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Les Conditions de la victoire — I

Erreurs qui affaiblissent

6 août 1914

Nous sommes décidés à n'opposer d'objection à aucune idée capable de créer de la force. Si, comme l'assure un grand journal républicain qui, du reste, s'excuse de « dogmatiser dans l'hypothèse », si la pensée de faire « la guerre aujourd'hui pour l'égalité des peuples » ainsi qu'on a fait « la Révolution pour l'égalité des individus », quand il ne s'agit que d'équilibre européen, si cette pensée était de nature à ajouter un bras aux bras qui combattent, une arme aux armes qui se lèvent pour le salut de tous, nous prendrions sans effort le parti du silence. Mais il est des idées fausses qui sont nuisibles, et tel dogme hypothétique, le pacifisme par exemple, a failli coûter sa vie nationale à la France.

Est-ce trop ancien ? Voici du récent.

L'antagonisme des pouvoirs civils et des pouvoirs militaires, qui est un résultat du pacifisme démocratique, a déterminé dans les régions supérieures de l'État une série de discours officiels et d'articles officieux qui n'ont peut-être pas été sans action sur l'accès d'espoir fou qui vient de secouer le peuple allemand. Cette folie s'est heureusement développée jusqu'à la cécité, mais il eût été préférable que tant de maux fussent épargnés au monde : n'auraient-ils pas pu l'être sans la crise de verbiage qui s'empara du Parlement français, et qui sévit huit jours entiers par toute notre presse, il n'y a pas trois semaines, à dater des 13 et 14 juillet derniers ! Indiscrétion, querelles, diffamation contre les chefs de l'armée, rien n'a été épargné de ce qui pouvait mettre en goût l'ennemi…

Nous ne voulons pas insister, du moins pour aujourd'hui, sur un sujet cruel à tous. Mais, patriotes, nous avertissons des patriotes qu'ils se montrent bien sévères pour leur pays quand, sur la ruine d'erreurs anciennes, ils élèvent ou consolident des duperies nouvelles ! Quel intérêt y a-t-il à confondre l'égalité des peuples et la politique de l'équilibre européen ? Si on admettait la confusion, signifierait-elle autre chose que l'égale valeur de la barbarie germanique et de notre civilisation ? Et que veut dire et à quoi tend une assimilation impie entre le sauvage Guillaume II et notre Louis le Grand ? Vingt-quatre heures de réconciliation nationale sont-elles si pesantes aux rédacteurs du Temps 1 qu'ils aient déjà plaisir à réduire la grandeur de Louis XIV aux figures de danse de Mme de Sévigné.

Notre amour de la paix civique ne va pas jusqu'à laisser offenser les Pères de la Patrie. D'autant plus que la mémoire de Louis XIV mérite un souvenir particulier, dès qu'il est question d'équilibre. Ce fut en revenant à la politique traditionnelle de l'équilibre, en renonçant à la chimère impériale éveillée par l'héritage de Marie-Thérèse, que le vainqueur de Denain, le tractateur d'Utrecht sauva le fruit de ses victoires, nous garda la Flandre, l'Artois, l'Alsace, la Franche-Comté et le Roussillon, enfin nous fit échapper avec lui aux conséquences d'une période d'erreurs. Quel rapport entre ce retour si patriotique, si raisonnable, si sage, accepté vers 1714 par le Grand Roi et la fatale obstination de Napoléon Ier en 1814 ou l'extravagante folie de Guillaume II en 1914 ? Je le demande au Temps, au nom du passé de la race, je lui demande compte de ce parallèle entre un grand règne et deux tyrannies 2.

Est-ce à l'heure où nos soldats hérissent les plaines de Flandre et les cols de Lorraine pour sauver notre avoir territorial qu'il peut être permis de traîner l'histoire de France ou la raison française à de semblables abandons ? Ce sac abominable d'un trésor immatériel équivaudrait à une invasion des barbares : nous serions conquis de tête et de cœur avant que d'être subjugués ! Je ne souhaite ni à nos amis belges, ni à nos amis anglais de défendre leur terre en oubliant leurs morts. Une telle façon de se préparer à la guerre serait capable d'affaiblir même des Français !

Charles Maurras
  1. Dans son numéro du 6 août, Le Temps, journal quasi officiel du régime, comporte un Bulletin du jour non signé, daté du 5, intitulé « Cent ans après » :

    (…) La coalition est nouée. 1914—1814 : cent ans ont passé. De nouveau, contre la domination d'un seul, se liguent les volontés de tous. On nous a parfois reproché de dogmatiser dans l'hypothèse, quand nous parlions de la tendance essentielle qui porte les nations, comme les individus, à cette forme supérieure d'organisation stable qui s'appelle l'égalité et qui se manifeste par l'équilibre. C'est cependant cette tendance qui dresse dans un commun effort l'Europe contre l'Allemagne.

    (…) Napoléon avait fait contre lui l'alliance de tous. Cette alliance s'est reformée contre l'Allemagne. L'Angleterre, après le blocus continental, a gagné, dans les plaines de Belgique, la bataille des peuples contre le tyran de l'Europe. L'Angleterre, par son adhésion, consacre l'union européenne contre la tyrannie nouvelle. Et qui sait si Waterloo ne sera pas demain le théâtre du même duel ?

    Tous les dominateurs ont connu ce retour : Charles-Quint, Louis XIV, Frédéric II et l'Empereur. L'Allemagne, cédant à la fatalité, veut tenter la même épreuve. Si grande que soit sa puissance militaire, elle aura le même sort.

    Dans son discours d'hier, M. Viviani a posé le problème sur sa base éternelle. La France et ses alliés combattent pour le droit de tous contre le despotisme d'un seul. Nous avons fait la Révolution pour l'égalité des individus. Nous faisons la guerre aujourd'hui pour l'égalité des peuples.

    Ce que l'Allemagne caporalisée n'a pas compris, c'est que la France républicaine vibre aujourd'hui du souffle de Valmy. Ce qu'elle n'a pas compris, c'est que la lutte provoquée par sa violence trouve dans cette violence même son sens historique.

    (…) Le gouvernement français, en démontrant cette vérité, a fait hier l'unanimité française. L'unanimité européenne lui réserve, dès de matin, le large écho de la liberté révoltée contre la tyrannie. La France de la Révolution n'a pas changé de drapeau. En avant !

    Il faut préciser que le discours de Viviani évoqué est celui, célèbre, où il appelle à l'Union sacrée. [Retour]

  2. Le premier volume des Conditions de la victoire (1916) où cet article est recueilli ajoute ici une note :

    Il fallut plus tard s'indigner de l'abominable propos de Gustave Hervé : « Notre Kaiser Napoléon Ier … »

     [Retour]

Ce texte a paru dans L'Action française du 6 août 1914, repris dans le premier volume des Conditions de la victoire.

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