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Dante et Mistral

Comment ne pas trembler devant les deux grands noms écrits en tête de la page ? On va croire à un parallèle. Ce n'est qu'une rencontre de deux « Princes du beau collège… »

Si j'avais voulu comparer ces égaux immenses, j'arriverais trop tard, cela est fait ; le livre, assez ancien, de notre ami Jules Véran, De Dante à Mistral, dit l'essentiel, on n'y contesterait que du détail fort accessoire. Je n'irai pas sur ses brisées. Et j'aurai même soin de ne pas faire communiquer dans mon commentaire ces deux grands vaisseaux de la poésie : le Toscan, le Provençal, chacun se suffit, quoique personne ne suffise, sacristain ni prêtre, à les desservir.

Mme Gasquet 1, née Marie Girard, vient de nous donner avec son Gai-Savoir, un mémorial de vie et de rêve où le Maître de Maillane apparaît presque à toute page, tantôt dans son être réel, tantôt dans cette vérité supérieure née de la conjonction du souvenir filial le plus tendre et des ébullitions d'une tête de feu. Qui n'aimerait ce merveilleux portrait aux deux aspects !

Une école sévère interdit d'apporter à l'étude des œuvres des anecdotes allusives à la vie du poète. Et puis après ? La vie est la plus forte. Paul Bourget, intraitable sur ce sujet, n'a pu s'empêcher de lui faire de-ci, de-là, des concessions. La gageure ne peut tenir. Elle serait plus difficile encore quand il s'agit de ces poètes initiateurs, pour qui l'invention d'un « beau style nouveau » fut donc une action : œuvre d'artistes, de grammairiens et de lexicologues, œuvre de moralistes et de citoyens, comme c'est le cas de Mistral.

Son étendue, sa profondeur, sa majestueuse complexité auraient fait les délices du critique des Lundis 2 s'il avait pu vraiment connaître le mélange inouï de nature, d'histoire, d'esthétique, de civisme que Mistral incarne et personnifie comme un Louis XIV avait personnifié son royaume. Quiconque l'approcha en fut éclairé ou brûlé, quelquefois l'un et l'autre.

Bienheureuse Marie Girard ! Elle était née, elle vivait avec ses parents, à une lieue et demie du poète. J'avais toujours entendu dire qu'elle était sa filleule. Pas officiellement, paraît-il. Mais il l'avait bel et bien baptisée Girardette, en conformité à nos vieux usages de Provence qui veulent que, du nom de son père et seigneur, Melle Ponchin, soit dénommée Ponchine, Melle Mistral, Mistrale, et ainsi de suite. Si l'usage s'était un peu perdu, Mistral l'aura rétabli dans sa gloire, pour l'amour de Melle Marie, qui n'en dissimule pas un légitime orgueil.

Quand vit-elle le Maître pour la première fois ?

Autant demander quel premier brin de cour lui fit le lutin ou le sylphe qu'elle a dénommé Gai-Savoir. Elle voyait, de son berceau, onduler et flotter autour d'elle deux ou trois cimes barbues de bons géants ; entre ces Provençaux de haute stature, dont Marius Girard n'était pas le moindre, l'Altissime était certainement celui qui se détachait en premier : incessu patuit Deus 3, et peut-être se marquait-il aussi par les accents demi-divins d'une large et sereine bonté. À la pompe de l'aspect physique, il associait une étonnante simplicité. Colère, comme les vrais Olympiens peuvent l'être seuls, il avait toujours un sourire en réserve pour les jeunes filles et pour les jeunes gens ; pour eux, sa poésie fut toujours de la fête. Comment montrer cela ? Eh ! bien, en constatant que nous sommes beaucoup avancés dans sa connaissance et même son intimité depuis que Mme Marie Gasquet nous a dit comment, la première des Provençales de son temps, elle a entendu réciter les adieux de la jeune Nerte aux anneaux dorés de sa chevelure, tombant devant la grille ou l'on va la cloîtrer. Et c'est Mme Frédéric Mistral qui, à la prière de son mari, a bien voulu faire sonner les beaux vers que l'enfant devait emporter dans son cœur. Le monde entier connaît la suave lamentation de la jeune nonne amoureuse :

 — Oh ! ma calebaduro bello !
Elo cridè, dins la capello
Pendoulas-la ! Pendoulas-la !
Subre l'autar immacula…
Adiéu, printèms ! Adiéu, courouno
Que iéu trenave en foulejant,
Adiéu, ourguei de mi sege an !
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 — Oh ! ma chevelure belle !
s'écria-t-elle. Dans la chapelle
Suspendez-la ! suspendez-la
sur l'autel immaculé…
Adieu printemps ! Adieu couronne
Que je tressais en folâtrant,
Adieu, orgueil de mes seize ans !

Et ces vers nous seront peut-être plus doux encore si nous nous répétons les mots par lesquels Mistral les avait annoncés à Marie : « la page est écrite, ma chère femme la sait, elle va vous la dire », et la petite qui, « bouche bée » ll, les a entendus couler « de cette voix un peu voilée, si fluide, si émue », s'avoue « pétrifiée » par l'admiration… Mais, elle en est tirée par le bon appel :

 — Il est temps de venir goûter…

À cet égard, Marie Gasquet nous comble, il lui aura suffi d'ouvrir ses jeunes yeux, et de faire un peu attention, pour recueillir bien autre chose que ces prémices de poèmes, elle a reçu l'enseignement direct du poète sur le connu et l'inconnu des choses humaines et même leur inconnaissable.

Toute une journée on a discuté devant elle de l'éducation et de l'instruction des garçons et des filles, de l'abus de la mémoire, de la folie des Manuels… Le père Girard, qui n'est pas poète à moitié, ne veut pas entendre parler de l'histoire, mais Mistral se récrie :

 — L'histoire, « la mâle histoire », « franche et forte » avec sa vérité ! avec son amertume !

Il l'égale presque à la poésie, cette source et fontaine de tous les biens :

 — Girard, donne, ce soir, l'Histoire de Provence à ta fille, et ajoutes-y l'Odyssée.

Puis se tournant vers celle qui aura été un peu son Eckermann, notre Goethe prononce :

— En voilà du pain sur la planche, ma belle Girardette ! pioche l'Histoire de Provence, fais des confitures et pénètre-toi de l'Odyssée, sans préjudice, bien entendu, de la lessive et du piano !

Ainsi l'homme inspiré allait riant, pensant, chantant, mais non sans tristesse secrète… : « Ô, dins li draio engermenido 5  — Ô, dans les sentiers plein de semences,  — laissez-moi me perdre pensif…  »

Le morne tête-à-tête de la vie quotidienne lui était rarement adouci du dehors. S'il s'était choisi cette solitude par honneur provençal, par fidélité au génie de sa Terre et il l'esprit de ses Morts, il pressentait que les concours utiles ne lui arriveraient que très tard. Trop tard, peut-être… Lorsque, à quelques années de sa mort, il reçut la bénédiction solennelle du pape Pie X, sa joie fut sans mesure, mais il se murmurait :  — Comme cela m'aurait servi il y a quarante ans !

Beau comme un dieu, habile et adroit comme un ange à tous les travaux de sa science et de son art, il était résigné au long labeur ingrat. Et, pour ne pas montrer sa peine, il se laissait aller, sans résistance aucune, à ces légers plaisirs qui, selon un autre poète, nous font aimer la vie. Du matin qui naissait à la nuit descendante, il recueillait avec la même étude faite du même amour, libre de tout détachement et pure de tout désintéressement stoïcien, les rayons élargis de cette sagesse supérieure qui voyait, savait, sentait tout, assignait à chaque chose et à chaque personne son rang.

L'étonnant classificateur ! Le bon juge ! Mme Marie Gasquet nous le fait voir au naturel, entre Péladan, Paul Arène, l'entomologiste Fabre, le poète paysan Charloun Rieu.

Ce Joséphin Péladan, natif de Nîmes, est l'extravagant auteur d'une « éthopée 6 » bien oubliée « de la décadence latine ». Le malheureux garçon ne s'était pas méfié des démentis qui étaient donnés ou allaient l'être à son mauvais rêve, car ces prétendus décadents de Latins étaient en train de « couver » la « croissance d'une renaissance », à dater de Mistral, et d'Aubanel, à continuer par Carducci, Canovas del Castillo, Garibaldi, Mazzini, les princes savoyards, Gabriel d'Annunzio, les poètes catalans et roumains, et à finir (si c'est une fin !) par Mussolini, Franco, Salazar ! Le bon Péladan était bien le plus intempestif des auteurs.

Mais Mistral ne se vengeait de ces sottises qu'en regardant avec un sourire le curieux animal de l'Apocalypse qui les proférait. Quant à Paul Arène, il l'aimait : parfait prosateur français dans Jean des Figues et poète un peu frais, pour ne pas dire froid, dans ses vers de langue d'oïl, l'enfant de Sisteron avait pris une éclatante revanche en langue d'oc : c'est là que Paul Arène remontait haut, très haut, au plus haut, dans le cœur de Mistral, pour ce qu'il apportait de poésie puissante au commun autel provençal, Ploù e souléu, le Brinde à la Luno, la moitié du Pont du Gard composé avec Théodore Aubanel, sont des chefs-d'œuvre de qualité pure, fine et profonde. On ne peut y reprendre que la rareté. D'où lui venait cette mesure, voisine de la parcimonie ? Melle Gasquet ne veut pas nous le cacher : une longue désespérance latente, née du désordre de la vie, de la mauvaise humeur, peut-être aussi de déceptions auxquelles nous a fait penser Léon Daudet.

Quand à Charles Rieu 7 poète paysan du Paradou Mme Gasquet lui dédie une page qui semble nous le tirer tout vif de quelque légende dorée :

Il s'agit de Charloun.

De Charloun, le dernier survivant des poètes qui enchantèrent mon enfance… De Charloun qui mit un dernier baiser sur le front glacé de mon père, dont il voulut fermer lui-même le cercueil… De Charloun qui, quelques années après, murmura à Mistral étendu dans sa bière l'ultime adieu des humbles et le sanglot de la Provence en deuil… Le pays tout entier a gardé ses chansons. Pas un mas de la plaine d'Arles où son génie ne soit vivant. Mais son cœur…

Son cœur, il l'a emporté merveilleusement intact dans sa tombe, car lui, que la nature avait fait pauvre et laid, il connut la radieuse plénitude et l'absolu du don total. Il aima. Pardonne-moi, Charloun, de l'avoir su et du fond de ta paix amoureuse qui dure, permets-moi de ne pas le cacher.

Il y avait une fois, au pays des Baux, une fille belle à miracle. L'amour l'emporta loin de ses Alpilles natales et, pour célébrer ses vingt ans, le prince de Galles (le futur Édouard VII), la fit à moitié reine sous les palmiers de la Côte d'Azur. Mais Fortunette, car c'est ainsi qu'on la nommait, fidèle à son costume d'Arles et au parler de son village, vint se poser, un temps, en Avignon.

Un soir d'automne, son landau s'arrête au coin du champ que labourait Charloun. Il était pareil à lui-même, Charloun, dans ses guenilles et sa haute laideur. Vêtue de satin rouge, les bras ouverts, marchant légère, à fleur de chaume, Fortunette respectueuse, s'arrêta : Se me vos, Charloun, siéu à tu (Si tu me veux, Charloun, je suis à toi).

Charloun contempla jusqu'à l'âme le visage transfiguré, et, levant la main comme pour bénir la magnifique créature inclinée devant sa misère répondit avec son éternité de douceur :

 — Aro, pos parti, garde moun pantai (maintenant tu peux partir, je garde mon rêve).

Les bras toujours levés, Fortunette s'éloigna à reculons. Au bout du champ, elle attendit que Charloun eût repris son sillon et s'en alla du trot égal de ses chevaux.

Une histoire à peu près pareille est rapportée de saint Thomas d'Aquin, plus haute, mais non pas plus pure. Le rustique poète, derrière sa charrue, voulut garder son rêve, comme l'apprenti théologien avait défendu sa libre pensée, entre ses murs couverts de livres et de saintes images.

Ceux qui voudront écrire la chronique complète et vraie de l'âge d'or du Félibrige trouveront peut-être à glaner sur la trace légère et sûre de Mme Gasquet. Mais quelle moisson que la sienne ! Nous lui chanterions, à peu près comme dans Mireille :

Escouten, escouten-l'encaro
Passariéu ma vihado et ma vido à l'ausi !
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Écoutons-la, écoutons-la encore,
on passerait sa veillée et sa vie à l'ouïr.

Le doux, le gentil livre ! À part çà et là, quelques affabulations superflues, la noble gerbe d'épis d'or ! Il a été conçu aux flottantes lisières de la vérité et de la poésie. Il est œuvre de mémoire, écrit sans notes, pour écouter chanter les cigales de l'âme avec les rossignols du cœur ; c'est pourquoi, à mon humble avis, la page la plus belle est, malgré tout, la plus naturellement tendre, fraîche, mystérieuse, celle où l'on voit l'enfant de quinze ans, inaugurer sa robe longue, ses longs gants noirs (à la mode d'Yvette Guilbert) dans la voiture qui l'emmène, avec ses parents, vers le grand parrain de Maillane. Assise sur le strapontin devant eux elle se sent couvée par quatre yeux avides « yeux gris, yeux bruns », dit-elle, qui plongent « au fond de moi ».

Ils ont une expression un peu triste… Finie l'enfance ! C'est Marie, cette demoiselle correcte… Maman vient de prendre la main de papa, je l'entends qui demande avec une voix que je n'ose pas appeler timide : « Est-elle un peu comme tu la voulais ? Trouves-tu qu' elle ressemble a cette Diane de Gabies que tu as mise près de moi le soir ou je t'ai dit : Ce sera peut-être une fille… »

Papa baise la main qui a serré la sienne et, timide à son tour – timide, papa ! – murmure : « N'as-tu pas quelque mélancolie qu'elle me ressemble plus qu'à toi ? »

C'est vers moi que maman se penche pour lui répondre :

 — Je t'aime tant !

Ah ! que nous sommes UN ; nous trois ! Un à crier !

À n'en plus supporter le charme !

Papa, qui n'est pas né provençal pour rien, s'en tire par quelque brocard. Mais l'émotion subsiste et c'est à ce passage que l'on se remet à rêver, en refermant un livre ou la dernière essence des vérités de la vie peut acquérir ce relief et prendre cet accent.

Sur un palier si haut, nulle chicane de détails ne compte plus. Cependant, la loi du Mistralisme va m'obliger à une rectification. On en a essayé, je le sais, j'en ai vu et lu de tout à fait absurdes. Quand Mme Gasquet donne la liste de ses sœurs, les autres reines du Félibrige, une ligne tombée a fait disparaître un nom, celui de l'exquise Melle Vinas : sait-on que pareille infortune, la même, était arrivée, pour un même dénombrement, dans notre Action française ? Une autre coquille a fait de notre belle et vive reine toulonnaise, Mme Fontan, une certaine « Mme Ferrand ». Personne ne s'y sera trompé. Dans le rappel de l'acte de réunion de la Provence à la France, il est écrit vassal pour accessoire. NON COMME UN ACCESSOIRE À UN PRINCIPAL, dit le texte sacré. Et puis après ? Parpello d'agasso, paupières de pie ! aurait jugé Mistral, ces tristes minuties l'auraient peut-être impatienté.

Il eût néanmoins demandé, je crois, un petit erratum pour le récit de sa naissance :

Il est né à Maillane, au mas du Juge, le 8 septembre 1830, jour de la Nativité, fête votive du village… La jeune et jolie maman avait eu un moment l'idée de l'appeler Nostradamus – parfaitement ! Non pas en l'honneur du célèbre astrologue, mais en souvenir du petit pâtre qui avait été le messager de ses fiançailles.

Non, non, le petit pâtre s'appelait Frédéric, et c'est en son honneur que Mistral finit par recevoir le prénom germanique qu'il devait latiniser à fond. Quant à Nostradamus, si la mère de Mistral avait voulu donner ce nom à son fils, c'est que, à l'exemple de toutes nos bonnes mères d'autrefois, elle avait demandé, au moment de sa délivrance, quel était le saint du jour : on lui avait répondu : Notre-Dame de septembre, Notre-Dame est un nom de fille : Nostradamus devait en être le masculin ! Cette bonne raison faillit valoir à Mistral ce nom « mystique et mirifique », il le dit en propres termes dans ses Mémoires ; seulement, ajoute-t-il, « on ne voulut le recevoir ni à la mairie, ni au presbytère », le pauvre !

Le livre de Mme Gasquet nous traite, mes amis et moi, ceux que l'on appelait alors les jeunes félibres fédéralistes, avec une faveur voisine de la magnificence. Et c'est ici pourtant que la justice et l'amitié, m'obligent à une autre chicane. Le vieil et grand ami dont je garde le deuil, Frédéric Amouretti (1863–1903) me vaut, dans Gai-Savoir une mention imméritée.

Marie Gasquet fait un récit que je connais bien.

Je l'ai souvent entendu, tel quel, à un mot près, de la bouche qui s'est éteinte, voilà plus de quarante ans, et ce n'est certes pas une histoire ordinaire. Elle se rattache aux premiers débuts de notre campagne politique. Rouvrons Gai-Savoir :

… Un soir d'automne, par un orage comme seuls en connaissent les pays d'estrambord 9, mes parents et moi, devisant sous la lampe, entendîmes, entre deux coups de tonnerre, un léger tintement de sonnette. À cette heure ? Par un temps pareil ? Qui ce pouvait-il être ? Mais déjà, Maria entrait, une carte de visite à la main : « C'est un monsieur qui arrive de Maillane. Il coule l'eau.

 — Frédéric Amouretti ? ! lit mon père qui se précipite au-devant du visiteur.

Amouretti entra, ruisselant, transi, dut subir deux présentations, répondre aux questions, avaler un verre de chartreuse.

 — Vous voilà un peu réchauffé, dit mon père avec sa bonté souriante. Nous allons pouvoir causer à plein cœur. Je vous avoue que je ne serais pas fâché de voir de prés ce qui bout dans votre cervelle. Que vous soyez une bande de fous ne vous empêche pas d'être… Mais qu'avez-vous? C'est à peine si vous êtes assis et vous ne tenez plus en place.

 — Monsieur, réplique Amouretti, dont nous n'avions pas encore entendu la voix, je ne suis pas venu vous faire une visite, mais seulement vous demander un long rendez-vous pour demain. Ma mère m'attend au portail…

Mon père a bondi. En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, il amène, plus ruisselante encore que son fils, la chère Mme Amouretti à laquelle maman dut prêter une robe pour permettre à la sienne de sécher devant une ample régalide (flambée).

Dûment réchauffée, Mme Amouretti remerciait avec une grâce amusée, pendant que mon père, heureux comme un roi, appelait Amouretti « jeune homme », et s'informait :

 — Alors ces projets ?

 — Nous voulons « mistraliser » le monde !

 — Je sais… je sais nous aussi, du reste… Mais nous différons de méthode Vous êtes des révolutionnaires, des têtes vertes… de sympathiques estraio-braso (disperse-braise)… mais des estraio-braso tout de mêmes !… Nos cendres chaudes…

 — Nous voulons en faire un brasier ! Nous y réchaufferons les enthousiasmes, nous attirerons près de lui des valeurs qui s'étiolent. Paris sera décongestionné, un sang vif – le sang de toujours ! – battra au pouls des provinces françaises… Un vaste mouvement se dessine.

 — Vous êtes jeunes…

 — Dieu merci ! nous avons nos vies à offrir… Maurras est plus ardent que tous.

Maurras ! Oh ! non ! Misère ! Il lui faut faire ici, pour l'amour de l'exactitude, des réserves très motivées.

La visite qui a marqué dans l'esprit de la jeune Marie Gasquet, s'était inscrite en mêmes lettres d'azur et d'or, dans la mémoire de Frédéric Amouretti. Mais la date en est plus ancienne que ne le croit l'auteur de Gai-Savoir. Elle doit remonter environ 1885 ou 86 à 87 au plus tard. Mon ami n'avait pas pas encore obtenu, de la protection de Fustel de Coulanges, sa bourse à la Faculté de Lyon, il venait étudier à Aix juste au moment où je venais de quitter Aix pour Paris. Nous nous étions manqués, Frédéric et moi, de quatre ans ! Nous ne pouvions donc nous connaître encore, le soir du bel orage de Saint-Remy. Il eût d'ailleurs été bien extraordinaire qu'au temps de mes dix-sept, dix-huit et dix-neuf ans, mon nom eût dit la moindre chose au père de Girardette, ni à elle, ni à un félibre quelconque. Ce monde m'ignorait totalement, je n'y ai guère pénétré que pour mes vingt ans, au bel an de Dieu 1888, au printemps duquel Mistral avait bien voulu m'adresser un billet de félicitation pour un article sur le Malandran d'Aubanel : à l'août suivant, devant la Fontaine de Vaucluse, j'eus l'honneur d'être présenté au maître, et il prit la peine de me convertir à « l'idée de sa vie ».

Plus tard, beaucoup plus tard, Amouretti dut parler de moi à Girard devant Girardette, ou à Gasquet, devant Mme Joachim Gasquet-Girard. Il parlait de moi aussi volontiers que moi de lui… Ces deux ou trois conversations, distinctes en fait, se sont amalgamées dans la brume solaire où vivent dans nos cœurs les êtres que nous prenons pour des morts.

Plus tard, sept ans plus tard, au moment où nous eûmes la protection, l'aveu, le sourire doré de la jeune nouvelle reine Marie Gasquet, – quand tout le pays retentit, de Paris aux Baux, des Baux à Sisteron, de notre campagne de rénovation mistralienne, – j'étais en effet devenu un peu moins obscur, – en 1892, après qu'eut été lancé de Paris notre Manifeste des jeunes félibres et quand, lauréat des jeux floraux septenaires, le poète Marius André nous fit un écho solennel aux fêtes des Baux, les quelques articles qu'il m'était arrivé de publier alors purent donner lieu à tels propos, de beaucoup postérieurs à la station diluvienne d'Amouretti et de sa bonne mère, dans l'hospitalière maison des Girard.

En revanche, mon ami, mon aîné dont les vingt-deux ans allaient sonner en 1885, jouissait dès alors d'une réputation de mistralien radical, dévoué à la politique de Calendal, et Marius Girard devait le classer avec Jules Boissière, Auguste Marin, Valère Bernard, et quelques autres de la même génération, dont j'étais le cadet.

Ce que je dis ne prétend pas rectifier, mais préciser le contenu exact d'un souvenir qui touche aux points sacrés des amitiés de ma vieille vie.

Pour le surplus, si quelqu'un veut savoir les détails de la longue querelle entre jeunes et vieux félibres, et comment Mistral se porta à l'avant-garde de la jeunesse, ce dont Marie Gasquet témoigne éloquemment, tout un chapitre de mon livre L'Étang de Berre en est rempli. On peut s'y reporter.

Mais Gai-Savoir et L'Étang de Berre pourraient être complétés par un étonnant témoignage nouveau.

À cette félibrée des Baux de 1892, où brilla Fortunette, où parla Marius André, Mistral avait été mis en retard par la faute d'un véhicule qui n'arrivait point et, qu'il attendait au seuil de sa maison. Et voilà qu'un jeune officier de l'armée active, passant en voiture devant sa porte, proposa au maître de le conduire aux Baux où il allait lui-même. Mistral accepta. En chemin, il demanda qui donc lui rendait ce service. Le capitaine se nomma : Pétain…

Le futur Maréchal de France fit son premier acte de rénovateur des provinces aux Baux, ce jour-là ! Le monde est bien petit. Ce qu'il contient de présages, de préfigurations, d'intersignes sera-t-il jamais recensé ?

Ayant tant dit de Gai-Savoir, que réserver à Dante, à ce bon et beau livre de M. Louis Gillet 10 le très diligent serviteur du merveilleux poète dont il nous propose l'amour ?

En lui disant la bienvenue, je voudrais ne pas manquer au rite de l'essentiel, qui est de donner mes raisons.

À quoi se reconnaît la bonne critique de quelque noble chant ?

Le critère en est simple. Voyez de près ce qu'elle en cite, ce qu'elle en retient.

On dit beaucoup que Sainte-Beuve n'a rien compris à Baudelaire. Je souhaiterais à beaucoup de baudelairiens fieffés, à M. Gide par exemple, à son André Walter 11 et à leur jeune amie, Emmanuelle, d'être allés droit, parmi les trois cents pages des Fleurs du Mal au sonnet de la Tristesse de la lune comme fit, Sainte-Beuve, à la réception du volume.

Dans le choix apparaît le maître. Au même choix, quant à son Dante, M. Gillet nous apparaît initié et affilié au conseil, à la troupe des vrais amis du Florentin, de ceux qui l'ont, si j'ose dire, « dans le sang » et qui se reconnaissent entre eux au cabalistique murmure des grands vers circulant dans les ivresses de l'admiration, de l'amitié et de la piété.

M. Gillet n'en manque pas un seul. Non certes que le tercet souhaité vienne toujours au point où nos impatiences l'attendent, l'appellent et l'aspirent ; là ou ailleurs, il finit toujours par arriver: Marque, preuve évidente que, si variées ou opposées que puissent être çà et là les humeurs ou les natures, quelque chose les met d'accord pour imposer les mêmes préférences dans un maître chéri.

Quelle délectation de les retrouver ainsi, dans un livre nouveau, les plus connues, les moins connues, toutes amies et nous versant le charme céleste et l'enchantement favori !

C'est le chant du maître d'amour,

I' mi son un che quando
Amor mi spira noto
 12

ou le poète est défini « quelqu'un qui note et qui inscrit ce que lui souffle et lui dicte en secret l'Amour… »

C'est la plainte exhalée de la fille de Sienne, et victime de la Maremme : Souvenez-vous de moi qui suis la Pia 13.

C'est la plus suave de toutes les chutes du jour qu'ait jamais chantées un poète :

Era già l'ora che volge il disio…
E che lo novo peregrin d'amore
Punge, se ode squilla di lontano,
 14

« C'était déjà l'heure qui tourne et retourne ses regrets au cœur des matelots, et qui les remplit de tendresse… l'heure qui blesse et qui déchire le nouveau pèlerin d'amour, s'il entend la cloche lointaine qui lui semble pleurer le jour qui va mourir. »

Et c'est aussi la grande prière où chante toute l'âme du Moyen Âge :

Vergine Madre, figlia del tuo figlio 15

« Vierge mère, fille de ton fils ». Et l'appel au Sommo Giove, au Souverain Jupiter,

Che fosti in terra per noi crucifisso ! 16

« qui fut en terre crucifié pour nous ». (Mais M. Louis Gillet le traduit bien timidement.)

C'est le délicieux pressentiment de Gentucca, la petite Lucquoise qui ne porte pas encore de bandeau et qui fera un jour le bonheur du poète. C'est le grave avertissement :

O voi ch'avete gli intelletti sani
Mirate la dotrina che s'asconde
Salto il velame du versi strani
 17.

Et puis l'appel supérieur que le ciel fait pleuvoir sur les activités hiérarchisées de l'esprit et de l'âme :

Il ciel ch'é pure luce 18

Et tout ce qu'il nous faut bien retrouver, reconnaître et saluer encore :

Beatrice in suso, ed io en lei guardava 19.

Et l'aveu que fait ce poète, si ferme et si dur, d'une sensibilité trop humaine avec la belle excuse tirée du tressaillement des étoiles :

Se la stella si cambiò e rise 20

Sans compter l'autre étoile qui rayonne des yeux divins :

Lucevan gli occhi suoi più che la stella 21.

Nous n'en finirions pas de confrontations entre l'antique choix de notre vieille jeunesse et celui que vient de faire M. Louis Gillet pour les jeunes gens d'aujourd'hui : la prophétie du vieux Cacciaguida et ses retours sur l'âge d'or de Florence 22 « quand Sardanaple n'était pas encore venu enseigner tout ce que l'on peut faire dans une chambre » ; la malédiction magnifique contre la mala pianta d'Hugues Capet 23 ; la première version du fameux vers goethien : « l'éternel féminin nous conduit vers les cieux ».

E quella donna ch'a Dio mi menava 24.

Cette dame qui le menait à Dieu ! Toutes les plus belles formes, toutes les belles couleurs du monde créé avaient coutume de lui souffler le même appel des cieux :

Dolce color d'oriental zaffiro 25

« Douce couleur de saphir oriental »… M. Louis Gillet donne une agréable traduction verlainienne d'un autre passage de Dante. Connaît-il l'adaptation qu'a faite Moréas de la Dolce color ? Voici ces admirables vers 26 libres, dérimés :

Je naquis au bord d'une mer dont la couleur passe
En douceur le saphir oriental. Des lys
Y poussent dans le sable, ah ! n'est-ce ta face
Triste les pâles lys de la mer natale ?

Deux vers plus loin dans le même poème chante le tremblement de la mer natale, calqué d'il tremolar della marina 27 au même seuil du second cantique.

On n'épuise jamais le plaisir de réciter son poète.

Mais, de ces disjecti membra poetae 28, plus nous avons recueilli, et plus nous avons partage, Louis Gillet et moi, et plus la vertu de cette copieuse distribution a été d'augmenter le trésor qui nous est commun. Dante a bien dit pourquoi : les biens matériels diminuent quand on les divise, mais les biens spirituels ne font que se multiplier par la joie sublime dont nous comble leur symposie 29, que l'on peut savourer à fond.

Est-ce donc que je sois en accord parfait avec l'auteur de Dante ? Ce serait trop beau. J'ai des points d'arrêt. En voici :

M. Gillet me paraît réduire à l'excès l'importance de la théologie chez celui que Marsile Ficin appelait : in professione filosofo poetico 30.

Dante a bien été un philosophe-poète. Sa pensée n'est pas seulement configurée, rythmée, scandée par son thomisme essentiel : elle est matériellement pétrie de cette scolastique ou la chair du poète baignait. Elle seule le fait comprendre. Si, pour ma part, sans explicateur et sans maître je pus mener à bien ma première lecture du Purgatoire, dans le précieux volume où Ozanam en juxtaposa le texte et la traduction, je l'ai dû uniquement aux quelques notions de thomisme élémentaire que je me trouvais posséder.

Autre question. Dante est-il vraiment avec Caldéron le seul poète qu'il soit possible d'appeler catholique ? M. Gillet allègue l'autorité du critique allemand Ernst Curtius 31. En admettant que les auteurs d'Athalie, de Polyeucte, du Crucifix, ne soient, comme nos Rois, que « très chrétiens », il reste encore, en plus de Verlaine, le très catholique Mistral. Ne faisons pas bon marché de toutes ces gloires.

J'ai lu comme M. Gillet la belle étude ou André Bellessort 32 a montré, d'après l'érudition espagnole, les apports nombreux de l'Islam et de l'Orient à la grande matière dantesque. Il ne faudrait pourtant pas oublier que la notion du purgatoire avant d'être dans Mahomet se trouve dans Platon.

Est-il possible de parler de la politique comme d'un péché de la poésie ? Pour un Keats ou un Baudelaire peut-être. Mais M. Gillet nomme Shakespeare: a-t-il oublié les éléments de Politique contenus dans Troïlus et Cressida ? Il nomme Poe sans se souvenir qu'on lui doit la plus tranchante des satires de la démocratie. Homère, Virgile, Horace, Ronsard, Malherbe, Corneille, La Fontaine, Mistral, tous les grands poètes ont fait de la politique et ont dû détourner la sentence qu'Aristote a rendue en faveur de la philosophie : « s'il faut politiquer, il faut politiquer. Et s'il ne faut pas politiquer, il faut politiquer encore. »

Ainsi en ont jugé les maîtres. M. Louis Gillet s'en est aussi laissé conter sur d'autres affaires par l'abbé Bremond. Très bon régent de rhétorique, Bremond n'entendait rien à la poésie : en dépit de toutes ses « transes », absolument rien. Pas plus à celle de Dante qu'à aucune autre. Un propos de Rodin que cite Louis Gillet, va autrement loin que tous les obscurcissements bremondiens. D'accord avec Rodin sur l'immense unité de la « Comédie », M. Louis Gillet avoue que Dante construit sans cesse. Comment dès lors peut-il se laisser aller à concéder qu'en cette construction géante les fragments seuls ou presque seuls aient de la valeur, et comment peut-il les juger « plus grands que le tout » ? Assurément, si dessiné soit-il, l'édifice de Dante n'est point à comparer à ces tragédies de Sophocle ou de Racine dont chacune compose un monde indépendant et qui se suffit, soutenu sans contrefort ni appareil extérieur, ne traînant aucun bagage parasite d'allusions historiques, – un monde dont les profondeurs, à vrai dire, infinies, sont néanmoins toutes retenues dans le pourtour vivant d'une forme suprême. Le relief excessif du détail n'est pas niable chez Dante, ni l'importance démesurée donnée aux épisodes ; mais la poésie vigoureuse de leur enchaînement n'est pas contestable non plus, il ne faut pas le sous-estimer. Les beaux fragments n'existent qu'en fonction de leur « tout ». Et le large murmure ambiant qui le cerne est comparable aux gémissements d'une grande mer que l'on ne voit pas toujours mais qui fait sentir sa présence : elle vibre partout ou ne peuvent surgir les ondes sacrées. N'imaginons rien qui ressemble à une suite de vains morceaux d'anthologie plus ou moins sommairement reliés. Le « tout » dantesque peut être encore imaginé comme le socle inséparable de la statue ou du monument qu'il isole et qu'il surélève, pour y faire affluer les yeux du ciel et de la terre avec l'admiration des hommes et des dieux.

Moins sévère ou moins dédaigneux de cette puissante force totale, M. Louis Gillet eût peut-être accordé plus de considération à l'action et à l'attitude historique de Dante. Comment ne voit-il pas l'importance des combats secrets de ce poète-citoyen dont les crises ont quelque chose d'éternel. M. Gillet suppose que réduit à une « scène secondaire » un « théâtre municipal », l'orgueil de Dante a souffert d'un milieu dont l'humilité le déçoit. Hé ! ce milieu fit son élément naturel. S'il est petit pour nous, il ne l'est pas pour lui, qui le tient pour son univers, et auquel même il se limite, le sachant illimité du côté des cieux : ô baptistère de Florence, ô mon beau, San Giovanni, ô bifides remparts de la cité esclave ! En raison du tournoiement des partis qui s'emmêlent, le Guelfe-né a senti le besoin du Protecteur, du Podestat, bientôt de l'Empereur, parce qu'il s'est posé le plus aigu des problèmes, celui des libertés sans l'ordre et de l'ordre qui peut tuer les libertés. Hier, aujourd'hui, demain, la question se repose. Le Capétien éloigné distribuait ses fleurs de lys d'or aux communes, avec un patronage si lointain que l'on en espérait de la liberté, et les César d'Allemagne délivrent l'aigle noir aux villes qui rêvaient d'appuis plus efficaces, eussent-ils la forme d'un joug. Comment M. Gillet n'a-t-il pas été pris au cœur par la constance ou la perpétuelle reviviscence de ce cas historique ? Ne le voit-il pas ? Nous y sommes en plein. Ou nous allons y être demain.

Mais trêve de questions ! C'est en l'honneur de leur solution la plus heureuse que je relis. Ces chapitres substantiels et magistraux écrits à la gloire de notre France et de ses rois, qui, dès lors, se déclaraient « empereurs dans leur royaume » : quelles belles pages de Gillet sur la position de saint Louis dans la Chrétienté ! Sur tout le Moyen Âge français !

C'était une grande chose que la France de ce temps-là. C'était la Chrétienté elle-même ou du moins ce qu'il y avait de plus grand dans la Chrétienté : sa puissance d'expansion, son rayonnement étaient immenses. Les grandes routes du monde étaient des routes françaises… Sur toutes ces routes s'avançaient nos Chansons de Geste et nos trouvères… Dans toutes les langues d'Europe le nom de roman, de romanesque, dérive d'un mot qui veut dire chose écrite en langue romane, c'est-à-dire en français…

Et quant à notre Provence, cette patrie maternelle de saint François reçoit de M. Louis Gillet un hommage qui fera également chaud au cœur :

Par la grandeur des souvenirs
Toi qui nous salives l'espérance,

comme chante le Maillanais, avec qui le livre de M. Gillet va décidément tout à fait d'accord.

Charles Maurras
  1. Marie Gasquet, 1872–1960, écrivain, réputée pour sa culture et sa beauté, filleule de Frédéric Mistral, elle fut, en 1892, désignée reine du Félibrige. Romancière, directrice de collection chez Flammarion, elle a écrit une dizaine de livres dont le plus connu est le roman Une enfance provençale, publié en 1926. Elle était la fille du poète provençal Marius Girard et l'épouse de Joachim Gasquet, lui aussi poète et ami de Paul Cézanne. (n.d.é.) [Retour]

  2. Sainte-Beuve. (n.d.é.) [Retour]

  3. « Vera incessu patuit dea » ; Virgile, Énéide, I, 403 : « Sa démarche révèle une déesse ». (n.d.é.) [Retour]

  4. Mistral, Nerto, V. (n.d.é.) [Retour]

  5. Mistral, Lis Isclo d'Or II, Grevanço. (n.d.é.) [Retour]

  6. Une éthopée est une description qui a pour objet le portrait moral et psychologique d'un personnage ou d'un milieu. Le mot, qui paraît calqué de manière presque comique sur épopée, n'a jamais eu un grand succès. (n.d.é.) [Retour]

  7. C'est ce merveilleux paysan poète qui se fit un jour adjudicataire des travaux du cimetière de son village.

     — Es-tu maçon ? lui dit Mistral.

     — Non, mais j'ai loué la main-d'œuvre à mon compte et, avec mon mulet, Roubin, nous charrierons les pierres, le sable et tout ce qu'il faut…

    Mistral se demandait ce que cela voulait dire. Tout s'éclaircit lorsque l'enclos sacré fut bien fini, avec une belle croix au milieu. Charloun eut alors la fierté de pouvoir graver sur la pierre son quatrain provençal :

    Aqui lou viage se termino
    Vuei es pèr iéu, deman pèr tu.
    Urous aquéu que ié camino
    Dins lou draióu de la vertu !

    (Là se termine le voyage  — aujourd'hui pour moi, demain pour toi.  — Heureux celui qui y chemine  — dans le sentier de la vertu.)

     — Et ainsi, disait-il, dans cent ans, dans cinq cents ans, dans mille ans peut-être, ceux qui liront la pierre écrite sauront qu'au Paradou nous parlions provençal !…

    Décidément, le Félibrige a eu deux « saints » : Arnavielle et Charles Rieu. [Retour]

  8. Ce sont les deux derniers vers du premier chant de la Mirèio de Frédéric Mistral. (n.d.é.) [Retour]

  9. L'estran est la partie de la côte que la marée couvre et découvre tour à tour. En Provence, en l'absence presque complète de marées, cela correspond aux endroits inondables par la mer quand le vent tourne, quand il pleut abondamment, quand la mer est démontée, etc. L'estrambord c'est la partie du littoral proche de ces endroits, donc la plus exposée aux intempéries venues de la mer, et par extension tout le pays dont la côte forme un estran. Au sens moral, l'estrambord peut désigner aussi l'emportement, ou la capacité d'une personne à être transportée, bouleversée, et à le laisser paraître ouvertement. (n.d.é.) [Retour]

  10. Louis Gillet vient de nous quitter pour le grand malheur des lettres françaises. [Note de 1944. Louis Gillet est mort en juillet 1943. (n.d.é.)] [Retour]

  11. Les Cahiers d'André Walter sont une œuvre d'André Gide parue en 1891, présentée comme les écrits posthumes d'André Walter. (n.d.é.) [Retour]

  12. Purgatoire, XXIV, 52–53. (n.d.é.) [Retour]

  13. Purgatoire, V, 133–136 :

    ricorditi di me, che son la Pia ;
    Siena mi fé, disfecemi Maremma :
    salsi colui che 'nnanellata pria
    disposando m'avea con la sua gemma.

    Soit : « Je suis Pia, de moi qu'il te souvienne ! Sienne m'a faite et la Maremme m'a défaite : il sait comment, celui qui m'épousa et qui m'avait passé l'anneau des fiançailles. »

    Henri Longon explique ainsi l'anecdote sous-jacente dans sa traduction de la Divine Comédie, en note :

    Cette âme mélancolique, timide et pudique, est celle de Pia de' Tolomei, première femme de Paganello de' Pannochieschi, seigneur du château de la Pietra, en Maremme. [...] Peut-être par jalousie, mais bien plutôt, semble-t-il, poussé par le désir d'épouser certaine riche veuve, Paganello emmena Pia au château de la Pietra et l'y fit secrètement mourir.

    (n.d.é.) [Retour]

  14. Purgatoire, premiers vers du chant VIII :

    Era già l'ora che volge il disio
    ai navicanti e 'ntenerisce il core
    lo dì c' han detto ai dolci amici addio ;
    e che lo novo peregrin d'amore
    punge, se ode squilla di lontano
    che paia il giorno pianger che si more;

    Soit : « Il était déjà l'heure où s'émeut de regret et s'attendrit le cœur de ceux qui sont en mer, le jour qu'aux doux amis il fallut dire adieu ; l'heure qui point d'amour le nouveau pèlerin, si dans l'espace il entend une cloche qui semble, par son glas, pleurer le jour qui meurt. » (n.d.é.) [Retour]

  15. Paradis, XXIII, 1. (n.d.é.) [Retour]

  16. Purgatoire, IV, 120. (n.d.é.) [Retour]

  17. Rétablissons le texte dantesque (Enfer, IX, 62–64), cité ici de manière particulièrement imprécise par Maurras, à moins qu'il ne s'agisse banalement d'erreurs de composition typographique :

    O voi ch'avete li 'ntelletti sani,
    mirate la dottrina che s'asconde
    sotto 'l velame de li versi strani.

    Soit : « Vous qui avez l'intelligence saine, sondez l'enseignement qui se dérobe ici sous le voile tissé de vers merveilleux.  » C'est le passage où Dante et Virgile, impuissants à entrer dans les murs de Dité, la cité infernale dans laquelle les plus coupables des damnés sont reclus, vont recevoir le secours d'un envoyé céleste qui leur en fait ouvrir les portes. (n.d.é.) [Retour]

  18. Paradis, XXX, 38–39 :

    Noi siamo usciti fore
    del maggior corpo al ciel ch'è pura luce :

    « Nous voici donc montés du plus grand corps au ciel tout de pure lumière. » (n.d.é.) [Retour]

  19. Paradis, II, 22 : « Béatrice vers la hauteur, moi sur elle je suspends mon regard. » C'est sans doute l'un des vers de Dante les plus volontiers cité par Maurras. (n.d.é.) [Retour]

  20. Paradis, V, 97 : « si cette étoile en rit et fut changée  » ; pénétrant avec Béatrice dans le deuxième ciel, celui de Mercure, Dante remarque que la joie grandissante de Béatrice fait rayonner plus fort la planète – improprement qualifiée d'étoile – et demande donc rhétoriquement ce qui a changé en lui si même une étoile a été influencée par la joie de son guide. (n.d.é.) [Retour]

  21. Enfer, II, 55 : « ses yeux brillaient plus que ne fait l'étoile ». (n.d.é.) [Retour]

  22. Cf. Paradis, XV, 106–108. (n.d.é.) [Retour]

  23. Cf. Purgatoire, XX, 43. (n.d.é.) [Retour]

  24. Paradis, XVIII, 4. (n.d.é.) [Retour]

  25. Purgatoire, I, 13. (n.d.é.) [Retour]

  26. Jean Moréas, Le Pèlerin passionné, Je naquis au bord d'une mer… Les vers qui suivent sont sans doute les plus connus et les plus cités de Jean Moréas. (n.d.é.) [Retour]

  27. Purgatoire, I, 117. (n.d.é.) [Retour]

  28. Horace, Satires, I, IV, 61. « Prenez les vers de mes satires, ou ceux du vieux Lucilius, déplacez les mots, ôtez le rythme et la mesure, et vous trouverez de la prose toute pure, et vous ne reconnaîtrez pas les membres dispersés du poète. » On utilise la locution pour parler de vers épars recueillis ou cités. (n.d.é.) [Retour]

  29. Nom rare : Littré ne donne que l'adjectif symposiaque. La symposie, forgée sur le nom antique du Banquet de Platon, Symposium, est la réunion de savants ou d'érudits. Ici, métonymiquement, le mot est appliqué aux biens spirituels qu'ils échangent dans de telles réunions. Rappelons que Dante a écrit un Convivio, un Banquet. De là sans doute ce terme précieux qu'utilise Maurras. (n.d.é.) [Retour]

  30. C'est en 1476 que Marsile Ficin publie une traduction italienne du De Monarchia, De la monarchie, traité politique écrit par Dante en latin entre 1313 et 1318. Il l'agrémente d'une lettre sur le retour des cendres de Dante à Florence où figure cette formule. (n.d.é.) [Retour]

  31. Ernst Robert Curtius, 1886–1956, philologue allemand, spécialiste des littératures romanes, qu'il ne faut pas confondre avec son grand père, historien et archéologue, Ernst Curtius. (n.d.é.) [Retour]

  32. André Bellessort, 1866–1942, journaliste, poète et romancier. Il fut proche de l'Action française. Élu à l'Académie française en 1935. (n.d.é.) [Retour]

Texte paru dans la Nouvelle Revue universelle le 25 octobre 1941, repris dans Poésie et Vérité en 1944.

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