Qui était ce Trophime, compagnon de Lazare, arrivé en Provence avec les saintes Maries, donné comme premier évêque d’Arles ? Fut-il, de par des polémiques savantes ou naïves, et à l’instar de Marie-Madeleine, un ou plusieurs personnages ? Les écrits ne s’accordent guère entre eux, et le font voyager de plusieurs siècles d’un coup, en cette antiquité romaine où l’histoire de la Provence n’était pas consignée dans les archives reliées du bulletin des débats d’une Assemblée…
Maurras, qui au long de sa vie aura beaucoup écrit sur la ville d’Arles, préfère en 1894 s’en tenir à la légende enchantée du Trophime débarquant avec Lazare, et imagine qu’il fut le tout premier visiteur venu prêcher l’Évangile en Arles. Il y laissera la vie sans être parvenu à sauver Myrto la pécheresse. Ce que Jésus réussit avec Marie-Madeleine n’est pas à la portée de ses disciples, même d’un sage Éphésien envoyé par saint Pierre. Mais Trophime sera consolé, car son discours qui n’aura sur le moment empêché ni le suicide de la belle Myrto, ni le bras assassin des spectateurs, restera gravé dans les esprits et portera ses fruits une fois le calme revenu.
Il est difficile de juger si ce conte, le premier de la série des trois « Voluptés » du Chemin de Paradis, accentue ou au contraire relativise le caractère « anti-chrétien » du recueil. Les bigots détracteurs de Maurras ont surtout vu matière à scandale dans la description de la conduite libertine de Myrto. Mais c’est aussi la Mort la plus païenne qui y triomphe de l’annonce de la Bonne Nouvelle. Cependant Maurras s’en explique dans une note terminale ; Myrto se ferme à la Révélation non par refus raisonné, mais par épuisement de vivre. Son incrédulité n’est qu’une immense lassitude. C’est le spleen des romantiques et de Baudelaire, et son suicide est plus celui de Drieu La Rochelle que celui de Mishima. Maurras laisse entendre que la pensée moderne se détache de la Foi pour des raisons analogues ; et il est clair que ce n’est pas cette justification-là qu’il donnera à son propre agnosticisme.
Notre édition reprend les illustrations de Gernez en 1927. Comme Eucher de l’île, Trophime fut publié en 1928, en édition de luxe sous le titre commun de Contes philosophiques. Nous reproduisons ci-après les illustrations de Goor qui accompagnent cet ouvrage de bibliophilie :