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Le Squelette de Ronsard

À Madame la marquise de Maillé
par qui fut rejeté le faux squelette de Ronsard

Depuis qu'au tournoiement de son glaive de flamme
Le prince des héros qui sauvèrent la Loi,
Ulysse, de la fosse où s'abreuvent les Rois,
Écarta pour jamais le vulgaire des âmes,

La cendre du bûcher, la poudre de la lame
Connurent qu'en glissant vers les royaumes froids
Sont les rangs conservés, sauvegardés les droits,
Juste inégalité de l'éloge et du blâme.

Ô fossoyeur d'Hamlet qui nommais au hasard
Tes crânes sans honneur, tes squelettes sans gloire,
Les premiers os venus ne sont pas de Ronsard !

Mais, Madame, par vous, au rivage de Loire
La science, l'amour, les mesures de l'art
Vengent l'éternité, le Poète et l'Histoire.

Août 1933.

À Madame la marquise de Maillé
par qui se retrouvèrent les vrais os de Ronsard 1

— Venez ; notre Ronsard est sorti du tombeau,
Disent d'Amboise à Tours par les prés et les vignes,
Les belles au long cou, blanches comme des cygnes,
De royales amours authentiques flambeaux.

Henri, Charles, François furent jeunes et beaux
Qui surent, du baiser de leur bouche maligne,
Cette grâce couler en des formes insignes :
— Ils t'auraient tous aimé, ô princesse de Baux !

Car le rouleau brumeux de la mer des Atlantes
Ni la pâle désert Catalaunique n'ont
Refroidi le soleil dans ta veine brûlante,

L'étoile aux seize dards enfle tes gonfanons
Et dore en flamboyant sur la rivière lente
Du poète endormi le sépulcre et le nom.

Juillet 1934.

Le 27 septembre 1932, on découvrait dans le déambulatoire de l’ancienne église du prieuré Saint-Côme, du côté de l’Évangile, des ossements humains que la première émotion avait fait prendre pour ceux de Ronsard. Un examen attentif détruisait bientôt cette erreur. Mais le 10 mai de l’année suivante, des recherches bien conduites par le Dr Robert Ranjard mettaient à jour le vrai squelette du poète qui pouvait être identifié par des concordances, des indices et enfin des preuves irréfutables.

C’est grâce à Madame la marquise de Maillé, vice-présidente et animatrice de la Sauvegarde de l'art français que ces recherches précieuses ont été entreprises et menées à bien.

Auteur des Abbayes cisterciennes, et, avec M. Marcel Aubert, de L’Architecture cistercienne en France, Madame de Maillé est l’apôtre pieux et ardent, enthousiaste et savant, de nos antiquités médiévales. Mais les médiévistes sont, en général, exclusifs et jaloux. La marquise de Maillé ne l’a jamais été. Les devoirs qu’elle a rendus à la cendre du premier grand maître de la Renaissance classique me donnaient le droit d’invoquer les ascendances provençales lointaines, mais directes, de la marquise de Maillé. Ainsi ont cru pouvoir en disposer les deux sonnets lus plus haut.

En tête de sa savante étude sur La Stèle du danseur d’Antibes et son décor végétal, notre éminent confrère très regretté M. Franz Cumont, membre de l’Institut, a rendu grâce à « l’érudition toujours libérale de Madame de Maillé », ajoutant : « En toute justice, le nom de cette collaboratrice bénévole aurait dû figurer à côté du nôtre sur la page du titre. » C’est du musée provençal d’Antibes que Madame de Maillé avait rapporté quelques-unes des observations qui ont permis d’identifier la feuille du lierre qui orne l’épitaphe du petit danseur Septentrion, comme aussi de fixer le vrai sens du fameux Biduo saltavit et placuit 2. Que la roche des Baux et le sang de ses princes en tirent des gloires nouvelles !

Charles Maurras
  1. Ce second sonnet a été repris dans les Œuvres capitales sous le titre Ronsard sorti du tombeau. (n.d.é.) [Retour]

  2. Mauras fait ici allusion à une inscription antique d'Antibes (Corp. inscr. lat. VI, 8519), laquelle parle d'un petit danseur appelé Septentrion qui charma les habitants d'Antibes lors d'intermèdes théâtraux : « Diis Manibus pueri Septentrionis annorum xii qui Antipoli in theatro biduo saltavit, et placuit. » L'inscription fut au centre de quelques controverses érudites qui la mirent à la mode : Anatole France en parle dans La Vie en fleur et elle inspira à Mistral un poème : Septentrioun. C'est sans doute ce dernier point qui lui a valu un souvenir si précis dans la mémoire de Maurras à plus de quarante ans de distance. Voir la Revue des langues romanes, t. XXXV, avril-juin 1891, p. 23. (n.d.é.) [Retour]

Texte paru en 1952, datant partiellement de 1934–1935.

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