont su se battre et souffrir pour le décrocher. Georges Acker et François Girard ont été de ces Ligueurs qui, selon le rapport de La Libre Lorraine ont valeureusement « dispersé la police ». L'avenir est aux hommes qui savent oser et risquer.

IV. La propagande générale

Mais de tels résultats ne sont pas isolés. Il y avait Strasbourg le 27 juin. Il y a eu Nîmes le 11 juillet. Et cette réunion de Nîmes peut aussi doit aussi avoir dans tout le Midi royaliste et nationaliste des conséquences d'une incalculable portée. Cela est si nécessaire que Nîmes reçoit de la presse parisienne le même honorable traitement que Strasbourg. Nîmes est passée sous silence avec la complicité des agences : notre agence Havas, qui monte en épingle une insignifiante bousculade en gare de Montpellier, une non moins insignifiante réunion communiste, s'est gardé de dire un mot de l'afflux de près de quarante mille royalistes, sous la présidence de M. de Bernis, dans la ville de Reboul et d'Alphonse Daudet. Nous attachons le prix qu'il faut à ces aveux silencieux. Mais nous ne pouvons dissimuler le dommage provisoire qui en découle. Le mouvement irait plus vite si un journal d'information (celui que nous a saboté cette basse canaille de Gressent-Valois 5) était aujourd'hui à notre disposition pour rétablir ces humbles vérités de fait sur de pareils événements.

Les choses se passeraient autrement si nous avions le moyen de donner toute l'extension, toute la publicité nécessaire à notre campagne contre les monopoles d'État. Car aucun des journaux soutenus par la haute industrie et le haut commerce ne fait de propagande à cet affermage des monopoles qui, seul, sauverait les classes moyennes, qui, seul, sauverait la France et le Franc… Ce silence est bien remarquable. Il montre quels intérêts particuliers sont défendus sous le vocable de l'intérêt général. Nous sommes seuls avec La Croix pour agir en ce sens.

Des hommes de grande valeur et profondément respectables nous disent : faites une pétition.

Nous savons trop le sort des pétitions en République. Qu'est-il sorti de l'admirable pétition Prache contre la Franc-Maçonnerie ? À défaut d'une grande presse libre, d'un grand quotidien contrôlé par l'Action française, il faudrait une campagne d'affiches. Une campagne d'affiches qui dirait aux contribuables :

— Si vous êtes écrasés d'impôts,

Si les emprunts extérieurs vont ajouter encore au poids de ces impôts,

C'est parce que le parlement de la République refuse d'aliéner les riches monopoles d'État,

C'est parce que le Parlement de la République ne veut rien retrancher à la nourriture de quelques grands électeurs.

Seulement, le papier d'affiche comme le papier de journal est cher, les campagnes politiques sont chères : ce n'est pas nous qui pouvons être favorisés par l'égoïste ploutocratie !

Il nous faudrait au bas mot deux cent mille francs, pour poursuivre immédiatement notre avantage en Alsace.

Nous ne les avons pas.

Il nous faudrait trois cent mille francs pour étendre, renouveler, intensifier notre campagne de propagande générale. Nous ne les avons pas non plus. Nous les demandons à nos lecteurs, ligueurs et amis.

En avant des difficultés sociales qui menacent de toutes parts, que ceux de nos amis qui sentent la nécessité d'affermir, d'exploiter et d'utiliser les grands succès obtenus se hâtent de venir au secours de notre espérance. Isolément, ou par groupes, qu'ils nous adressent, le plus tôt possible, l'indispensable nerf de la guerre. Il serait trop mortifiant d'être ainsi arrêté dans le plein essor d'un progrès si puissant.

Charles Maurras
  1. Miguel Primo de Rivera y Orbaneja, général et homme politique espagnol. Il dirige le pays de 1923 à 1930, formant un régime autoritaire fondé sur l'ordre et le progrès social. Le faible Alphonse XIII ne l'accepte que sans enthousiasme, mais Primo de Rivera bénéficie d'un appui populaire certain, le régime précédent n'ayant pu venir à bout des insurgés du Riff. Malade, confronté à une agitation croissante de la gauche et des régionalistes, mal soutenu par certains milieux de droite, il se retire puis s'exile à Paris en 1930, où il meurt rapidement. C'est son fils José Antonio Primo de Rivera qui fondera la Phalange en 1933.

    Les notes sont imputables aux éditeurs. [Retour]

  2. Écrivain et homme d'État espagnol (1828–1897) conseiller et ministre d'Alphonse XII dont il prépara activement le retour au pouvoir après la révolution de 1868. Il fut assassiné par un anarchiste en 1897. Voir notre édition de l'Allocution pour la réception de Charles Benoist à l'Institut d'Action française (1929, parue en 1930). [Retour]

  3. Ovide, Tristes, I, 9 :

    Donec eris felix, multos numerabis amicos
    Tempora si fuerint nubila, solus eris

    soit : « tant que tu seras heureux, tu compteras beaucoup d'amis, si le ciel se couvre de nuages, tu seras seul. » [Retour]

  4. Durant la Grande Guerre. [Retour]

  5. On sait que Georges Valois, de son vrai nom Alfred-Georges Gressent (1878–1945) a eu un parcours chaotique qui l'a fait osciller entre les radicalités de gauche et de droite, y compris pendant longtemps l'Action française, dont il s'écarta en 1925 pour fonder son propre mouvement d'inspiration fasciste, le Faisceau et son propre journal Le Nouveau Siècle, cela avec l'appui du richissime parfumeur François Coty et de Jean Hennessy, des cognacs du même nom. Maurras considéra cette trahison avec un dépit sévère dont témoignent quantité de textes ou d'allusions.

    Habile marketeur comme on ne disait pas encore, viscéralement anti-communiste, Coty, de son vrai nom corse Joseph Marie François Spoturno, soutiendra les Croix de feu, rachètera plusieurs journaux dont Le Figaro, financera quantité d'initiatives politiques, sociales et propagandistes plus ou moins heureuses qui le laisseront presque ruiné après avoir été considéré comme l'un des hommes les plus riches d'Europe. Personnage énigmatique pour ses contemporains, Maurras le surnommait « le ploutocrate » ; Léon Daudet le décrivait un « crétin juché sur un monceau d'or », et l'avait accusé de « vendre la France à l'Amérique pour une poignée de dollars ».

    Quant au journal de Valois, il périclita en 1928. [Retour]

Ce texte a paru dans L'Action française du 13 juillet 1926.

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