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Tragi-comédie
de ma surdité

Ma surdité compose une bonne moitié de ma vie. Je dis bonne pour en mesurer l’importance ; très mauvaise quant aux effets. La grandeur d’âme des hommes de la Renaissance en a pu juger autrement ; le magnifique Ronsard prenait tout en bien, même une infortune pareille ! Son ami et disciple, Joachim du Bellay renchérit : affligé des mêmes disgrâces, il composa une ode en l’honneur de la surdité. Ses sophismes chantés ne m’ont pas convaincu. On m’a souvent dit, pour me consoler, qu’en m’éloignant des vains bruits du monde, une admirable Providence m’avait fait des loisirs pour réfléchir et méditer. Mais la matière à réflexion et méditation est portée à l’esprit par les bruits du monde ; ils ne sont pas si vains ! Et, pourrais-je ajouter, je ne réfléchis, ni ne médite jamais aussi bien qu’au débouché de ces bruits-là ! Il resterait à écouter l’ingénieuse poétesse (russe, si je ne me trompe) qui, certain soir du début du sombre été de 1939, m’assura en public que si les dames me voulaient parfois quelque bien, c’était que la nécessité de se faire entendre imposait déjà l’obligation de supprimer beaucoup d’espace entre leurs douces lèvres et mon malheur. Cet argument serait supérieur à tout s’il se fondait sur quelque chose de réel. Ce n’est, hélas ! qu’un « si » de pure invention, de féerie ou de leurre. Quod gratis asseritur… gratis negatur 1.

Il serait oiseux de compter tout ce dont la surdité m’a séparé et privé, ou les efforts incroyables qu’elle a exigés de moi. Ne parlons même pas du deuil de la musique ! Oublions mon rêve d’enfant, et grand enfant déjà : l’appel à l’École Navale d’où je devais sortir marin, comme le père de ma mère et comme tous les siens. Retenons un seul fait : un enchaînement bien involontaire et inattendu de mes aptitudes d’esprit m’a conduit à devenir écrivain politique et, de là, quelque chose comme homme politique. Dans la vie politique, il n’est pas de plus sûr médiateur que la parole ; s’il se trouva que j’avais la langue bien pendue, l’organe récepteur me fut ôté avec l’ouïe ! L’ouïe, cette moitié du sens des rapports sociaux ! Que l’on calcule ici l’effet de son absence ! On accorde, en général, à mes avis politiques un peu de crédit ; il m’est arrivé de les faire écouter d’un grand nombre. Est-ce que ce nombre n’aurait pas été multiplié si l’ouïe ne m’avait manqué ? N’aurais-je pas pu être alors le petit atome errant et parlant qui aurait épargné de grands maux à notre patrie ? Mais, dans cette carrière qui ne fut que mon pis-aller, j’étais mis en état d’infériorité par le premier rhéteur venu pouvant tenir le coup sur la planche d’une tribune !

I
Caractère du mal physique

Comment ce mal m’est-il venu ?

Il n’était pas héréditaire. Mon frère n’était pas sourd. Ni mon père. Ma mère n’a mal entendu que dans sa vieillesse extrême. Les souvenirs de ma petite enfance sont très clairs : si bas que l’on voulût parler devant moi, la fine oreille guettait et surprenait tout. C’est vers quatorze ans révolus que j’ai senti brusquement l’audition se dérober. Non pour les sons proprement dits : j’ai longtemps entendu toutes les voyelles. Les articulations ont manqué les premières. Par quelle cause ?

L’année 1882 est celle où, laissant notre jardin de Roquevaire, nous sommes venus passer les vacances d’août et de septembre à Martigues, où j’ai commencé à prendre des bains de mer. Ces bains sont-ils les premiers coupables ? Je plongeais beaucoup, et nageais beaucoup sous l’eau. On attribue à l’eau de mer ainsi aspirée par les narines un mauvais effet sur l’oreille. Je crois néanmoins que le mal couvait depuis les trois ou quatre années précédentes.

J’avais eu la coqueluche en 1877, et ce bobo m’avait laissé des embarras de nez et de gorge absolument nouveaux pour moi : de fins grumeaux en chiffreneurs 2 me faisaient souffler par le nez comme une petit phoque : l’ouïe devait s’en ressentir déjà un peu. Ce qui me le fait croire, c’est que, entre 1877 et 1882, il me souvient de quelques circonstances où, écoutant de toutes mes oreilles un prédicateur ou un conférencier peu en voix, je ne distinguais plus qu’une partie de son discours. Mais cela n’était jamais arrivé dans mes classes avec mes professeurs.

Or, un jour, en troisième, on dictait une version latine, exercice où je n’étais pas mauvais ; d’ordinaire, le texte dicté, au fur et à mesure que je le prenais, me dévoilait les grandes lignes de son sens. Cette fois, non seulement la signification générale m’échappait, mais je ne reconnaissais plus les mots du vocabulaire, qu’ils fussent rares ou familiers. Le lendemain, je fus appelé au tableau noir pour y poser des chiffres à la dictée. Ce fut un désastre. Pas un qui fût exact. J’entendais si mal qu’il fallait craindre de ne plus entendre du tout.

Ma mère me conduisit immédiatement chez notre médecin, excellent praticien de quartier qui nous soignait tous et fort bien depuis notre arrivée à Aix, le docteur Gouyet, homme d’expérience et de bon sens. Il regarda ma conque au moyen du petit entonnoir usuel et s’écria : « Pas étonnant ! c’est bouché ! » prescrivit des lotions d’eau savonneuse tiède pour rouvrir le conduit en fondant et expulsant cette croûte de cérumen : « Revenez dans un mois ». Au bout du mois, la croûte de cire avait disparu, l’oreille externe était devenue libre, j’étais aussi sourd que devant.

Alors commencèrent nos visites aux spécialistes les plus variés de Marseille et d’ailleurs. Je n’ose me prononcer sur le sérieux de plusieurs d’entre eux. Les maladies de l’oreille étaient exploitées alors par bon nombre de charlatans qui avaient le champ libre par l’extrême retard de la thérapeutique de l’oreille, en province du moins. J’ai cependant gardé un très beau souvenir du docteur Chargé, que nous allions consulter d’abord à Balaguier, près de Toulon, puis, quand il eut vendu sa belle villa de Tamaris, à Sant-Nari (Saint-Nazaire, que les imbéciles écrivent « Sannary » et prononcent comme « Canari »). C’était un très beau vieillard, dont les longs cheveux blancs couvraient, à flots, les hautes épaules. Son masque impérial convenait à sa qualité d’ancien médecin de Napoléon III. Il employait l’homéopathie. L’échec que lui fit subir ma surdité contribue à m’inspirer un certain scepticisme pour une méthode aujourd’hui si courue ! Nous retournâmes aux allopathes qui ne firent pas mieux ; le mal dura, il s’aggrava même un peu, jusqu’à notre installation à Paris.

À Paris, un grave risque fut couru, j’y échappai par miracle. C’était le moment où florissait, en laryngologie, rhinologie, otologie, une méthode de bouchers. Tout y était donné à la plus aventureuse des chirurgies. Par grande chance, je tombai d’abord sur un ancien médecin de la Marine, un des plus jeunes amis de mon grand-père, qui s’était spécialisé sur le tard dans les affections de l’ouïe, le docteur Bonnafont. La sagesse de l’âge lui inspirait une extrême prudence. Ce qu’il pratiquait avec moi, c’était le cathétérisme, injection de vapeur de goudron au moyen d’une sonde de caoutchouc s’ajustant par le nez à la trompe d’Eustache. Il ne se vantait pas en disant qu’il lui suffisait de toucher le bord d’une narine pour se représenter la forme du conduit. Je n’ai jamais senti de main plus légère. Sa médication améliora, et beaucoup, mes embarras de gorge et de nez sans décider de grands progrès pour l’entendement. Peut-être mourut-il trop tôt.

Peu après, un ami me conduisit chez un jeune médecin qui usait, avec la même prudence, de la même méthode. Il s’appelait le docteur Boucheron. Je me trouvai également bien de ses soins. En me cathétérisant, il s’aperçut que j’avais une déviation de la cloison nasale gauche… « Qu’à cela ne tienne ! dit-il, je vais vous en débarrasser. Et sans vous faire mal. » Aussitôt fait que dit. Sans le moindre mal, en effet ! À ma grande merveille, je sentis les cracras d’acier de la petite scie coudée montant et descendant, qui grinçait sur l’os nasal de gauche ; je voyais en découler de beaux petits filets de sang vermeil et je n’éprouvais pas la moindre douleur. La sensation cognitive était parfaitement dissociée de l’affective, et ce chef-d’œuvre de l’analgésie m’apparut, en plus d’une belle leçon de psychologie appliquée, la plus étonnante des conquêtes de la science. Je me revois encore, par cette matinée d’hiver, revenant du cabinet du docteur à notre rue Cujas, crachotant de mon nez, sur la neige, à travers les compresses d’ouate hydrophile, de petites mousses de sang et méditant sur ces nouveautés non pareilles de l’art humain. C’était l’année de l’Exposition universelle. Ce mode raffiné d’insensibilisation me semblait l’emporter encore en beauté sur mes deux autres admirations du moment : les fontaines lumineuses et la danse passionnée d’une certaine Espagnole qui répondait au très beau nom de Soledad, ou la solitude !

Le cathétérisme me fut donc continué dans de meilleures conditions. Ses effets ne varièrent pas. On peut redire qu’ils atteignirent, non le mal, mais sa marche, et pour longtemps. De ma vingt-unième année à la soixante-dixième, il est resté presque stationnaire, et n’a empiré que très lentement, bien que, peu à peu, j’eusse cessé toute espèce de médication. « Croyez-moi, m’avait dit un jour le poète Raoul Gineste, qui était à la ville le docteur Augier, provençal de la bonne souche, touchez-y le moins possible et n’y laissez plus tripoter. »

Ce principe hippocratique du quieta non movere pu être observé cinquante ans. J’étais plus que septuagénaire l’année de l’exode, à partir de laquelle le poids de l’âge s’est fait sentir durement de ce côté-là. Les deux docteurs Bonnafont et Boucheron doivent être remerciés de m’avoir rendu le service immense de mon stade à cinquante ans dans une surdité moyenne qui m’a permis des relations et des amitiés que je n’ai point trop fatiguées. De plus, l’expérience de leur médication m’a apporté en quelque sorte le diagnostic approximatif de mon mal. Je le rapporte ici dans l’intérêt des familles où se produiraient des cas accidentels analogues au mien :

  1. Embarras de gorge et de nez causés par les bains de mer, ou par une coqueluche, ou, comme le disait avec son admirable divination Léon Daudet, par un simple rhume de cerveau ;

  2. Ensuite, par des grumeaux accumulés ou engendrés et régénérés dans ces voies délicates, obstruction plus ou moins temporaire de la trompe d’Eustache, déterminant un affaiblissement graduel de l’ouïe, mais affection très curable par le cathétérisme, si l’on s’y prend à temps ;

  3. La fréquence, puis la durée habituelle de cette obstruction empêchant l’air d’arriver à l’oreille moyenne, raréfiant, puis arrêtant la vibration de la chaîne des osselets dans la caisse du tympan ;

  4. Paralysie complète de la chaîne des osselets, sclérose progressive de l’oreille moyenne ; c’est le moment où le cathétérisme ne peut plus rien pour l’audition, certaines destructions irréparables étant consommées ;

  5. Le mal chemine de l’oreille moyenne à l’oreille interne, à son tour sclérosée, et les osselets paralysés ne pouvant plus rien apporter des vibrations aériennes du son.

Ces choses sont dites en termes fort grossiers, populaires ou périmés. Mais on peut changer les mots, non le fait, et le fait est qu’il faut veiller sur la trompe d’Eustache et la déboucher, la désinfecter, en temps voulu au moyen du cathétérisme ou de quelque chose de meilleur, si cela se trouve.

Telle est l’utilité pratique à tirer des leçons de mon mal.

II
Fable d'un malevolus poeta

Chose singulière, je n’ai jamais eu l’ombre d’un mal d’oreille, en dehors de légers dépôts de cérumen comme celui qu’avait observé en 1882 notre médecin d’Aix. C’est donc tout à fait à faux qu’un poète, malevolus poeta 3, eut de grandes qualités de métricien et de rhéteur, se fit une spécialité de célébrer en vers et en prose une prétendue « otite (ou rhinite) purulente », dont je n’ai jamais eu à souffrir, ni à faire souffrir mes semblables. C’est une chimère lyrique, à laquelle les Lettres françaises devront un certain nombre de ballades où j’ai l’honneur d’être vilipendé avec Maurice Barrès, Paul Bourget et Jean Moréas, et qui sont toutes également vides de vérité. Leur auteur, Laurent Tailhade 4, tenait-il beaucoup à sa fable ? S’il y est beaucoup revenu, on a des textes successifs du même poème où, selon la rime et le rythme, Barrès devient Maurras ou Maurras Moréas, et réciproquement ; tant que le compte s’en retrouve, l’auteur se soucie peu de ce qu’il lui fait porter. C’est dire quelle confiance le fond de la diatribe peut mériter !

Mes relations avec Tailhade avaient commencé par être excellentes. Il avait quatorze ans de plus que moi. Je l’avais rencontré en compagnie de camarades du Midi dont il était l’aîné, mais qui étaient encore les miens, et dont le plus connu était l’héraldiste poète qui signe Norbert Lorédan. On se voyait le plus souvent dans le sous-sol du café du Soleil d’Or, Saint-Michel, où s’écoutait et se disait beaucoup de vers de toute sorte. Un certain soir qui mérita de faire époque, Laurent Tailhade récita son Hymne à Aphrodite, brillant il m’en souvient, mais dont le murmure et le beau mouvement me restent seuls en mémoire. Il le fit suivre d’une autre pièce, Vitraux, chef-d’œuvre, dont je me rappelle deux beaux versets néo-catholiques :

Bernard dans le vallon, Benoît sur la colline,
La Sibylle qu’Arnaud de Moles attesta,
Et le Roi-Christ féru du coup de javeline,

Et plus haut, en plein ciel, un chœur d’enfants porte à
Notre-Dame, sur le vélin des banderoles,
Ces mots d’amour : « Ave, felix Cœli Porta ! »

Les compliments enthousiastes que je lui en fis n’étaient pas d’admiration vaine ; ces vers, que je connaissais, dits par lui, dans leur ordre et dans leur mesure, avec un accent de piété presque médiéval, revêtaient une véritable splendeur. En remontant avec lui, ce soir-là, vers les hauteurs du Quartier, je lui dis que la petite secte des « Magnifiques » que venait de fonder le Marseillais Roux, dit Saint-Paul Roux, n’aurait jamais qu’un chef légitime, qui serait lui. « Vous êtes, dis-je en propres termes, Laurent le Magnifique. » Le lendemain, il reçut à l’hôtel Foyot qu’il habitait, au coin des rues de Tournon et de Vaugirard, face au palais de Médicis, une ballade de mon cru chantée à sa gloire, dont je ne suis pas incapable de retrouver encore l’envoi :

Prince au plat d’or gisent les clés
À vous, Florence se trafique
Ou se donne, si le voulez :
Êtes Laurent le Magnifique.

Quelques mois plus tard, Laurent Tailhade, assez fier de cette échappée d’admiration juvénile, me demandait de l’autoriser à publier soit la ballade, soit l’envoi (peut-être l’un et l’autre, il ne m’en souvient plus) dans le texte d’une notice qui lui était consacrée aux Hommes d’aujourd’hui qu’éditait alors le bibliopole du quai Saint-Michel : Léon Vannier. Bien entendu, j’autorisai. Tout ou partie de la pièce parut au lieudit. Les chercheurs l’y trouveront sans difficulté.

Nous ne nous rencontrions pas seulement au café. Il existait alors, à la croisée de la rue Vaugirard et de la rue de Rennes, une maison délicieuse et savante, la même où, vers ce temps, je saluais pour la première fois la future Mme Léon Daudet, notre future collaboratrice Pampille, alors toute petite fille, et ses père et mère, M. et Mme Allard, celle-ci propre sœur d’Alphonse Daudet. Les Allard voisinaient dans le même immeuble avec deux Provençales de Paris, la mère et la fille, dont Laurent Tailhade était depuis longtemps le commensal assidu, et qui depuis peu me faisaient aussi l’honneur de me recevoir avec beaucoup d’amitié. À vrai dire, l’heure approchait où l’étoile du poète de Vitraux commençait à pâlir un peu par sa faute : déjà précédé d’une solide réputation de coureur de dots ou de douaires, il avait imaginé de faire simultanément la cour à ses deux hôtesses. Elles étaient plus fines que lui. La plus jeune, qui en fut la moins flattée, prit en grippe « Laurent » et j’eus la confidence de courroux gracieux qui montraient le poète sous un mauvais jour et le découronnaient.

Lui, cependant, vérifiant un axiome de Maurice Barrès, ne demandait pas mieux que de trouver du génie à qui lui reconnaissait du talent, et j’étais de sa part l’objet d’une admiration si confiante et si chaleureuse qu’il voulut bien m’accueillir dans le secret de l’atelier de ses nombreux succès, en qualité d’assistant, et même quelque chose de plus. En ce temps-là, comme plusieurs de ses confrères et comme le fit encore, beaucoup plus tard, le poète Auguste Angellier 5, Laurent Tailhade aimait à faire circuler ses poèmes à l’état d’ébauche ou d’esquisse en demandant conseil et secours à des camarades admirateurs et jeunes amis. Ayant droit à l’un de ces titres, je reçus de lui, un beau jour, le brouillon des deux premières strophes de sa ballade à la gloire de la Sainte Pauvreté. En voici le début que je crois me rappeler assez bien.

On excusera les faiblesses d’une réminiscence vieille de plus d’un demi-siècle. Les unes sont dues à ma mauvaise mémoire, les autres aux perfectionnements qu’y aura apportés le poète :

Dans le sentier où croît l’épine affreuse
La vierge au maigre sein, la Pauvreté,
Malgré Douloir qui sa paupière creuse,
Et Malefaim debout à son côté,
Gravit sans peur le mont ensanglanté,
Car elle sait, la vierge tutélaire,
Quel vêtement de gloire et quel salaire,
Et quels joyaux faits de pleurs anciens,
Attend l’Époux que son amour éclaire,
Lors que Jésus reconnaîtra les siens.

Sans répondre de tous les mots, voilà l’essentiel du premier dizain. J’ai totalement oublié le second. Tailhade me demandait de lui faire un projet pour le troisième ; il se chargeait de l’Envoi. Je n’étais pas assez individualiste pour m’étonner de cette ébauche de coopérateur bénévole. Cela me parut normal, et honorable, en somme. Il est bon que les jeunes travaillent pour leurs Anciens, car cela leur apprend à œuvrer pour eux-mêmes. Je me mis au travail et accouchai d’un projet-monstre, qui ne manquait pas de la qualité des monstres. Tailhade l’eut sans délai. Quelques jours plus tard, comme nous dînions ensemble rue de Vaugirard, il se mit à lancer de sa belle voix de gorge l’un des décasyllabes dont je lui avais fait présent :

Le sang doré de l’agneau jubilaire

non sans exprimer en termes sibyllins que, tout en faisant partie d’une ballade à lui, ce vers était pourtant de moi ! Quand on se leva de table, la jeune fille de la maison m’empêcha de suivre le mouvement et me pressa de questions. J’avouai tout. Oui, le vers était de moi. Oui, j’en avais fait cadeau à Laurent. Oui, je le lui avais abandonné en toute propriété, sans esprit de retour… Je ne crois pas avoir jamais été grondé avec plus de gentillesse ni plus de rage. Quel benêt ! Quel nigaud ! Fallait-il être bête ! Le sot ! Le daim ! D’abord, quand on avait fait un beau vers, on le gardait pour soi. Par-dessus tout, on ne le donnait pas à Laurent, à un coureur comme Laurent, à un… comme Laurent. L’adorable Furie ! aurait dit le contemporain de Cinna. Elle ne consentit à s’apaiser que moyennant la promesse formelle de me racheter en lui envoyant, dès le lendemain, un quatrain de réparation, de désaveu, de repentir et surtout de vengeance… Comment me dédire ? Le lendemain, dès potron-minet, Melle Xxx recevait la rançon, libellée en ces termes :

Laurent colloque à ses amis
De bonnes ballades à faire,
Au bas desquelles il a mis
La signature du notaire.

Toujours tiré à quatre épingles, précieux et compassé, Laurent donnait assez bien l’idée d’un tabellion 6 de province. Le bout d’épigramme sans pointe emporta ma grâce. C’était beaucoup, et pas trop cher, même pour la victime. La propriétaire de la petite pièce était évidemment incapable d’en parler. Fut-on moins discret dans un entourage ? Laurent la soupçonnait-il ? Je ne crois pas. Ses affaires étaient trop mal en point pour qu’il bénéficiât d’une fuite.

Mais, vers le même temps, il s’était élevé entre Laurent et moi un bien autre orage : Moréas ! Il y avait eu le succès de Jean Moréas. Il y avait eu le fameux article d’Anatole France, que je passais – à tort – pour avoir inspiré. Il y avait eu la fondation de l’école romane, dont Moréas était le chef, et dont j’étais membre, et surtout, eh ! surtout, ma brochure à la gloire de ce Jean Papadiamantopoulos-Moréas, que Laurent poursuivait déjà d’une jalousie âcre et folle ; car il avait raison d’envier la science, le goût et le génie de Moréas, le très grand talent très réel de Tailhade ne lui permettant pas de se comparer sérieusement à lui. Ses décors d’histoire sans race et de mysticisme sans foi ne faisaient tout juste que rassembler les suprêmes lueurs de l’automne parnassien. Avec un peu plus de verve que ses maîtres, sans doute, il pratiquait un art de mots, où le mot avait perdu sa signification et l’image son sens, dans un pittoresque éclatant et sonore auquel manquait également la profondeur et l’intensité. Ses ballades satiriques valaient mieux, mais c’était encore artifice et grimace, jeu verbal déjà bien usé, vaine tendance sans issue. Le soleil levant de Moréas apportait une renaissance : style, composition, ordonnance, tout en était renouvelé. Il rafraîchissait notre poésie en la ramenant à ses sources romanes, médiévales, ronsardiennes, raciniennes, lamartiniennes même, unissant la jeunesse à l’antiquité, la tradition à la nouveauté, l’étude des vrais maîtres à l’horreur des mauvais.

L’Athénien, honneur des Gaules, Moréas !

Sans voir qu’il se figeait dans des moules vieillis, Tailhade devait me tenir pour une espèce d’apostat, il me traita comme tel, écrivit de moi pis que pendre, en prose et en vers. Quand ce fatras fut écoulé, je voulus voir ce qu’était devenue ma collaboration à la Sainte Pauvreté fis rechercher le texte de la ballade achevée.

On me la retrouva. Fut-ce dans un volume ? Ne fut-ce pas plutôt dans une revue ? Le Mercure de France, je crois ? Toujours est-il que je lus, parfaitement à sa place, dans la seconde ou la troisième strophe, le décasyllabe venu de moi :

Le sang doré de l’agneau jubilaire,

L’otite purulente ne lui ayant rien enlevé de son charme, la signature du notaire n’y devait pas manquer.

J’avais perdu de vue Tailhade, quand il se rendit célèbre par son mot sur « les vagues humanités » qui pouvaient avoir à souffrir des bombes anarchistes ; quelques mois plus tard, une de ces bombes l’éprouvait cruellement 7. De longues, longues années passèrent encore, et voici qu’un jeune homme, se disant le fils de Tailhade, raconta, bien après la mort de son père, que le poète se flattait de m’avoir fait prisonnier dans une émeute du temps de Dreyfus et, magnanime, m’avait laissé aller sans sévices. Ce rapport inexact contient un gros bobard à rectifier. Une rencontre avait eu lieu, en effet, avec Tailhade, dans une manifestation dreyfusarde : à l’enterrement de Zola. Mais le long cortège des zolistes avait défilé aux boulevards extérieurs, entre deux haies de peuple parisien qui, malgré son respect de la mort, était peu favorable aux manifestants. Nous étions là, quelques-uns des premiers fondateurs de L'Action française, Lucien Moreau, Léon de Montesquiou, Vaugeois, appuyés d’un bon nombre d’étudiants nationalistes ; il ne pouvait être question d’y faire aucun de nous prisonnier. Je vis Tailhade, et il me vit, nous nous reconnûmes échangeant des regards dépourvus d’amitié. Mais comment le malheureux garçon eut-il rien osé ni tenté dans l’équipage où il défilait avec ses compagnons : bras dessus, bras dessous, liés les uns aux autres aussi étroitement que ces barbares qui se chargeaient de chaînes pour s’empêcher de fuir. Malgré l’importance de la garde et de la police, malgré leur nombre, ils appréhendaient clairement les humeurs d’une foule plus nombreuse qu’eux. Si l’un des deux était en état de donner un assaut à l’autre, ce n’était pas Tailhade et sa troupe. Le fils a donc été trompé par les gasconnades du papa. Sa piété n’a pas eu tort de les recueillir ; elles n’en étaient pas moins contraires à la vérité.

Voilà donc enterrées deux légendes du malevolus poeta. seconde m’a bien éloigné du conduit auditif. Pour en reprendre l’histoire, il faut revenir aux années de collège en Provence.

III
Mes bons anges

J’avais écrit tout de travers au tableau noir les chiffres d’un problème. J’étais resté indécis, dérouté, devant les termes d’une dictée latine. En ce point se perdait tout mon bagage d’écolier, ou il allait se perdre, quand tout fut sauvé par bonheur. En même temps qu’elle s’occupait de ma guérison, ma pauvre mère était allée demander à mon professeur de me donner des leçons particulières. Celui-ci, excellent homme, qui est resté notre ami jusqu’à sa mort, à l’archiprêtrie de Saint-Sauveur d’Aix, avait dû s’excuser tristement sur l’état lamentable de ses cordes vocales qui lui permettaient tout juste de faire à demi-voix sa classe une petite heure par jour. Grave embarras à la maison ! C’était l’embarras d’un choix délicat plutôt que difficulté réelle : il fallait opter sur des maîtres également bien disposés, mais entre lesquels on ne pouvait choisir sans risque de froisser ou de fâcher quelqu’un. Par chance, il y avait à mon collège catholique d’Aix un maître, jeune encore et déjà fameux, avec qui nous n’avions jamais eu aucun rapport, mais qui ne put entendre parler de l’inquiétude de ma mère et de mon désespoir sans y prendre un vif intérêt : l’abbé Penon alla de lui-même demander à M. le Supérieur si Mme Maurras consentirait à lui confier son fils. Il passait à juste titre pour le premier latiniste et le premier helléniste du diocèse, pour le plus éloquent et le plus entraînant des initiateurs à la vie de l’esprit. Son offre spontanée fut la grande bénédiction de ma vie. Trois fois par semaine, l’abbé Penon venait à la maison, ou je montais dans son logement du Petit Séminaire ; ici ou là me fût ouvert le monde des idées, de leurs rapports, de leurs conflits. Sa voix distincte et mesurée, facilement haussée à l’enthousiasme, montrait parmi les livres autre chose que des ressemblances d’époques, ou des différences d’auteurs : leur esprit et leur âme ; en marge des programmes d’écoles et d’examens, j’étais exercé au plaisir de voir, comparer, juger ; de quelle utilité me furent ces premières études parallèles qu’il suggérait entre une fable d’Esope, d’Horace, de Phèdre et une fable de La Fontaine ! Et son Virgile ! Et son Homère ! Et son Lucrèce ! Et son Sainte-Beuve ! Et son Taine ! Ainsi, à la lettre, éveillait-il chaque faculté de penser. À partir de ces entretiens, car c’étaient des entretiens, non des classes, s’organisa ma vie mentale, sauve de tout ennui, toujours occupée et tendue. Après dix-huit mois de ce régime, au terme de l’année qui représentait la fin de ma seconde, il me dit : « Vous pourriez passer votre bachot… — Mais, je, je n’ai pas vu les auteurs latins et grecs de rhétorique (la Première d’alors), comment ferai-je pour les expliquer ?… — Il répondit tranquillement : vous le ferez à livre ouvert, vous en savez assez pour cela.  » Sa bienveillance exagérait, mais qu’elle fut encourageante !

Je me présentai l’année suivante, fus premier en français, aux langues anciennes, reçu avec mention. Ce succès matériel eut pour effet de dissiper le reste du nuage sous l’ombre duquel je vivais encore. Ma pauvre mère me l’a souvent redit ! De ce moment je lui parus cesser de penser que ma surdité barrât mes études et ma vie.

Mais jusque là ! Dans les premiers temps, il me semblait marcher au milieu des décombres de tout ce que mon adolescence avait remué d’ambitions. Je revois encore ces soirées, ces nuits presque entières passées sur la terrasse du chemin de Paradis ; tous les nôtres étaient couchés, sous le grand ciel d’été, je récapitulais avec amertume l’effondrement total de mes songes. Pas un qui subsistât ! Le mistral, si fréquent, et si vif, dont les durs claquements m’étaient encore sensibles, m’apportait les odeurs de la « Grand Mer » voisine, la liberté de son espace, avec le sentiment de l’éternelle inutilité de mon sort, depuis que mes escadres de ballons et de voiles avaient fait le même naufrage ! Quel chant de deuil, et dans cette détresse nocturne, nulle ouverture favorable n’y répondait ! Né et formé à toutes les merveilles de l’espoir et n’espérant pourtant plus guérir, à ces heures-là, je ne le désirais même plus ; il était trop tard, me disais-je, la limite d’âge de « Navale » serait passée, et je n’aurais pas fait les études de sciences spéciales qu’il y fallait. Je n’étais plus qu’un fruit desséché, noué pour toujours… Telle est l’épaisse brume de nihilisme qu’une heureuse composition, devant un jury universitaire, avait suffi à dissiper à peu près complètement ! Tel a été l’effet direct des leçons de M. Penon et de ses hautes vibrations intellectuelles !

Mais ma bonne mère avait songé à me pourvoir d’un autre dérivatif. Elle avait resserré autour de moi des amitiés solides et sûres. L’obligation d’assister comme un absent à des conversations qu’on tenait devant moi me causait une pénible humilité et le recours perpétuel à des interprètes répétiteurs exigeait de ma part beaucoup de confiance en eux. Mon frère y excellait. Depuis notre enfance, il m’aimait au point de me marquer une espèce de vénération. Mais un enfant de douze ans est plus différent d’un garçon de seize ans qu’un jeune homme de vingt d’un adulte de trente. Le malheur qui m’arrivait le trouvait d’ailleurs indigné et révolté presque autant que moi. Il me fallait d’autres secours ; ils furent savamment et très patiemment mis en train. Bien qu’étudiant hors des classes, je prenais ma part des récréations et des promenades du collège. Là se jouèrent, comme apostés, dressés, stylés par ma mère, avec la complicité de nos maîtres, les amitiés des deux camarades avec qui je me plaisais le mieux : ils mirent tout leur cœur à tenir leur rôle dans le complot de me divertir. L’un était exactement de mon âge. J’ai parlé longuement de lui dans la préface de La Musique intérieure, c’est à la nouvelle de sa fin prématurée, au fond de l’Algérie, que j’écrivis, en 1918, le premier Colloque des Morts : mon cher René de Saint-Pons ; vingt ans plus tard encore, j’ai visité sa tombe à Milianah ! Non plus que René, mon autre ami Signoret 8, notre aîné de deux ans, n’a pu donner sa mesure. Il était hautement doué. Les mauvais hasards de la vie le firent entrer plus tard, non sans un coup d’épaule de moi, dans l’administration préfectorale, à laquelle son extrême indépendance d’esprit et de caractère le rendait fort impropre. Son grand-père maternel, M. Baudillon, était à La Couronne, aux environs de Martigues. Sa mère avait été l’amie de pension de la mienne, Comme René, il s’ingéniait à tout ce qui pouvait alléger ma solitude, la peupler et la réjouir.

Par leur esprit naturel, ils entraient de plan pied dans le monde des pensées désintéressées auquel l’abbé Penon m’avait introduit. La discussion des idées, l’enthousiasme des grandes œuvres découvertes ensemble ajoutèrent à notre amitié. Nous avions fini, tous trois, à ne pouvoir plus vivre l’un sans l’autre ; quand Signoret alla faire une année de mathématique au lycée de Marseille, nous nous trouvâmes désemparés. Ainsi passaient les années scolaires.

Pour les vacances, ma mère ne fut pas prise de court. Deux camarades dévoués se chargèrent de moi dans les même conditions que mes amis du collège. C’étaient deux « séminaristes » (le séminaire, contigu au collège, avait en commun avec lui ses classes, non les études, non le réfectoire, non le dortoir, non les cours de récréation), deux élèves ecclésiastiques du pays. Tous deux sont devenus chanoines, l’un curé de Saint-Julien à Arles, mon cher abbé Boulat, l’autre, au chapitre métropolitain de Saint-Sauveur d’Aix, mon cher abbé Sabatier. Nous étions déjà bons amis ; dès lors, ils m’entourèrent d’une assiduité affectueuse de frères. Pas un jour ils ne me laissèrent seul. Promenades, baignades, longues courses à pied ou en barque, études, lectures, tout fut en jeu, tout préposé à la surveillance de ma tristesse, consolateurs fidèles que ne fatiguèrent jamais les caprices de mon humeur et ses brusques ressauts, ni les crises de dépression, auxquelles il m’arrivait quelquefois de céder. L’important était de donner aliment à mon activité d’esprit et de parole. Comme l’abbé Penon, comme Signoret et Saint-Pons, MM. Sabatier et Boulat s’y entendirent fort bien.

Cependant un jour vint où ces agréables facilités, nées des plus tendres artifices, manquèrent brusquement. J’avais été recalé à la seconde partie du baccalauréat de juillet 1885, pour ma composition de philosophie (trop philosophique), ce qui ne m’avait pas découragé du tout ; j’avais pris revanche en novembre suivant, premier à la philosophie, premier aux sciences, un malentendu matériel avait seul fait changer mon « très bien » en simple « bien ». Tout aussitôt l’abbé Penon donna à ma mère le conseil pressant de m’arracher aux délices de mes jeunes compagnonnages et de nous emmener, mon frère et moi, à Paris, au salubre et bienfaisant désert de Paris. Il fallait, pensait-il, car je le pouvais désormais, me donner tout entier au travail, et tout seul. Elle comprit et n’hésita point. Nous partîmes. Dix ans entiers (de 1885 à 1895) elle endura le dur exil, m’acclimata et me rendit la solitude supportable, avec un foyer, un centre, une garde de tous les jours. Des excellents avis que nous dûmes en tous temps au futur évêque de Moulins, il n’en fut pas, je crois, de meilleurs, et je lui en sais d’autant plus gré qu’il se privait lui-même de ce qu’il appelait notre collaboration, dont il prétendait tirer autant de fruits que moi-même. Je ne quitte jamais son tombeau de Simiane, où je vais plusieurs fois par an, sans lui rendre l’hommage que Jacques Bainville était bien moins fondé à m’adresser : « Hors le jour, je lui dois tout. » Que dire de ma mère ? En plus du jour physique, tout ce chœur de bons anges qu’elle avait unis près de moi !

IV
Paris

À Paris, la plaie se renflamma, puis à Paris la même flamme fut doucement et puis délicieusement amortie.

Non que, d’abord, j’y aie subi de graves déboires. Au contraire. Quelques études publiées sur des sujets très spéciaux avaient été lues avec faveur par des personnes compétentes, qui n’avaient pas voulu croire à mes dix-huit ans à peine sonnés. Ces succès d’un caractère très sérieux avaient contribué à raffermir ma confiance, non en moi (elle était retrouvée), mais dans le succès de l’effort pour une carrière assez indécise. Seulement Paris me soumettait à un régime de Tantale. Tant de cours ! de leçons ! de conférences ! et de si grands maîtres ! Ces vastes institutions d’enseignement et qui enseignaient tout ! N’importe qui pouvait s’y désaltérer à longs traits, moi seul ne pouvais y asseoir qu’un fantôme de corps, dissocié de sa pensée ! Tout ce que j’aurais pu apprendre ! Tout ce dont j’étais laissé ignorant ! Alors que tant d’esprits médiocres, connus et méprisés de moi, n’allaient y prendre que d’insanes breuvages d’arrogance et de présomption !

Un seul refuge pour tromper cette boulimie : les bibliothèques. C’est là que se sont consumées mes premières années de Paris : le matin et le soir à la bibliothèque de l’Université, sous les combles de la vieille Sorbonne et, quelquefois, le samedi, je ne sais plus pourquoi, à la bibliothèque de l’Arsenal, pour laquelle je passais le pont, saluais Notre-Dame, la Morgue, et revenais par le Jardin des Plantes. Mais là, dans ces cathédrales de livres, au cours de ces lectures dont quelques-unes décidèrent de moi, une autre amertume me reprenait. Que de recherches difficiles, que de débats, que de combats la claire voix d’un maître m’eut épargnés ! Que de tâtonnements ! Que de tours de force d’interprétation ou d’investigation ! Combien d’ouvertures me manquaient sur des problèmes essentiels, par le seul fait que souvent j’en ignorais la bibliographie et qu’il fallait la découvrir par un morne labeur. Il ne servait de rien de me dire que ces tables de livres existaient, qu’elles étaient toutes dressées. Encore fallait-il savoir où les prendre ! Qui m’en aurait instruit ? Des camarades ? Je n’avais pas de camarades. Bien qu’instruit à la Sorbonne, je m’étais bien juré de ne pas aller perdre mon temps à faire tapisserie pour des leçons que je n’entendrais pas ; je n’ai jamais mis les pieds dans une salle de cours. Aussi seul que possible, il me fallait trouver tout seul. Ce qui d’ailleurs finissait par arriver. À quel prix ! Je ne regrette plus ces mélancoliques travaux d’autrefois. Ils m’ont été surpayés du fruit de leurs peines. Mais c’était dur. Le dur tournait à l’atroce si je me remettais à mesurer de l’œil l’espèce d’océan sans rivages, formé de longues perspectives toutes semblables qui s’étendait au devant de chacune des volontés de savoir que je n’avais pas encore éprouvées, mais que je pressentais dans un avenir plus ou moins éloigné. En attendant, je luttais de mon mieux contre les obstacles dont mes curiosités immédiates étaient hérissées. Ce n’est pas le lieu d’exposer comment je les surmontais ni quelle méthode, peu à peu consciente et définie, j’inventai pour suppléer au fil conducteur et donner à tant de lectures chaotiques la forme et le tour, l’ordre et la règle d’études suivies. Cela pourra être conté ailleurs, je l’espère.

J’étais pourtant délivré de l’incertitude de ces commencements lorsque après quatre ou cinq ans de Paris je rencontrai un premier camarade digne de ce nom, Frédéric Amouretti, fils de Cannes, étudiant de Lyon et d’Aix. Nous nous connaissions par nos communs amis du pays. Il vint à moi. Je le reconnus au premier mot. Nous ne nous séparâmes plus. Si ses études particulières ne pouvaient être secourables à mon goût passionné de la philosophie et même de la poésie, il m’apportait en histoire, en géographie, en économie, en politique, ce que j’appellerai une rose des vents, de ces vents du large qui s’agitaient en moi, et qui m’agitaient de leur grondement continu, contrariés et combattus, mais toujours en présence. Son érudition, que tout le monde autour de lui exploitait, sa mémoire immense, sa charité, son droit d’aînesse (il était né en 1863), servirent à m’orienter sur beaucoup de sujets. Nos longues promenades diurnes et nocturnes se passaient non à causer, mais à discuter de toutes choses connaissables, souvent en provençal, pour ne pas être entendus des passants parisiens, et toujours avec un souci minutieux de la méthode, de l’objet, de la conclusion.

Ce n’est pas tout. Grâce à ses indications, je pus reprendre et compléter quantité d’études précédemment amorcées ; par lui, je sus où m’en aller quérir et découvrir les matériaux infinis qui manquaient à la mise au point ou à la mise en ordre de bien de mes idées flottantes, ou encore et surtout pour nourrir de quelque substance des schémas qui n’étaient qu’en voie de s’ébaucher. Grâce à lui, mon esprit n’aura plus fonctionné à vide, il aura informé les réalités désirées.

Mais vers la même époque, Paris me dispensait une autre richesse : la conversation de ses femmes. Je dirais, si j’étais vrai, leur douce éloquence. Les Françaises ont ce talent ; les Parisiennes, ce génie. Et sans doute toute femme parle comme elle vit, comme l’oiseau vole et chante. Mais la parole féminine prend à Paris une force d’épanchement, une liberté, une autorité qu’elle n’a pas toujours ailleurs. Chez la Parisienne, dans tous les mondes, en haut, en bas, au milieu, le goût et l’esprit de société, donnant un vol supérieur aux jolies bouches et aux jolies langues, ne m’y parurent jamais retenues, modérées, ralenties, par la disgrâce et par la misère du sourd. Elle parle au sourd comme elle parlerait à la borne, pour l’ample joie de lui verser ce qu’elle a dans l’âme et pour épanouir son monde intérieur en perpétuel mouvement. Les hommes, à Paris comme ailleurs, disent ce qu’ils ont à dire par volonté, amitié, intérêt. Les femmes, pour le dire, et que cela leur fait plaisir. Et, bien mieux, leur souci d’être comprises est tel qu’il ne leur coûte presque pas de se donner beaucoup de peine ; leur voix monte naturellement où il faut pour toucher la p1aque sensible. Je pourrais citer telle ou telle maison où, durant des années fort longues, le sentiment de mon infirmité a été littéralement annulé ou rendu si léger qu’il ne m’était presque plus permis d’y penser. Ainsi fut construite la passerelle, en pente douce, qui alla de mes amertumes et de mes demi-solitudes d’adolescence à la phase seconde où ma mutilation si réelle faillit coïncider avec l’illusion du normal.

Pour en voir l’importance, il faut d’abord tenir grand compte des qualités de la voix féminine. Quoiqu’en dise Villon, ce n’est pas seulement à Paris que la Dame a bon bec. Le débit parisien est même quelquefois un peu rapide pour les oreilles paresseuses et c’est pour ce débit que les essais de cornets, ou de tout autre appareil acoustique, ont toujours échoué brillamment : la force du son y est augmentée, non sa distinction ; plus la parole va vite plus elle se rejoint, se recouvre, s’écrase elle-même, crée une sorte de continuité sourde et d’irisation, qui accroît le brouillamini, et qui ne fait plus que du bruit. Au contraire, en délaissant ces ustensiles vains, les pointes aiguës restent claires, avec je ne sais quel accompagnement de douceur, qui fait entrer en vrille tout l’essentiel et esquisse le reste, en favorisant la divination. Je peux dire que le principal de mon salut moral est venu par cette espèce de réhabilitation physique où se raffermissait un courage instinctif que l’infirmité aurait pu énerver. Ainsi me furent rendues la conscience et la liberté du va et vient de ces réciprocités qui sont le tout de notre vie. J’avais toujours voyagé sans être accompagné. Après la bienfaisance du généreux Paris, la difficulté de l’étranger ne m’arrêta plus  : Espagne, Italie, Angleterre, j’allai partout 9.

À la qualité de la voix parisienne, à son jaillissement et bondissement spontané, il faut donc ajouter, si l’on veut être juste, la bonté de l’esprit et du cœur féminin : Cœur féminin, qui tant es tendre. Sans faire de tort à Villon qui dut en éprouver la tendresse, on peut mettre ici cœur pour corps 10. Peut-être qu’autrefois cette pitié naturelle du cœur féminin fit-elle concevoir à ma fausse fierté d’homme une dégradation mal placée. Maintenant, à recueillir et raccorder tant de souvenirs, je dois me déclarer heureux et même fier du puissant bénéfice de ces miséricordes.

Paris est peut-être la seule ville du monde où il ne soit jamais arrivé que les commis ou les commises de bureau, de boutique ou de magasin, aient marqué d’aucun signe d’impudente et grossière risée la découverte ou l’aveu de ma surdité. Comment ne pas noter ce trait d’une heure inoubliable où Paris m’a assuré qu’il me voulait guéri. C’était un soir, parvis Notre-Dame, j’avais l’honneur d’accompagner l’un des écrivains féminins les plus affinés et les plus savants de notre âge. Je ne sais de qui ou de quoi nous causions, et par force un peu haut. Tout à coup un passant qui avait les dehors d’un assez bas ivrogne, vomit je ne sais quel propos qui n’était assurément ni ami, ni courtois, je m’en doutais suffisamment pour contracter tous les musclés de mon visage dans ma face la plus féroce. suffit à mettre en fuite le misérable. J’avais réagi au hasard : « Voyez, je à ma compagne, je n’ai même pas pu le remettre à sa place à coup sûr ! Je n’ai su vous protéger comme il le fallait… » Une certaine tristesse avait dû passer dans ma voix. « Oh ! dit-elle, avec une inflexion que rien n’effacera, vous en souffrez encore !  » Elle savait si bien me parler que, d’elle à moi, cette souffrance avait cessé d’être présente ni imaginée. Et nous n’étions pourtant qu’amis. Nous le sommes toujours restés.

V
Les voitures

Toutes les fois que j’annonçais mon départ pour Paris, un vieux berger de la campagne hochait la tête tristement. Au retour, je lui faisais figure de réchappé.

« Y a-t-il à Paris tant de voitures comme à Marseille ? » me dit-il un jour. « Peut-être un peu plus…  — Alors, il, comment faites-vous ? » Sous entendu : pour être là, pas écrasé encore ?… Je ne sus que répondre. Dans la réalité, je faisais attention ; j’avais pris l’habitude de ne pas quitter le trottoir sans un coup d’œil sur la chaussée. Inconsciemment, d’ailleurs ; c’est à Jacques Bainville que, plus tard, bien plus tard, je dus de prendre garde que je prenais garde. Jusqu'au début du vingtième siècle, les autos se mirent à courir, j’eus une heure de découragement. Elles étaient trop ! Leur nombre, leur vitesse me semblaient contenir la certitude mathématique de finir sous leurs roues. Deux polytechniciens amis 11 me rassurèrent par a + b. Par la suite, l’expérience dit comme eux. J’eus, comme tout le monde, mes accidents d’auto, mais à titre de voyageur, jamais de piéton. C’est un carrosse à traction animale qui faillit me faire expier cette immunité insolente.

L’histoire remonte encore au XIXe siècle, exactement au temps de La Cocarde Barrès. Le journal était installé sur la rive droite, j’y allais tous les matins. Le reste de ma vie se passait rive gauche. Nous habitions 7, rue Guénegaud 12, la quatrième maison à partir du quai de Conti. Par instinct de Provençale, et goût de lettrée, ma pauvre mère avait choisi ce lieu unique : le haut étage dominait les vieilles murailles de la Monnaie, éparses et dorées, comme d’un aqueduc romain ; la vue s’étendait par-dessus les arbres de la Seine, les pavillons du Louvre, du côté de l’Arc de Triomphe, vers les couchants vermeils du beau ciel de Paris,

La merveille du monde après celui d’Athènes,

a dit, pour toujours, Moréas.

J’avais établi mon quartier général au café Procope, rue de l’Ancienne Comédie, après la rue de Buci, en retrait du boulevard Saint-Germain et du carrefour de l’Odéon. Bien que la rue Mazarine y menât tout droit, je manquais rarement de faire un crochet par la Seine, pour revoir Henri IV sur le Pont-Neuf, saluer du coin de l’œil la flèche de la Sainte-Chapelle, les tours de Notre-Dame, et, ces dévotions accomplies, en faire d’autres rue Dauphine, en un très bon endroit, où, selon l’heure, étaient en vente les journaux de Bruxelles, ceux de Genève et de Lausanne, avec nos parisiens du soir : il m’en souvient, c’était au coin de la chétive rue Mazet, devant le vieux restaurant de Magny, le Magny du Second Empire, des dîners de Renan, Taine, Sainte-Beuve, Gautier, Goncourt ; tout juste en face de l’enseigne historique se dressait, mince et haute, la guérite, l’échauguette ou, disons mieux, l’espèce de petit oratoire, avec sa niche et son maître-autel fastueux, où sur les piles des quotidiens, dans une inimaginable auréole de brochures politiques de toutes couleurs et de chansons uniformément tricolores, trônait, riait et vocalisait la plus piquante enfant de la balle qui fût jamais sortie du pavé de Paris. Jolie, certes, grandelette et bien formée, brune, les deux yeux café de Jules Laforgue, elle vivait dans le poudroiement d’étincelles que faisaient son rire et ses yeux, sans compter ses opinions politiques, portées en sautoir, en panache et vol de rubans.

Républicaine, autant que Mimi Pinson 13, mais autoritaire, plébiscitaire et nationaliste : boulangiste fidèle, malgré les deux lâchages du beau général. Elle ne se cachait point d’être la propre fille du chansonnier Louit 14, l’auteur d’En revenant de la revue, du Pioupiou d’Auvergne, d’Il reviendra quand le tambour battra, et qui s’était remis à l’œuvre en faveur de Paul Déroulède, le seul capable, chantait-il, de « mettre » des « roulettes » au char républicain pour le désembourber. Du haut de son autel, mademoiselle Louise Louit faisait avec entrain, gaîté, ferveur, la plus aimable propagande ; je finis par la baptiser : Sainte Louise-des-Chansons ! Le surnom l’amusa. Elle s’en fit honneur devant un autre de ses chalands, mon confrère et voisin, Gauthier-Villars, qui n’était autre que Willy, l’humoriste et musicographe Willy, Willy au grand tube à bords plats, encore mari de Colette, une Colette qui, elle-même, n’était encore que Claudine : « il y avait du goût » à voir les longs cheveux nattés qui battaient ses talons, comme elle trottinait au bras de son géant. Bouclons vite la belle boucle : Claudine et Willy collaboraient aussi à La Cocarde de Barrès ! Nous nous y rencontrions parfois, ils m’apportaient des nouvelles de Sainte Louise, ou m’en prenaient si je les avais cueillies avant eux ; comme Sainte Louise en recevait par moi des Willy, si elle n’en avait de fraîches. Tant de sujets de confabulations politiques ou privées défendaient d’acheter mes journaux autre part.

Or, un soir qu’une importante réunion de l’École parisienne du Félibrige m’avait attardé au café Procope, je trouvais porte de bois au kiosque de la rue Mazet, autel muré, sainte envolée, et la mauvaise humeur de son joli bonsoir manqué s’aggrava de l’ennui d’aller chercher mon Temps, mes Débats, ma Cocarde, au diable Vauvert, ce qui me fit traîner, moitié rêvant, moitié grognant, jusqu’au milieu de la rue Dauphine que j’avais prise pour la rue Mazarine, celle-ci aussi vide et calme que l’autre l’était peu : soudain, derrière moi, éclata un tumulte de ferraille, bruit de roues, brinqueballements de harnais, et ma nuque sentit souffler l’attelage d’un lourd omnibus qui sortait de la rue de Buci ; il était trop tard pour distinguer le « Ménilmontant-Montparnasse » à bande rouge et coffre jaune, et ses trois grands chevaux qui galopaient de front ! J’étais dessous. Leur épaisse buée très chaude planait sur moi ; comme j’étais en train de traverser la rue en diagonale, il m’aurait suffi de continuer, la première bête me bousculait, la seconde me renversait, la troisième me renvoyait sous la voiture qui ne m’eût pas manqué. Or, pas du tout ! Voici la merveille : un éclair de l’instinct m’empêcha de suivre l’oblique direction commencée, j’appuyai vivement à ma droite, tournai le dos à la guimbarde et me mis à courir devant elle, dans son axe, en avant des chevaux, plus vite qu’eux. Au bout de quelques mètres de ce grand galop, l’avance fut gagnée, je repris mon oblique et bondis au trottoir, dans un état de haute ivresse qu’expliquaient la sûreté brutale de mes mouvements et leur haute complexité. Il y a plus de cinquante ans de cette minute ou demi-minute éternelle, je ne suis jamais parvenu à reconstituer des réflexions par lesquelles j’aurais délibéré de dévier mon pas, de le changer en course dans la direction nouvelle, pour combiner le bond final libérateur : mais qu’un seul de ces mouvements ne fût pas ordonné et exécuté à la perfection, j’étais broyé. Il serait vain de parler de présence d’esprit. L’esprit, ici, n’a fait qu’assister et béer comme un propre à rien. De telles actions lui échappent. Elles feraient plutôt penser aux improvisations et aux ruses rapides inventées par les rats ou les renards de la fable, toutes bêtes point si bêtes, au niveau desquelles ma surdité m’avait sans doute fait déchoir, en me douant d’une sorte de sens nouveau : quelque synesthésie sous-jacente de l’humanité.

Quel sens mystérieux ! Toute occasion de l’exercer m’a été refusée depuis. Il doit survivre, inactif, localisé dans un coin de ma vieille peau, hospes comesque corporis 15. D’ailleurs, aucun faux amour propre ni sot respect humain ne m’a plus fait oublier l’antique conseil d’ouvrir l’œil, et le bon, de voir en quelle rue je marche, d’acheter mes journaux à l’heure, et, s’il s’agit de leur marchande, de ne plus tant muser, comme le poète de Laure, devant les oratoires des madonnettes du sentier 16.

Mais ce chapitre des voitures m’a « détourné » de mon chemin. Je reviens aux prélibations des douces et bonnes choses de Paris, qui, de plus en plus, m’attachèrent à notre pauvre monde.

VI
Début de vie publique

Une action de grâce était due en premier lieu à mes anges gardiens, puis à mes amis, puis aux dames, et en particulier aux dames de Paris ; je dois maintenant des excuses à celles-ci pour la mauvaise compagnie où je vais les mettre, en leur donnant pour associés dans ma gratitude une catégorie d’individus situés à leur antipode direct. Qu’y puis-je ? Ceux-là aussi m’ont bien aidé et bien secouru sans le vouloir, ni sans s’en douter : les bons et braves membres de l’auguste Corporation des Raseurs.

Combien de fois l’on m’a plaisanté sur le goût que je marquais pour eux ! Sur le temps dont je leur étais prodigue ! Sur l’attention que je leur prêtais ! Il fallut, un jour, m’en expliquer en pleine lumière. C’est Lucien Moreau qui en eut, je crois, la première confidence, avec Léon de Montesquiou, Jacques Bainville et Henri Vaugeois.

Nous en sommes aux temps héroïques de l’Action française. Matin et soir nos premiers collaborateurs viennent me rejoindre, après déjeuner ou après dîner, au premier étage du Café de Flore, boulevard Saint-Germain. Là, sous le signe de la déesse de la Jeunesse, nous faisions la Revue, nous fondions la doctrine, nous préparions le Journal et parlions de notre grand dessein de l’avenir. Là, nous avions souvent de beaux visiteurs, quelquefois Barrès, plus souvent Moréas, plus souvent encore Bourget, quand il n’était pas dans son ermitage de Costebelle, d’où il écrivait : « Je me languis de Flore ». On imaginerait difficilement des réunions plus animées où l’on mît en cause plus d’idées éternelles et de choses fugaces. Et là, pourtant, était aussi un camarade, excellent homme, qui ne brillait ni par l’intelligence, ni par l’esprit, ni par la passion politique, et l’on se demandait ce qui pouvait le pétrifier dans nos murs. Mais M. de X… était néanmoins toujours là. Le paradoxe de sa présence se compliquait encore de ce qu’après le départ des autres il m’arrivait de tenir de longues séances supplémentaires avec lui. Qu’avait-il pour m’intéresser ? Il fumait lentement une courte pipe. Après chaque bouffée, une voix claire et pure, que j’entendais fort bien, laissait tomber un mot, un seul, dans lequel il n’y avait jamais, très précisément, que du rien. Ce qui s’appelle rien. Le mot vide, évidé encore. Le mot épuré et passé à la plus sévère des pompes pneumatiques. Quelque chose de moins que « il pleut » « il fait beau », « il fait chaud » « froid », de l’extrême désœuvrement.

Comment faisais-je donc pour écouter des superfluités si certaines ? C’était le cri public, au restaurant de Flore. « Messieurs, dis-je enfin, c’est bien par ce dont elle est si vide que cette voix m’est délectable, agréable et utile même. Cela intéresse ma psychologie la plus personnelle. Je suis sourd, vous me le faites oublier. Je n’en suis pas moins sourd. À vous écouter, j’apprend beaucoup de choses de la vie lointaine ou prochaine qui m’enveloppe. Mais vous ne me dites jamais que des choses de grand intérêt. À n’écouter que vous, je serais donc trompé sur le grain, la valeur, la densité des autres propos qu’échange le peuple des hommes. Propos inentendus mais propos réels. Tenez ! Par vous, Messieurs, ces buveurs de chez Lipp, la brasserie d’en face, auraient tendance à se peindre en moi, comme s’ils se donnaient des répliques, dans le goût des nôtres, sur des sujets précis, sur des idées claires, avec des raisons substantielles à l’appui. Or, en fait, j’ai fini par m’en douter, non seulement les sujets de leurs propos sont beaucoup moins définis que les vôtres, je sais aussi qu’ils n’existent pour ainsi dire pas. De ces bouches oisives, de ces têtes inanes, il roule les trois quarts du temps de purs néants. Toutes les formes du rien et du creux, voilà leur domaine, c’est-à-dire tout ce qui, avec vous, m’échappe et me fuit. Le raseur béni qui vous offusque me met seul en état de reconstituer leurs discours : je cesse, grâce à lui, de me représenter la trame de la vie comme une fresque haute en couleurs, peinte de signes énergiques, voyants et chargés d’un sens ; je renonce à l’erreur que me faisait faire votre bonté sur la moyenne d’intelligence et de signification qui est attachée aux dialogues humains. Je les vois tels qu’ils sont. Le raseur que vous censurez bien hâtivement, et en général tout raseur, apporte à ma surdité de quoi l’éclaircir et la détromper : la pelletée de poussière compensatrice ! La truelle grise de cendres épandue et lancée comme une grisaille subtile au-dessus de vos brillantes colorations ! Ce qui était cru et vif s’atténue. Ce qui se détachait avec trop de relief rentre au plat des murailles. Tout redevient plus proche du réel et du naturel. Par notre bon ami de X…, les choses de la vie sont ramenées à leur mesure, et j’imagine l’homme moyen, tel qu’il est et doit être, très inférieur au plan de votre amitié. »

Cette théorie du Raseur eut, comme d’autres théories, un certain succès au pays de Flore. On cessa de me plaisanter sur notre ami de X... Non content de le tolérer, on le considéra, il fut d’utilité publique, on l’alla quérir quand il manquait trop.

La seule réplique, vengeresse il est vrai, en fut tirée par Léon Daudet qui développa la même théorie, un beau jour, jusqu’à soutenir que la passion des raseurs m’avait fait écouter voluptueusement une vieille dame venant me confier son désir de me faciliter l’emplette d’une ceinture sous-ventrière à façon ! Le bel apologue offensait la vérité, mais laissait intact le fabuleux service dont ma surdité profita.

Mais que dire alors du présent de Léon Daudet lui-même ? La voix éclatante, mi-partie tonnerre et clairon, qu’il n’avait pas besoin de forcer pour moi, m’avait fait, à nos premières rencontres, la plus délicieuse surprise, qui ne fut jamais amortie. De mauvaises langues ont dit qu’elle contenait le secret de notre collaboration, de la vigueur et de la durée de notre amitié. Il serait ridicule d’en faire tout dépendre ; cependant tout en a été facilité, aplani et simplifié. Grâce à Léon Daudet, plus d’erreur possible sur les personnes et sur les choses. La même voix qui remplissait la nef du Vélodrome d’Hiver faisait trembler les vitres de ma salle à manger de la lecture d’un beau menu : elle représentait à coup sûr un inconnu ou une inconnue, énonçait un chiffre, jouait plaisamment sur un mot, et toujours avec une telle limpidité que le doute était impossible au malheureux sourd mis sur pied d’égalité avec ses voisins et voisines. Perfection du débit ! Perfection de l’articulation ! Daudet aimait à rappeler qu’en mars 1908, quand nous convînmes de nous atteler ensemble au journal, les bonnes langues nous donnaient de trois à six mois de cohabitation maxima. L’attelage a duré trente-cinq ans, coupé par la seule faulx de la mort. Certes, cela tenait au plus vif de nos esprits et de nos âmes, à leur accord profond, au respect non moins profond que nous éprouvions de leurs différences, mais tout commencé par la pleine harmonie complémentaire de cette faible ouïe et de cette voix de stentor. Là fut, j’ose dire, le flambeau lumineux promené par la vie sur toutes les pénombres de nos affinités.

La rencontre de Léon Daudet a été cause, en premier lieu, que j’ai accepté une vie publique, une vie politique où ma parole aura pu tenir quelque place.

Avant de le connaître, il m’était arrivé, à de rares intervalles, d’être moralement forcé de dire quelques mots dans une assemblée où la force d’une évidence put même arracher le succès. Mon début eut lieu, en 1904, dans une réunion du Sillon, où, nos orateurs ayant été empêchés de venir, je dus donner la réplique à Marc Sangnier en personne, et ne m’en tirai pas mal 17. Hasard pur, mais le péril couru ce soir-là me causa comme un frisson rétrospectif. De ce que, je le répète, j’ai la langue bien pendue ou l’esprit assez prompt pour prévoir les objections qui pouvaient m’être faites, je n’étais pas moins obsédé du si je n’entendais pas ? ou si j’entendais de travers ? Double gouffre ouvert à mes pieds. L’habitude de délibérer avec Léon Daudet dissipa la phobie, elle m’enhardit à mépriser les risques. De sorte que mes années 1908-1939 ont été semées et bourrées de discours et de conférences de moi, alors que, avant la fréquentation de Daudet, mes années 1885-1908 furent à peu près complètement muettes par une volonté disciplinaire de silence dérivée des mêmes vues obsédantes de mon infirmité.

De vingt à quarante ans, sur toutes les avances qui semblaient m’être faites, répondait d’abord mon recul. Je suis sourd tenait lieu de réflexe constant ; je suis sourd, quand Jules Tellier et Raymond de la Tailhède, en 1887, vinrent me prier à dîner avec eux, après un article du nommé R. Amarus sur leur livre dit Nos poètes ; je suis sourd, lorsque, en 1889, le futur député de l’Ariège Albert Tournier et Maurice Faure, alors député de la Drôme, vinrent m’annoncer que j’avais remporté le grand prix du Félibrige de Paris et insistaient pour m’attirer dans leurs réunions. Je suis sourd, je suis sourd, quand trois années plus tôt, à la suite d’études dans les Annales de philosophie chrétienne, Mgr d’Hulst me fit l’honneur de me faire convoquer à l’Institut Saint-Thomas-d’Aquin qu’il avait fondé. De longues insistances purent venir à bout de certains de ces uniformes refus ou demi-refus, mais toujours prêts à sortir, ils étaient là et toujours – il m’en souvient bien – un peu honteux, mais forts d’un scrupule honorable en somme ! Le jour où fut question de m’inscrire dans les Comités directeurs de L’Action française, la même phobie renouvela en plus vif, non sans sujet : jusque là les effets ridicules, absurdes ou dangereux de la surdité ne pouvaient éprouver que moi et sans tirer à conséquence. Maintenant cela devenait sérieux ! C’était l’action publique et toutes ses suites possibles. Il n’y aurait plus moyen de m’excuser, en disant : je ne sais pas, j’ignorais, j’avais mal entendu. Il fallait savoir, il fallait avoir entendu ce dont j’allais devoir répondre. Nous partions pour un tour de force : vingt-cinq ans de conseils tenus sous la quasi présidence d’un sourd !

Ce fut le tour de force de l’amitié. Ce qui n’y venait pas de la magnifique intonation de Léon Daudet et de son action personnelle venait des autres, un Lucien Moreau, un Robert de Boisfleury, un Maurice Pujo, dont la voix fraternelle ou le crayon agile me permit de ne jamais rien ignorer de ce qui était dit qui intéressât nos affaires. On se ferait difficilement une idée des trésors de complaisance et de loyale patience qui furent ainsi dépensés. Cela devint si clair, qu’il finit par s’y trouver un moyen de flairer les brebis galeuses d’après leur conduite sur ce point délicat, soit qu’on s’abstint de me répéter ce qu’il fallait, ou qu’on le dénaturât plus ou moins adroitement. Il me souvient bien d’un mythomane impudent, qui affecta longtemps le zèle de la discipline et de la doctrine 18 ; il tourna ; l’un des premiers indices qui me mirent à la trace de son mauvais dessein avait été sa façon de murmurer, dans certains conseils, de longues messes basses dont je ne captais que des bribes : « Voyons, disais-je, quand vous me parlez, vous parlez pour tout le monde, et tout le monde vous entend, et si vous ne parlez pas pour moi, tout le monde ne vous entend pas ! » En m’obligeant à ces rappels à l’ordre répétés, on me fit sentir la manœuvre qui ne prit jamais. Je veux dire qu’elle n’obtint jamais, comme on le visait, de me mettre pratiquement hors et à côté du débat. Le réseau des amitiés sûres était trop fermement tissé pour que rien fut escamoté, et je ne cessai jamais d’être tenu au courant par un « X. dit que… » énoncé au moment utile.

Si l’on veut réfléchir au temps que notre action a duré, aux campagnes vertigineuses que nous avons entreprises et souvent menées à bien, aux embuscades et aux pièges qu’elles devaient nous procurer, à la gravité des intérêts publics engagés, au sérieux du moindre faux pas, du moindre quiproquo, du moindre malentendu physique, il faudra admirer la scrupuleuse vigilance d’une association ainsi coordonnée ! Nous avons été trahis, certes, c’était écrit. Sans comparer l’humain au divin, il est du fait que, en trois ans de vie publique, le fils de Dieu a rencontré un traître sur douze disciples. Le demi-dieu Mistral a compté un Judas sur les sept « Premiers de Fontségune ».

Notre vie politique 19 aurait dû nous valoir, en trente-cinq ans, dix Judas au moins. Il n’y en eut que deux 20, et ni l’un ni l’autre ne parut invoquer pour prétexte cette dureté de mon ouïe, dont ma première vie s’était fait un épouvantail. Cela mesure quel tonus moral, quel degré de respect de soi, d’affectueuse confiance absolue liait les uns aux autres tous nos éléments. Ce point si vulnérable pour moi et si souvent pris pour cible n’aura jamais été touché. Entre cette dizaine d’hommes qui ne se tutoyaient pas, qui appartenaient aux mondes les plus divers, qui, d’humeurs très variées, prenaient leurs résolutions à l’unanimité sans passer au vote, dans ces Comités directeurs de L’Action française de 1908 à 1940, il y a pu y avoir comme partout des difficultés, des contradictions de crise ; jamais la surdité de celui qu’on tenait de plus en plus pour le chef n’a déterminé aucun accident 21.

Au terme de ma vie, les choses de la France ont beaucoup changé, puisqu’elles ont perdu jusqu’aux aspects de l’indépendance et de la souveraineté ; nos affaires à nous 22 sont restées jusqu’au fond ce qu’elles étaient. À cette différence près que, autrefois, menées par un conseil assez dense, elles sont devenues, par la mort, les disparitions et l’exode, une dyarchie, la double direction de Pujo et la mienne. Appuyée de simples conseils administratifs et politiques, L’Action française n’a changé en rien jusqu’au moment où elle a été interdite, non interrompue, par la force brute.

Ma surdité avait cependant empiré, comme on le sait, par l’action de l’âge, peut-être par le poids des fardeaux qu’avaient suscité le malheur national des difficultés de l’exode. Le Paris de 1940 qui m’avait vu un peu vieillir de ce côté-là ne me reconnaîtra plus au retour. Cela est devenu si fort que, dans tous les cas qui en valent la peine, je ne me fierai plus à l’organe fatigué, dont les fantaisies pouvaient me faire prendre un plus pour un moins, un oui pour un non ; je priai mes collaborateurs de vouloir bien écrire, comme le fit, le premier, spontanément, Maurice Pujo. Il eût été coupable de négliger cette précaution contre moi-même aussi longtemps que je restai capable de souffrir ma part des vieilles fonctions de pilote. Sans le crayon de Pujo, il me faut un interprète dont la voix approche celle de Léon Daudet. Plusieurs ont été trouvées admirables, mon cher filleul François Daudet, chasse de race ; après lui vient Roger Joseph, poète, journaliste, militant, dont la voix surabonde de couleurs, d’intensité, d’éclat ; Roger Joseph, l’une des dernières recrues de notre station lyonnaise, mais qui militait avec nous depuis vingt ans dans l’Orléanais. Un troisième, fidèle et parfait traducteur, fut mon vieil ami le docteur de Saint-Rapt, qui voulut bien m’accompagner à la préfecture de Lyon lors du dernier passage du Maréchal Pétain et me répéter tout ce qu’il fallut avec le plus attentif dévouement. Enfin, pour une multitude d’autres cas, j’ai eu la haute chance du concours régulier du commandant Dromard, l’un des hommes dont il m’est le plus facile de saisir la voix et que, pour la pensée, je puis appeler un autre moi-même. En nos premiers jours d’octobre 1944, pendant que j’écrivais le début de cette notice, j’ai été étreint de bien des angoisses sur le sort du commandant que je savais dans Marseille révolutionnée, où trop d’existences étaient compromises ou menacées. Vivait-il ? Était-il libre ? J’ai cru savoir d’abord qu’il n’avait pas été inquiété. Puis, de façon très positive, je l’ai su au contraire emprisonné, menacé, torturé. À l’immense soulagement ont alors succédé les plus graves alarmes et des vœux dont j’ignore encore l’efficacité 23.

Que le commandant Dromard sache, un jour ou l’autre, que je l’ai toujours connu près de moi comme l’un des volontaires de bon secours, infirmiers sans blouse blanche, qui se sont dressés au-dessus de mon mal incurable et tout naturellement, croient-ils, mais on choisit un peu sa nature ! qui ont tenu un rôle d’assistant héroïque par la générosité de leur miraculeuse amitié.

***

En leur disant adieu à tous, qu’ils m’aient précédé ou non sur la route mystérieuse, il faut généraliser leur cas et le mien.

Qui lira notre histoire, finira peut-être par concevoir comment, insociable par nature et me privant du premier sens social de l’homme, ma surdité aura établi sur nous, par l’amour de la France, de l’ordre et de la vérité, un genre de vie qui fut le monument de la sociabilité nationale.

VII
Le geôlier

Il n’y aurait donc plus qu’à dire un bien parfait de ce rude mal, n’était l’appendice limitatif qui s’est imposé juste au bout des bénédictions. Je le dois au Mémorial de notre prison.

La prison de la IIIe Marianne, celle que j’ai faite du temps de Blum, nous permettait courrier, journaux, visites journalières, mais elle était déjà en forte régression sur les sombres cachots de Napoléon III, car la Sainte-Pélagie du Second-Empire était un moulin d’où l’on sortait à volonté. Et celle-ci était elle-même inférieure encore par le confort et l’alimentation à la Bastille des rois Bourbons. Telle est la pente évolutive d’où nous venons. La IVe République lyonnaise a su se dégrader et se diminuer encore. Si elle doit donner, comme le veut Horace, une progéniture plus vicieuse, il faudra plaindre les prisonniers politiques de l’an 1993, pour avoir à subir des rigueurs et des âneries aggravées.

Ma nièce accourue de Marseille pour s’occuper de mes prisons, avait, comme ses pareilles et ses pareils, le droit de visiter son prisonnier une fois par semaine, mais elle devait aussi se tenir derrière une grille qui la mettait à un mètre de lui. Aux entrevues ainsi réglées, tout visiteur et visiteuse avait pourtant la faculté de parler au visité en même temps que de le voir. Non pas elle. Son droit de causer ne pouvait s’exercer, car je n’entends pas à un mètre. Je crus énoncer la plus élémentaire des requêtes, sans rien vouloir que d’égal en demandant que notre dommage physique fût corrigé et que nous puissions nous parler, front contre front, ma nièce et moi, par exemple, dans le parloir des avocats. Une première réaction bien française d’humanité et d’équité me valut aussitôt l’exception, qui me réintégrait dans la règle. Mais presque immédiatement on se ravisa. On s’aperçut que j’obtenais ainsi un « avantage » que n’avaient pas « les autres » , sans prendre garde que l’avantage rachetait une infériorité préalable dont les « autres » se passaient bien, l’on conclut qu’il me fallait le payer d’un surcroît de revers ; ma visite n’aurait plus lieu tous les huit jours, mais une fois par mois ; ce que l’on donnait d’une main était repris de l’autre. Je le fis observer. « Mais, dit-on, et l’égalité ? — L’égalité, répondis-je, est rétablie quand chacune de nos entrevues devient entendante autant que voyante. Si vous les rendez plus rares, mes auditions sont diminuées, la sainte égalité est de nouveau lésée, à mes dépens. » J’en fis même une parabole arithmétique : « le monde a quatre sous, je n’en ai que deux, si vous m’en faites donner deux autres, tout est d’aplomb, si vous en reprenez un, l’équilibre est rompu encor… — Non, puisque vous avez quelque chose de plus que les autres. — Non, quand vous m’aviez remis simplement à leur niveau ! Vous me dénivelez donc, voilà tout… » Impossible de faire entrer l’évidence dans la caboche du garde-chiourme. Tout ce que je pus obtenir fut deux entrevues par mois où j’avais droit à quatre, et nos égalitaires avaient cru faire descendre la Justice des cieux en m’ôtant leur moitié de décime compensateur.

Dans quel compartiment du Musée des horreurs et sottises démocratiques ferons-nous entrer mon historiette ? Le casier de l’Envie ? Celui de la Bêtise qualifiée et compliquée ? Cela peut toujours dessiner un petit cul-de-lampe monumental où s’inscrira la dédicace de mes lignes à messieurs mes geôliers de 1944, à Lyon :

Moralité finale

Sourd, entendant, à tout le monde
Fait-il bon vivre avec l’ami
Et moins bon avec l’ennemi.

Lyon Saint-Paul,
27 Janvier 1945.

Charles Maurras
  1. Principe de scholastique : ce qui s'énonce sans preuve n'a pas besoin de preuve pour être rejeté. (n.d.é.) [Retour]

  2. C'est bien ce mot, inconnu des dictionnaires, qui figure dans le texte imprimé. (n.d.é.) [Retour]

  3. Poète malveillant. (n.d.é.) [Retour]

  4. Poète d'abord catholique, ami des félibres, donné comme disciple de Léon Bloy, il devint après l'échec de son second mariage anarchiste, franc-maçon et farouchement anticlérical. 1854–1919. (n.d.é.) [Retour]

  5. Surtout connu comme professeur de littérature anglaise, 1848–1911. (n.d.é.) [Retour]

  6. Officier civil qui délivrait les actes notariés et faisait office de notaire dans les juridictions subalternes, par extension : notaire de peu d'importance. (n.d.é.) [Retour]

  7. Le 4 avril 1894, Tailhade se trouvait au restaurant Foyot où explosa une bombe anarchiste, et il y perdit un œil. (n.d.é.) [Retour]

  8. Il ne faut pas confondre avec le poète Emmanuel Signoret, mon cadet de beaucoup, avec qui mes relations furent très médiocres. [Retour]

  9. Voir la préface des Vergers sur la mer. [Retour]

  10. Maurras reprend un vers de la dernière strophe du Testament de François Villon :

    La mort le fait frémir, pallir,
    Le nez courber, les veines tendre,
    Le col enfler, la chair mollir,
    Joinctes et nerfs croistre et estendre.
    Corps femenin, qui tant es tendre,
    Poly, souef, si précieux,
    Te fauldra-t-il ces maux attendre ?
    Oy, ou tout vif aller ès cieulx.

    (n.d.é.) [Retour]

  11. Je puis nommer ces deux polytechniciens amis : c’étaient les futurs colonels Larpent et Delebecque, déjà membres secrets des Conseils directeurs de l'Action française. Ils n’étaient encore que capitaines d’artillerie ; ils venaient de publier leur Joseph Reinach, historien et, sous le même pseudonyme – Henri Dutrait-Crozon – leur monumental Précis de l’affaire Dreyfus. Par exemple, j’ai été tout à fait incapable de retenir le raisonnement par a + b qui servit à me rassurer. Mais ce fantôme mathématique a bien existé, comme tout ce que je rapporte. [Retour]

  12. [Ici, Maurras insère la note suivante, une mise en garde sans grand intérêt aujourd'hui.] Pas de confusion : c’est au numéro 9 de la même rue que s’établirent les Souday, mais un peu avant l’autre guerre, c’est-à-dire vingt ans plus tard. [Retour]

  13. Du dernier couplet de Mimi Pinson, portrait d'une grisette, chanson dont les paroles sont d'Alfred de Musset :

    Mimi n'a pas l'âme vulgaire,
    Mais son coeur est républicain ;
    Aux trois jours elle a fait la guerre,
    Landerirette !
    En casaquin ;
    À défaut d'une hallebarde
    On l'a vue avec son poinçon
    Monter la garde ;
    Heureux qui mettra sa cocarde
    Au bonnet de Mimi Pinson !

    (n.d.é.) [Retour]

  14. Antonin Louis, 1845–1915. Le texte imprimé reprend deux fois l'orthographe fautive Louit. (n.d.é.) [Retour]

  15. Hôte et compagnon du corps. Tiré de l'épitaphe que se composa pour lui-même l'empereur Hadrien. (n.d.é.) [Retour]

  16. La référence est passablement obscure : Musset a bien écrit un poème À Laure, mais c'est chez George Sand, dans Consuelo, qu'il faut trouver les « madonettes ». (n.d.é.) [Retour]

  17. Il entra dans ce succès de la surprise, l’adversaire en avait connu le désarroi ; à la seconde expérience, ce fut un jeu pour le même adversaire d’employer toutes les ruses du métier, qui me replongeaient dans mes inégalités naturelles. En dépit du premier essai, je continuais donc à me défier de la tribune, et n’eus point tort. [Retour]

  18. Il s'agit certainement de Georges Valois. (n.d.é.) [Retour]

  19. Ici le texte imprimé dit « à douze ou à quatorze années », ce qui est incompatible avec les trente-cinq ans qui suivent. (n.d.é.) [Retour]

  20. Si l'un des deux est Georges Valois, rien n'indique qui est l'autre. (n.d.é.) [Retour]

  21. Ici le texte imprimé se poursuit par ces phrases incompréhensibles, certainement victimes d'une typographie défaillante : « Mon Je suis sourd de la fin du XXe siècle n’était pas déraisonnable. Mais cette vue prudente a été son risque neutralisé et maintenue la condition matérielle de l’entente pour la manœuvre collective de la barque entre les patrons qui la conduisaient. » (n.d.é.) [Retour]

  22. Ici le texte imprimé propose les mots intempestifs : « leur politique, leur État  ». (n.d.é.) [Retour]

  23. J'ai connu plus tard l'heureuse issue d'une épreuve dure et pleine d'honneur. [Retour]

Texte de 1945.

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