Ne pas vérifier ses sources, se tromper et ne pas se donner la peine de rectifier, considérer que toute erreur que l’on commet soi-même est vénielle par définition, tels semblent bien être les canons du journalisme contemporain. Le vrai et le faux se valent, et une préférence systématique va au n’importe quoi.
Et si rien ne distingue au fond le vrai du faux, la réprobation ne doit pas tant toucher celui qui a proféré une énormité que le mauvais coucheur qui l’a dénoncée. Quel attardé, quel fâcheux, en effet, que celui qui s’obstine à exiger l’exactitude et à vitupérer l’inexactitude, alors que seule compte, selon les cas, l’émotion suscitée ou l’indignation brandie !
Généralement, nos modernes râleurs attribuent ces défauts à l’air du temps, ce temps frelaté que nous vivons, alors que jadis la bonne éducation, le scrupule et la probité intellectuelle étaient de mise. Ah, qu’elle était chérie et recherchée, la Vérité, au doux temps d’autrefois…
Fort bien, mais jusqu’où faut-il remonter dans l’Histoire pour trouver des hommes intègres et des ouvrages cent fois sur le métier repassés ?
Dans un article publié sous l’occupation, dans Candide, le 26 mai 1943, Maurras nous suggère qu’il faut en tous cas remonter beaucoup plus loin en arrière. En effet, pour ce qu’il voit en ces heures tragiques, la situation semble en tous points comparable à ce que nous connaissons aujourd’hui : le n’importe quoi est à la mode, le n’importe quoi s’impose partout. Qu’il soit question de philosophie ou d’histoire, des mythes absurdes et infondés naissent, mutent et se multiplient, enfin s’imposent, tel un cancer de la pensée, ne laissant à la vérité des faits aucune chance de se faire entendre.
Et il ne suffit pas d’en appeler à la rigueur et au bon sens. Car le penchant général pour la facilité du n’importe quoi est encouragé, porté, stimulé par l’esprit démocratique ; il n’y a intrinsèquement ni vrai ni faux, tout se vaut, et ce sont des majorités changeantes et capricieuses qui décident. Mais Maurras ne va pas plus loin dans ce court article qui n’est qu’un simple divertissement d’écriture, à la Juvénal ; L’Avenir de l’Intelligence a été achevé quarante ans auparavant, et restera sans suite.
Que nous reste-t-il, dès lors, des prescriptions finales de L’Avenir de l’Intelligence ? Le « vrai seul » cher à Sainte-Beuve a été submergé par le déferlement de ce n’importe quoi qui aura tué la critique littéraire, privant d’oxygène le genre où le jeune Maurras fit ses premières armes. Maurras qui lui-même en est l’une des principales victimes ; s’il est un auteur dont on dit n’importe quoi, de nos jours, c’est bien lui !